Entre violence et espérance

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Jacques parti vers les oiseaux
me suis laissé prendre à nouveau
dans les vibrations colorées du monde
à petites touches
voulais que ce soit doux
ce fut violent

ai une nouvelle fois eu honte
pour l’Amérique qui exclut
mais ressenti grande fierté
devant l’esprit de résistance
qui bat au pays de Donald

usa

revenu chez nous, ai tenté de rester aussi lucide que possible
devant le spectacle de la primaire du PS
moyennement emballé par Benoît Hamon mais désireux d’une gauche unie
sans faux nez
une gauche qui refuse une bonne fois pour toutes
les renoncements et les trahisons
qui jonchent le pauvre parcours du quinquennat finissant
ai mesuré qu’avons devant nous du boulot pour avancer groupés
beaucoup de boulot pour éviter
un très laid remake de 2002

melenchon

une fois n’est pas coutume
me suis posé devant l’ordi pour suivre un programme télé
regardé jusqu’au bout le documentaire que Gérard Miller
consacrait à Jean-Luc Mélenchon
son histoire, son parcours
plutôt séduit par le bonhomme
qui pourtant m’exaspère tant lorsqu’il se met en colère
me suis rappelé le titre du film de Robert Guédiguian
Dieu vomit les tièdes
ai revu le visage de mon grand-père
immigré et exploité
alors j’ai écouté Moussu T

après quoi, apaisé, suis parti retrouver Issa

Petit escargot

grimpe doucement surtout

c’est le mont Fuji !

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Jacques a rejoint les oiseaux

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Tu t’es envolé –
mon Jacques,
rejoindre ces oiseaux que tu aimais tant

 

Pour t’accompagner

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Pour t’accompagner vers l’autre monde, mon Jacques, ce haiku d’Issa

Ah ! le rossignol

même en présence d’un prince

son chant est le même

 

Ce silence ne concerne pas l’ouïe

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Pour toi, mon Jacques, ce texte de Erri de Luca, extrait de son livre « Le plus et le moins » .

Illustration de ci-haut : @ Zao Wou-Ki

Ma première Tamborrada #2

À la demande générale des quelques lectrices et lecteurs de ce CarnetDeMarseille 🙂 , restons encore un peu à Donostia, auprès des habitants de la ville, actrices et acteurs de la Tamborrada 2017.

Deux habitants de Donostia San Sebastián racontent l’importance que revêt pour eux la Tamborrada. Interview en espagnol. La traduction vient juste après le son.

Et voici la traduction :

« C’est beaucoup d’émotion, dans la ville, célébrer une époque de cette ville, transmettre ce souvenir au peuple, se souvenir un temps passé;
– c’est enraciné profondément à San Sebastián ?
oui, profondément, avec beaucoup de sentiment, d’émotion;
– pareil chez la jeunesse ?
oui, c’est quelque chose qui se transmet de génération en génération, c’est émouvant.
merci beaucoup »

« C’est une émotion, une tradition, c’est le jour le plus important de l’année
– vous avez ça dans le sang ?
oh, oui, jusqu’à la mort. »

Allez, quelques douceurs pour se quitter en beauté

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Ma première Tamborrada #1

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vendredi 20 janvier
la tête et le cœur en quête de fête
à l’heure où de l’autre côté de l’océan
l’affreux Donald
osait poser sa main sur la Bible
alors ai franchi la Bidasoa dans l’Euskotren

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puis ai promené mon enregistreur
dans les rues de Donostia San Sebastián
marché de la Concha sublime

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jusqu’au vieux quartier
et la Plaza de la Constitución
où depuis 1836 débute et s’achève la Tamborrada
la fête annuelle des gens d’ici
pour célébrer Saint-Sébastien le patron de la cité guipozcoane

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Pour en savoir plus sur cette fête, c’est par ici et par ici et aussi par ici .

Janvier 43, Marseille meurtrie en son cœur

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Mémoire vive . Un grand merci à David Coquille, journaliste à La Marseillaise pour son travail de mémoire hier sur Twitter : le récit en images de ce qui reste et restera une meurtrissure profonde dans le cœur des Marseillais : il y a 74 ans, Marseille vécut une grande rafle dans les quartiers du centre-ville : l’Opéra, le Panier et le Vieux Port.

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L’armée allemande et la police de Vichy dirigée par René Bousquet arrêtèrent des milliers de personnes, dont 250 familles juives qui furent arrachées de leur logement. 1.642 hommes, femmes et enfants furent déportés vers Sobibor.

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Quelques jours après cette rafle, le 1er février 43, les nazis firent procéder à la destruction du quartier du Panier, qualifié de « chancre de l’Europe » et de « repère de toute une pègre internationale ». Voici comment le JT de l’époque, France Actualités, osait raconter cet évènement, sur 56 petites secondes…

Ce document est à retrouver en images sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel.
et le Mémorial de la Shoah œuvrent pour transmettre cette mémoire, notamment auprès des jeunes.

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Un Bella Ciao pour les femmes d’Amérique

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Bien trop loin d’ici, Washington
hélas …
n’empêche hier
c’est aux côtés des innombrables femmes d’Amérique que j’ai marché
entre le Mémorial Lincoln et les abords de la Maison Blanche
ai mêlé ma voix à toutes celles
atteintes, blessées, meurtries au fond d’elle-mêmes
par la vulgarité, l’obscénité
l’irrespect envers les femmes
le mépris de toutes les différences
la xénophobie
la haine de l’étranger
véhiculés par le 45ème président des États Unis
et comme chaque fois qu’il s’agit de protester, de résister
j’ai chanté Bella Ciao *
et l’ai lancé bien haut, bien loin
jusqu’à l’Amérique outragée

* Cette version de Bella Ciao est l’œuvre de l’Académie de Chant Populaire fondée à Marseille en 1994 par Alain Aubin. Le chœur qu’il dirige interprète un répertoire riche de chants de lutte et de résistance.

Pour prolonger, c’est par ici et par ici .

Amérique, ne te retourne pas

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Ne te retourne pas
Amérique
tu as honte je sais
tu as honte, oui
Barack s’en est allé
Donald déboule
et toi tu comptes les pas
qui te mènent
jusqu’au prochain désarroi

ne te retourne pas
Amérique
tu regrettes je sais
tu regrettes, oui
Barack t’a donné des droits
Donald les croquera
et toi tu aperçois le chemin
qui te conduit
jusqu’à la prochaine fois

ne te retourne pas
Amérique
tu n’as pas oublié je sais
tu n’a pas oublié, non
Barack n’est plus là
Donald s’affiche
et toi tu mesures la voie
qui te plonge
jusqu’au prochain coma

ne te retourne pas
Amérique
bats-toi
comme Ali tu sais
bats-toi comme lui
face à l’ennemi
Barack t’accompagne
Donald s’interpose
et toi sans violence
tu continues sur le ring
qui te verra
triompher de ce visage-là

Bob Dylan – The times they are a changin’

Photo de ci-haut @ Sonia Katchian

Serge, 65 ans, vit dans la rue à Biarritz

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Yeux bleus azur ; longue barbe blanche ; moustache jaunie par le tabac ; bonnet gris ; Serge a 65 ans ; accroupi dans un coin au bout de la Grande Plage de Biarritz ; sous le balcon de l’Hôtel du Palais ; précisément sous la piscine du cinq étoiles ; à l’abri du vent ; à ses pieds trois grands sacs plastique  ; un pour ses vêtements ; un pour ses couvertures et sa nourriture ; un matelas plié dans l’autre ; hier après-midi ; marée basse ; à peine un ou deux degrés au-dessus de zéro ; quelques surfeurs à l’eau ; et Serge posé sur un oreiller bleu foncé ; à regarder l’océan ; comme presque chaque jour depuis 4 ans ;

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Serge a un peu de mal à respirer ; il a aussi perdu ses dents ; lui ai apporté une veste chaude ; du thé sucré ; une tranche de gâteau basque aussi ; offerte par l’un des serveurs d’un café près du Casino ; Serge a mis la veste sous son blouson ; et puis il a parlé ; au début aucun son n’est sorti de sa bouche ; juste quelques mots murmurés ; trop froid pour laisser passer un son ; après le thé sa voix a commencé à se frayer un chemin dans l’air glacé de janvier ;

Serge a travaillé toute sa vie sur les marchés ; vendait des vêtements en région parisienne ; il ne touche ni retraite ni RSA ; sans papiers il est ; le matin il fait la manche près des Halles de Biarritz ; Serge n’a plus de contact avec sa famille ; espère le printemps pour monter sur Arcachon ou sur Royan .

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Puiser

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Puiser

tout au fond du ciel

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la lumière d’hiver

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journées avancent

à peine rallongent mais

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y puiser le feu

vers d’autres matins

De passage

Et toujours la lune
pour continuer de croire
à la force des rêves

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et toujours les oiseaux
pour me rappeler
que sommes de passage

L’armée non-violente de Martin Luther King

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Lundi tout gris ici
pluie pluie et pluie
lire Asli et Erri
écouter le très beau podcast de Julien Cernobori
puis regarder vers l’ouest et songer, affligé, que vendredi
il ne fera pas bon du tout être étranger
aux États-Unis

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Photo @ The Untitled Space Gallery

lire l’éditorial de L’Autre Quotidien
et célébrer d’ici le Martin Luther King Day
penser à John Lewis
à Bernard Lafayette
à tous aussi ceux que D.T. insulte
et s’apprête à rabaisser
humilier
priver de leur droit à vivre dignement et à se soigner

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respirer profond
chasser ma colère et ma haine
et me résoudre
parce que c’est juste et nécessaire
à relire à voix haute ces mots de Martin Luther King
extraits de Révolution non-violente

* Pour prolonger, avec RFI et Mediapart, c’est par ici et par ici .

La petite souris est passée

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Reçu ce matin au réveil
cette photo de Clément
mon petit-fils de six ans
tout fier de sa merveille
toute première dent tombée
tenue comme un trophée

la petite souris est passée
à l’heure de Morphée
bien loin le temps où Clément chantait
sur les épaules de Papet

 

Sur les feuilles comme au ciel

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Dire au revoir aux santons

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finir les chocolats

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et repartir en forêt

marcher sur les feuilles

une halte sur le banc

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pour réécouter cette merveille

signée Marie Cosnay et Vincent Houdin

puis rentrer

colère et tristesse mêlées

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les yeux accrochés au ciel de janvier

En silence et profond jusqu’aux cieux

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Parti saluer les arbres
avec en tête
leur murmure magique raconté par Cendrine Robelin
l’autre jour sur France Culture
forêt de Brocéliande pour elle
forêt d’ici pour moi
moins dense
moins profonde
mais belle et recueillie aussi avec son bestiaire
silencieux tel un cimetière

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parlé au grand arbre-éléphant

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fait coucou au petit arbre-chouette

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souri à l’arbre-taureau

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les ai tous approchés
ai caressé leurs têtes moussues
leur ai demandé de me confier
leur vérité d’arbres coupés
privés par l’homme de majesté
réduits à l’état de souches abandonnées

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m’ont répondu que comme les humains
souffrent et crient et se plaignent parfois
que comme nous autres
meurent aussi parfois
et se retrouvent en tombe

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n’ai pas voulu les croire
je sais que jamais arbres ne meurent
sauf par le feu
et que sinon continuent de vivre
même trop tôt coupés dans leur élan
vivants sont depuis leurs racines
en silence et profond jusqu’aux cieux

Au pays des lichens et des baleines

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Il est des froids qui réchauffent l’âme
des gels qui pansent les plaies
des blancs profonds tels le silence
et des bleus en majesté
il est des départs qui caressent
des mots qui jamais ne blessent
il est des voyages qui bouleversent
des découvertes qui émerveillent
il est des humains qui partagent
et ouvrent le cœur au beau
il est des femmes qui se posent là
portées par la lumière du monde
Candice Nguyen est de celles-là

ses carnets du froid sont des bijoux
tout y scintille de vivant et d’humain
mots
photos
vidéo

j’ose y mêler le son
à voix haute
haute comme ce point sur la carte
sud de Maniitsoq, Groenland
où se pose et nous entraîne
au pays des lichens et des baleines
Candice Nguyen

* Ces carnets du froid vous attendent sur l’Autre Quotidien, parmi d’autres pépites.
Candice y est chroniqueuse de l’ailleurs.

* Photos ce ci-haut @CandiceNguyen

* La retrouver sur son journal et sur Twitter @theoneshotmi

Aux bras de Pépé

Ce texte est ma contribution – il y en a 11 autres à ce jour sur le tiers livre – à la quatrième proposition de François Bon dans son atelier d’écriture en ligne sur le thème du lieu. Une contrainte proposée : se passer radicalement du je pour raconter un lieu public. Écrire un texte de coulisses. Comme pour mes trois précédentes contributions sur ce thème, le seul point-virgule ponctue ce texte jusqu’au point final. Je ne m’en lasse pas. Bienvenue aux bras de Pépé.

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Pépé te l’avait promis ; maintenant que tu es grand, on peut monter les voir de près à la nuit ; en grimpant dans le trolley il tire sur sa P4 et t’asperge en riant d’une fumée blanche qui te fait tousser ; les gens rigolent avec lui ; on les connaît presque tous les passagers du 63 ; des gens du quartier ; des employés de bureau en costume clair et cravate ; des veuves à chapeau noir et sac à main sur les genoux ; des retraités à casquette ; des boulistes à chaussures de toile blanche et à casquette aussi ; on les croise tous les jours chez le poissonnier ou au bar tabac du Terminus ou chez Bec le marchand de bonbons ; le poinçonneur de billets aussi on le connaît bien ; il fait presque toujours le 63  ; assis vers l’arrière dans sa mini cabine ; ils discutent souvent ensemble avec Pépé ; aurait voulu devenir cheminot mais a loupé le concours ; s’est rabattu sur traminot ; Pépé lui il voulait être capitaine au long cours pour naviguer jusqu’en Amérique ; depuis la Suisse c’était compliqué alors il a fait charbonnier puis conducteur de rouleaux compresseurs puis métayer ; et toi tu rêves de conduire des locomotives et c’est pour ça que tu pars à la gare avec Pépé ; à pied c’est trop loin ; le 63 et un peu de marche ce sera parfait ; elle te semble riquiqui la rue d’Endoume ; elle tourne beaucoup et s’allonge entre les façades blanches et beiges et grises ; elles renvoient la chaleur de ce dimanche-soir d’été jusque vers les vitres du trolley ; le quartier on dirait un village qui se repose après une journée de cagnard ; les maisons se serrent comme des anchois dans un désordre qui te plaît ; le ciel serpente au-dessus des toits de tuile ; on passe devant l’Impérial ; nous irons bientôt y voir un western promet Pépé ; il paraît que la salle est drôlement grande ; les sièges confortables et les frigolos délicieux à l’entracte ; tu tiens sa main ou plutôt ses gros doigts dans la tienne ; ne les lâches pas jusqu’au terminus cours Jean Balard sur le Vieux Port ; ça sent le beignet frit l’huile de moteur et le poisson mort sur le quai ; c’est pas là qu’il t’emmène pêcher Pépé ; tellement sale la mer ici ; mais cette vue sur le fond du port là-bas entre Saint-Jean et Saint-Nicolas il ne s’en lasse pas ; d’ici on ne voit pas le large ; on le devine ; Pépé il préfère imaginer ; lorsqu’il est sur les rochers et que la rade l’embrasse direct avec cet horizon toujours offert et marqué ça le rend triste ; il s’arrête de parler et tire fort sur sa P4 ; toi tu te sens bien à longer le quai ; tu y promènes souvent ; depuis tout bébé ; tu marches lentement vers les vendeurs  de cacahuètes tandis que Pépé se tourne vers les bateaux ; lèves les yeux vers les gabians qui crient au-dessus de ta tête ; te demandes s’ils remontent vers la gare eux aussi ; un jour une mouette a cagué sur la chaussure d’un monsieur qui marchait juste devant ; il a juré  fort ; en italien il a dit Pépé ; sans t’en rendre compte c’est déjà Canebière ; trottoir de gauche en montant ; encore un peu de marche il te dit en tirant sur sa cigarette ; plus hautes que tout à l’heure elles sont les maisons tu remarques ; en Amérique les immeubles touchent le ciel te répond Pépé en tendant le bras vers les lampadaires verts olive ; les terrasses des cafés se vident ; on s’arrête pour se désaltérer ; orangeade pour toi ; bière pour Pépé ; tu lui souris ; il te cligne de l’œil ; des matelots avec leur bonnet à pompon rouge plaisantent en regardant passer une demoiselle à talons hauts et éventail nacré ; on écoute les vieux messieurs assis à côté ; c’est quelle langue tu demandes ; Pépé ne sait pas ; l’espagnol peut-être ; ou le portugais ; on parle tellement de langues ici il te dit en roulant le r de parle ; les magasins commencent à tirer le rideau ; arrivés au pied du boulevard d’Athènes il reste une belle montée ; allez courage ; tu voudrais un peu les bras mais tu n’oses pas demander ; tu es grand maintenant ; plus l’âge de se faire porter pour un oui ou pour un non ; il fait presque nuit ; ça klaxonne moins qu’en bas ; des ombres traversent le boulevard ; les restaurants arabes sont bondés ; tu n’as pas faim ; plus de gabians au-dessus des fenêtres ; rien qu’un large voile rose orangé lissé de ci de là au sommet des façades ; juste avant d’arriver au pied des escaliers géants tu demandes à faire pipi ; allez ; contre un platane en vitesse ; Pépé te regarde en souriant ; après on compte les marches en s’arrêtant deux fois pour reprendre son souffle ; un deux trois quatre cinq ; pas plus loin que douze ou treize tu peux ; encore trop petit pour aller plus loin ; à l’entrée de la gare tu serres un peu plus fort les doigts de Pépé ; tu grelottes ; un peu d’inquiétude et de peur là dans le ventre ; l’impatience te donne froid ; tu ne sais pas pourquoi ; tu lances ton regard vers les sifflets les cris les paroles embrouillées et toutes ces voix perdues dans le vacarme du grand hall ; vides les premiers quais à main droite ; que l’argenté des rails ; pourvu qu’il en reste un plus loin ; on longe les butoirs désertés jusqu’aux voies là-bas au fond ; mains glacées et cœur qui s’accélère lorsque apparaissent les deux lanternes rouges à l’arrière du wagon de queue ; il est très long le Paris de nuit Pépé te dit ; viens on remonte ; vite ; longeons les voitures aux vitres dorées ; une odeur de graisse et de charbon te rentre par les narines ; bouche ouverte en passant devant le monsieur à casquette et sifflet qui regarde sa montre ; la visière est noire et brillante ; Pépé te prend aux bras ; quelques mètres et on s’approche d’une fumée blanche géante ; elle envahit le quai  ; comme les nuages de chaleur qui passent parfois au-dessus de la cour de l’école à la récré quand jouons aux osselets et que soudain le soleil se cache ; regarde comme elle est belle la locomotive il te dit Pépé ; tu ne devines rien d’autre qu’une masse blanche qui respire fort et gémit et vibre ; un cri strident s’en échappe ; il te fait sursauter ; comme un coup de poignard dans la chair chaude de la nuit naissante ; tu voudrais traverser la fumée géante et toucher la machine ; le sifflet du monsieur à casquette strie l’air et tu disparais ; réfugié dans le cou de Pépé.

Au chevet des survivants de la torture

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Capitale de la douleur et de la guérison
que pèsent ces pauvres mots surgis dans ma pauvre tête
à l’écoute – grâce au podcast de La Série Documentaire sur France Culture
de cette presque heure d’immersion sonore
profonde et poignante et pudique
au Centre Primo Levi
à Paris

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que pèsent donc mes pauvres mots devant l’absolue souffrance
de ces femmes et de ces hommes
de leurs enfants aussi
torturés
violés
pourchassés
niés
réfugiés dans notre terre d’asile
cette terre de France pourtant si hostile encore
si peu généreuse
si frileuse
si réticente à accorder le droit d’asile
justement
à offrir un nouveau destin
à ces survivants de la torture
si peu désireuse de les accueillir
dans notre communauté d’humains

que pèsent mes pauvres mots
face à ceux prononcés chaque jour avec amour
par l’équipe soignante
que pèsent-ils
face aux paroles accueillies
au silence respecté
aux mains tendues
aux sourires échangés
aux guérisons entrevues

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je me demande aussi
alors que le jour baisse ici
et que s’approche la nuit
sous les arbres libres
je me demande
comment survivre à la torture
comment résister aux tortionnaires
comme elles l’ont fait
comme ils l’ont fait
comme elles et ils le font chaque jour
dans un pays sur deux dans le monde
aurais-je résisté
résisterais-je
pourrais-je survivre
pourrais-je encore parler
pourrais-je encore écrire
pauvre Français que je suis

Photos @ Centre Primo Levi

Pour prolonger, c’est ici

Mardi, c’est Cernobori

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Les belles retrouvailles que voici
avais quitté Julien Cernobori
et son baladeur classique
dans la matinale
de France Musique
l’ai retrouvé
dans le podcast documentaire Superhéros
produit par Binge Audio
et diffusé sur internet

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le projet est beau
donner à entendre des femmes et des hommes ordinaires
au parcours extraordinaire

toujours aussi posé
Julien Cernobori
dans une vraie empathie
à l’écoute de l’autre
à l’écoute du silence aussi

la première série est dédiée à Hélène
c’est un récit de vie en 12 épisodes
accompagné d’une musique originale
écoutez et découvrez
moi, j’ai adoré

Au Pont de la Fausse Monnaie – 1959-2016

Ce texte est ma contribution – parmi vingt et une autres à ce jour – à la troisième proposition de François Bon dans son atelier d’écriture en ligne sur le thème du lieu. Une consigne : raconter un même lieu, un point précis du réel et le faire deux fois. J’ai rédigé ce diptyque en suivant – parce qu’elle m’offre un vrai champ de liberté et d’énergie – la consigne du premier atelier de cette série : le point-virgule comme seul signe de ponctuation. Bienvenue auprès du Pont de la Fausse Monnaie.

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Pont de la Fausse Monnaie ; été 1959

descendre vers la mer avec Papa et Maman ; des petits galets t’accueillent au bas des escaliers de pierre usée ; dès la dernière marche franchie ils crissent comme des grosses billes dans un sachet géant que l’on aurait déversé jusqu’à la mer qui t’attend à quelques mètres ; là ; en face ; meubles ils sont ces galets ; tu t’y enfonces un peu avec tes petites sandalettes en plastique blanc pour éviter de t’écorcher les pieds ; le mal aux pieds ce n’est pas bon pour apprendre à nager elle dit Maman ; tu as presque cinq ans ; en levant la tête vers le ciel tu t’arrêtes sur une voûte immense ; massif le pont blanc et gris ; avec des tâches noires qui ressemblent à des plaies cicatrisées ; Papa te raconte l’histoire de contrebandiers jetés de là-haut ; ils tombent côté galets ou côté mer pour échapper à la police ou à d’autres contrebandiers ; Papa ne sait pas bien ; toi tu cherches les traces de sang ; ne trouves que des algues par gros paquets ; sombres ; noirâtres ; peu de vertes ; c’est vers la mer où tu avances qu’il y en a le plus ; elles dégagent un fort parfum d’iode ; tu tiens ta bouée avec tes deux mains ; la mer est à peine agitée ; tu as très envie de te baigner mais tu prends ton temps ; à main droite le chemin monte vers les rochers en longeant un haut mur blanc ; pour l’instant tu n’y a pas droit puisque tu ne sais pas nager ; à gauche le pilier géant qui tombe de la voûte et la prolonge jusqu’à l’amas de galets ; dans ton dos des rangées de bateaux à voile et des garages à canoës ; tu les as aperçus en descendant tout à l’heure ; n’y as presque pas prêté attention ; te languissais de voir la mer ; et là tu les regardes en tournant la tête  ; ils attendent la mer eux aussi ; beaucoup de blanc sur les coques des petits voiliers ; quelques bandes de bleu ciel aussi ; pour faire joli ; les canoës sont couleur miel ; il est tôt ; l’air est tiède ; la petite digue en face de toi ; c’est vers là que tu nageras ; tu marches dans la mer en serrant ta bouée d’abord puis en la lâchant au fur et à mesure que tu avances et que tu perds pied ; l’eau est bonne ; très salée ; elle pique un peu les yeux ; de tes lèvres tu frôles la surface ; couleur argent avec ce bleu clair du ciel qui se mélange : Maman te dit c’est bien mon chéri, tu nages bien ; tu agites tes jambes et ne sens plus les galets sous tes pieds ; tu n’as pas peur ;

Pont de la Fausse Monnaie ; hiver 2016

les galets se sont obscurcis ; tu t’y enfonces encore un peu avec tes chaussures de marche ; à chacune de tes promenades c’est pareil qu’avant ; ce bruit de billes qui se cognent ; une forte odeur de pisse mêlée au parfum d’iode ; la paroi qui chute de la voûte est parcourue de flaques d’humidité de haut en bas ; au coin du pilier de gauche les vestiges d’un feu ; du bois calciné et des cendres grises et foncées ; juste à côté un sac de couchage abandonné ; là où s’échouaient les contrebandiers s’installent les sans abri ;  les voiliers et les canoës garés derrière un peu plus haut ont pris un coup de vieux ; le blanc est plus mat ; le bleu clair un peu craquelé ; ces bateaux n’ont pas touché la mer depuis combien d’années tu te demandes ; les paquets d’algues traînent toujours près de l’eau ; plus claires il te semble que les algues de l’enfance ; tu marches sur des sacs plastique et des canettes vides ; quelques unes mais c’est déjà beaucoup ; tu te demandes où est passée ta bouée depuis tout ce temps ; aucune trace de sang nulle part ; tu entends le bruit des voitures au-dessus du pont sur la Corniche ; la mer est calme ; trop froide pour se baigner ; et puis maintenant que tu sais nager tu préfères aller sur les rochers en prenant le chemin qui longe le haut mur blanc à main droite ; tu aperçois les graffitis qui le salissent ; l’air est froid ; le soleil est en train de s’en aller vers les îles ; en remontant le chemin tout à l’heure tu surplomberas la petite digue ; après le virage lorsque le chemin redescend vers les rochers tu les verras ces îles que tu rejoignais à la nage avec les copains ; il a fait très beau aujourd’hui et la lumière teinte de rose tout ce qui s’offre à elle ; Maman est partie ; tu n’as toujours pas peur car elle continue de te regarder et de te parler.

On attend quoi ?

 

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Mortes de froid

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retournent en terre

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qui s’en souviendra ?

il fait surtout froid pour les femmes et les hommes
sans toit
gel ou pas
tant de morts dans la rue
chaque mois
qui s’en souviendra ?

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et nous
bien au chaud
on fait quoi ?
on attend quoi ?

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Les marins perdus de Nikos Kavvadias

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J’ai commencé la nouvelle année comme j’ai achevé 2016
avec en mains Le Quart
l’unique roman du poète et marin grec Nikos Kavvadias
lyrique, sombre, cru et désespéré
Le Quart raconte des histoires d’hommes à la dérive
de fille en fille
de mère en veuve
de port en port
Marseille, Beyrouth, Aden, Cardiff, Calcutta, Port-Saïd
des hommes forçats
comme les personnages de Les Marins perdus, le roman de Jean-Claude Izzo
des marins aux destins liés à ces mers du monde
où peuvent surgir les plus beaux rêves comme les pire cauchemars

Encore un extrait : « … Se réveiller et se trouver dans un pays où l’on vient pour la première fois. On se frotte les yeux, qui sont rougis et fatigués. On voit trouble. Des hommes que l’on n’imaginait pas. On s’attache à eux. À force de les fréquenter, on ne fait plus qu’un avec eux. On s’en va. On se souvient d’eux quand on reste un temps chez soi, à l’heure où l’on se couche pour dormir. Le souvenir n’a de valeur que quand on sait que l’on repartira pour un nouveau voyage. Le pire des reniements, le plus grand désespoir est de jeter l’ancre dans son pays et de vivre de souvenirs … »

Pour prolonger cette lecture, c’est ici .

Trois petits oiseaux Quai de la Fraternité

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Sous le soleil de janvier
Three little birds
survolent en chantant
le Quai de la Fraternité

https://soundcloud.com/ericschulthess/quai-de-la-fraternite

Il s’appelle Staulen Green
chanteur-guitariste de passage à Marseille
il est né au Rwanda
vit en France depuis dix ans
fan absolu de Bob Marley comme moi
et amoureux bien sûr de ses Trois petits oiseaux

Three little birds

Don’t worry about a thing
‘cause every little thing is gonna be alright
Don’t worry about a thing
Every little thing is gonna be alright

Rise up this morning
Smiled with the rising sun
Three little birds
Pitch by my door step
Singing sweet songs
Of melodies pure and true
Saying, this is my message to you

[Refrain]

Don’t worry about a thing
‘cause every little thing is gonna be alright
Don’t worry about a thing
Every little thing is gonna be alright

Bob Marley

Écouter au port, comme à la radio

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J’ai toujours aimé écouter aux portes
depuis tout minot
si curieux suis des voix et des murmures
des paroles et des accents
des soupirs et des cris
qui passent et jaillissent et traversent
depuis l’autre côté
toujours été aimanté par la face cachée
celle qu’il faut deviner
imaginer
désirer
ceci explique sans doute mon amour de la radio
pas la triste et fade et formatée radio filmée de today
non
la vraie de vraie
la vibrante
celle qui s’écoute les yeux fermés
dans le noir
ou le regard accroché à la lumière des nuages
celle qui nourrit les images à l’intérieur

écouter aux portes
je continue bien sûr
aussi souvent que le puis
laisse trainer mon enregistreur
désire que restent ces sons
ces vibrations humaines
ces échanges
les mettre au chaud
les revisiter
les partager
les transmettre

écouter au port hier à Marseille
le lieu béni de ma prime enfance
près des bateaux amarrés ou à réparer
un court moment de radio vivante
improvisée
une femme
son homme
leur ami
avec l’accent d’ici
la légèreté d’ici
l’humour d’ici
gens du peuple marseillais que j’aime
mon peuple
que je ne me lasse pas d’écouter

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Je suis d’ici

Je suis d’ici
de la ville-pays
où les oiseaux caressent les statues

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où Hassen est mon frère

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comme Frank
comme Youssou
comme Igor
et tant d’autres

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je suis de cette ville où les fleurs poussent sur les murs

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où les licornes rosissent lorsque tu leur dis qu’elles sont belles

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où les ports sont quasi morts

je suis de cette ville-pays
où survivent les traces des combats de libération

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où la misère hurle à force de se taire

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où les cinémas ferment en attendant l’an que ven

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cette ville où nuit et jour la Corse s’invite après Planier

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je suis de Marseille
où en toute saison
fleurissent les rires des enfants
près de leurs coquillages

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Chemin de fer, tu me fends le cœur

img_1095Chemin de fer
tu me fends le cœur
lorsque laisses les quais déserts

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Repartis
envolés
disparus
soudain
enfuis
plus là
déjà loin

reviendront
bientôt
mes enfants chéris

Une rose et un haiku pour Aslı

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Ai approché cette rose
puis suis remonté vers les arbres
voir s’ils avaient changé
depuis l’an passé

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m’ont dit qu’ils pensaient à l’amour
qu’ils ne redoutaient pas
les jours qui s’égrènent
qu’ils avaient tout leur temps

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– craignons surtout les souffrances humaines
m’ont murmuré
les absorbons en silence
aurions envie nous aussi de crier

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j’ai pensé à la douleur d’Aslı Erdoğan
pas vu un seul arbre depuis août
et soudain trop d’arbres
trop de gens
Aslı qui doit trembler comme une feuille
car à nouveau devant les juges aujourd’hui

pour elle
vers elle
cette rose d’espoir
et ce haiku de Issa :

Rien qui m’appartienne
sinon la paix du coeur
et la fraîcheur de l’air

Commencer l’année auprès des arbres

Avec mes jeunes enfants, commencer l’année auprès des arbres
les approcher, leur parler, les photographier
et puis écrire des mots à eux dédiés en choisissant chacun une image et une musique

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Racines, par Zoé

Si seulement nous pouvions être aussi proches que les arbres, aussi solidaires qu’eux.
Liés par de puissantes racines, sous le sol et dans les airs.
Tout ce qui unit les arbres est invisible à l’œil nu mais pourtant si réel, si palpable.
Chacun cohabite avec l’autre, laissant d’autres racines venir à lui et allant à son tour vers d’autres.
Comme une forte envie de partir, de connaître d’autres horizons tout en revenant à ses racines à chaque fois.

Frank Sinatra – Witchcraft

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L’arbre vert, par Marius

Cet arbre est resté si longtemps vert que l’on a toujours cru qu’il était une laitue.
Ses branches ont l’air tellement craquantes que j’imagine qu’elles sont des gressins.
C’est l’arbre du bonheur et de la faim.

Nekfeu – On verra

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Ta première île, par Éric

Regarde l’île sur la peau de cet arbre
là, tout en haut
toi qui vis désormais si loin de la mer
que les embruns ne te parviennent plus
qu’à fleur de souvenir
rappelle-toi ce voyage vécu loin des clairières
là où battait ton sang
retrouve le ressac des aubes d’été
tu approchais de la Corse
ta première île découverte
la revoilà
immobile et en paix
le blanc de sa lumière comme une caresse
inscrite sur l’écorce
touche-la
chéris-la
ose naviguer tout autour de crique en crique
de port en port
embarque avec toi les visages qui s’embrassent
là, tout en bas
ils se souviendront de tes pas jusqu’ici
ils n’oublieront pas ton regard
ils parleront de tes baisers
l’arbre a tant de mémoire

I Muvrini – Diu vi salve Regina

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