In Paradisu #11

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Lorsqu’il est passé devant moi, j’ai voulu savoir s’il n’avait pas croisé une berline un peu plus bas. Aucun son n’a traversé ma gorge. Les lèvres entrouvertes, j’ai juste aperçu une poussière de buée bleutée s’évanouir autour de mon visage.

En grimpant dans le premier bus, je me suis rendu compte que mon sac était resté dans le taxi. Les paumes collées aux vitres embuées, je n’ai plus reconnu la rue qui mène au port.

Carcasse rongée jusqu’aux nerfs, charpente nue, coquille désertée. Plus aucun cinéma. Ni “ Forum “, ni “ Impérial “. Disparus tous les deux. Remplacés par des supérettes. Des magasins de téléphonie à la place des librairies-papeteries. Ecole de musique fermée. Murée sur deux étages. Partout, des palissades provisoires en agglo grossier truffées d’affiches publicitaires et de panneaux “ chantier… danger… à vendre “. Plus de halle aux fruits et légumes non plus. Vitres éclatées, portes défoncées, toît démoli. Un décor effroyable. Même le petit cimetière de la butte semblait abandonné.

(à suivre)

L’arrivée de l’orage sur le Chacaltaya

J’ai choisi de partager ce somptueux orage, enregistré par Félix Blume parce qu’ici en Béarn, la pluie et la grêle ont tapé sur les toits une bonne partie de la nuit et que dans mon sommeil m’est parvenu l’écho de ces sons sauvages écoutés récemment sur la page Soundcloud de Félix, preneur de sons et documentariste. Cet orage nous fait voyager loin, jusqu’en Bolivie. Fermer les yeux et s’imaginer perché au sommet du Chacaltaya, à 5.300 mètres d’altitude.

In Paradisu #10

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De retour à la station je n’ai plus retrouvé le taxi.

Juste un petit mot “ Je t’abandonne ici, pardonne-moi “ griffonné en noir sur une facture et remisé sur la borne d’appel.

J’ai espéré la Mercedes entre les raies ouatées dessinées par la neige contre les murs des immeubles, comme en transparence. Pas de trace de pas sur le trottoir encombré de mélasse épaisse. Plus la moindre marque de pneus sur la chaussée déjà gris sale. Aucune piste.

Seul un halo doré scintillait devant les haies de cyprès en contrebas, à l’entrée du jardin public où j’attendais mes fiancées après l’école. C’était la petite lumière bricolée par un vieux cycliste à l’avant de son vélo. Il se rapprochait en sifflotant. Sans se soucier du froid ni de l’homme figé entre les flocons tricotés serrés.

(à suivre)

In Paradisu #9

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En arrivant devant la boutique, je me suis pincé.

Plus aucune trace du salon de coiffure, mise à part la marche en bois noir qui débordait un peu sur le trottoir. Le local avait été transformé en agence d’intérim. Bureaux rouge vif, ordinateurs, affiches aguicheuses et moquette bleu roi. Le nez écrasé contre la vitrine, j’ai aperçu  le poêle. Il n’avait pas bougé mais on l’avait amputé de son tuyau. A la place, une pile de tiroirs en plastique, bourrée de fiches et de dossiers.

(à suivre)

Une merveille de mer bretonne

 Souvenir tout frais de Bretagne et d’une promenade magique sur les dunes et les rochers de granit qui font face à la mer. Ici en Finistère on ne parle pas de plage mais de grève et les villages s’appellent Prospoder, Lanildut, Landunvez. Sur ce sol du bout d’Europe, j’ai longé l’Aber Ildut, l’un des trois Abers du Pays de Léon avec l’Aber Wrac’h et l’Aber Benoît. Autre découverte fascinante, le phare du Four qui marque la limite entre l’Océan Atlantique et la Manche. J’ai aussi approché les rives de Portsall, où en 1978 l’Amoco Cadiz fit naufrage un jour de tempête. Les côtes bretonnes furent polluées sur plus de 150 kilomètres.
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In Paradisu #8

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Le taxi s’est arrêté à quelques mètres de la devanture, de l’autre côté du boulevard. La station était déserte.

– Prends ton temps, m’a dit le chauffeur, je ne suis pas pressé.

Le tutoiement m’a saisi au plexus, sauvage solo gavé de décibels, et s’est aussitôt éparpillé par la portière entrebâillée.

Sur le trottoir, je me suis senti noyé dans un tournoiement de blanc, épais comme une angoisse sourde, pesant comme une peur rentrée. Oppressé par le silence en suspension qui trouait l’air vif et déboulait des toîts et des façades.

J’ai cherché à me souvenir de ma première tempête de neige. C’était du temps de la maternelle je crois. Nous habitions au fond de l’Impasse des Cerisiers. La neige nous avait bloqués deux ou trois jours à la maison. Ma grand-mère nous avait fait des confitures d’oranges.

(à suivre)

In Paradisu #7

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Il était le coiffeur du quartier. Les gens allaient chez Loulou. Trois paires de ciseaux, une tondeuse, un rasoir-sabre et un peigne. Besoin de rien d’autre.

Si, j’oublie la poire à parfum pour le pschitt pschitt final. Le petit jet frais me chatouillait le cou et je frissonnais dans mon peignoir en lycra bleu marine. Loulou, c’était un vrai coiffeur en blouse grise. Avec diplôme affiché au-dessus du miroir et poster couleur de l’équipe de River Plate sur le mur d’en face.

Seule fausse note, le salon avait été aménagé dans une ancienne poissonnerie. Pas d’autre local libre à l’époque. Il fallait constamment laisser la porte ouverte pour aérer. L’odeur était restée bien vivace malgré les années. En hiver, les clients se gelaient. Loulou tentait de les consoler en leur servant le thé. La bouilloire chauffait en permanence sur le poêle à charbon, au fond du salon. Lorsque Lucho a arrêté le métier – il devenait peu à peu aveugle – j’aurais bien pris la relève mais je n’ai jamais été adroit de mes dix doigts.

(à suivre)

El concurso de pesca

De Valencia où elle a passé récemment quelques jours de vacances, Mathilde – jeune diplômée en communication publique et politique – m’a envoyé cette interview réalisée à même la plage. Javier s’est prêté au jeu avec gentillesse. Bravo à l’intervieweuse. J’espère que sa curiosité et son empathie l’inciteront à s’adonner aussi souvent que possible à l’exercice singulier de l’interview. En espagnol et en français.

Voici la traduction de cet échange.

« Oui, aujourd’hui a lieu un concours de pêche qui compte pour le classement annuel du club. Nous nous préparons car le concours commence à 18h et se termine à 1h00. A voir si nous arrivons à attraper des poissons…

 Le gagnant est qualifié pour une compétition de niveau régional ou national ?

Non, ce concours est provincial. Il existe bien d’autres concours qui sont départementaux, ou d’autres niveaux, mais celui-ci est local.

 C’est la première fois que ce concours a lieu ?

Non, en janvier il y en a eu un, en février également. Il y en a un chaque mois.

 Et il se déroule à chaque fois sur cette plage ?

Non. Nous en avons déjà fait à Valencia, à Peñíscola, à Castellon ainsi que dans d’autres villes.

 Pour gagner, il faut pêcher le poisson le plus imposant ou le plus grand nombre de poissons ?

C’est au poids. Que l’on en pêche un ou plusieurs, c’est la même chose. La personne qui obtient la quantité la plus importante gagne.

 As tu déjà gagné ?

Quelques fois oui.

Génial ! Espérons que tu gagnes aujourd’hui.

Bonne chance ! »