Le saut de l’ange #6

Le saut de l'angePhoto numéro deux.

Mon ombre dérive le long du chemin des potagers. Le soleil sur le déclin m’y projette en géant hésitant. J’ai la tête qui tourne et la nuque douloureuse. Je longe des plants vert foncé mais j’ai oublié quels légumes donneront ces grosses feuilles qui défilent dans mon cadre. Je me souviens seulement que ces cultures nourricières, les jardiniers d’ici les lancèrent en cachette pendant la guerre, pour contourner les privations forcées. A l’arrivée des nazis, personne à Angelo n’avait jamais planté ni salade, ni chou, ni carotte. Le conseil de résistance décida d’innover : la terre offrirait des plantes potagères. Les soldats dévastèrent les semailles, qu’importe, chaque fois dans la nuit qui suivait, le sol était réensemencé. Les ouvriers des huileries voisines vinrent prêter leurs mains aux jardiniers. L’occupant s’épuisa. A la Libération, les gars des chantiers navals reçurent eux aussi leurs parcelles et l’on fonda les jardins ouvriers, la fierté d’Angelo jusqu’à l’an passé. Depuis, la Ville a décidé de vendre. Les pétitions et les défilés n’auront rien donné. Une société texane a racheté le domaine. Personne ne se doutait qu’elle nous chasserait si tôt.

(à suivre)

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