In Paradisu #1

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Ils m’ont annoncé la nouvelle ce matin, comme on récite une recette cent fois ressassée. Que je le veuille ou non, il me faudrait dire adieu à la cellule où je croupissais depuis vingt ans. Je sortirais lorsque la nuit se serait dissoute dans le blanc des collines. Pas avant. J’ai mimé l’étonnement et la porte a claqué une dernière fois en projetant son souffle violent sur tous les rêves agglutinés dans l’ombre de ma tanière.

Avant même que les clés reviennent gratter entre la promesse de l’air libre et la moiteur des quatre murs, j’avais choisi ma destination. Ce serait Place de la Consolation. Marseille ne manque pas de lieux qui me sont chers mais cette place est unique. C’est là que j’ai appris à marcher. Enfant, j’y accompagnais mon père les jours de paie. Adolescent, j’y achevais mes manifs d’étudiant.

Aujourd’hui, je n’imagine pas d’autre lieu pour boucler la boucle.

(à suivre)

Hélène Hazéra chante Marseille et Foulquier Longueur d’Ondes #4

Bonheur d’une rencontre impromptue avec Hélène Hazéra la semaine passée à Brest, au Festival de la radio et de l’écoute Longueur d’Ondes. Productrice et animatrice de l’émission Chanson Boum sur France Culture, journaliste à Libération de 1978 à 2000, cette femme pétille et partage son amour de la chanson francophone qui sonne aux quatre coins du monde. Mille et mille anecdotes à raconter. Mille et mille souvenirs à confier. Parmi eux, son amitié avec Jean-Louis Foulquier, qui l’accueillit à la radio.

Chanson Boum, le magazine éclectique dédié à la chanson francophone internationale, c’est par ici.

BONUS : Hélène Hazéra est tellement gentille qu’elle s’est prêtée à l’enregistrement d’une bulle sonore Bobler, le média social vocal

Chambre seize #intégral

Chambre 16

– La seize, beau jeune homme, ça fait bientôt cent ans que je ne la loue plus !

 Au rythme de mes secousses désenchantées, la patronne de la Fausse Monnaie enfonce son regard lavande entre mes yeux d’obsédé. Je suis sans doute le premier client depuis la fin de l’été. C’est la première femme que j’approche de près depuis une éternité. Et comme ça fait une éternité que je n’ai plus été jeune, autant en profiter. Son décolleté se balance juste en dessous de mes lèvres énervées. La faute à nos coups de langue, comme au Cordon Rouge qui nous vide la tête depuis que j’ai enfin mis les pieds dans cet hôtel.

C’est une ancienne demeure juchée sur le calcaire à l’aplomb de la mer. Décorée façon colonies. Inondée de palmiers, de plantes grasses et de totems en bois noir. Trois étages avec vérandas pour chaque chambre. Une trentaine en tout. La seize me suffira. Voilà une bonne heure que je m’affaire sur le comptoir, une main sous ses hanches, l’autre accrochée aux gros billets qui claquent sur le guichet. Entre deux baisers, je lui montre les dessins et la clé dorée qui brille dans l’armoire en verre. Mais rien n’y fait. Elle gémit, accentue la cadence, roule des reins et réclame d’autres câlins mais ne veut rien savoir. Mon carnet lui fait peur et mon argent l’indiffère. Alors, je me retire de ses cuisses et plonge la liasse vers la poche revolver de mon blouson. Un peu plus, un peu moins, je me dis…

C’était ma première soirée à l’air libre depuis des lustres. Une vraie soirée d’octobre. Douce comme un beignet aux courgettes , légère comme une robe d’été, joyeuse comme la ronde qui remontait de l’école maternelle plusieurs fois par jour. Je suis sorti bien après la dernière récré. Le col remonté, j’ai marché jusqu’à la mer. Le soleil commençait à plonger derrière le Frioul. Plus aucun enfant dans la cour. Seuls quelques miettes par terre et des pigeons autour. Une nouvelle fois, les souvenirs sont revenus me narguer. Un pied de nez impromptu, mystérieux et feutré. Comme un « coucou ! » murmuré par le fantôme de Jo.

Bientôt un quart de siècle qu’il me visite ainsi sans prévenir. Depuis son retrait volontaire et pour toujours. C’était un beau matin d’Août, un lendemain de rude bras de fer. La routine pour deux frères élevés de concert. Même chambre plein sud, même fenêtre sur mer, même jeux et mêmes angoisses au moment d’éteindre et de se plonger vers le sommeil. Plus tard, même appêtit de fêtes. Même plaisir à échanger ses secrets. Même envie de se faire sauter la tête à coups de résine ou de tétine. Même désir de baisers profonds avec des filles à cheveux longs.

Sauf qu’un beau soir, soudain, plus qu’un seul secret à partager. Un seul rôle pour deux. Chacun voulait danser contre la même comédienne. Aglaé elle s’appelait. Une brunette aux yeux caramel et aux doigts aussi fins que des suce-miel. Elle nous aimait tant qu’elle ne pouvait pas trancher. A vous de jouer ! Le jeu a vite chaviré en dispute. Lourdement. Puis en guerre-éclair. Jo a perdu sur le champ et a disparu corps et biens.

Je ne me suis jamais pardonné ce sabordage. Cette impuissance à éviter le naufrage. Ces paroles absentes alors qu’elles auraient pu sauver. Trop accroché à ma conquête, j’ai oublié de le consoler, mon Jo. Je ne m’en suis jamais relevé. Jamais. Une fois mon frère envolé, Aglaé s’est laissée enfermer et n’a rien craché. Elle n’a même pas regardé les cendres de mon frère s’éparpiller vers le large.

En quelques jours, Marseille s’est dépeuplée, s’est vidée de mes moitiés. Je n’ai retrouvé Aglaé qu’au détour d’un voyage en Espagne. Plus de vingt longues années s’étaient égrenées. Elle réchauffait ses doigts au fond du cinéma l’Imperial. En plein Madrid. Ouvreuse elle était devenue. Un quotidien confiné à la lueur d’une lampe de poche. Des journées à tourner le dos à l’écran et à ses rêves d’actrice anéantis. Entre deux séances, elle m’a laissé effeuiller son costume de nonne et déchirer ses bas noirs. J’ai épargné le foulard orné d’une broche dorée, une cigale allongée de tout son long entre ses seins. Une fois nos cauchemars mélangés et apaisés, Aglaé m’a montré ses croquis couchés sur un épais carnet et m’a tout raconté. Leur dernière nuit avant le clap de fin, leurs cris de rapaces, leurs ultimes baisers jetés par dessus mer.

Et puis ce coup de feu qui soudain claque dans la bouche de Jo et le torrent de son sang. Comme un adieu lancé aux angelots du papier peint. Aglaé m’a décrit aussi les voisins saisis d’effroi à l’entrée de l’hôtel, l’ambulance où avance en tremblant le drap blanc, les menottes glacées à ses poignets et pour finir, le cachot. Sans un mot. Vingt ans elle a pris. Vingt années à se taire au fond de sa tanière. Honteuse et coupable. Pas un mot pour se défendre. Rien. Pas le moindre avocat pour la tirer de là. Elle n’en voulait pas. Vingt ans à se terrer, à se souvenir et à dessiner.

Pendant ce temps, j’ai gaspillé mes secondes à m’exploser au paradis sans pitié des faux et des fuyants. Jo parti, je me suis évadé au pays transparent d’où aucune réponse ne chute vers la soucoupe des mendiants. La lâcheté m’a saisi au cou et ne m’a pas lâché d’un millimètre. J’en ai vécu grassement et salement. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’aux confins de l’écoeurement. Lorsque la monnaie a commencé à suinter en grand de mes pores et de mes poches, je me suis fait coffrer. Bien fait pour moi. Je l’avais bien cherché. A quelques jours et quelques kilomètres de distance, Aglaé et moi avons parcouru le même espace. Chacun dans son quartier. Chacun à payer de son côté. Elle fière et droite. Moi rampant et larmoyant. Indigne de notre amour d’antan. Pitoyable là où il aurait fallu être admirable. A force de les feuilleter au rythme de nos ébats, ils ont fini par me rendre fou, ces croquis. Je me suis mis à la haïr, mon ouvreuse. Violemment. Tellement fort que sa carrière madrilène a tourné court. Elle s’est achevée dans les toilettes de l’Imperial. Un chargeur dans la peau et la tête scotchée à la chasse d’eau Le silencieux nettoyé, j’ai récupéré le carnet et j’ai filé prendre le premier express vers la Fausse Monnaie.

Je suis tombé dès mes premiers pas sur le quai de Saint-Charles. Filé, surveillé de près sans m’en rendre compte, puis cueilli en douceur à l’arrivée. Le cartable à la main et le carnet au fond. Comme Aglaé, j’ai choisi le chemin du silence. Rien à déclarer à quiconque sur nos adieux à l’espagnole. Rien à avouer non-plus sur mon désir de vengeance. Décidé à tenir bon malgré ce nouveau long plongeon au fond de la prison. Ils ne l’ont pas avalé et m’ont tenu reclus jusqu’à ce soir.

Lorsque la nuit a fini par s’installer, je me suis rembrayé parmi les magnum explosés et nous sommes montés nous coucher.

Dans le couloir, des yeux lavande m’observaient.

Même plus effrayés. Décorés d’un petit cercle rouge entre les sourcils, ils viraient peu à peu au transparent. Comme apaisés.

Chambre seize, rien n’avait bougé : les draps encore défaits, le papier peint constellé de petits anges dorés. Comme sur les croquis d’Aglaé.

J’ai refermé le carnet et je me suis envolé au dessus des embruns rougis de nos sangs mêlés.

Pas de répit pour l’Abeille Bourbon

17 heures 45 hier sur le port de  Brest, l’Abeille Bourbon appareille pour Ouessant suite à une alerte météo. 12 hommes de la marine marchande travaillent à bord de ce remorqueur d’intervention, d’assistance et de sauvetage, surnommé Le Saint-Bernard des mers. 150 bateaux passent chaque jour sur le rail d’Ouessant, sa zone d’intervention. Plus d’infos sur l’Abeille Bourbon, c’est par ici et par là.

 

 

Chambre seize #7 et fin

Chambre 16Lorsque la nuit a fini par s’installer, je me suis rembrayé parmi les magnum explosés et nous sommes montés nous coucher. Dans le couloir, des yeux lavande m’observaient. Même plus effrayés. Décorés d’un petit cercle rouge entre les sourcils, ils viraient peu à peu au transparent. Comme apaisés.

Chambre seize, rien n’avait bougé : les draps encore défaits, le papier peint constellé de petits anges dorés. Comme sur les croquis d’Aglaé.

J’ai refermé le carnet et je me suis envolé au dessus des embruns rougis de nos sangs mêlés.

Le savoureux festival Daniel Mermet Longueur d’Ondes #3

J’ai interviewé Daniel Mermet dans le couloir qui remontait vers le grand hall du Quartz, à la fin de la soirée spéciale Là-bas si j’y suis donnée hier-soir au public du festival Longueur d’Ondes. Détendu et disponible, le journaliste-producteur qui vient de fêter les 25 ans de son émission de reportage radiophonique sur France Inter. Initialement « émission des sans voix, des sans parole », Là-bas si j’y suis est devenue « un restaurant populaire qui propose une cuisine maison avec des plats du jour ». Une cuisine épicée souvent, teintée de cet esprit de résistance à l’ordre établi et à l’idéologie dominante. 600.000 auditeurs la dégustent chaque jour. Sur scène hier-soir, interrogé par Olivia Gesbert – productrice de l’émission Dimanche, et après ? sur France Culture – et par le public, Daniel Mermet nous a offert un festival de non-langue de bois. Brillant conteur. Incisif, ironique et combatif. Adepte de la « transgression qui participe à l’invention » et de cet « imparfait de l’objectif » cher à Prévert. De la pure régalade.

Là-bas si j’y suis, modeste et géniale, totalise 5.000 émissions fabriquées par un millier de personnes : reporters, réalisateurs, assistants, etc… Le site officiel, c’est par ici. Le site non-officiel où l’on peut notamment télécharger les émissions depuis 2001 c’est par là.

Fañch Langoët, véritable encyclopédie vivante de la radio, a consacré à Daniel Mermet de nombreux billets de son blog Radio Fañch.

Athur Rimbaud passe à la radio Longueur d’Ondes #2

Au Festival Longueur d’Ondes hier, passionnante séance d’écoute sur le thème de la radio scolaire. Rimbaud : le dormeur du val date de 1956. Avec la participation de Françoise Dorléac, alors âgée de 14 ans. La radio scolaire remonte à l’époque du Front Populaire, impulsée par Jean Zay, ministre de l’Éducation populaire et des beaux-arts. Aujourd’hui, le Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques Canopé de Poitiers dispose de 5.000 heures d’archives sonores liées à cet outil au service de la fonction enseignante.

Chambre seize #6

Chambre 16

A force de les feuilleter au rythme de nos ébats, ils ont fini par me rendre fou, ces croquis. Je me suis mis à la haïr, mon ouvreuse. Violemment. Tellement fort que sa carrière madrilène a tourné court. Elle s’est achevée dans les toilettes de l’Imperial. Un chargeur dans la peau et la tête scotchée à la chasse d’eau. Le silencieux nettoyé, j’ai récupéré le carnet et j’ai filé prendre le premier express vers la Fausse Monnaie.

 Je suis tombé dès mes premiers pas sur le quai de Saint-Charles. Filé, surveillé de près sans m’en rendre compte, puis cueilli en douceur à l’arrivée. Le cartable à la main et le carnet au fond. Comme Aglaé, j’ai choisi le chemin du silence. Rien à déclarer à quiconque sur nos adieux à l’espagnole. Rien à avouer non-plus sur mon désir de vengeance. Décidé à tenir bon malgré ce nouveau long plongeon au fond de la prison. Ils ne l’ont pas avalé et m’ont tenu reclus jusqu’à ce soir.

(à suivre)

Jour de tempête sur Brest

En fin de matinée, après quelques très agréables séances d’écoute au Festival Longueur d’Ondes, je n’ai pu résister à l’appel de la mer. Je suis descendu sur le port de Brest pour approcher de près les bateaux et écouter. Un vent terrible. Froid et violent à un point tel que par moments, il m’a fallu me plier vers l’avant pour résister aux rafales. J’ai même perdu mon bonnet. Envolé vers la grève en contrebas. Pas pu le récupérer. Au bout du port de commerce, les installations des Phares et Balises et dans un atelier, Loïc Delaby qui commence dans la carrière. Une rencontre à l’abri de la tempête, non loin du quai fouetté par les rafales.

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Chambre seize #5

Chambre 16

Pendant ce temps, j’ai gaspillé mes secondes à m’exploser au paradis sans pitié des faux et des fuyants. Jo parti, je me suis évadé au pays transparent d’où aucune réponse ne chute vers la soucoupe des mendiants. La lâcheté m’a saisi au cou et ne m’a pas lâché d’un millimètre. J’en ai vécu grassement et salement. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’aux confins de l’écoeurement. Lorsque la monnaie a commencé à suinter en grand de mes pores et de mes poches, je me suis fait coffrer. Bien fait pour moi. Je l’avais bien cherché.

A quelques jours et quelques kilomètres de distance, Aglaé et moi avons parcouru le même espace. Chacun dans son quartier. Chacun à payer de son côté. Elle fière et droite. Moi rampant et larmoyant. Indigne de notre amour d’antan. Pitoyable là où il aurait fallu être admirable.

(à suivre)