La ligne rouge #1

Lalignerouge

Ils viennent de me passer les menottes. Je grimace à l’intérieur des lèvres.

À peine mal mais je grimace de cette douleur sourde qui affleure depuis si longtemps à chacun de ses mots barbares.

Elle se taira maintenant cette douleur. Car il ne parlera plus jamais.

Garde du corps je fus de cet homme-là pendant quinze ans.

Recruté à ma sortie du régiment de paras. Il était venu faire son marché in situ dans la cour de la caserne.

Connaissait bien l’endroit car il avait été para lui aussi. L’Indo. L’Algérie.

–      Cherche un gars baraqué et courageux, un gars qui en a dans le pantalon, il avait dit en riant de sa bouche humide et ridée.

(à suivre)

 

 « La ligne rouge » est une fiction.

Toute ressemblance avec des personnes publiques ayant tenu des propos scandaleux dans la vraie vie n’est que pure coïncidence.

Ce texte a été publié pour la première fois dans le numéro 9 de la revue digitale La Nuit.

Que ses créateurs en soient ici une nouvelle fois remerciés.

Je vous invite vivement à vous abonner à La Nuit.

C’est très simple et cela coûte une euro par semaine. Pas plus. 

Le muezzin du soir sous le vent

À Mbour, la vie quotidienne est rythmée par l’appel à la prière lancé par le muezzin, cinq fois par jour. Ce soir-là, il y avait du vent dans les palmiers, venu de la mer toute proche. Nous avons cru à un orage imminent. Mais il n’a pas éclaté au-dessus de la ville. Le vent s’est calmé dans la nuit et lorsque le muezzin s’est mis à lancer son premier appel du matin, plus un souffle n’agitait la palmeraie. Est resté le souvenir de cette jeune femme frôlant les murs chauds des maisons, en bas dans la rue peuplée de sable et d’ombres.

Muezzin2

Carnet d’Afrique #8

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Jour après jour, attendre que s’égrènent les heures.
Ne rien espérer d’autre que vivre le lendemain et lui survivre. À l’écart de la foule, l’athlète glisse à lentes foulées sur la plage, le dos dénudé. Tout en muscles bombés. Les bras tendus en arc vers le ciel voilé strié de palmiers. Deviner une prière éphémère. Ne pas déranger la statue souple et forte et sûre de sa beauté. Il était là hier déjà. Et avant-hier. Comme pour un rituel paisible et rassurant.
Cet homme est un danseur paisible et fataliste qui prie le monde entre sable et océan.

 

Les lutteurs sénégalais sur le sable

Sur la plage de Mbour, ils sont parfois une trentaine à venir s’entraîner le soir à la fraîche, pour prépérer leurs – rares – combats à venir. Les lutteurs sénégalais perpétuent une tradition ancestrale. Avant l’assaut, ils s’aspergent le corps de sable, pour que les mains ne glissent pas sur les peaux gorgées de sueur. Ces colosses s’affrontent ainsi pendant une bonne heure avant d’entamer la partie musculation et assouplissement. La lutte traditionnelle sénégalaise existe aussi sous la forme de lutte avec frappe, comme à la boxe. Elle marie sport et culture, avec des chants de bravoure, et des pratiques mystiques sous la forme de grigris. Cette lutte est désormais un phénomène qui intéresse toutes les couches de la population et qui a détrôné le football pour devenir le sport n°1 au Sénégal.

lutteurs

Le blues de Moussa, chauffeur sénégalais

La corruption ordinaire. Le billet de 1000 francs CFA glissé dans la main du gendarme pour avoir le droit de reprendre la route après un contrôle inopiné. Un quotidien dont les Sénégalais ne veulent plus. Ils le disent. En secret. Comme Moussa qui m’accompagna à Joal, la commune où naquit Léopold Sédar Senghor, le père de la République du Sénégal. Son successeur, l’actuel président Macky Sall, a beau faire savoir qu’il déclare la guerre aux corrompus, rien ne change en profondeur. Et la fatigue des chauffeurs grandit. Comme se creuse chaque jour un peu plus la fatigue de leurs voitures.

Moussa

Carnet d’Afrique #7

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Il frôle les poussières rouges le long des routes.
Pas changé leur course à travers les villages depuis toutes ces années. Presque immobiles, il pense. Rien de nouveau ici hormis les quelques dizaines de kilomètres d’autoroute goudronnés en quittant l’aéroport. Les baobabs. À peine poussé. Les détritus. Beaucoup plus qu’avant. Les maisons de fortune. S’amoncellent. Prendre son temps. Le temps donné sans compter. Pas la peine de se hâter. Les poussières rouges traînent leur éternelle patience.

(à suivre)