Il est passé par ici. S’est envolé ensuite, je crois. Par la fenêtre, j’ai cru l’apercevoir sur le dos d’une hirondelle.
Mois: juillet 2014
Du miel au bout des doigts #8
Pourtant, j’en ai vu défiler en trois mois des petits vendeurs.
Mado les tolère forcément. Ils tournent tous au champagne, à l’armagnac ou au Daiquiri.
Les plus assurés tombent leurs lunettes noires et s’ajustent le trois-pièces aux fenêtres du piano-bar, aimantés par leur reflet.
Les plus inquiets ne s’asseoient jamais.
Ils s’autorisent une pause éclair près du piano avant de s’en retourner au sauvage danger des rues abandonnées.
La “ Vierge Dorée “ est une escale fragile et calme qui brille pour tous et pour chacun.
Même pour ces minots déjà centenaires tant ils promènent de poids aux épaules et de gris aux paupières.
(à suivre)
Du miel au bout des doigts #7
Derrière mes Oakley argent, rien ne m’échappe.
Je guette les rares sourires frais, j’épie les couples et m’amuse de leurs caresses contenues, de leurs disputes convenues.
Parfois, je m’attriste des danseurs figés sur le parquet comme de la graisse froide.
Le rythme les déserte.
Ils se traînent à contre-temps, raides et pourtant si volontaires, si appliqués.
Pathétiques pantins.
De temps en temps, j’observe le manège discret des sachets blancs échangés sous les tables contre des billets.
Ce soir, un dealer à costume vert s’agite dur entre le téléphone et le bar. Je ne le connais pas, ce marchand de cauchemar.
(à suivre)
Le chariot et l’avion de 5 heures
Réveillé en sursaut. Ai cru que l’orage était là. Dans la rue. Ce n’était qu’un chariot métallique tiré par le livreur de journaux je crois. L’avion de 5 heures est passé tout là-haut au-dessus des toits. L’orage, lui, ne saurait tarder.
Sous le kiosque à musique de Salies-de-Béarn, des châteaux en Espagne
Châteaux en Espagne* est l’une des séquences offertes hier-soir sous le kiosque à musique du Jardin public par l’Harmonie municipale de Salies-de-Béarn. Un agréable concert en plein air, à la fraîche, dans un cadre empreint de quiétude où trônent les fameux Thermes salisiens. Le programme des animations et fêtes salisiennes à venir, c’est par ici
* À l’attention de celles et ceux qui désirent tordre le cou à l’expression construire des châteaux en Espagne, ce lien utile.
Du miel au bout des doigts #6
Encore deux heures avant la fermeture.
J’ouvre la parenthèse et me plonge encore plus profond dans la danse des touches, juché sur mon perchoir de star.
Le Steinway trône sur une estrade bleu-nuit, au carrefour des deux allées ouvertes par la salle conçue en “T”.
La patronne m’aurait bien niché dans un coin près du pupitre à tiroir-caisse, le dos tourné aux clients comme mon prédécesseur, mais d’entrée j’ai refusé. Une place centrale, j’ai exigé. Avec une petite piste de danse dessinée en cercle autour du piano.
– “ Vous vous prenez pour qui ? “, m’a lancé Mado très énervée.
– “ C’est à prendre ou à laisser, madame. Je ne jouerai pas confiné près du radiateur. J’ai passé l’âge du piquet, qu’est-ce que vous en pensez ? “.
Mado m’a montré la porte sans sourciller. Je lui ai dit au revoir sans un regard.
Une semaine plus tard, elle envoyait Lisa me déloger du “ Misty “, le piano-bar de mes débuts où je taquinais l’impro tous les matins.
A la “ Vierge Dorée “, Mado avait installé le piano au coeur du bar, encerclé d’une piste de danse en bois clair.
Mon show pouvait commencer.
(à suivre)
Le temps des cigales
Il paraît que le chant des cigales en énerve plus d’un. Soit. J’avoue que ce chant, moi, il me berce depuis l’enfance. Et il me plaît. Il me manque même lorsque je passe un peu trop de temps loin de mon sud natal. Ma grand-mère provençale me désignait les troncs où l’insecte se laissait aller à sa musique. Cette musique s’accorde avec les plaisirs multiples de l’été. Les grasse-matinées, les petits-déjeuners en terrasse, les promenades dans la pinède, le bain dans les calanques, les siestes après le rosé, les soirées prolongées jusqu’après le crépuscule. Vive le temps des cigales !
Du miel au bout des doigts #5
Discrètement, je leur tire la langue. Avachie à la caisse, près de l’entrée, Mado n’apprécie pas trop.
Elle serre les mâchoires en me menaçant d’un index tremblottant.
Du coup, je calme le jeu et je déroule sur mon clavier.
Souple et doux. “ Little piece in C for U ”.
Le swing boulègue et je cherche à deviner qui a bien pu me faire porter l’enveloppe bleutée.
Lisa n’a rien voulu me dire d’autre que “ tu perds rien pour attendre” avant de s’immerger dans ses courses aux trois “C” : caisse, clients, comptoir.
Scotché au clavier, j’ai beau mener ma ronde vers les fourrures et les sacs en croco, les turbans en feutre et les diamants, chou blanc.
Aucun sourire aux commissures. Aucun clin d’oeil coquin. Aucun rond de main qui pourrait revendiquer le billet, à la dérobée.
(à suivre)
Concert improvisé au soleil couchant
Comme tant et tant d’autres Marseillais, ils sont venus passer la fin de journée sur les pelouses des plages du Prado et n’ont pas oublié leurs instruments. Marc à la contrebasse, Bruno au xylophone et Pascal au djembé ont joué face à la mer. Quelques copains les accompagnaient. Tandis que les derniers baigneurs profitaient de la tiédeur du soir, ils sont restés à partager musique et vin rosé bien après la disparition du soleil derrière les îles du Frioul.
Du miel au bout des doigts #4
Ce soir pas de surprise, à la “ Vierge Dorée “, c’est Bysance.
Mado, la patronne, fait carton plein à chaque fois. Vingt ans que la monnaie tinte sur le comptoir cuivré.
Plus une place dans la grande salle aux baies vitrées qui ouvrent sur le port.
Peu de connaisseurs et beaucoup de m’as-tu-vu. Jeunes bourgeoises à lévrier, rombières emperruquées à collier marseillais, veuves éteintes au nez refait, encravatés liftés avec maîtresse, intellos de broussaille avec minot.
Je me pince, mais non, ce n’est pas un mirage, il y a même des enfants autour des tables du fond.
Tandis que les parents bavardent, ils dégustent leur glace trois boules en boudant ferme, le menton calé dans une main, la petite cuillère en équilibre dans l’autre. L’ennui dégouline de leurs faces proprettes de gosses de riches.
(à suivre)