Le toit d’en face
pyramide tressée
se prend soudain pour l’Etna.
Mois: janvier 2016
Le dos droit de Rubinstein
M’accompagne souvent, le fils de tisserand
mains longues en ondes de fée
cheveux d’ange
regard d’enfant
cœur de géant
brillante danse des doigts sur l’ivoire du Steinway
premier concert à l’âge de 7 ans
il a souri jusqu’au bout,
le dos droit jusqu’à la fin des temps.
Arthur Rubinstein en concert à Moscou, le 1er octobre 1964
Que ma joie demeure
Bientôt l’heure de baisser le rideau
cacher la petite crèche
en plus, l’herbe aux lentilles fane
faut débarrasser, tourner la page
bien envelopper la grange et les santons
les protéger un à un
Lou Ravi d’abord, Jésus à la fin
papier journal puis paille puis carton puis armoire tout au fond
demander pardon
penser au rachat
Noël loin, déjà si loin
que ma joie demeure.
Jesus bleibet meine Freude de Johann Sebastian Bach par le Tölzer Knabenchor
Hiver de misère
hiver du tonnerre
se promène en montagne parmi les ruines d’un vieux fort
tout là-haut accroché sous le soleil
l’herbe encore douce sous ses pas
à peine un pull sur ses bras
soudain sursaute, le fracas d’un moteur
vibrent les roches
tremblent ses pieds
s’approche l’oiseau de fer et son rotor
n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux
là, en contrebas de la paroi
l’hélicoptère livre de la neige
bientôt porteront de l’eau à la mer
du sable au désert
hiver de misère.
© photo Anabelle Gallotti- Radio France
Atardecer
Atardecer
Le frère vespéral du matinal, ce joli mot castillan. L’instant où le soleil se faufile vers l’ultime ligne de l’horizon. Il nomme le coucher de l’astre comme le crépuscule.
Atardecer, atardecer, atardecer
Je le préfère un peu à son presque jumeau car il offre deux roulements de r, lui.
Atarrrdecerrr
Parfois je les roule trop et mes amis espagnols en rient.
À la suite de son a initial, se pointent les cinq lettres qui signifient tout à la fois tard, l’après-midi et le soir.
Atardecer
Comme un souffle de lumière lancé à la nuit qui s’installe sans tarder.
La noche et ses mots murmurés et ses rythmes secrets.
Amanecer
Beaucoup parlé espagnol – castillan – ces derniers jours. Plaisir goûteux, toujours, de changer de ciel et de logiciel. En fais mon miel. Me laisse dérouter par nouveaux sons et rythmes et tournures. Accepte de ne pas comprendre lorsque le tempo accélère trop fort. Alors, ose demander de répéter. Por favor. Ensuite, lorsque me retrouve seul, prononce à voix basse les mots découverts. Plusieurs fois. En prenant mon temps. Ne peux résister à leur ronde dans ma bouche. Hier, ce fut Amanecer.
Amanecer, amanecer, amanecer
je le lance en boucle ce mot qui ouvre sur la promesse de la lumière, d’une nouvelle journée, de la vie qui se poursuit
l’instant de l’aube
Amanecer
amorce du jour
pour dire cer, prends soin de caresser du bout de la langue le tranchant des dents
puis fais-la vite repasser derrière, vers le palais, pour rouler le r
cerrr
Amanecerrr
cerrr
n’oublie pas de mettre juste un peu plus de poids là-dessus
avec un è comme le è de notre cerf
Amanecer, amanecer, amanecer
oui, c’est ça
délicat et fugace câlin de langue au petit matin
servi bien doux
suave, si
Amanecer
l’instant où le jour se lève
il faut tenter de dire.
Manquer
En manque de désir d’écrire fus longtemps
en panne de mots,
flux à l’arrêt, tu sais
– Man, que me dis ?
Oui, dénué de sons et de couleurs, à court de souffle
tout vide, en cale sèche
du coup, resté à quai, clavier grippé, écran muet
rendez-vous des carnets séché
Jusqu’à ce lever de matin doré de janvier
sang en accéléré
feu relancé
Neuf mois jour pour jour après, passage à l’acte désiré
Cette éclipse, de peu manqué la prolonger
pas loin de louper encore le train d’écriture
wagon vide, gares désertes, tant de voies sans issues
jusqu’à ce frémissement de voix jailli de dedans l’obscurité
À quelques battements de cœur près, nous nous serions encore manqués, qui sait ?
Tenter, s’il te plait, oser.