Portulan
n’avais jamais rencontré ce mot avant
la lecture de Les Choses
de Georges Perec le roman
les trouve jolies ces six lettres attachées à naviguer
repère de marins d’avant
carte experte ouvertes aux quatre vents
colorée de mille sels
ornée d’embruns et de pigments
Portulan
pour caboter en douce
lentement
lire qu’il existera toujours un port où passer
un port où aimer
un port où ne point rester longtemps
ou bien où se fixer pour un moment
Portulan
porte aussi le silence des choses tues
cachées ou dérobées
garde en lui les secrets emportés par ceux qui à jamais
se sont tus
Portulan
y lire aussi un mot d’ailleurs
un mot cadeau
un mot nourriture à faire rouler sur la langue
à faire saliver le palais
comme un baiser profond ouvert sur l’océan
Dis-moi, mimosa esseulé
au parfum exilé
commences à t’épuiser
ton pelage d’or s’étiole
s’envole
trop de pluie essuyée
de bourrasques encaissées
si peu de soleil pour t’éterniser
dis-moi où partiras respirer
dis-moi quand te feras encore chercheur d’or
mimosa de février
Il y a cinq ans jour pour jour, le 11 mars 2011, un tsunami déferle sur la côte nord-ouest du Japon. Parmi les villes frappés, Kamaishi, située à 208 kilomètres au nord de Fukushima et 560 kilomètres de Tokyo. Des vagues hautes de plus de 30 mètres par endroits ravagent la ville.
Les survivants pleurent plusieurs milliers de morts et de disparus.
Me suis rendu à Kamaishi en mai 2013
pendant une semaine, j’ai pu constater les traces encore vivaces de la tragédie
le port avait retrouvé un semblant de souffle
les enfants étaient retournés à l’école
les pêcheurs d’algues avaient repris leur activité
les ostréiculteurs fêtaient leur première récolte
les tulipes refleurissaient
les bougies accompagnaient le travail de deuil des survivants
Je n’oublie pas Kamaishi
Je n’oublie pas le silence en entrant dans la ville
Je n’oublie pas les immeubles massacrés
Je n’oublie pas les maisons rasées
Je n’oublie pas les voix surgies des décombres
Je n’oublie pas la rade muette au petit matin
Je n’oublie pas le port meurtri de toutes parts
Je n’oublie pas les sinistrés accueillis dans les préfabriqués
Je n’oublie pas l’autel et ses bougies au centre de secours fracassé
Je n’oublie pas les bouddhas de mémoire
Je n’oublie pas les stèles noires dressées
Je n’oublie pas les dates et les chagrins inscrits
Je n’oublie pas les larmes versées
Je n’oublie pas les larmes contenues
Je n’oublie pas les tulipes violettes près du saccage
Je n’oublie pas les traces du tsunami sur la forêt
Je n’oublie pas le temple au moine et à l’enfant
Je n’oublie pas la blanche Kanon protectrice de la ville
Je n’oublie pas le rire timide des écoliers
Je n’oublie pas le sourire retrouvé des pêcheurs d’algues
Je n’oublie pas les jardins refleuris
Je n’oublie pas le retour vers Tokyo en Shinkansen
Je n’oublie pas le survol du Fuji qui m’éloignait de Kamaishi
Venais juste ou presque d’achever la lecture de Les choses, le roman de Georges Perec lorsque soudain, orage de grêle de folie sur le toit d’en face
grêle comme celle qui l’été s’abattait sur les oliviers de Bauduen, mon village d’enfance en Provence
accompagner ensuite les vieux auprès du désastre
maudissaient les orages
serraient les mâchoires
ramassaient branchages fracassés de glaçons
les jetaient dans brouettes en bois
roues grinçaient sur le chemin du retour vers les maisons
noyés de cagnard étions tous
noyés
avons failli l’être en août 73
lorsqu’un projet de barrage EDF a voulu rayer villages de la carte
la providence ou pas du tout a fait que le notre fut épargné de la noyade
nourri par le Verdon un lac est né
au ras de Bauduen l’eau s’arrête
les pieds dans le lac sommes depuis
l’été, les orages de grêle poursuivent leur saccage
sur le peu d’oliviers qu’il reste à récolter sur les terrasses
là-haut vers Saint-Sauveur
reste ce Je me souviens publié ici il y a quelques années
Je me souviens de l’eau vive du Verdon
Je me souviens des bains dans le Verdon
Je me souviens du danger du Verdon
Je me souviens du carrefour de Sainte-Hélène au bout de la route
Je me souviens des paniers du goûter au bord de la rivière
Je me souviens des saules et des galets en face de Sainte-Croix
Je me souviens des truites de Fontaine l’Evêque
Je me souviens du pont de Garruby
Je me souviens des mûriers et des chênes truffiers disparus sous l’eau
Je me souviens des vergers du vallon aujourd’hui inondés
Je me souviens de l’allée de marronniers sur la route d’Aups
Je me souviens de l’estafette blanche qui nous montait d’Aups
Je me souviens du village des Salles, si proche, si loin de Bauduen
Je me souviens que ma mémé Zoé parlait patois avec Madame Rouvier
Je me souviens des Iscles et de ses champs bruns aux sillons réguliers
Je me souviens des départs aux champs de Monsieur Paix sur sa bicyclette
Je me souviens des remorques pleines à ras bord de lavande
Je me souviens des mas de Tante Berthe
Je me souviens des lucioles des soirées d’août
Je me souviens du cheval au sexe immense de mon grand-oncle
Je me souviens de Monsieur Coindet et de ses mouches pour la pêche
Je me souviens de Monsieur Gabin et de son pantalon bleu roi
Je me souviens de Elie le boulanger à la voix tonitruante
Je me souviens de Madame Cauvin et de son poulailler
Je me souviens du lait livré à la maison par Monsieur Bagarry
Je me souviens de Gisèle sur son balcon et moi en bas sur le parapet
Je me souviens de mon oncle Auguste partant à la chasse en face du village
Je me souviens de la trompettaïre et sa voix de crécelle
Je me souviens des marchands de légumes sur la place
Je me souviens des séances de cinéma sur la place
Je me souviens du miel de l’apiculteur
Je me souviens de l’école de ma mémé Zoé au Château
Je me souviens des bals devant l’Auberge du Lac
Je me souviens des cachettes dans la falaise
Je me souviens des amandiers en fleurs
Je me souviens des cailloux jetés à la nuit sur les terrasses
Je me souviens des fontaines au coin des rues et de leurs manivelles rondes
Je me souviens du grenier frais où couraient les souris
Je me souviens des bulldozers et des plaies sur la terre
Longé les jardins potagers
ai senti ma nuque se tendre
me suivais à pas feutrés
chat noir aux petits yeux jaunes
t’ai longuement dévisagé
croisé les doigts dans mon dos
as disparu dans les fourrés
Ce serait un prunier du Japon
aurait choisi d’offrir ses fleurs
aux moines d’un temple perché
Ce serait un prunier de Chine
se serait posé près des places
où rodent et hurlent les voix tues
Ce serait un prunier de Dakar
aurait migré vers les boubous
qui embrassent les âmes fières
Ce serait un prunier de Paris
ressusciterait les barricades
pour raviver les combats perdus
Ce serait un prunier de Marseille
prendrait ses quartiers au nord
où la lumière saigne souvent
Ce serait un prunier d’Avignon
se loverait près des remparts
où divaguent de belles rêveuses
* Je dédie ces quelques vers à Brigitte Célérier, auteure des superbes « Ce serait » publiés depuis août 2014 par Jan Doets sur son site Les Cosaques des Frontières.
Brigitte fait vivre aussi le blog « Paumée » que je prends plaisir à feuilleter chaque jour.
Là-haut
entre neige et nuages
serais bien resté
jusqu’au départ silencieux
du dernier flocon
aurais bien cheminé
jusqu’au bout de l’hiver
sans effrayer les bêtes
me serais attardé entre les arbres
caché près des cascades
loin des horizons perdus
des violences lues
aurais ressuscité l’espérance engloutie depuis ton envol
serais peut-être passé tout près
des traces laissées par toi du temps de ta splendeur
lorsque tu avançais toi aussi par là-haut
entre neige et nuages
et souriais aux sommets
Elles chutent
s’agitent
les gouttes
neige fondue
tempo subtil
à peine de quoi trouer le silence
autour du refuge
où je guette en vain
le cri du Grand Tétras
Monter tout là-haut
vers le refuge
dans la neige profonde
avancer à son rythme
prendre le temps de la lenteur
écouter l’infime
la fugace musique
neige qui fond sur les branches
et chute vers le blanc
l’immense blanc
le cœur accélère quand la pente se renforce
reprendre son souffle
face aux pics
aux cascades
à la roche fière
aux arbres accrochés
aux parois abruptes
aux forêts traversées
aux nuages qui glissent d’un sommet à l’autre
se dire – que c’est beau !
se contenter de ces mots-là
ne pas chercher autre chose que du simple
comme une offrande à la vie qui avance
s’arrêter pour caresser des yeux
et redescendre
accepter sa fatigue
puis l’oublier en songeant aux sherpas de l’Himalaya
éprouver sa petitesse