La Nuit 65 de Joachim Séné

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J’ai reçu un très joli cadeau
avais commandé une surprise à Joachim Séné
séduit par sa formule magique de Nuit à la demande
hier-matin, la Nuit 65 m’attendait dans la boîte aux lettres
écrite à la main rien que pour moi
enveloppée d’un carton bordeaux
accompagnée d’une photo prise un matin de septembre 2015
au métro Gabriel Péri, ligne 13

cette Nuit 65, l’auteur la publia le 27 septembre 2015 sur son site
n’ai pas résisté au désir de la lire à voix haute
pour prolonger la découverte et tenter d’approcher de près la musique de ses mots

L’Espingoin* – Christophe Sanchez

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J’ai découvert ce texte de Christophe Sanchez début avril à l’occasion des Vases Communicants
l’ai lu et suis resté les yeux pleins de larmes
comme s’il me parlait de mon grand-père immigré lui aussi
n’arrivait pas d’Espagne mais de Zürich
rêvant de liberté lui aussi
pauvre lui aussi
ouvrier agricole lui aussi
m’évoque mon père aussi
traité de Boche dans sa jeunesse

sur le blog de Christophe, ai relu ces phrases tendres et rudes et fières
et me suis lancé dans leur lecture à voix haute
en glissant mon émotion et ma gratitude à leur auteur sous un petit mouchoir sang, or et violet
en hommage aux Républicains espagnols

* La photo qui précède le son est celle du drapeau des Républicains espagnols en exil, jusqu’en 1977. Celle qui illustre ce son, Terre d’Espagne, provient de l’un de mes récents voyages en Aragón.

À fleur de rue

À écouter le monde en ces temps de grisaille
la vie semble rester collée en bas
à fleur de rue
parmi les flaques, la crasse, et les pavés muets
se demander comment laver tout ça
quand nettoyer à grande eau tout ce qui nous encombre
les esprits et les âmes et nos pauvres corps usés
comment et quand faire du beau, du neuf, qui nous plaise à toutes et à tous
d’abord se laisse happer par l’appel de la rivière
imaginer la mer, là-bas où elle se jette
et où elle ne cesse de finir ses jours
s’y jeter les yeux fermés et oser plonger ensemble
ne pas avoir peur de toucher le fond
ensuite repartir, marcher, errer, debout
en récitant les vieux slogans
« sous les pavés, la plage »
« la beauté est dans la rue »
et puis inscrire en soi les nouvelles phrases vivantes
« mais comment attendre quand le monde tombe »
« il devient fou celui qui ne fait rien de sa peine »
« tapez révolte sur votre clavier et sortez dans la rue »
« la liberté est notre bien commun »
« demain commence ici »

Le toit d’en face #6

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Le toit d’en face
se souvient de Gagarine *
premier pilote de l’espace

* Je revois comme si c’était hier ce 12 avril 1961
lorsque Youri Gagarine voyagea dans l’espace
sa combinaison orange, CCCP sur le casque et son sourire paisible
mon père était fier comme tout
– une victoire de nos idées, il m’avait dit après avoir écouté la radio
je n’avais pas bien compris
parce qu’à même pas 7 ans, le communisme c’est très flou
et l’espace fait tourner la tête
une sorte de vertige des hauteurs
je me souviens de cet instant de gêne, de décalage
mon père ému et moi qui de Gagarine, en secret, ne retenais que le sourire timide et les deux premières syllabes, gaga, en me disant que oui, il fallait être fou pour se laisser enfermer dans un vaisseau spatial et aller se promener autour de la terre

six ans plus tard, en septembre 1967, je crois bien que mon père m’avait emmené applaudir Gagarine lors de sa venue en Provence
c’était à Aubagne, dont le maire, Edmond Garcin, était instituteur et communiste comme lui

Vieux platane

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À force de subir le tocsin
tu te noues de dedans
vieux platane troué de chagrin
tes bras déployés cherchent
le peu de sève qu’il reste
à offrir à la croix
pourtant sans avoir l’air
tu arbores étonné
de petits rameaux verts
puisse le printemps t’offrir
oiseaux sur le feuillage
et souffles de désir

Lui

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Cette blessure à vif
cette trace foncée à fleur d’écorce
raconte un manque d’ailes ou un amour
les deux peut-être

l’arrêt brutal de la lame
signe le remords ou la mort
sans tracer le t final
qui aurait sorti de l’obscurité
la main accrochée au canif

lui
aurait pu aussi se nicher
à côté d’elle
dans pluie
la main n’aurait pas tremblé
légère
pour dessiner les lettres absentes
p
e
juste à côté de la tache noire
gravée telle une larme oblongue

et cette croix griffonnée à la hâte
comme on se signe paupières closes
lorsque le tattoo saigne
lorsque le couperet claque
sur la peau et les os
lorsque le silence n’a plus de lettres
pour dire le définitif

je sais qu’à travers les rameaux s’envole
le cri sourd des arbres blessés
mêlé aux voix des trépassés
offertes pour consoler