À chaque fois pareil
même chagrin
même colère ici
face au port éteint
encore plus à vif en remontant la Rue de la République
de Joliette à Vieux-Port
s’arrêter devant ses immeubles vidés de leur peuple
depuis des années
rachetés – les immeubles –
par fonds de pension américains
délogées les petites gens d’avant
la sève et la pulsation du quartier
y vécus non-loin, petit garçon
à peine un peu plus haut
au Panier
le lieu où vinrent se poser
tant de migrants
fuyaient le fascisme
ou débarquaient pour tenter leur chance
dans la ville sans nom
prenaient soin sans tarder de la nommer
de la chérir
et aujourd’hui
Rue de la République
ces femmes et ces hommes de peu
ces travailleurs du port
ces manœuvres
ces retraités
ces mères et pères dignes
avec leurs volées de minots
toutes et tous rayés de la carte
relogés ailleurs
contre leur gré
toutes ces années plus tard
invisibles sont ces vies d’avant
hormis quelques traces tenaces
et là
entre tramway et façades et palissades et cadenas
les fantômes qui se glissent
le long des promesses en sable
sur ces pans de devantures où tout reste à écrire, à transformer
et où se renifle pourtant la crainte amère et glacée
des combats perdus et des luttes abandonnées.
Les luttes ne sont pas abandonnées,