La place

La place sur laquelle vous allez avancer est le texte de ma contribution au nouveau cycle d’atelier d’écriture que François Bon vient de lancer sur son site le tiers livre.
Le thème tient en quatre lettres : le lieu.
Ou comment « appréhender le lieu en tant qu’acteur même de la narration ».
François nous propose une consigne. Une seule. Parler du lieu choisi en une seule phrase-paragraphe. Avec un seul signe de ponctuation : le point-virgule.
Bienvenue sur ma place.

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Il n’y a plus de place sur cette petite place ; on n’y respire plus l’air des tilleuls et des platanes ; envahie elle est de voitures de motos et de cacas de chiens ; de graffitis aussi ; nous y vendions l’Huma le dimanche-matin ; Maurice arrivait le premier ; il habitait à deux pas dans un immeuble La Savoisienne ; il était postier ; il avait fait la Résistance ; mon père me l’avait raconté ; Franc Tireur Partisan ; Maurice en parlait rarement ; sinon lui venaient les larmes aux yeux ; nous arrivions d’en bas avec Louis ; il habitait tout près de la mer ; il passait me prendre ; nous amenions les journaux ; nous tournions le dos à la rade et montions vers la place en sifflant ; Louis était cantonnier ; le jour de mon Brevet il m’a accompagné en mobylette au lycée Pagnol ; orange la mobylette ; il fumait beaucoup ; une derrière l’autre ; juste avant d’arriver sur la place nous longions l’Impérial ; j’y ai vu tant de westerns ; mangé tant de frigolos à l’entracte ; aujourd’hui ce cinéma est mort ; devenu une Maison pour tous ; sur la gauche de la place une école faisait angle en surplomb ; elle a disparu elle aussi ; ils ont construit une banque à la place ; Louis connaissait chaque rue d’Endoume ; chaque habitant de chaque maison de chaque rue ; Louis était le roi du quartier ; le roi de la place ; L’Huma se vendait comme des petits pains ; le muguet du 1er mai s’arrachait lui aussi ; quand on avait fini on buvait un casa ; on trinquait à la santé du Parti ; le bar n’existe plus ; agence immobilière à la place ; il ne reste plus que Loulou, le coiffeur pour hommes et Aldo le marchand de raviolis ; le trolleybus s’arrêtait juste devant notre petite table de camping sur la place ; c’était le 63 ; le traminot nous taquinait ; Duclos vous passe le bonjour il lançait ; il roulait les r comme lui ; Ginette la fleuriste à côté de Aldo rigolait ; maintenant  le trolley ne passe plus ; un jour ils sont venus démonter les rails en l’air ; un bus a pris le relais ; Ginette est morte il y a deux ans je crois ; on l’a retrouvée un soir sur la place ; inanimée ; une affichette à vendre est collée sur sa vitrine ; lettres noires sur fond rouge pâle.

Elle te dit

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Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés

elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance

sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin

tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps

Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».

Ta petite pièce

Tu rentres en métro
tu as chaud
tu dormiras au chaud
tu as regardé du beau aujourd’hui :
Vincent Van Gogh

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Frédéric Bazille

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ce beau traverse le temps
il imprime les siècles
il respire l’éternité
ce beau imprègne l’humanité

tu as chaud au cœur, donc
et voilà que tu lèves la tête vers l’homme
qui te tourne le dos dans le métro
et qui va te tendre la main

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cet homme aura froid cette nuit
il dormira dehors
et la pièce de deux euros que tu lui tends ne suffira pas
à apaiser sa faim de chaud, de beau et d’humanité.

Alep crie fort

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Il a été blessé à la tête dans les bombardements
mais il ne le montre pas
250.000 personnes, dont 20.000 enfants en bas âge, risquent de mourir de faim
à Alep-est dont il est le maire
mais il ne pleure pas
sa ville brûle,
plus un seul de ses 7 hôpitaux bombardés fonctionne
mais il ne hurle pas
La Russie et la Chine ont dit non
à des pourparlers sur la Syrie
mais il ne s’énerve pas
il dit que si le conseil de sécurité reste les bras croisés
ce sera un permis de tuer

ce que réclame Brita Hagi Hasan
d’une voix calme et ferme
c’est que nous autres citoyens
envoyions des messages à notre président,
descendions dans les rues,
organisions des manifestations

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Brita Hagi Hasan est venu nous parler d’Alep hier-soir
en mairie du 2ème arrondissement de Paris
nous étions quelques poignées de femmes et d’hommes
oui, à peine quelques poignées

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dont Jean-François Bernardini
le chanteur corse d’I Muvrini
le militant de la paix et de la non-violence
auteur de « Alep s’endort » chanté vendredi dernier
au Zénith de Paris

au-delà du sublime de cette chanson
reste en moi un profond sentiment de honte et d’impuissance
méme si de nombreuses associations appellent à manifester
en solidarité avec la population d’Alep
ce samedi 10 décembre
partout en France
c’est le moins que nous puissions faire, avouons-le
en regardant Alep mourir.

Nos chemins se rejoignent

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Au cœur du crépuscule –
la lune s’égare,
nos chemins se rejoignent.

J’offre ce haïku à Thomas Pesquet
ses tweets poétiques me font tellement rêver

La romance des amants papillon

Il connaît ses classiques
le flûtiste de rue

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les amants papillon
c’est l’air qui joue sur sa longue flûte
et qui s’échappe de l’ampli à l’abri dans son sac
les amants papillon
une légende chinoise issue de la dynastie Jin
une sorte de Roméo et Juliette de là-bas
l’histoire d’amants désespérés
Zhu Yingtai et Liang Shanbo
plutôt que d’être séparés
ils préfèrent mourir
la légende raconte qu’après leur mort
deux papillons se sont envolés vers l’infini
ce « tube » de la culture chinoise
est décliné en d’innombrables versions
au violon, c’est joli aussi je trouve

Entre femmes

Elles se retrouvent à la nuit tombée
le dimanche
entre femmes
une sono sur le trottoir
et elles dansent
pendant des heures

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des amies ou des copines du quartier sans doute,
ces danseuses du soir
ouvertes aux nouvelles venues
à ces mamans avec enfant qui se joignent au bal
point d’homme sur la piste
ils observent de loin

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ils auraient envie, qui sait
de venir se mêler aux pas légers de ces femmes
et respirer le parfum de liberté
qui glisse autour de leurs corps offerts à la nuit
mais ils ne savent pas se lâcher
peut-être le désirent-ils mais ils n’osent pas
seul le marchand ambulant approche son tricycle et il sourit.

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