Shanghai est un mantra sous le déluge

moines

Tu retrouves le temple Jing An Si sous une pluie battante presque chaude il trône entre les buildings ultra modernes les dorures des toits les carpes-dragons effrayantes les éléphants joyeux au-dessus des différents bâtiments qui le forment tranchent sur le gris des gratte-ciel tout autour le brouillard encercle même le sommet de l’un de ces immeubles géants on n’entend presque que la pluie tomber de partout tu te souviens il faisait beau les années passées les dames tenaient leurs parapluies pour se protéger du soleil les Chinoises n’aiment pas sentir le soleil leur mordre la peau elles se protègent aussi avec de larges chapeaux à volants tu te souviens des moines réunis au pied de l’une des statues de Bouddha pour un office avec leurs petites clochettes tu ne sais pas aujourd’hui où ils sont passés peut-être méditent-ils sur la pluie ses bienfaits pour les âmes des vivants et des disparus tu en aperçois un avec à la main un sac en papier rigide qui ressemble à ceux qu’on donne dans les parfumeries avec des échantillons dedans tu ne savais pas que les moines avaient le droit de sortir faire des achats tu ne connais rien à la vie des ces moines bouddhistes en haut de l’escalier géant qui fait face à l’entrée principale Bouddha tout en argent massif se repose devant les quelques fidèles venus s’agenouiller à ses pieds ils se recueillent un court instant en joignant leurs mains contre leur front et se penchent puis se relèvent une fois deux fois trois fois avant de s’éclipser certains déposent une pomme en offrande Bouddha ne bronche pas il a l’air d’apprécier mais ne le montre pas il y a des jeunes parmi les fidèles tu croyais que la religion n’intéressait que les vieux comme chez nous Jésus qui semble ne plus parler à grand monde sur tout à la jeunesse c’est peut-être dommage tiens l’orage approche tu t’assieds dehors sur une marche sertie de cuivre au pied de piliers gigantesques couleur caramel deux vieilles dames s’échappent en vitesse sous leurs petits parapluies fluo elles se trempent quand même elles ont fini de se recueillir tiens un moine passe en vitesse sur une coursive un peu plus bas avec un téléphone portable à l’oreille tu n’entends pas sa voix masquée par la pluie qui tape fort des touristes font des selfies une dame approche et te prend en photo elle te montre son écran tout sourire nous échangeons quelques phrases mi-chinois mi-anglais tu n’aimes pas du tout parler anglais en Chine mais là c’est amusant puis elle repart photographier Bouddha c’est si simple d’entrer en relation avec les gens ici sans chichi sans agressivité le brouillard a délaissé les immeubles la ville est livrée à l’orage qui ne cesse de s’installer tout là-haut et la pluie redouble de puissance sur le toit du bâtiment de droite les éléphants dorés sont tout sourire et les dragons-poissons voudraient avaler les quatre caractères gravés sur toute la largeur de la charpente qui les sépare dorés eux aussi étincelants à présent le ciel s’obscurcit et les gratte-ciel d’en face commencent à disparaître sous d’épais rideaux de pluie elle ferait du bien chez nous en Provence cette eau là où il n’est pas tombé une goutte depuis avril tu comprends pourquoi et comment les Chinois font pousser tant de beaux et bons légumes ici tu serais entièrement végétarien tu redescends maintenant en passant par les allées sur les côtés tu te hasardes vers le fond du temple où une ribambelle de cartons sont rangés à la six quatre deux devant de salles désertées les vestiges d’une grande fête tu imagines il y a des statuettes abandonnées des tentures pliées des livres de prière et des balais entreposés à côté tu avances vers la sortie à présent et tu entends percer à travers le vacarme de la cascade qui chute du toit en épais rubans blancs tu entends comme un murmure chanté qui peu à peu se transforme en prière en mantra tu marches lentement longes trois petites pièces aux larges fenêtres ouvertes et aperçois des moines vêtus de marron et de noir en plein office avec leurs clochettes et leurs minuscules tambours la cérémonie elles l’ont demandée à la mémoire de leurs défunts tu crois ces personnes aux regards tristes assises en face des moines aux têtes rasées et aux yeux d’où ne s’échappe presque aucune espèce d’émotion.

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