S’il te plaît

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Ne me dis pas que ce fut un mirage non raconte-moi plutôt quels oiseaux chantaient là juste à côté de toi lorsque apparut cette merveille oui vas-y dis-moi leur plumage la taille de leur bec la grâce de leurs ailes dépeins-moi le dessin des écorces les nervures des feuilles la trame des rameaux d’où se lançaient leurs voix décris-moi s’il te plaît les secondes offertes à la peine du ciel lorsque tu pris ton envol vers là-bas.

Le photographe du désert

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Faire sonner les mots en dehors de ma bouche lire à voix haute c’est plus fort que moi je ne peux m’en empêcher ce désir surgit parfois lorsque me trouve devant un texte qui me parle me touche m’emporte loin me fait réfléchir sonne avec profondeur à mes oreilles et à mon cœur la semaine passée j’étais ici-même avec Nicolas Esse il y a dix jours aux côtés de Candice Nguyen et aujourd’hui me voici devant Philippe Castelneau et sa contribution-portrait à l’atelier d’écriture proposé par François Bon sur son Tiers Livre « faire semblant d’être Pierre Michon » c’est le texte que je préfère parmi les trente mis en ligne chez François pas de titre comme pour les vingt-neuf autres textes du coup je me permets de lui en donner un Le photographe du désert Philippe trouvera peut-être mieux ou pas il me dira ou pas lire à voix haute ce texte donc mixer ses mots à des phrasés de oud et partager avec vous tout comme nous partageons le plaisir de nous lancer à écrire modestement et toujours passionnément chez François Bon.

Photo de ci-haut @Pexels

Tante Berthe

Tante Berthe

Les clochettes tintent. La pauvre chèvre pelée bêle devant la véranda.
Suivie d’une autre chèvre puis d’une autre en un cortège qui dessine une volute blanche et beige dans le jardin. Elles annoncent une drôle de nouvelle les biquettes il te semble, ma Mémé Zoé. Tu dis que leurs gros yeux humides racontent le pire. Leurs barbichettes tremblotent de stupeur.

Chacune arbore un large collier de cuir à rivets et à points rouges semblable à ceux que …
« Tu ne te souviens plus, Mémé ?
« Non, Il me faut fermer les yeux. Chercher au dedans de moi. Délaisser un instant les faces tristes et tremblotantes des bêtes. »

Là, ça te revient. Ces colliers accrochés dans la remise à côté des bidons des deux brouettes, une pour le grain l’autre pour le fumier, ces colliers tu les revois maintenant, oui. C’est Tante Berthe qui les tresse. Elle tient ça de son grand-père Fernand qui le tenait du sien et loin on peut remonter avec cette histoire de colliers. Elle t’en a parlé, Tante Berthe. Fernand lui a appris la façon d’accorder, de mêler les brins de cuir un peu comme on tricote. Un brin à l’endroit un brin à l’envers enfin à peu près comme ça en resserrant bien les doigts à chaque passée.
« Je n’ai pas d’enfant alors ces colliers c’est un peu ma layette à moi », elle répète souvent dans un grand éclat de rire.

Ces colliers, Tante Berthe les confectionne depuis petite. Avec la place juste à l’aplomb du gosier pour laisser accrocher une cloche ou une clochette.Tous poinçonnés de rouge, ils sont. Sa marque de fabrique. Sa signature. Elle s’applique comme une écolière en tirant la langue. Elle trempe le poinçon dans un pot d’encre et paf, les pois sont marqués sur le cuir. Tu te rappelles bien maintenant. Elle s’en amuse. Même les doigts tout humides de rosée après le ramassage des légumes ou la cueillette des champignons, elle passe et repasse les brins de cuir l’un sur l’autre et le collier nait sous ses épais doigts aux ongles ras et bombés.

«  Elles sont jolies mes chèvres, on les reconnaît quand elles sortent du village ! », elle dit à chaque fois.Toujours en rigolant. Une trentaine de bêtes elle a. Le plus gros troupeau du canton. Ça fait beaucoup de cuir et de pois rouges. Avec deux ânes aussi mais elle ne les marque pas, eux.

La pauvre chèvre pelée ne bêle plus à présent. Elle frotte son cou contre le piquet brun de la clôture. Juste à l’endroit où le collier tinte de sa clochette. Puis elle pousse ses gros yeux globuleux vers le chemin qui mène à la bergerie. Les autres attendent en tremblant comme d’habitude.

Alors tu comprends.Tu sautes la clôture et te mets à courir vers le mas de Tante Berthe. Les chèvres derrière. Au ralenti vous avancez. En amont de l’allée qui mène aux deux murettes juste à l’entrée du mas, tu distingues sa silhouette. Debout elle se tient. Immobile. Figée dans le froid de novembre. Tu siffles pour t’annoncer. D’habitude elle te répond en criant « Viens, viens ! » Là, rien.
« Mon Dieu », tu te dis.

Tu approches et c’est un épouvantail qui se dresse devant toi. Vêtu comme elle. À l’identique. Même blouse à carreaux. Même fichu blanc et beige autour de la tête. Même godillots crottés.
Mais un corps de chiffons accroché à une armature en fer et un visage de paille grossière avec deux gros cailloux noirs pour les yeux.

Toi, tu écarquilles les tiens, tu entres dans la pièce cuisine salle à manger bergerie et tu entends « coucou, coucou ! ».
C’est Tante Berthe qui bondit de derrière le gros poêle à bois en éclatant de rire
« Je t’ai bien eue, hè Zoé, je t’ai bien eue ! Allez, accompagne-nous au pré !».

Ce texte est ma contribution à l’atelier d’écriture* « faire semblant d’être Pierre Michon ».  proposé par François Bon sur son Tiers Livre. Décrire un personnage dans son rapport avec le temps, c’était la consigne. L’écrire « en entier par le temps quantifié et saisi, on décrypte un instant et c’est toute l’image d’une vie qu’on va construire ». J’avoue avoir calé et longtemps ramé pour finalement trouver la clé et accoucher de ce portrait que j’ai pris plaisir à brosser.

*Les 3O contributions-portrait se découvrent ici

Photo de ci-haut @Paquerette

 

Juste assez

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Un jour peut-être approcher de la cime essoufflé juste assez pour braver le chemin étonné juste assez pour mesurer tes pas à l’échelle du monde un jour peut-être chasser le vertige éveillé juste assez pour goûter l’éphémère émerveillé juste assez pour te fondre dans le paysage.

Ce miracle

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Juste avant la naissance du crépuscule il arrive que des mots s’échangent en silence d’arbre à ciel et de feuilles à lune toi aussi tu parles au chaud de ton désir que tes yeux s’ouvrent demain encore sur ce miracle.

Pauvres fantômes

Sonatine

Je les avais pourtant prévenus le clavecin est piégé n’y touchez pas mais si têtus ils sont les fantômes surtout lorsque leur désir de revanche sur les riches leur mange le cœur ils ne m’ont pas écouté les ai vus entrer dans le salon désert sentait l’amour le parfum de femme et le tabac hollandais leurs éclats de rire obscènes me claquent encore aux oreilles suis resté dehors en embuscade ai aperçu le plus vieux s’approcher de l’instrument avec une hache à la main il ne l’a pas actionnée non il a regardé ses deux acolytes en tirant la langue et au ralenti a avancé son poing vers le blanc des touches déplié ses doigts puis tenté une note avec son index et là le clavecin a craché des torrents de cailloux de poussière un tourbillon géant a pris d’assaut l’espace et les fantômes ont disparu sous les gravats dans un silence de mort.

Photo de ci-haut @RomainVeillon

Si peu

sipeu

Si peu aujourd’hui
les mots à l’arrêt
le désert
le calme plat
le vide
le rien du tout
l’infime
le silence
à peine quelques perles de pluie sur les fleurs
si peu

Le cauchemar du rescapé

baignoire

Découvert avec effroi hier-soir sur Arte.tv le documentaire Heinrich Himmler – The Decent One consacré à Heinrich Himmler chef de la SS et architecte de la solution finale ai haï encore plus fort le fascisme le fanatisme le nationalisme et dans la nuit a surgi et tourné un cauchemar que j’ai tenté d’écrire tôt ce matin

Les traces de sang ont disparu lorsque la terre a tremblé sous les bombes tombées autour du camp le souvenir des méfaits de l’homme à la tête de mort sur la casquette s’est infiltré peu à peu dans les fissures ouvertes à l’endroit même où il avançait chaque jour en riant en claquant des talons cravache en main posait ses bottes noires là juste entre les deux anneaux puis se penchait vers nous et questionnait à voix basse de plus en plus basse au fur et à mesure que les coups pleuvaient nos silences se sont enfuis nos cris se sont tus nos hurlements ne résonnent plus que dans le crâne nu de l’homme aux lunettes cerclées maintenant que le voilà tête de mort enfoncée dans la bouche empierré et ligoté aux poignées de cette baignoire où il régnait en maître il y a peu avant de quitter le camp nous avons coupé l’eau pour le dissoudre à sec dans sa honte en vain il est trop tard à présent trop tard pour entendre et accepter les pardon pardon qui résonnent jusqu’au plafond de cette salle où l’homme demeure seul à ressasser remords ou peut-être dernières volontés tandis que chaque jour qui passe depuis voit le désert envahir un peu plus la terre et le camp où je me souviens avoir été jeté piétiné ce camp où des nuits entières ai prié pour en ressortir vivant.

après le cauchemar la nausée encore la bête immonde à la tête de mort remue encore et dans ma ville en plus sans que grand monde s’en émeuve

Photo de ci-haut @RomainVeillon

Le tocsin éternellement ?

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Encore le tocsin hier matin tout près de la maison ces deux notes lancées en boucle par les cloches novembre déroule sa peine il n’y a que Bach pour me consoler m’empêcher de trop m’enfoncer sur le sentier glacé du chagrin penser aux chers disparus partis trop tôt penser à la mort à la mienne dans longtemps ce serait bien désir d’aller respirer dehors aussi de marcher vers les tombes au pied des arbres et juste avant de sortir presque par hasard mais existe-t-il vraiment le hasard tomber sur ce Tweet énigmatique de Nicolas Esse dont j’apprécie la poésie les photos de rando à vélo au bord du Lac Léman il me semble et puis l’humour décalé

Nous ne sommes pas faits pour mourir éternellement forcément je clique vers son site je lis le billet et je partage à voix haute

 

une fois le texte lu et enregistré et mixé je réalise que Nicolas Esse le publia en décembre 2014 à peine un peu plus de deux mois après le départ de Maman trop tôt envolée vers l’autre monde je suis sûr qu’elle aussi aurait été touchée par ces mots puissants ces vérités glaçantes sûr qu’elle non-plus n’aurait pas désiré mourir éternellement…

Migrants mineurs : en montagne ou en mer, même calvaire

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Journée internationale des droits des enfants ce lundi pensée forte pour ces mineurs migrants africains abandonnés en montagne il y a dix jours dans les Hautes-Alpes au Col de l’Échelle près de Briançon ai découvert leur calvaire en écoutant ce reportage poignant et révoltant de Raphaël Krafft sur France Culture

Ce reportage a été diffusé vendredi dernier dans l’émission Le Magazine de la rédaction

Ne donnez pas à la mort le droit de dire le dernier mot, lançait Erri de Luca à la Maison de la poésie en avril dernier en évoquant le sort des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Ses mots valent également pour tous ceux qui empruntent plus au nord la voie de la montagne eux aussi au péril de leur vie.

Photo de ci-haut @RaphaëlKrafft