Hiver #8 Pavane, phare et radios de nuit

Depuis mardi dernier, je suis retourné plusieurs fois sur mon île numérique. Pas de raison de se priver quand ça fait du bien. C’est un lieu accueillant. Sans doute ressemble-t-il aux espaces bienveillants et paisibles choisis par les participant.e.s à l’aventure lancée par Anne Savelli et Joachim Séné. Peu de web, donc. Juste ce qu’il faut pour se sentir libre. Pas de news. Une pincée de Twitter pour partager deux trois photos et cliquer sur quelques liens.* Téléphone à distance. Dès le saut du lit. Livre à portée de main. Aussi souvent que possible : Le tambour de Günter Grass. Ordinateur en sommeil. Tablette en fonction horloge, sauf pour la musique. Désir d’écouter et réécouter la Pavane travaillée avec l’ensemble de violoncelles auquel je prends part un samedi sur deux.

Pavane – Jordi Savall et ses musiciens à La Capella Reial De Catalunya.

Belle qui tient ma vie

Captive dans tes yeux

Qui m’a l’âme ravie

D’un sourire gracieux…

Tes beautés et ta grâce

Et tes divins propos

Ont échauffé la glace

Qui me gelait les os…

Ai eu besoin d’Internet pour découvrir l’auteur de ce poème célébrant l’amour courtois. Il s’appelait Thoinot Arbeau. LOrchésographie, son traité de danse, date de 1589. De son vrai nom Jean Tabourot, il était chanoine et savait joliment parler d’amour.

Je suis retourné saluer le phare de Biarritz. Bientôt deux siècles qu’il guide les navigateurs du haut de sa tour immaculée. Le cousin basque de mon Planier reste fermé à toute visite. Impossible d’escalader son escalier comme il y a quatre ans. Me contenter de marcher vers lui. Tenter d’abord de ne rien manquer du décor. À marée basse, depuis la Grande Plage, guetter le presque imperceptible reflux et laisser l’océan, seconde après seconde, rendre de l’espace au sable, jonché de colonies de cailloux, de tout petits galets et de bois flotté. Savoir que le phare ne perd pas une once du spectacle. Pour faire durer le plaisir, m’éloigner et rejoindre l’autre côté de la ville. Marcher jusqu’au rocher de la Vierge. M’attarder face aux croix sombres ancrées sur les rochers en contrebas. Évocation de naufrages, de fortunes de mer. Repartir vers le phare, tranquille et patient. Remonter vers le sommet de la pointe Saint-Martin, me cacher sous les roseaux paisibles, derrière les haies gorgées d’embruns et les maigres troncs des tamaris et jouer à cache-cache avec la haute tour de lumière. Arrivé à ses pieds, noter les deux dates gravées sur son ventre : 1831 en bas et 1832 tout en haut. Imaginer la peine et la sueur des hommes qui l’édifièrent semaine après semaine. Partager la joie et la fierté qui les accompagna lorsque les toutes premières lueurs furent offertes aux marins, un premier février de l’an 1834. Les gens de la mer durent patienter soixante-dix années avant que Fresnel et ses lentilles magiques prennent le relais. Autant de temps fut nécessaire pour que les hommes désertent le phare, chassés dehors par l’automatisation. Aujourd’hui, le spectacle de ses bras de lumière lancés vers le large est réservé aux seuls riverains. La faute à l’affreux couvre-feu. Peut-être revenir un de ces quatre matins, le plus tôt possible. Ne pas trop attendre car l’obscurité perd du temps de vie chaque jour davantage. Inexorablement. Bientôt, il sera trop tard pour retenir la nuit.

*Parmi mes clics de cette semaine, l’excellent billet de Radio Fañch dédié à un podcast merveilleux, Les Nuits du bout des ondes. Voyager parmi des trésors de la radio de nuit en suivant un guide prénommé Jean, chauffeur de taxi à Paris. Six épisodes à déguster au calme. Prendre le temps de laisser travailler la mémoire. Savourer la pleine remontée du plaisir en retrouvant des voix que l’on croyait à jamais perdues.

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