Toujours intérimaire, Joseph Ponthus. Plus que jamais occupé à vendre sa force de travail. Fini les lignes de bulots, de crevettes, de langoustines. Fini le tofu. Terminées les missions en conserverie. Ponthus change de costume. Le voici parmi les forçats de l’abattoir. C’est dans ce lieu cauchemardesque que se poursuit ma lecture à voix haute – entamée le 1er mars – de son roman À la ligne – Feuillets d’usine. Après les 30 premiers chapitres qui composent la première partie du livre, voici le 31ème, qui ouvre la seconde. Il est précédé de cette citation de Guillaume Apollinaire (lettre à Madeleine Pagès, 15 mars 1916) : » Pas de description possible. C’est inimaginable. Mais il fait beau. Je pense à toi. «
Chaque jour, une chanson de Charles Trenet, dont Joseph Ponthus était fan.
Rien de bien neuf avec la nouvelle saison. Je me suis installé devant le printemps naissant dans l’une de mes positions préférées, celle de l’auditeur réfugié sur son île numérique. Et tiens, d’abord, je suis resté fasciné par ces mains sur le Nagra. Elles appartiennent au sculpteur de sons Yann Paranthoën. Je les ai observées en regardant sur la plateforme Tenk le documentaire que lui consacra Pilar Arcila en 2007. Elles montèrent et ciselèrent tant et tant d’émissions et de documentaires, ces mains d’or. Ces mains d’artiste artisan. C’était au temps où la radio se faisait en bande et prenait encore le temps de se ficher de l’air du temps… Paranthoën était breton, fils de tailleur de pierre. Il fut comme un pape de la sculpture de sons, de la création radiophonique. Créatif est un mot minuscule pour qualifier le bonhomme, tant sa patte apporta au genre pendant des décennies. Tant son œuvre reste un patrimoine légué à tous les amoureux et passionnés d’histoires sonores. En écoutant Yann Paranthoën, je suis aussi resté fasciné par son timbre de voix. Doux, juvénile. Comme s’il s’était arrêté à la lisière de la contrée des adultes. Écoute-la à ton tour cette voix, raconter un petit peu de ce qui fut son art.
Samedi, pour me préparer en beauté à dormir soixante minutes de moins – le passage à l’heure d’hiver, avec ses jours qui rallongent, est toujours un moment de l’année que j’attends impatiemment, ce qui était bien moins le cas quand mes minots étaient petits – je suis allé au concert. Au concert ? Parfaitement. Oh, rien de clandestin, non. Très officiel ce concert. À visages découverts. Moussu T et les Jovents nous avaient donné rendez-vous sur Facebook depuis l’Espace Culturel Busserine à Marseille. Pas de public, évidemment. C’était leur premier concert depuis un an. Ils n’ont pas larmoyé sur leur sort, les collègues de La Ciotat, non. Ils ont juste rappelé que comme l’ensemble des artistes, ils désiraient être considérés, respectés. Et que cesse le mépris et l’abandon dans lequel ils sont laissés. Les applaudissements après chaque chanson nous ont manqué. Hélas pas de oaï ni de distribution de pastaga comme jadis aux concerts de Massilia, mais une totale régalade, par écran interposé. Allez, on s’écoute Mademoiselle Marseille.
Sinon, dans la série spectacle virtuel, il y a aussi ces quelques photos du Mont Fuji que je bade chaque jour. Monter un jour tout là-haut est l’un de mes plus grands rêves. Je crains de devoir patienter encore quelques années avant de le réaliser. Se satisfaire de le contempler et d’en partager toute la beauté, grâce au photographe japonais Hashimuki Makoto.
Ce visage planqué à même l’écorce Le devines-tu ? Que te raconte-t-il de la saison nouvelle Écartelée entre le désir de jouir Et le masque sale de la peur Ce venin qui flotte incognito Et ces journées d’ankylose Et ces soirs couverts de feu Ces nuits à écouter les cris monter de dehors.
Ce visage qui s’ose sur ce tronc T’évoque-t-il le vestige glacé d’un incendie Le désir furtif de silence Le simple renoncement, L’abdication, Le dépit ?
Ce regard qui frôle à peine la lumière Est-il celui d’une étudiante à bout de force D’un migrant chassé vers la frontière D’une rescapée des camps D’un moine en train de méditer D’une Communarde oubliée ?
Il faudra bien un jour que commence à s’éclairer en toi En nous Les fils embrouillés de toute cette folie.