Si tu rêves de silence…

canisses

Si tu entends la mer au-delà, franchis la frontière. Si tu oublies son parfum, recrée-le. Si tu crois qu’elle n’existe plus, invente-la. Si tu te souviens des obstacles, avance. Si tu sais le chemin, ne fais pas demi-tour. Si tu n’y parviens pas, regarde plus haut. Si tu remercies le ciel, n’oublie pas la terre. Si tu as peur du vide, écoute les oiseaux. Si tu désires la paix, accueille la. Si tu rêves de silence, offre le.

 

Le chant des oiseaux – Camille Thomas

Une douce renaissance

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Les mots pour le dire

« Elle était restée muette depuis que Maman s’en était allée vers l’autre monde. Plus de cinq années remisée sur une étagère au fond d’un placard. Rien que du silence autour de son corps tout blanc. Plus de mains pour le saisir. Plus de doigts pour lancer l’ouvrage. Plus un souffle. Plus un mot. Inanimée, la machine. Et puis Mathilde est arrivée avec un désir de coudre doux comme un baiser offert aux fils du passé. La machine l’attendait. Les bobines de fil aussi. Par dizaines. Multicolores. Rangées avec soin par les mains expertes de Maman couturière. Soudain, le silence s’est rompu. Dame machine s’est remise à parler, à chanter, à créer. Une douce renaissance. Une caresse joyeuse lancée sur les flots du présent. »

 

Oh Happy Day- Aretha Franklin

 

 

Toujours à fleur de peau

peau

C’est parti hier-matin au petit déjeuner, avec ce qui ressemblait à un jeu d’écriture. Une invitation sur Twitter à raconter sa propre peau. En ajoutant le mot-clic #infraperec Clin d’œil-hommage à Georges Perec, auteur de L’infra-ordinaire et qui écrivait ceci à propos de son livre : « Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m’ennuient, ils ne m’apprennent rien. […] Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire ? […] »

Gorgées de thé. Petite fraîcheur dans la salle à manger. De ma peau, ne voyais que celle de mes mains et de mes avant-bras. L’ai interrogée. – Vas-y, elle m’a répondu. Raconte-moi ! Alors j’ai écrit ceci : Ma peau se sent bien dans sa peau. Hâlée aux gambettes et aux bras, plus claire ailleurs, elle est un recueil de mémoire et d’enchantements, aux avant-bras; à l’encre de Chine. Ailleurs, ma peau est frileuse et commence à se distendre, à frisoter. Le souffle des ans.

La journée a avancé et m’est venu le désir d’écrire la liste des phrases qui viennent, comme ça, à partir et autour des quatre lettres de peau. En imaginer d’autres aussi. Histoire de poursuivre le jeu. Avec comme seule « contrainte » utiliser ces quatre lettres p. e. a. u. Et pourquoi pas y ajouter le x pour quelques pluriels.

 

Les mots pour le dire

« J’aime écrire des peauaimes. Les peaux mortes vivent longtemps. Nous chantions Armstrong je ne suis pas noir, je suis blanc de peau. De toutes façons, lui, il est toujours à fleur de peau. Notre professeur d’histoire nous raconta l’extermination des Peaux Rouges. Dans la cour de l’école, nous disions il a la peau lisse au cul et nous rigolions. Arrête un peu avec tes blagues de peau tâche. Je me souviens de mes pantalons en peau de pêche. Touche pas à mon peaute ! Raciste, la peaulice ? C’est plus que peaux cibles. Impeaurtant de ne pas l’oublier. À l’impeaussible nul n’est tenu. J’ai déniché le peau aux roses. Au pied de la maison il y a plein de peaux de fleurs. Mémé collectionnait les peaux de nianiourt. Elle faisait de la soupe de peautiron. Y trempions du pain d’épeautre. Peau d’âne, un livre lu il y a si longtemps. Les oiseaux qui ont du peau échappent aux à peaux. Ce qui les posent sont des peauvres types. Dis-moi, il est long, le fleuve Peautomaque ? Et le Peau, son copain italien ? Boycottons Zemmour, Onfray, Buisson, Brunet, ces insuppeaurtables impeausteurs. Sipouplé si tié pas joli reste peauli. Ah oui, je fus quelques années durant exonéré d’impeaux. Le mot apeaustasie n’est pas joli joli. Saurais-tu nommer les douze apeautres ? Mon ami Pierrot, ouvre-moi la peaurte. Au Stade, nous aimons chanter peau peau lo peau peau peau peau ! Parfois, nous chantons Beth cèu de Peau. Toujours le rythme dans la peau. J’aimerais bien un jour aller au Peaurtugal. La galinette m’a peausé un lapin. Peauvre de moi, synonyme de peuchère. Quelle épeauque épique ! Tu y crois, toi, à la peaussibilité d’un Paradis. Peaurque no ? »

Laisse passer la paix

blés

Frontière de lumière. Ouvre-la. Ne laisse pas l’issue absente. Caresse l’or offert. Conserve en ta mémoire la fragilité de la semence. Mesure le temps nécessaire à la pousse. Bénis la sueur. Chéris le fruit. Contemple l’œuvre. Bannis le saccage. Frontière de lumière, laisse passer la paix.

 

Hallelujah – Sheku Kanneh-Mason – Leonard Cohen

 

Un orage porte-bonheur

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Ce fut un orage majuscule. Hier, à peine sorti de chez le libraire, avec en main Des Oloés, le livre d’Anne Savelli tant attendu, gros grains, éclairs et tonnerre m’ont cueilli et accompagné jusqu’à la maison. Il s’est un petit peu trempé, l’ouvrage. L’ai protégé en vitesse du tissu de mon boubou orangé, mais les gouttes de pluie tiède ont baptisé sa couverture. Une fois rentré, l’ai essuyée avec le premier bout de tissu rencontré, mon Bleu de Chine laissé sur un fauteuil. Ensuite, pour poursuivre la cérémonie de baptême, je suis monté à la chambre enregistrer l’orage qui avançait sur la ville et avait commencé à tremper le parquet. Voici gravé le souvenir vivace de ce porte-bonheur.

 

Anne Savelli publie ce livre chez Publie.net.

Le site de Joachim Séné dédié aux Oloés du monde entier.

Il a suffi d’un cygne

cygne

Il s’ébrouait près des herbes hautes lorsque je l’ai surpris, le grand cygne au plumage blanc neige. Solitaire. Le port altier. Il croisait au ras de la rive. Je l’ai salué. Il m’a dévisagé un court instant est s’en est allé. D’abord à contre courant, puis vers l’aval. Sans se retourner. Alors j’ai fredonné le Cygne de Camille Saint-Saëns. Quand je serai grand, j’apprendrai à la jouer sur mon violoncelle cette merveille de mélodie, extraite du Carnaval des animaux.

 

Le cygne – Gautier Capuçon

Dans notre carnet des jours heureux

Plus de deux mois sans se voir, sans se parler autrement qu’au téléphone, sans rire ensemble. Arrive un jour beau où tout ceci devient lassant à force. Survient un jour béni où s’effacent les semaines de manque, où se gomme la distance pour se diluer dans un flot paisible d’instants à partager. Pour les savourer en beauté, avons choisi de randonner ensemble. Chacune et chacun sur son vélo équipé de la fée électricité. Ce fut une merveille de promenade en Hautes-Pyrénées. D’abord sur une voie verte, un ancien chemin de fer réhabilité, du côté de la Vallée des Gaves. Puis plus haut. Un peu plus haut. Tellement offerte à la splendeur qui nous entourait, cette escapade, que nous l’inscrivons dans le carnet des jours heureux. Au-dessus de nos silhouettes casquées, Le Cabaliros, le Viscos, le Hautacam. S’il vous plaît. Nous y revoir et nous réentendre pédaler, tranquilles, accompagnés par la paix de ces sommets.

 

L’air sent les foins et l’herbe coupée. Les maisons retrouvent du sourire aux façades. Les petits graviers crissent sous les roues. Un arrêt pour attendre les autres. La gourde sortie du sac à dos. Par là-haut, oui. Tu verras la vue qu’on a. Sentir la fraîcheur aux mollets aux passages à l’ombre. La route monte et tu lis Col d’Aubisque que tu gravis trois fois autrefois. Parlerons de Bahamontes plus haut. Toujours plus haut, l’Aigle de Tolède. Un virage et de l’herbe à hauteur de genou. Ici, c’est à main gauche. Le petit chemin mène à la chapelle. Dieu vous le rendra écrit sur la pierre blanche. Déguster le sandwich à l’omelette. Quelques noix de cajou. Un milan déploie ses ailes vers la vallée. Sa queue est échancrée. Une couleuvre se tortille à l’ombre d’une murette. Regarde, là-bas, le Pic du Midi. Des fontaines vivaces partout près des places. Refaire le plein des gourdes. Une bibliothèque de rue en face de l’arrêt de bus. Le soin accordé aux fleurs. Accueillir leurs couleurs. Mon Dieu, ce jaune pâle des roses. Les iris presque mauves. Les oiseaux ponctuent ton ascension. Voitures rares. L’entrée dans Gez-Argelès. Le village natal de Vincent. Une grande maison à la façade blanche. Plus loin en redescendant, la châtaigneraie aux kilos de cèpes en automne. Le champ pentu pour jouer au foot. Une enfance en regardant les cimes. L’école encore ouverte. Plus bas, fermées les mines de plomb et de zinc. Depuis des lustres. Allons voir ce petit lac, oui. Passage étroit. Avancer encore. Bientôt la redescente. Les freins font hiiii hiiii hiii. Jamais trop apprécié les descentes. Slalom comme au ski en soignant les courbes. Ouvrir le genou dans les virages comme Hinault. Retrouver le Gave de Pau et se poser pour déjeuner. Les tomates croque-sel. La tortilla. Le petit verre de rosé.

La promesse de se retrouver bientôt pour repartir ensemble.

Avant de se quitter, écouter Vincent chanter Bèth cèu de Pau.

 

Les mots de Gilou, mon ami d’enfance sourd-muet

Gilbert

Il me manque Gilou, mon ami d’enfance sourd-muet. Nous nous connaissons depuis tout minots. La vie nous a longtemps tenus éloignés mais chaque année ou presque, nous nous sommes retrouvés l’été et nous avons partagé tant de moments plaisants. Inoubliables. Je me souviens des après-midis de canicule en juillet et en août au bord du Verdon. Plus tard des baignades au bord du lac de Sainte-Croix. Je me rappelle le miel dégusté à même les hausses sur la murette de sa maison, près du monument aux morts de 14-18. Je me souviens des parties de boules, le soir à la fraîche sur la place de Bauduen, son village qui est aussi l’endroit du monde où est née ma Mémé Zoé. J’y montais pour les grandes vacances. Lui aussi se souvient de ces moments précieux, j’en suis sûr. Pendant le confinement, nous avons pris de nos nouvelles. Lui l’a passé à Bauduen, auprès de ses parents, là où il a vécu les trois premières années de sa vie.
Avec Gilou, nous avons toujours communiqué facilement. J’ai appris à lui parler lentement et en accentuant l’articulation des mots. Lui, il a toujours su déchiffrer mes paroles sur mes lèvres et toujours su me répondre à sa façon, avec ses sons à lui. Son langage, je l’ai toujours compris. Du coup, nous avons toujours beaucoup échangé. Il y a six ans, c’est à Bauduen que je lui avais proposé d’enregistrer ses paroles. J’en avais très envie. Je m’étais dit qu’il n’y avait pas de raison pour que je le fasse pas. Je savais que j’apprendrais beaucoup à l’écouter se raconter. Il avait accepté de se confier. Avec tant de gentillesse. Il m’avait parlé de son enfance, de ses années d’apprentissage, de sa condition de sourd-muet, de son parcours professionnel, de son village d’amour. Ses mots, je les réécoute aujourd’hui et je les partage. En espérant fort que nous pourrons nous retrouver bientôt pour échanger encore et toujours.

Les mots pour le dire.

« Je suis sourd de naissance. Depuis tout petit je n’entends rien. Déjà dans le ventre de ma maman, je n’entendais rien. Je ressens les vibrations des sons lorsque je suis en boîte de nuit, ou quand il y a le feu d’artifice. Je les ressens dans le corps. Sinon je n’entends rien. Ce silence c’est une habitude. Je vois plus. Je suis plus attentif. La nuit c’est difficile dans le noir. L’équilibre est difficile la nuit. Je n’arrive pas à imaginer le chant des oiseaux. Les oiseaux, je les vois voler et puis c’est tout. Avec les gens, la communication est difficile. J’écris des sms sur mon portable mais c’est difficile. J’ai des amis qui sont eux aussi sourds et muets, à Marseille, à Nice. À La Ciotat, j’ai des amis qui entendent et j’arrive à parler avec eux. J’aime le foot. Je jouais bien, mais maintenant c’est fini, j’ai soixante ans. Je regarde le foot et je vais au stade. Je supporte l’OM. Je viens souvent à Bauduen voir ma famille, voir maman. Je l’aide à entretenir la maison. J’aime beaucoup être à Bauduen. C’est calme, tranquille. Je rêve de beaucoup de choses. Si je suis heureux ? Normal. Ça dépend des jours. Il y a des hauts et des bas. C’est difficile d’être sourd, de ne pas entendre. Je lis des livres un peu. Je vais sur Internet. J’y ai des amis. Nous communiquons par vidéo. Nous échangeons avec le langage des signes. Je suis content de venir dans mon village et de retrouver les gens. Ici, je vais me baigner dans le lac. »
« J’ai été à l’école à Nice, de 3 ans à 8 ans, puis après à Marseille, à l’Institut des sourds et muets, à côté de Notre Dame de la Garde, en dessous. J’y ai appris à parler, à écrire. J’ai appris le langage des signes. Ensuite, j’ai passé le Certificat d’études et j’ai été apprenti menuisier pendant trois ans. J’ai réussi le CAP à 17 ans et j’ai travaillé aux Chantiers navals de La Ciotat comme menuisier ébéniste à l’intérieur des bateaux. J’avais de bons camarades. Nous étions un bon collectif. Après, les Chantiers ont fermé, j’ai été licencié économique et j’ai trouvé du travail à l’Institut des sourds et muets à Marseille, comme homme d’entretien. J’y suis resté jusqu’à la retraite. »

Pensée magique et oloés

Biarritz9Dans la lumière presque estivale de Biarritz m’est venue une pensée magique. Photographier les oloés rencontrés, histoire de précipiter l’arrivée tant espérée chez mon libraire du livre d’Anne Savelli, dédié à ces lieux quelque part où lire où écrire. C’était une espèce de vœu fait en secret. Comme lorsque je croque le cœur d’une salade ou bien le Jésus d’un quartier d’orange ou bien les premières cerises de l’année. Surtout ne pas parler pendant le vœu. Fermer les yeux peut-être. Juste imaginer l’objet et laisser naviguer le désir au rythme de l’océan.