Shanghai est une statue de granit

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Elle trône au beau milieu de la cité la statue juste en bas de l’aire de jeux pour les enfants un couple figé côte à côte sans doute un papa et une maman une fillette toute pitchoune debout sur la jambe gauche de la maman tous trois le regard porté vers un petit livre que le papa tient dans sa main comme un téléphone portable rien à voie en fait c’est du réalisme socialiste à la chinoise tu penses que c’est le Petit livre rouge de Mao qui leur donne cet air souriant mais tu en doutes un peu quand même tu t’approches de la statue en granit et te juches sur le socle pour regarder de près le livre toi aussi il ne ressemble pas au petit bouquin plastifié tout rouge que parfois des antiquaires veulent te revendre pour quelques dizaines de yuans du coup tu doutes tu t’interroges tu ne sais pas ce que le livre de pierre peut bien signifier alors tu vas tenter de discuter avec un monsieur qui promène son chien essayer tant bien que mal avec les moyens du bord avec les mots que tu connais tu lui demandes en lui montrant la statue et la main du papa livre Shū rouge Hóngse Mao Máo et le monsieur ne comprend pas tu répètes Máo plusieurs fois alors il te répond que non c’est pas le livre de Máo et tu comprends après quelques minutes de flou de phrases d’où ne ressort aucun mot de toi connu tu finis par saisir que la statue représente l’enfant unique la politique publique de contrôle des naissances mise en œuvre par la Chine jusqu’à récemment 2015 tu crois le monsieur te fait comprendre qu’avant c’était un seul enfant et aujourd’hui deux on a le droit pendant qu’il te parle et que tu écoutes ses mots prononcés avec douceur tu remarques une petite fille aux chaussures roses elle est montée au pied de la statue et joue avec son papa tandis que te parviennent les cris et les rires d’autres minots qui jouent un peu plus haut ici en Chine les enfants sont des trésors chéris par les gens les hommes et les femmes les badent les gâtent parfois trop leur parlent avec beaucoup de gentillesse se penchent vers eux comme devant de pures merveilles ça se remarque dans leurs regards ils ont les yeux qui brillent mais parfois s’échappe presque imperceptiblement d’un visage d’adulte la tristesse de n’avoir pu avoir d’enfant ou bien de n’avoir eu le droit d’en faire qu’un seul comme le glorifie la statue de granit cette once de tristesse tu la perçois dans le regard du monsieur au chien il a une fille il te dit et point d’autre enfant elle est grande maintenant sa fille elle travaille elle ne vit plus avec lui et il repart en te souriant avec son petit animal noir au bout de la laisse et toi tu sais en secret la chance immense que tu as d’être trois fois papa.

Shanghai est une ombre chinoise

ombrechinoise

Tu les aperçois de loin en retournant récupérer ton vélo tu les entends les quatre petits garçons accroupis par terre là sur le parking à l’abri des allées et venues des scooters ils discutent ensemble ils se parlent en riant ils partagent la tiédeur du soir en attendant grand frère grande sœur ou parent et lorsque tu approches ils semblent soudain séparés par moitié deux solitaires le plus petit te tourne le dos l’autre captivé par ses cartes à jouer et les deux autres s’amusent à créer des personnages en ombre chinoise avec leurs doigts ils se font doucement peur sous le lampadaire doré qui les éclaire puis lorsque tu es juste à côté d’eux ils s’agitent à nouveau tous ensemble tu ne comprends pas tu les as peut-être effrayés tu ne saisis aucun de leurs mots ce soir tu demanderas comment se dit ombre  en chinois tu y jouais aussi à te faire peur dans le noir et la lumière quand tu étais petit il y a bien longtemps le lapin c’était facile le loup aussi tu te souviens le cerf plus difficile tu n’y arrivais pas toujours et le dragon comme ceux des petits garçons tes doigts ne savaient pas l’inventer d’ailleurs tu ne savais même pas que ça existait.

Shanghai est un glaneur de planches

glaneur

Toute la sainte journée à tourner en tricycle électrique sur les chantiers dénicher des planches usées inutilisables cassées des planchettes aussi des cloisons brisées des vestiges de parois qui séparaient qui dans les maisons qui isolaient qui de qui peut-être des enfants et des parents dormaient de chaque côté des grands-parents aussi qui sait ces planches procuraient à chacun un semblant d’intimité et aujourd’hui ils vivent où ces gens nombreux sont obligés de s’en aller on leur demande un beau jour de quitter leur logement sans traîner car ça construit à tour de bras ici des immeubles immenses avec bureaux des centres commerciaux aussi et pour construire d’abord il faut démolir les vieux lotissements en traversant certains quartiers il reste des montagnes de poussière et de gravats entassés tant et tant de planches à glaner puis à entasser le plus haut possible juste derrière le siège du tricycle comme une pyramide elles débordent sur les côtés elles sont ficelées à la six quatre deux tu te demandes comment elles ne s’écroulent pas lorsque le glaneur démarre son engin là il est électrique mais parfois tu en as vu sillonner la ville sans moteur le glaneur debout sur ses pédales rouillées appuyait comme au ralenti tellement c’était lourd parfois c’était une glaneuse ça grinçait là ça grince un peu aussi en freinant juste à l’entrée de la décharge comment il a fait pour freiner tu ne sais tu suis à vélo la cargaison sur un chemin plein de nids de poule et de boue d’abord la pesée à plein puis un copain aide à décharger en lançant les planches sur un tas qui grimpe elles claquent tu te demandes si elles passeront l’automne pluvieux si un jour cet hiver elles pourront encore réchauffer des hommes des femmes des enfants dans des maisons tant elles vont boire de pluie ces planches et lorsqu’il n’en reste aucune retour à la pesée à vide puis passer à la caisse et tendre la main à la dame qui tient les comptes son mari au tee-shirt violet te glisse quatre billets rouges de dix yuans en tout ça fait six euros pas plus dans la poche du jeune glaneur il repart la cigarette à l’oreille et en silence vers d’autres chantiers ce soir et demain encore il ne se couchera pas avec la faim.

Shanghai est une partie de cartes

Shanghai est une partie de cartes

Sept heures du soir presque désert le marché il pleut beaucoup dehors chaleur humide dedans au plafond les ventilateurs tournent à plein régime qu’importe la fatigue de la journée les commerçants espèrent encore quelques clients alors pour patienter un carton posé sur le bac à produits congelés et la partie de cartes commence pour quelques billets et de la menue monnaie un mano a mano avec deux spectateurs qui commentent en riant les cartes claquent tu ne sais jouer à ce jeu la dame au veston mauve pâle est en train de gagner il te semble parfois au bord des routes ils sont accroupis les joueurs de cartes ils crient fort les Chinois aiment aussi jouer à leurs dominos blancs aux caractères bleutés une parenthèse légère enfantine pimentée par les billets et les pièces qui circulent de main en main pas une fortune ils ne jouent pas leur vie ils ont gagné leur journée et ils s’amusent à voir les cartes pleuvoir à sentir le hasard et la malice se mêler à la moiteur de la fin de journée avant de fermer boutique à quelle heure tu ne sais pas ils recommenceront demain puis après-demain ainsi avance leur vie de commerçants dans ce marché de quartier qui ressemble à une maison difficile à quitter.

Shanghai est une poêlée d’épinards

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Te revoilà au marché couvert du quartier de Wei Jia Jiao venu acheter des pêches pour le plaisir de déguster leur chair blanche plaisir aussi de prononcer leur nom Taozi tu l’aimes ce mot c’est le premier mot de fruit que tu as appris Taozi Taozi tu le répètes comme un enfant en accentuant bien le a puis tu flânes dans l’allée de gauche derrière les marchands de légumes c’est un bazar discret aux étals colorés qui débordent de chaussures pantoufles ceinturons semelles bottes en caoutchouc culottes robes survêtements portefeuilles chaussons chaussettes rubans chargeurs de téléphone multi-prises blouses jupes robes brassières cartables bas soutiens-gorge vestes de chantier parapluie thermos cuvettes en plastique coques de protection de mobiles stylos crayons de couleurs tu manques de heurter une poêle posée par une dame sur une plaque électrique quelques filets d’huile et l’ail tranché commence à frire rejoint sans tarder par de belles poignées d’épinards frais elle te dit que c’est pour le repas du soir Wanfan ça se dit Wufan c’est le déjeuner elle sourit  en cuisinant la dame derrière elle son mari s’occupe d’émincer des carottes et de concombres sur une planche tandis que le fiston allongé sur un transat dans la boutique joue sur son téléphone le cartable rose et bleu posé sur une chaise tu te demandes s’ils dorment ici tous les trois tu n’aperçois pas de chambre pas de place pour des lits ils doivent rentrer chez eux après le repas lorsque le marché ferme enfin s’il ferme car en Chine parfois les commerces ne ferment jamais ça sent si bon dans l’allée tu connais la saveur délicieuse des légumes cuisinés ici il est dix huit heures ils dînent de bonne heure les Chinois dix huit heures c’est un peu tôt pour réveiller ta faim mais le parfum des épinards te donne envie d’en cuisiner tout bientôt pour les tiens.

Shanghai est un mendiant

mendiant

Voilà septembre derrière Papet sous le soleil chaud qui colle les habits à la peau dimanche premier octobre soixante-huit ans de République populaire de Chine soixante-huit bougies le premier à les souffler sous tes yeux ce mendiant édenté posé au premier carrefour il attend des pièces et il les désire de chacun de automobilistes qui s’arrête à sa hauteur il est accroupi et se relève avec difficulté puis avance comme au ralenti une gamelle en fer blanc brillant à la main et il sourit lorsque ses doigts se referment sur le billet que lui tend Noémie depuis quand demande-t-il ainsi l’aumône combien d’années Mao depuis son mausolée à Pékin sait-il que soixante-huit ans après son épopée des hommes et des femmes de cet Empire du milieu qu’il fit tant avancer sont échoués sur les rives d’une misère qui se tait abandonnés de tous saison après saison ici tu n’as jamais vu autant de voitures de luxe te passer devant les yeux sauf peut-être à Monte-Carlo et chaque année aux carrefours dans les recoins des piliers géants qui supposent un trafic routier affolant de bruit et de chacun pour soi des mendiants des sans-logis des sans-amour se posent et tendent la main le regard usé fatigué d’une tristesse sans mots qui fait peine dans ce pays où résonnent tant de rires la voiture redémarre vers d’autres carrefours demain il sera là encore tu le croiseras il y passera la journée et tu ne sais vers quel abri il s’enfuira la nuit tombée sur Shanghai soixante-huit ans après l’avènement de Mao.

Shanghai est un dragon roulant

Ce n’est pas encore le Nouvel An chinois non Papet pourtant un dragon géant approche du carrefour où tu attends de traverser c’est un camion déguisé en dragon avec une musique de cymbales et un air lancinant lâché par un haut-parleur et chanté par une demoiselle il te semble la voix est aiguë les paroles répétitives et le camion passe en se faufilant à droite des voitures qui bouchonnent puis s’éloigne vers les larges avenues qui se perdent à l’horizon de la ville tu as vu que personne ne porte attention à ce reptile sur roues à la gueule féroce dotée de crocs effrayants avec une large banderole bleue en guise de corps et des drapeaux multicolores pour former sa queue tu ne comprends pas ce qui est écrit dessus si au moins la banderole était rouge avec des caractères dorés une faucille et un marteau tu pourrais imaginer une déambulation de propagande mais là non tu ne peux l’associer ni au dragon céleste, ni au dragon spirituel, ni au dragon gardien des trésors, ni au dragon jaune ni encore au dragon terrestre tu découvres grâce à Noémie en rentrant à la maison que ce camion sonore est en fait un dragon très terrestre un camion publicitaire qui annonce l’ouverture prochaine d’un restaurant bon ça ne fait pas vraiment rêver alors tu te consoles en apprenant un nouveau mot chinois Lóng 龙 dragon les Chinois y croient beaucoup aux dragons ils les devinent et les observent parfois en levant les yeux au ciel et en regardant la danse des nuages.

Shanghai est une vendeuse de volailles en tricycle

Tu promènes dans une cité ouvrière coincée entre une avenue deux fois trois voies et un cours d’eau trop petit pour une rivière trop grand pour un canal l’eau est d’un vert sale laiteux et des déchets jonchent les berges l’odeur qui remonte est écœurante tu te rapproches des petits bouis-bouis où les travailleurs viennent déjeuner il est onze heures ils ont faim au boulot depuis cinq heures du matin ils sont ça sent bon autour de leurs tables ils parlent peu occupés à dévorer leurs plats et leur riz il est toujours délicieux le riz de Chine toujours tu poursuis ton chemin vers le fond de la cité saluer les vieilles dames et les vieux messieurs réunis dans leur foyer lorsque te parvient depuis la cour comme un cri un peu rauque il se répète approche une dame sur un gros tricycle électrique à plateau avec des canards des pigeons et des poules dessus emprisonnés ils sont dans des filets rouges rien que leurs têtes dépassent elle s’échappe vite vers la première ruelle de gauche la dame tu la retrouves un peu plus tard à l’entrée de la cité elle achète des fruits ses volailles sont sales et d’une tristesse à pleurer à côté de la plus grande oie un seau en plastique blanc pue la mort il y a des têtes de canards tranchées dedans et des abats tu plains ces pauvres bêtes et jures que plus jamais tu ne mangeras de canard laqué tu penses aussi tout honteux au foie gras des fêtes et rentres retrouver Raphaël tu l’emmèneras nager cet après-midi après sa sieste on va bien s’amuser dans l’eau tu feras semblant d’être un canard qui plonge en l’éclaboussant et ressort en souriant ton petit-fils te dira Papet encore et tu recommenceras plusieurs fois puis il nagera à tes côtés avec ses brassards bleus comme nagent les bébés canards tout près de leurs mamans.

Shanghai est une vieille dame des années trente

Tu le crois à peine Papet seulement quelques centaines de mètres en sortant du métro un parc coincé entre deux rues envahies de voitures de camions de scooters de vélos et de piétons un trafic de folie comme d’habitude et à l’angle de YanAn Lu et de Fumin Lu un sentier qui ondule vers une forêt miniature ornée de bosquets de parterres de fleurs tu vas vers une mare surmontée d’un pont de bois il y a une fleur de nénuphar une seule à la surface de l’eau verdâtre tu te glisses sous les arbres tu caresses leurs troncs ils isolent du bruit les arbres tu reviens vers la statue de José Martí héros national de Cuba ça sent Shanghai ce parfum qui tatoue la ville pendant deux semaines en début d’automne c’est le Guì Huā Shù l’arbre aux petites fleurs rondes et jaunes certains vieux Shanghaïens les cueillent et les mettent dans l’eau chaude à infuser tu te plais à prononcer Guì Huā Shù avec la dame qui vient s’asseoir à pas menus sur le banc juste à côté de toi elle te sourit gentiment elle rit même à pleine dents en t’annonçant qu’elle a quatre vingt six ans en faisant six liù avec ses doigts à la chinoise le pouce et l’annulaire dressés et les autres doigts repliés vers la paume elle est de trente en un la dame comme Papa tu te rends compte elle avait dix huit ans lorsque Mao a fait la révolution tu voudrais lui demander de te parler de ce temps-là le temps de sa jeunesse le temps de l’espérance savoir comment c’était Shanghai la Chine son quartier sa rue quand elle était enfant puis adolescente puis quand Mao a pris le pouvoir mais tu ne connais pas ces mots-là pas encore tu ne sais pas parler de tout ça il va falloir progresser en chinois Papet et continuer d’étudier la dame te montre toute contente ses courses dans des sachets plastique il y a un poulet et du tofu et des légumes verts les pattes du poulet dépassent ça fait peine puis elle commence à agiter ses jambes une deux une deux comme un petit enfant de maternelle assis dans sa cour d’école et elle se tapote les bras avec les mains toc toc toc les Chinois font souvent ça tu lui demandes si elle fait du Tai Chi oui mais là ce matin elle est un peu fatiguée à cause des courses elle a beaucoup marché elle te répond et maintenant elle commence à avoir faim et te dit au revoir en agitant sa main Zàijiàn tu la regardes s’éloigner vers la rue bruyante en longeant les Guì Huā Shù les arbres odorants tu prends ton temps de t’emplir de leur parfum délicat il t’accompagnera toute la journée.

Shanghai est un mantra sous le déluge

moines

Tu retrouves le temple Jing An Si sous une pluie battante presque chaude il trône entre les buildings ultra modernes les dorures des toits les carpes-dragons effrayantes les éléphants joyeux au-dessus des différents bâtiments qui le forment tranchent sur le gris des gratte-ciel tout autour le brouillard encercle même le sommet de l’un de ces immeubles géants on n’entend presque que la pluie tomber de partout tu te souviens il faisait beau les années passées les dames tenaient leurs parapluies pour se protéger du soleil les Chinoises n’aiment pas sentir le soleil leur mordre la peau elles se protègent aussi avec de larges chapeaux à volants tu te souviens des moines réunis au pied de l’une des statues de Bouddha pour un office avec leurs petites clochettes tu ne sais pas aujourd’hui où ils sont passés peut-être méditent-ils sur la pluie ses bienfaits pour les âmes des vivants et des disparus tu en aperçois un avec à la main un sac en papier rigide qui ressemble à ceux qu’on donne dans les parfumeries avec des échantillons dedans tu ne savais pas que les moines avaient le droit de sortir faire des achats tu ne connais rien à la vie des ces moines bouddhistes en haut de l’escalier géant qui fait face à l’entrée principale Bouddha tout en argent massif se repose devant les quelques fidèles venus s’agenouiller à ses pieds ils se recueillent un court instant en joignant leurs mains contre leur front et se penchent puis se relèvent une fois deux fois trois fois avant de s’éclipser certains déposent une pomme en offrande Bouddha ne bronche pas il a l’air d’apprécier mais ne le montre pas il y a des jeunes parmi les fidèles tu croyais que la religion n’intéressait que les vieux comme chez nous Jésus qui semble ne plus parler à grand monde sur tout à la jeunesse c’est peut-être dommage tiens l’orage approche tu t’assieds dehors sur une marche sertie de cuivre au pied de piliers gigantesques couleur caramel deux vieilles dames s’échappent en vitesse sous leurs petits parapluies fluo elles se trempent quand même elles ont fini de se recueillir tiens un moine passe en vitesse sur une coursive un peu plus bas avec un téléphone portable à l’oreille tu n’entends pas sa voix masquée par la pluie qui tape fort des touristes font des selfies une dame approche et te prend en photo elle te montre son écran tout sourire nous échangeons quelques phrases mi-chinois mi-anglais tu n’aimes pas du tout parler anglais en Chine mais là c’est amusant puis elle repart photographier Bouddha c’est si simple d’entrer en relation avec les gens ici sans chichi sans agressivité le brouillard a délaissé les immeubles la ville est livrée à l’orage qui ne cesse de s’installer tout là-haut et la pluie redouble de puissance sur le toit du bâtiment de droite les éléphants dorés sont tout sourire et les dragons-poissons voudraient avaler les quatre caractères gravés sur toute la largeur de la charpente qui les sépare dorés eux aussi étincelants à présent le ciel s’obscurcit et les gratte-ciel d’en face commencent à disparaître sous d’épais rideaux de pluie elle ferait du bien chez nous en Provence cette eau là où il n’est pas tombé une goutte depuis avril tu comprends pourquoi et comment les Chinois font pousser tant de beaux et bons légumes ici tu serais entièrement végétarien tu redescends maintenant en passant par les allées sur les côtés tu te hasardes vers le fond du temple où une ribambelle de cartons sont rangés à la six quatre deux devant de salles désertées les vestiges d’une grande fête tu imagines il y a des statuettes abandonnées des tentures pliées des livres de prière et des balais entreposés à côté tu avances vers la sortie à présent et tu entends percer à travers le vacarme de la cascade qui chute du toit en épais rubans blancs tu entends comme un murmure chanté qui peu à peu se transforme en prière en mantra tu marches lentement longes trois petites pièces aux larges fenêtres ouvertes et aperçois des moines vêtus de marron et de noir en plein office avec leurs clochettes et leurs minuscules tambours la cérémonie elles l’ont demandée à la mémoire de leurs défunts tu crois ces personnes aux regards tristes assises en face des moines aux têtes rasées et aux yeux d’où ne s’échappe presque aucune espèce d’émotion.