Vé, le livre d’Ervé !

ecriturescarnassieres

Vé ! C’est ainsi qu’à Marseille, ma ville natale, on sollicite le regard d’un autre sur quelqu’un ou quelque chose. Là, c’est pain béni de jouer de la rime : Vé Ervé, qué livre il a écrit ! Parce que oui, ses Écritures carnassières sont un livre qui vous prend d’entrée et ne vous lâche plus et qui vous réclame d’y replonger encore et encore. Ce livre, je l’ai dévoré et savouré en même pas une journée. Ervé fut un enfant sans famille, sans amour, sans repères. Depuis tout petit, son monde est celui des foyers, des travailleurs sociaux maufatans, des humiliations, de l’extrème violence de la rue, son univers de vie à Paris, là où il fait la manche pour survivre. Un univers de regrets, de rencontres belles et douces aussi, éclairé par tout l’amour qu’il porte à ses deux filles, ses deux poumons. D’une plume tantôt acerbe et sèche, tantôt vibrante, souvent poétique, jamais misérabiliste, Ervé se livre et raconte ce que fut son premier demi-siècle de vie. Ses textes sont teintés d’une grande tristesse, d’humour parfois, de mélancolie beaucoup. Ervé n’est pas tendre avec lui-même. Il nomme les dépendances qui l’accompagnent, désigne les souffrances qui le minent, l’espoir qui scintille en lui aussi grâce à l’écriture. Ervé nous parle de son intimité sans détour. Il pleure, il hurle tout à la fois sa colère et son besoin d’amour. Quand je remonterai à Paris, j’aimerai lui dire en face, au fond de ses yeux si bleus, que ses mots et ses phrases m’ont bouleversé et que je me languis de son prochain livre. Tè, pourquoi pas, Ervé ?

En attendant, voici lu à voix haute l’une de ses écritures carnassières, Code de la rue sans déroute (ou presque)

Ervélelivre

Écritures carnassières est publié aux Éditions Maurice Nadeau, dans la collection À vif

Photo d’illustration @DeRenom https://twitter.com/DeRenom

Farid, troisième hiver dans la rue à Marseille

Chaque matin, Farid s’installe sur la Canebière au pied d’un grand platane et fait la manche en proposant aux passants des cours d’anglais ou de russe en échange d’un billet de 10 euros. Sans famille, Farid n’a pas envie de raconter comment son parcours de vie l’a conduit à se retrouver ici. Très lucide sur le monde tel qu’il va, il ne perd pas espoir de retrouver un toit. À 52 ans, c’est déjà le troisième hiver qu’il passe dans la rue.

Balin-balan rejoindre ma madone

Bien bruyant le vieux TER. Balin-balan, il mène sa vie de petit train fatigué. N’est pas du tout pressé. Longe la mer, de gare en gare. Se repose un court instant et repart en grinçant. Seul dans la rame, les paupières closes, je m’en vais rejoindre ma madone.

TER

La madòna dau TER – Moussu T e lei Jovents

À Cannes non plus on ne bat pas en retraite

Estelle, hôtesse de l'airDans le centre de Cannes hier, je me suis joint aux quelques cent-cinquante personnes venues manifester contre la retraite à 64 ans. Retraité depuis avril 2016, je suis évidemment solidaire de celles et ceux qui ressentent comme une menace majeure ce projet de réforme injuste porté par nos chapacans de gouvernants. Parmi les manifestants, Estelle et Dominique. Non engagée politiquement, elle est hôtesse de l’air. Communiste, il fut enseignant. Pour eux non-plus, pas question de battre en retraite.

Les derniers sons reçus de ce monde

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En promenant sur l’île Saint-Honorat jeudi, après la messe des fondateurs de Citeaux, j’ai écouté les gabians et la mer et j’ai pensé à ce moine du cinquième siècle dont on raconte qu’il acheva sa vie dans une cellule isolée, à l’un des bouts de l’île. Les oiseaux et les vagues furent sans doute les derniers sons qu’il reçut de ce monde. Il s’appelait Caprais et fut compagnon d’Honorat, le fondateur de l’abbaye. L’une des sept chapelles de l’île a été baptisée Saint-Caprais.

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Je sais que des saints, il y en a une ribambelle. Je réentends ma grand-mère maternelle Zoé, catholique fervente, m’expliquer que les saints et les saintes sont des hommes et des femmes comme vous et moi, ordinaires, simples, qui ont choisi de se donner à Dieu en recherchant l’amour avec un grand A. L’amour de Dieu et de son prochain. Je revois les yeux de Mémé s’embrumer lorsqu’elle évoquait Saint-Lambert, le saint-patron de Bauduen, son village natal. Natif de Bauduen lui aussi, à la fin du onzième siècle, il se fit moine à l’âge de seize ans, vécut sur l’île de Lérins et fut nommé évêque de Vence. Chaque année, le 13 septembre, le village fête l’anniversaire de l’arrivée des reliques de Saint-Lambert, que les Bauduennois sont allés chercher à Vence, en procession et à pied, en 1634. Comment croire que les saints sont vraiment des gens ordinaires ?

Frères Benoît et Vincent de Lérins : une vie d’ascèse, de travail et de solitude

 

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Ils sont vingt et un, les moines qui vivent au monastère de l’île de Lérins. Leur vie est rythmée par la prière – sept par jour, dont la première à 4h30 du matin – le travail de la vigne et l’olivier, l’étude des textes et l’accueil du public. Tous ont choisi de mener une existence communautaire empreinte d’ascèse, de partage et de solitude. Jeudi, avant et après la messe, j’ai pu échanger un peu avec deux d’entre eux, Frère Benoît et Frère Vincent.

 

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D’un peu plus de huit hectares, le vignoble du domaine de l’Abbaye de Lérins se trouve dans la partie centrale de l’île. Les moines y perpétuent la tradition cistercienne de vinification parcellaire. 

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Les moines de l’Abbaye de Lérins commercialisent leurs vins et liqueurs dans une boutique sise non loin de l’église, ainsi qu’en ligne. 

 

 

Des moines ? Ainsi soit île !

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Je n’avais jamais approché un moine d’aussi près. Et plusieurs en même temps encore moins. Ce jeudi, ils étaient une vingtaine à partager leur messe matinale, en l’église de l’Abbaye de Lérins, sise sur l’île Saint-Honorat, au large de Cannes. Depuis seize siècles, une communauté de moines cisterciens y prie et y travaille. Leurs maitres mots : silence, recueillement, ferveur, partage. Jeudi, les moines avaient invité un chœur américain à chanter avec eux : The Gustavus Choir, un ensemble luthérien venu du Minnesota.

Que l’on croie ou non en Dieu, cette messe chantée a capella fut magnifique.

En voici quelques moments choisis.

La mer boulègue, mais…

merboulègue1

La mer boulègue, je m’émerveille mais il y a des mais…
Puissante, grisante, affriolante, affolante.
Ivresse de jeunesse, joie de minot.
Y plongerais, y nagerais, mais mon courage est givré.

Mais comment donc font celles et ceux arrivés de loin là-bas et qui s’échouent près de nos côtes ?
Comment traversent-ils ce calvaire, cet absence d’horizon ?
Et nous, comment continuons-nous à manquer de courage au point de les refouler, de les abandonner loin de nos yeux ?

La mer boulègue, mais l’ivresse et la joie deviennent honte et tristesse.

Comptine fugace

cerf-volant

Envolée plongeon chute ascension abysses galaxie ivresse vertige apnée chamade nuages vagues vent liberté suspens chance risque voyage hasard azur fil écume doigts serrés peur lâcher transparence rubans échappée tournis perte presque frise sarabande embruns rafales méli-mélo rêve d’enfant.

Comptine fugace. Faire sonner les mots par groupe de trois ou de deux, comme on veut. Trouver son rythme. Ajouter deux trois notes. Répéter à volonté.

Sourire au cerf-volant.

Un vrai Umarell marseillais

Umarell. J’ai découvert ce mot l’autre jour sur Twitter. Ne l’avais jamais entendu, mais il me plaît car avec ses deux « l ». Il sonne comme un mot catalan, un terme de la grande famille de l’occitan. En fait, Umarell vient du dialecte populaire de Bologne et décrit les hommes retraités qui passent leur temps à observer les chantiers de travaux publics, les mains jointes dans le dos.

Mon Pépé Paul – décédé en 1990 à l’âge de 90 ans – fut un vrai Umarell marseillais Je me souviens de ses escapades quotidiennes en trolley dans les années 60-70. Avec sa carte de la RATVM* au tarif retraité, il sillonnait Marseille de ligne en ligne et de chantier en chantier. Tunnel du Vieux-Port, construction du métro, rien ne lui a échappé. Au repas du soir, il nous faisait un récit détaillé de ses découvertes. Parfois, au lieu de m’accompagner à la mer ou de m’emmener à la pêche, Pépé me conduisait sur l’un des chantiers qui lui faisaient tant briller les yeux. Nous restions deux trois heures à bader le ballet des ouvriers sur les marteaux piqueurs, les grues et les pelles mécaniques. Je me souviens que nous ne disions mot devant ce spectacle et qu’au bout d’un moment, sentant que je fatiguais et me lassais sans doute un peu, il me lançait en roulant les « r » – allez Érrric, c’est l’heurrre de rrrentrrrer  !

Les chapacans qui nous gouvernent ne sont pas à une vilenie près : ils viennent de décider que c’est désormais à 64 ans, pas avant, que les travailleurs pourront partir à la retraite et donc entamer, s’ils le désirent, une carrière d’Umarell. Je ne vois guère qu’une grève générale pour tenter d’empêcher ces nuisibles de continuer à bousiller la vie des gens.

*La RATVM, Régie autonome des Transports de la Ville de Marseille, est l’ancêtre de la Régie des Transports de Marseille, aujourd’hui Régie des Transports Métropolitains

Photo d’illustration @Wikipedia : le trolleybus de la ligne 63 qu’empruntait mon Pépé au départ de chacun de ses périples. Il montait au Terminus Église d’Endoume près duquel nous vivions.