Je suis d’ici

Je suis d’ici
de la ville-pays
où les oiseaux caressent les statues

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où Hassen est mon frère

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comme Frank
comme Youssou
comme Igor
et tant d’autres

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je suis de cette ville où les fleurs poussent sur les murs

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où les licornes rosissent lorsque tu leur dis qu’elles sont belles

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où les ports sont quasi morts

je suis de cette ville-pays
où survivent les traces des combats de libération

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où la misère hurle à force de se taire

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où les cinémas ferment en attendant l’an que ven

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cette ville où nuit et jour la Corse s’invite après Planier

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je suis de Marseille
où en toute saison
fleurissent les rires des enfants
près de leurs coquillages

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Une rose et un haiku pour Aslı

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Ai approché cette rose
puis suis remonté vers les arbres
voir s’ils avaient changé
depuis l’an passé

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m’ont dit qu’ils pensaient à l’amour
qu’ils ne redoutaient pas
les jours qui s’égrènent
qu’ils avaient tout leur temps

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– craignons surtout les souffrances humaines
m’ont murmuré
les absorbons en silence
aurions envie nous aussi de crier

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j’ai pensé à la douleur d’Aslı Erdoğan
pas vu un seul arbre depuis août
et soudain trop d’arbres
trop de gens
Aslı qui doit trembler comme une feuille
car à nouveau devant les juges aujourd’hui

pour elle
vers elle
cette rose d’espoir
et ce haiku de Issa :

Rien qui m’appartienne
sinon la paix du coeur
et la fraîcheur de l’air

Commencer l’année auprès des arbres

Avec mes jeunes enfants, commencer l’année auprès des arbres
les approcher, leur parler, les photographier
et puis écrire des mots à eux dédiés en choisissant chacun une image et une musique

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Racines, par Zoé

Si seulement nous pouvions être aussi proches que les arbres, aussi solidaires qu’eux.
Liés par de puissantes racines, sous le sol et dans les airs.
Tout ce qui unit les arbres est invisible à l’œil nu mais pourtant si réel, si palpable.
Chacun cohabite avec l’autre, laissant d’autres racines venir à lui et allant à son tour vers d’autres.
Comme une forte envie de partir, de connaître d’autres horizons tout en revenant à ses racines à chaque fois.

Frank Sinatra – Witchcraft

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L’arbre vert, par Marius

Cet arbre est resté si longtemps vert que l’on a toujours cru qu’il était une laitue.
Ses branches ont l’air tellement craquantes que j’imagine qu’elles sont des gressins.
C’est l’arbre du bonheur et de la faim.

Nekfeu – On verra

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Ta première île, par Éric

Regarde l’île sur la peau de cet arbre
là, tout en haut
toi qui vis désormais si loin de la mer
que les embruns ne te parviennent plus
qu’à fleur de souvenir
rappelle-toi ce voyage vécu loin des clairières
là où battait ton sang
retrouve le ressac des aubes d’été
tu approchais de la Corse
ta première île découverte
la revoilà
immobile et en paix
le blanc de sa lumière comme une caresse
inscrite sur l’écorce
touche-la
chéris-la
ose naviguer tout autour de crique en crique
de port en port
embarque avec toi les visages qui s’embrassent
là, tout en bas
ils se souviendront de tes pas jusqu’ici
ils n’oublieront pas ton regard
ils parleront de tes baisers
l’arbre a tant de mémoire

I Muvrini – Diu vi salve Regina

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Te retrouver ici et là-haut

 

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C’est donc ainsi
encore une année sans toi
la troisième
en naîtront d’autres où tu vivras encore
chaque jour et chaque nuit

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retournerons à la mer
sur ces rochers qui se souviennent
de la femme que tu fus
de l’enfant que j’étais
des baignades et des embruns
des gabians et des crabes
des aubes et des midis et des crépuscules
à écouter ensemble

 

nous repartirons aussi en montagne
approcherons des sommets
monterons marcher dans la neige

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prendrons le temps de retrouver ces lacs
qui gardent en mémoire
le reflet de ton regard émerveillé
face aux silence des cimes

 

 

 

encore une année sans toi
mais chaque seconde de ma vie
te nomme et te ressuscite
c’est donc ainsi

 

Une femme libre, c’est si dangereux

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Provisoire
liberté provisoire
remise en liberté provisoire
Asli Erdogan sous le choc
hier à Istanbul

après plus de quatre mois de prison
l’écrivaine turque va pouvoir se reposer un peu et se soigner
jusqu’au 2 janvier
lundi prochain
date de la nouvelle audience de son procès

provisoire sa liberté
mais
dérisoire le nombre d’heures qui la séparent
du retour devant les juges
lundi c’est déjà presque demain

provisoire
ce mot affreux
il rime presque avec parloir
mais il pourrait aussi s’accorder avec grimoire
histoire de jeter un mauvais sort
aux immondes tyrans qui s’acharnent sur Aslı
un grimoire pour changer le cours de son histoire

pour qu’advienne un miracle
surgisse comme une renaissance
comme une étoile neuve dans le ciel de l’an nouveau
pour qu’Aslı puisse assister libre la semaine prochaine
à la publication par sa maison d’édition, Actes Sud
du recueil de ses articles traduits en français
sous le titre le Silence même n’est plus à toi

en attendant le miracle
j’écoute Springsteen en boucle
sa voix déchirée
ses mots qui sortent des enceintes et qui racontent les vies fanées
les destins défaits par la violence du monde
les crève-coeurs quotidiens
les larmes trop douces pour les raisons qui les font couler

dehors la ville se prépare à la fête
quelle fête ?
une année de plus à regarder le monde tomber en morceaux
les puissants décider pour les impuissants
l’injustice monter sur le podium
les mille et une façons d’user de la violence recueillir toutes les médailles

et pourtant mercredi Jacqueline a retrouvé la vie libre qui lui était due
et pourtant hier soir Aslı a obtenu un sursis
retrouvé les bras de sa mère-courage
offert son doux visage épuisé à la brise du Bosphore
caressé un chat
bu le vin de la liberté
souri aux fidèles, aux bienveillants, aux épris d’humanité comme elle

une femme libre, c’est si dangereux
quelle insoutenable menace pour la tranquillité des vils
des accapareurs, des corrompus, des assassins, des moins-que-des-hommes
une femme libre ça marche en robe légère
ça danse les bords de trottoir
ça saute dans les flaques d’eau
ça dit non
ça porte sa voix plus loin que des murs de prison
ça hurle de rage et d’indignation
ça serre les poings et ça les lève droit vers les tyrans
ça les regarde dans les yeux
ça prononce leur nom
ça raconte et ça écrit sur les pages de livres qui voyagent
et se partagent et se multiplient et témoignent, témoigneront, auront témoigné
seront là pour nous le dire encore et malgré tout
malgré le silence, l’indifférence et le malheur des jours sans lumière :
qu’une femme libre, c’est la grandeur du monde

* Aslı Erdoğan dans les bras de sa maman à sa sortie de prison

Photo copiée sur la page Twitter de Seray Şahiner

 

Les murs parlent de toi, Aslı

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Il y a des combats violents
pour libérer la parole
les murs parlent de toi, Asli

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tant de visages ont disparu
tapis dans les murmures
des palissades froides où tu survis, Aslı

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parfois un cœur s’accroche
en solidarité vivace
des amoureux de la liberté comme toi, Aslı

Le procès d’ Aslı Erdoğan s’ouvre aujourd’hui à Istanbul. L’écrivaine turque est emprisonnée depuis le 17 août, poursuivie pour « atteinte à l’intégrité de l’Etat » et « propagande en faveur d’une organisation terroriste » pour avoir collaboré avec le journal Ozgür Gündem, qui soutenait des revendications pro-kurdes. Comme huit des prévenus jugés avec elle, Aslı Erdoğan risque la prison à perpétuité.

 

Game over

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À peine évanouis les rires de la fête
rencontrer le chagrin des jouets délaissés
dérisoires cadeaux
fugaces embrassades
rêves trop vite éteints
ici enfants gâtés
là-bas abandonnés
ce monde est à pleurer

Rosa et Angelo

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J’ai bien connu Angelo
grandi au village lui aussi
dans la dernière maison avant la falaise
posée au bout d’un chemin avec vue sur la mer
murs épais comme des chênes millénaires
toit fragile de tuiles maigres
le regard bleu pâle il avait
perçait jusqu’au creux de mon âme et de mon ventre
le jour de rares oiseaux se hasardaient sur les étendoirs
Angelo leur parlait en les peignant
les guettait et imitait leur chant
la nuit entendions le canon
la grande guerre nous laissait transis
mais lui non
encore trop jeune pour partir
la peur rodait
lui ne tremblait pas
il souriait et continuait de peindre
des aquarelles d’abord
les personnages naissaient dans un drapé d’eau et de pigment
les toiles devenaient de plus en plus hautes au fil des mois
se juchait sur un tabouret
jamais le vertige
je l’accompagnais en silence dans son atelier
Rosa tu es si belle il me disait
mes yeux s’embuaient à chaque fois
le dimanche je posais nue pour lui
je grelottais
il me caressait des yeux
ne me touchait pas
il n’osait pas je crois
me donnait un baiser sur les cils en fin de séance
se serrait contre moi à la messe
je nous entendais respirer plus fort
l’hostie avalée il se signait
ne me quittait pas des yeux
repartait à reculons vers les maisons de riches où l’attendaient ses chantiers
ne me les montrait jamais
me disait le bonheur de donner vie à des anges
me racontait les arbres et les oiseaux
me nommait les couleurs
un jour il a fini par partir à la guerre
je ne l’ai plus jamais revu
la paix revenue mon père m’a marié à un vieux marquis
m’a cloitrée dans une immense villa en bord de falaise
aux murs décorés de larges fresques
au sommet du ciel j’ai deviné un A caché derrière un nuage bistre
il y a quelques secondes j’ai entendu la voix d’Angelo remonter de la mer
je me suis approchée de la fenêtre sans volets
happée par la lumière blanche je me suis envolée le rejoindre parmi les anges du ciel .

Cette photo, L’ultimo imperatore est signée Romain Veillon.