Sans voix devant ces photos d’Alep

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Manu Brabo / AP

Je reste sans voix
face à l’horreur
de ces photos d’Alep

adolescent
je fus un jour à Buchenwald
muet déjà
face à l’indicible de l’Holocauste

de retour mon père me parla d’Hiroshima
du massacre des Indiens d’Amérique
il me raconta les guerres de religion
le goulag
la torture en Algérie
les doigts coupés de Victor Jara

un jour il me parla d´Oradour
de Gernika
plus tard je découvris Sabra et Chatila
Srebrenica

mon père me nomma aussi les hommes de paix
Gandhi
Martin Luther King
Mandela

et puis il me fit écouter Lennon
Dylan
et Jean-Sébastien Bach

aujourd’hui
je ne peux rien lire
rien écouter
sans avoir envie de pleurer
impuissant et honteux
devant ces photos d’Alep

il me faudra pourtant
je le sais
continuer à croire en l’humanité
parler d’amour à mes enfants
leur raconter les tragédies
leur nommer l’innommable
leur dire le martyre du peuple syrien
leur montrer les photos d’Alep
et espérer un monde de paix

SYRIA-CONFLICT

Ameer Alhabi / AFP Photo

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Ameer Alhabi / AFP Photo

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Abdalrhman Ismail / Reuters

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Manu Brabo / AP

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Hosam Katan / Reuters

 

 

 

La petite route de montagne

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Toujours aimé me rapprocher des frontières
de l’ailleurs à portée de pas
des coins reculés du monde
l’Espagne pas loin dimanche dernier
une escapade en montagne
les Pyrénées
l’horizon à flanc de cime
la petite route glacée pour monter au village
s’y parla longtemps et s’y parle encore un peu de ci de là le parler d’ici
l’occitan joli

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Edelweiss sur la cheminée
on en trouvait tant au pays montagneux de mon grand-père
de l’autre côté de nos Alpes
de l’autre côté de l’autre frontière
celle qui ouvre sur la Suisse et l’Italie
les langues y roulaient leurs r

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montagne de Corse aussi
l’Île blanche
sans autre frontière que la mer
la patrie de l’autre grand-père
cette Corse au teint de feu
aux saveurs de châtaignes
et cette langue belle et douce
chantée par les poètes
apôtres de paix

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tout là-haut cet après-midi-là
suivre la marche du soleil
approcher en silence visages inconnus
saluer leur mémoire
puis se remettre en route
s’éloigner de la frontière
redescendre sur cette petite route glacée
où se croisent encore parfois nos semblables
comme une apparition

Liberté pour Aslı Erdoğan

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À Paris, Bordeaux, Nantes, Brest et tant d’autres lieux hier-soir
des femmes et des hommes sont venus crier Liberté pour Aslı Erdoğan
partout a été lue une lettre de l’écrivaine turque
écrite depuis la prison pour femmes d’Istanbul
entre maison de fous et léproserie
où elle est enfermée depuis juillet
accusée de terrorisme
elle risque la prison à vie

hélas pas pu me rendre à l’un de ces rassemblements
alors, en solidarité et en soutien à Aslı Erdoğan
j’ai lu un extrait de Le visiteur matinal
l’une des nouvelles de son recueil Les oiseaux de bois

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À la Maison de la poésie à Paris
la maman de l’écrivaine était là
émue et digne
devant elle, Françoise Nyssen, Présidente d’Actes Sud
a tenu à témoigner
c’est elle qui édite Aslı Erdoğan

Je suis venue vous dire qu’Asli a trouvé sa maison chez Actes Sud,
un abri, un foyer, un recours.
Nous publierons bientôt un texte qui a été interdit jusqu’à aujourd’hui en Turquie,
et nous continuerons de le faire.
Asli est un écrivain – elle a une patrie mais elle est sans patrie ; elle a écrit des livres magnifiques sur Rio et Genève, elle écrit sur la mort, sur la douleur des gens .
Lisez-la, et vous comprendrez qu’elle ne PEUT être une terroriste.

Yigit Bener, ami intime et traducteur d’Aslı a parlé lui aussi

Face à tant d’oppression, il nous reste la dérision.
On m’a toujours dit :  » Ah, mais tu ne ressembles pas à un turc » , à Paris comme en Turquie. Inch’Allah – je souhaite un avenir moins sombre pour tous les écrivains et les journalistes – il nous faut à toute force la solidarité dans le monde et la liberté d’expression en Turquie. Il faut faire, et encore faire, et ne jamais cesser de faire.

Aujourd’hui, Aslı Erdoğan vit avec des problèmes de circulation sanguine
elle souffre d’une infection des poumons, d’une hernie discale et d’hypoglycémie
elle est menottée pour aller à l’hôpital et parfois le médecin n’est même pas là
elle connait la solidarité qui est née en Turquie et dans le monde
ce qui compte énormément pour son moral et dans sa solitude
son audience est prévue pour le 29 décembre

Actes Sud publiera ses chroniques littéraires  – qui lui ont valu d’être arrêtée – en janvier prochain sous le titre Le silence même n’est plus à toi
elles ont été lues hier soir à la Maison de la poésie par Céline, une comédienne turco-française

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Chaque matin sur Twitter, je poste une photo de ciel pour Aslı Erdoğan
comme je le fis il fut un temps avec des fleurs pour l’artiste chinois Ai Weiwei
je continuerai tant qu’elle ne retrouvera pas la liberté

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* Anne Savelli, Mathilde Roux, Joachim Séné, Pierre Cohen-Hadria, dédient une page à sur leur site L’aiR Nu

* Tous les matins à 8 heures, le magazine Diakritik met en ligne un texte par jour, jusqu’à la libération d’Aslı Erdoğan, avec le titre On n’enfermera pas sa voix

 

 

 

 

 

 

L’amoureux des perroquets

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Enfant, ses amis l’appelaient Jean-des-oiseaux
toujours entouré d’oiseaux il était
une vraie volière, sa maison
aujourd’hui, Jean-Michel-perroquet lui irait très bien
très bavard le Monsieur
et surtout amoureux des huit spécimen qu’il côtoie
de sa salle à manger à sa véranda
de sa cuisine à son jardin
parmi eux, Charlie, un perroquet amazone à front bleu

 

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La place

La place sur laquelle vous allez avancer est le texte de ma contribution au nouveau cycle d’atelier d’écriture que François Bon vient de lancer sur son site le tiers livre.
Le thème tient en quatre lettres : le lieu.
Ou comment « appréhender le lieu en tant qu’acteur même de la narration ».
François nous propose une consigne. Une seule. Parler du lieu choisi en une seule phrase-paragraphe. Avec un seul signe de ponctuation : le point-virgule.
Bienvenue sur ma place.

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Il n’y a plus de place sur cette petite place ; on n’y respire plus l’air des tilleuls et des platanes ; envahie elle est de voitures de motos et de cacas de chiens ; de graffitis aussi ; nous y vendions l’Huma le dimanche-matin ; Maurice arrivait le premier ; il habitait à deux pas dans un immeuble La Savoisienne ; il était postier ; il avait fait la Résistance ; mon père me l’avait raconté ; Franc Tireur Partisan ; Maurice en parlait rarement ; sinon lui venaient les larmes aux yeux ; nous arrivions d’en bas avec Louis ; il habitait tout près de la mer ; il passait me prendre ; nous amenions les journaux ; nous tournions le dos à la rade et montions vers la place en sifflant ; Louis était cantonnier ; le jour de mon Brevet il m’a accompagné en mobylette au lycée Pagnol ; orange la mobylette ; il fumait beaucoup ; une derrière l’autre ; juste avant d’arriver sur la place nous longions l’Impérial ; j’y ai vu tant de westerns ; mangé tant de frigolos à l’entracte ; aujourd’hui ce cinéma est mort ; devenu une Maison pour tous ; sur la gauche de la place une école faisait angle en surplomb ; elle a disparu elle aussi ; ils ont construit une banque à la place ; Louis connaissait chaque rue d’Endoume ; chaque habitant de chaque maison de chaque rue ; Louis était le roi du quartier ; le roi de la place ; L’Huma se vendait comme des petits pains ; le muguet du 1er mai s’arrachait lui aussi ; quand on avait fini on buvait un casa ; on trinquait à la santé du Parti ; le bar n’existe plus ; agence immobilière à la place ; il ne reste plus que Loulou, le coiffeur pour hommes et Aldo le marchand de raviolis ; le trolleybus s’arrêtait juste devant notre petite table de camping sur la place ; c’était le 63 ; le traminot nous taquinait ; Duclos vous passe le bonjour il lançait ; il roulait les r comme lui ; Ginette la fleuriste à côté de Aldo rigolait ; maintenant  le trolley ne passe plus ; un jour ils sont venus démonter les rails en l’air ; un bus a pris le relais ; Ginette est morte il y a deux ans je crois ; on l’a retrouvée un soir sur la place ; inanimée ; une affichette à vendre est collée sur sa vitrine ; lettres noires sur fond rouge pâle.

Elle te dit

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Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés

elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance

sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin

tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps

Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».

Ta petite pièce

Tu rentres en métro
tu as chaud
tu dormiras au chaud
tu as regardé du beau aujourd’hui :
Vincent Van Gogh

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Frédéric Bazille

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ce beau traverse le temps
il imprime les siècles
il respire l’éternité
ce beau imprègne l’humanité

tu as chaud au cœur, donc
et voilà que tu lèves la tête vers l’homme
qui te tourne le dos dans le métro
et qui va te tendre la main

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cet homme aura froid cette nuit
il dormira dehors
et la pièce de deux euros que tu lui tends ne suffira pas
à apaiser sa faim de chaud, de beau et d’humanité.

Alep crie fort

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Il a été blessé à la tête dans les bombardements
mais il ne le montre pas
250.000 personnes, dont 20.000 enfants en bas âge, risquent de mourir de faim
à Alep-est dont il est le maire
mais il ne pleure pas
sa ville brûle,
plus un seul de ses 7 hôpitaux bombardés fonctionne
mais il ne hurle pas
La Russie et la Chine ont dit non
à des pourparlers sur la Syrie
mais il ne s’énerve pas
il dit que si le conseil de sécurité reste les bras croisés
ce sera un permis de tuer

ce que réclame Brita Hagi Hasan
d’une voix calme et ferme
c’est que nous autres citoyens
envoyions des messages à notre président,
descendions dans les rues,
organisions des manifestations

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Brita Hagi Hasan est venu nous parler d’Alep hier-soir
en mairie du 2ème arrondissement de Paris
nous étions quelques poignées de femmes et d’hommes
oui, à peine quelques poignées

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dont Jean-François Bernardini
le chanteur corse d’I Muvrini
le militant de la paix et de la non-violence
auteur de « Alep s’endort » chanté vendredi dernier
au Zénith de Paris

au-delà du sublime de cette chanson
reste en moi un profond sentiment de honte et d’impuissance
méme si de nombreuses associations appellent à manifester
en solidarité avec la population d’Alep
ce samedi 10 décembre
partout en France
c’est le moins que nous puissions faire, avouons-le
en regardant Alep mourir.