L’Espingoin* – Christophe Sanchez

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J’ai découvert ce texte de Christophe Sanchez début avril à l’occasion des Vases Communicants
l’ai lu et suis resté les yeux pleins de larmes
comme s’il me parlait de mon grand-père immigré lui aussi
n’arrivait pas d’Espagne mais de Zürich
rêvant de liberté lui aussi
pauvre lui aussi
ouvrier agricole lui aussi
m’évoque mon père aussi
traité de Boche dans sa jeunesse

sur le blog de Christophe, ai relu ces phrases tendres et rudes et fières
et me suis lancé dans leur lecture à voix haute
en glissant mon émotion et ma gratitude à leur auteur sous un petit mouchoir sang, or et violet
en hommage aux Républicains espagnols

* La photo qui précède le son est celle du drapeau des Républicains espagnols en exil, jusqu’en 1977. Celle qui illustre ce son, Terre d’Espagne, provient de l’un de mes récents voyages en Aragón.

À fleur de rue

À écouter le monde en ces temps de grisaille
la vie semble rester collée en bas
à fleur de rue
parmi les flaques, la crasse, et les pavés muets
se demander comment laver tout ça
quand nettoyer à grande eau tout ce qui nous encombre
les esprits et les âmes et nos pauvres corps usés
comment et quand faire du beau, du neuf, qui nous plaise à toutes et à tous
d’abord se laisse happer par l’appel de la rivière
imaginer la mer, là-bas où elle se jette
et où elle ne cesse de finir ses jours
s’y jeter les yeux fermés et oser plonger ensemble
ne pas avoir peur de toucher le fond
ensuite repartir, marcher, errer, debout
en récitant les vieux slogans
« sous les pavés, la plage »
« la beauté est dans la rue »
et puis inscrire en soi les nouvelles phrases vivantes
« mais comment attendre quand le monde tombe »
« il devient fou celui qui ne fait rien de sa peine »
« tapez révolte sur votre clavier et sortez dans la rue »
« la liberté est notre bien commun »
« demain commence ici »

Le toit d’en face #6

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Le toit d’en face
se souvient de Gagarine *
premier pilote de l’espace

* Je revois comme si c’était hier ce 12 avril 1961
lorsque Youri Gagarine voyagea dans l’espace
sa combinaison orange, CCCP sur le casque et son sourire paisible
mon père était fier comme tout
– une victoire de nos idées, il m’avait dit après avoir écouté la radio
je n’avais pas bien compris
parce qu’à même pas 7 ans, le communisme c’est très flou
et l’espace fait tourner la tête
une sorte de vertige des hauteurs
je me souviens de cet instant de gêne, de décalage
mon père ému et moi qui de Gagarine, en secret, ne retenais que le sourire timide et les deux premières syllabes, gaga, en me disant que oui, il fallait être fou pour se laisser enfermer dans un vaisseau spatial et aller se promener autour de la terre

six ans plus tard, en septembre 1967, je crois bien que mon père m’avait emmené applaudir Gagarine lors de sa venue en Provence
c’était à Aubagne, dont le maire, Edmond Garcin, était instituteur et communiste comme lui

Vieux platane

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À force de subir le tocsin
tu te noues de dedans
vieux platane troué de chagrin
tes bras déployés cherchent
le peu de sève qu’il reste
à offrir à la croix
pourtant sans avoir l’air
tu arbores étonné
de petits rameaux verts
puisse le printemps t’offrir
oiseaux sur le feuillage
et souffles de désir

Lui

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Cette blessure à vif
cette trace foncée à fleur d’écorce
raconte un manque d’ailes ou un amour
les deux peut-être

l’arrêt brutal de la lame
signe le remords ou la mort
sans tracer le t final
qui aurait sorti de l’obscurité
la main accrochée au canif

lui
aurait pu aussi se nicher
à côté d’elle
dans pluie
la main n’aurait pas tremblé
légère
pour dessiner les lettres absentes
p
e
juste à côté de la tache noire
gravée telle une larme oblongue

et cette croix griffonnée à la hâte
comme on se signe paupières closes
lorsque le tattoo saigne
lorsque le couperet claque
sur la peau et les os
lorsque le silence n’a plus de lettres
pour dire le définitif

je sais qu’à travers les rameaux s’envole
le cri sourd des arbres blessés
mêlé aux voix des trépassés
offertes pour consoler

 

 

Lecture sur canapé #1

Je n’ai pas toujours aimé lire
minot, ça me barbait, les livres
ceux qui étaient au programme me passaient souvent à cent mille lieues au-dessus de la tête
Stendhal, Flaubert, Balzac, pour ne prendre qu’eux, ne me parlaient pas
ne me concernaient pas
ne m’émouvaient pas
mon père m’obligeait à les lire et je m’y ennuyais profond
je préférais construire des cabanes, y inviter les demoiselles, étudier l’allemand, écouter Bach, aller à la mer ou accompagner mon grand-père à la pêche
je me souviens quand-même de quelques bonheurs de lecture
La complainte de Rutebeuf
Les calligrammes d’Apollinaire
Le Dormeur du val et Les Illuminations de Rimbaud
Paroles de Prévert
les poètes donc avant tout
les nouvelles et les romans sont arrivés plus tard
parce que tous choisis
alors aujourd’hui
j’aime lire
dans le train
au lit
aux toilettes
et surtout, j’aime lire allongé sur le canapé

je ne sais si la vidéo amène un vrai plus par rapport au son seul publié sur ma page Soundcloud
mais je sais que ça m’amuse de parler sur YouTube de livres que j’ai aimés
en commençant par cette découverte forte d’un livre, non pas de poésie mais de combat, dévoré d’un seul trait
Le Bateau-usine de Kobayashi Takiji

2006 – Sur « les Champs Élysées du sud »

 

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«… Pour le moment, c’est du carton. Les hommes qui passent ici, les véritables, ceux en os et chair, semblent perdus au milieu de la réalité virtuelle dessinée par les architectes… »

Le billet qu’Arnaud Maisetti a publié hier, titré Marseille | République en carton (grave) m’a renvoyé 10 ans en arrière. Précisément au temps où je podcastais.
Tchatchcast ça s’appelait.
Au printemps 2006, j’avais consacré le dixième épisode aux habitants de la rue de la République, alors en plein chantier.
Futur tramway et réhabilitation.
Se dessinait alors bien concrètement le devenir gentrifié de cette artère haussmannienne entre Vieux Port et Joliette.
Un devenir en carton si bien décrit par Arnaud Maisetti, dix ans après.

Photos (texte & et son) @Arnaud Maisetti
Ses Carnets se découvrent ici
Le suivre sur Twitter @amaisetti

 

Terre debout

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Terre debout
toi aussi jour et nuit prépares les lendemains
surtout, qu’ils s’en souviennent
les veilleurs des VillesDebout
tu travailles après les soins des hommes
tes sillons absorbent la sueur versée
tes grains et tes mottes tremblent
remuée, sarclée, bêchée, labourée, ensemencée
prête es
à remplir nos pauvres bouches en jachère
terre nourricière
terre d’avant
terre de nos ancêtres sans frontières
terre de nos désirs d’après