Voyageuses

Fendent l’air en triangle
les grues cendrées
de retour vers le nord
parfois font demi-tour
puis repartent à l’endroit
ivres sans doute de tant d’oxygène
de tant de caresses aux nuages
les salue et les envie, ces voyageuses
frileuses et courageuses
côtoient les vents et les courants
ne redoutent que les aigles
épousent les saisons

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Ce monde

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Repartis les enfants
joues chaudes et douces
cheveux picotés de bruine
baisers vite envolés
le quai soudain délaissé
les rails muets
les yeux vides
le monde enfui

Sans savoir pourquoi
j’aime ce monde
où nous venons pour mourir

Natsume Sôseki (1867-1907)

Lance-toi

Vieux pont rouillé
ouvre grand tous tes yeux
au ballet de la rivière
n’en perds pas une goutte
savoure la fraîcheur qui glisse entre tes jambes
rappelle-toi comme s’agitaient tes nervures
lorsque rails te parcouraient
lorsque vapeur t’inondait
avec claquements et sifflets
n’oublie pas les bleus tachés des cheminots
souviens-toi des gamins aux casquettes
les agitaient en riant au passage des trains
laisse-toi caresser par l’eau vive
imagine les chemins qui conduisent à la mer
emprunte-les sans redouter le pointu des galets
ne crains pas les goulets
ne tremble pas dans les tourbillons
lance-toi vers l’aval
offre-toi aux descentes
arrime-toi aux couleurs de la rive
ose t’abandonner aux senteurs du large

Épuisé(e)s

Remington

Épuisée
abandonnée depuis des lustres
ne me souviens plus où l’ai croisée
ignore quels doigts elle accueillit
combien de pages elle noircit
quels mots elle rythma
n’entendrai jamais le clac clac de ses pattes
imagine sa fin après sa fin
fourguée chez un ferrailleur
délaissée dans un entrepôt
muette au fond d’un musée
échouée au large parmi les épaves
ou adoptée par un poète aux yeux épuisés

Pris de vitesse

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Se dorait tranquille
pattes écartées
paupières closes
s’abreuvait d’un bol de soleil
après tant de froidure
tant de gouttes par seaux
se prélassait comme un pacha
rien que pour lui les tuiles
l’embarras du choix

m’a pris de vitesse
ai déclenché trop tard
enfui le petit lézard

Fugace

Par la fenêtre de ma chambre
s’approche l’invisible flot
des récits tus
des merveilles ignorées
des paroles niées
des rêves déchirés de silence
j’ai beau me hisser vers la lune
rien d’autre ne flotte dans la nuit
que la trace d’un espoir fugace
s’enfuira dès le jour revenu