Rimbaud dans mon sac à dos

Je pars m’installer face aux montagnes
paisible
sans d’autre présence que le silence
et les mots de Rimbaud tirés de mon sac à dos.

RÊVÉ POUR L’HIVER

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup…

Arthur Rimbaud – En wagon, le 7 octobre 1870

Sur les hauteurs du monde

Comme un appel au cœur de l’absence
te réécouter parler de la montagne
me réfugier à tes côtés
m’étonner du frémissement de la neige
des roches et des herbes
faire le vide et le remplir de tout ce que tu savourais
sur les hauteurs du monde
monter t’y retrouver.

Tormenta

neigeNewYork

New York City
Nueva York
cesser de mâchonner ici
recracher le chewing-gum sans suc
langues chaudes
rabâcher les sept syllabes
se les mettre en bouche et en nez
saliver
jouir jusqu’à l’envol
New York City
Nueva York
Snowzilla
blizzard
congères
neige jusqu’au bas ventre
Ground Zero mais haut désir
baisers à la pelle
empoigner
plonger
prendre
soulever
coups de reins
lancer loin
tracer passages
racler jusqu’au goudron
souffler
New York City
Nueva York
grelotter près des clochards
traîner parmi les errants
lèves gourdes
yeux gelés
partager un café
revenir aux mots
prononcer
New York City
Nueva York
puis tormenta
tempête en espagnol
tormenta.

Photo @AP/Julio Cortez

Le vieux mûrier

vieux mûrier

Vieux mûrier tremble
verse larme
rameaux partis
taillés
ne reviendront plus
rayés de la carte des tendres années.
Verdure rare lorsque l’été roulait son feu partout
les après-midi
rues désertes alors
à l’angle de la demeure
ruée sous l’arbre aux fruits noirs
y grimpions aussi parfois
petites grappes croquées à chaudes lèvres
dents bleutées
revenions le soir nous y embrasser
contre le tronc
à la fraîche.

Ne pleure plus, vieux mûrier
nous survivras
ne l’oublie pas.

Réfugiés *

Réfugié au dessus de la baie vierge de tout radeau
il rêve et se délecte de la caresse des vagues
la paix règne enfin sur chaque parcelle de mer
sur chaque récif rose
sur le moindre grain de plage
sur le moindre morceau de rocher bleuté où s’accrochent les gabians.

Muets, eux n’oublient rien
ils gommeraient bien les jours d’avant
les jours violents
les nuits emplies de manants, de marchands
ils effaceraient bien la salissure des heures à cauchemarder
le tumulte des pas enchevêtrés
les hurlements, les bousculades, le fracas des coques
le chaos du troupeau jeté au bout de la traversée
les pas sur la neige et le gel
les meurtrissures
le sang imprime leur mémoire comme l’encre envahit le buvard.

Sans faire de vagues en terres tranquilles
nous zappons les pleurs et les cris
ignorons leur écho
ne bougeons pas
ne changeons rien
nous laissons porter dans le flot fade des indifférents
déglutissons nos vies repues
ignorons jusqu’à quand
nous nous réfugierons dans la honte.

* Correspondant pour Radio France à Beyrouth, Omar Ouahmane a tweeté ce matin cette photo depuis l’île grecque de Lesbos où il est en reportage auprès des réfugiés.

Le suivre sur Twitter : @ouahmane_omar

Parfois

Parfois couché avec les poules
parfois agité par la lune
parfois entouré d’obscur
parfois posé parmi les feuilles
parfois sec comme une brindille
parfois collé au mur
parfois surpris par le vertige
parfois muet devant la page
parfois emporté par la rage
parfois muré dans le silence
parfois bercé par un refrain
parfois repris par le sommeil
parfois ballotté par les vagues
parfois saoul de mistral
parfois rapté par les embruns
parfois levé de bonne heure
souvent las de ma lassitude.

Almost blue – Chet Baker

Auprès des chouettes

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Roder auprès des chouettes
se jucher avec elles sur les poutres des granges
au sommet des campaniles
oser le rebord des gouttières
poser ses griffes où gèle la pluie
grelotter de tout son être
attendre que la lune tourne sa face
hululer sur les balcons ouverts à l’aplomb des jardins
promener le regard vers les prairies endormies
guetter les proies
débusquer les cibles
fondre sur le silence amassé en contrebas
secouer ses plumes
garder la tête bien droite dans l’ampleur de la nuit
deviner l’heure du retour vers la cachette
se résoudre à l’absence de lumière.

Photo : La petite chouette d’Albrecht Dürer – aquarelle sur parchemin (vers 1502)