Hiver de misère

neigehélico

hiver du tonnerre
se promène en montagne parmi les ruines d’un vieux fort
tout là-haut accroché sous le soleil
l’herbe encore douce sous ses pas
à peine un pull sur ses bras
soudain sursaute, le fracas d’un moteur
vibrent les roches
tremblent ses pieds
s’approche l’oiseau de fer et son rotor
n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux
là, en contrebas de la paroi
l’hélicoptère livre de la neige

bientôt porteront de l’eau à la mer
du sable au désert
hiver de misère.

© photo Anabelle Gallotti- Radio France

Atardecer

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Atardecer

Le frère vespéral du matinal, ce joli mot castillan. L’instant où le soleil se faufile vers l’ultime ligne de l’horizon. Il nomme le coucher de l’astre comme  le crépuscule.

Atardecer, atardecer, atardecer
Je le préfère un peu à son presque jumeau car il offre deux roulements de r, lui.
Atarrrdecerrr

Parfois je les roule trop et mes amis espagnols en rient.

À la suite de son a initial, se pointent les cinq lettres qui signifient tout à la fois tard, l’après-midi et le soir.

Atardecer

Comme un souffle de lumière lancé à la nuit qui s’installe sans tarder.
La noche et ses mots murmurés et ses rythmes secrets.

Amanecer

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Beaucoup parlé espagnol – castillan – ces derniers jours. Plaisir goûteux, toujours, de changer de ciel et de logiciel. En fais mon miel. Me laisse dérouter par nouveaux sons et rythmes et tournures. Accepte de ne pas comprendre lorsque le tempo accélère trop fort. Alors, ose demander de répéter. Por favor. Ensuite, lorsque me retrouve seul, prononce à voix basse les mots découverts. Plusieurs fois. En prenant mon temps. Ne peux résister à leur ronde dans ma bouche. Hier, ce fut Amanecer.

Amanecer, amanecer, amanecer
je le lance en boucle ce mot qui ouvre sur la promesse de la lumière, d’une nouvelle journée, de la vie qui se poursuit
l’instant de l’aube

Amanecer
amorce du jour
pour dire cer, prends soin de caresser du bout de la langue le tranchant des dents
puis fais-la vite repasser derrière, vers le palais, pour rouler le r
cerrr
Amanecerrr
cerrr
n’oublie pas de mettre juste un peu plus de poids là-dessus
avec un è comme le è de notre cerf

Amanecer, amanecer, amanecer
oui, c’est ça
délicat et fugace câlin de langue au petit matin
servi bien doux
suave, si

Amanecer
l’instant où le jour se lève
il faut tenter de dire.

Manquer

manquer

En manque de désir d’écrire fus longtemps
en panne de mots,
flux à l’arrêt, tu sais

– Man, que me dis ?

Oui, dénué de sons et de couleurs, à court de souffle
tout vide, en cale sèche
du coup, resté à quai, clavier grippé, écran muet
rendez-vous des carnets séché

Jusqu’à ce lever de matin doré de janvier
sang en accéléré
feu relancé

Neuf mois jour pour jour après, passage à l’acte désiré

Cette éclipse, de peu manqué la prolonger
pas loin de louper encore le train d’écriture
wagon vide, gares désertes, tant de voies sans issues
jusqu’à ce frémissement de voix jailli de dedans l’obscurité

À quelques battements de cœur près, nous nous serions encore manqués, qui sait ?

Tenter, s’il te plait, oser.

Le ventre du père

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Le ventre du père connait le désert
Ne s’habitue pas au désert
Abhorre le désert
Hurle dans le désert

Déchiré lorsque le train s’en va
Les rails gémissent leur meurtrissure
Quai tremblant
Quai vide
Déserté soudain

Toc toc sur la vitre du train
Sourires arrachés au pas de course
Lampes rouges tout au bout
Talons tournés dans l’autre sens
Quelques minutes à peine et tombe le silence
Enfants partis vers là-haut

Le ventre du père voudrait semer
Récolter en toute saison
Brasser les graines en amples grappes

Le ventre du père
Maudit la coupure
Vomit la fêlure

Le ventre du père rêve de balancelles
De lents baisers aux fronts de miel
De mots apaisés et de temps sans compter

Revienne le temps des locos fumantes
Dans la nuit aux écharpes offertes
Quand le père était enfant ébahi

 

 

Il serait temps

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Six mois déjà
Tourbillon de vide au-dessus des galets où tu as disparu
Ne parviens pas à l’approcher, ce vide
Reste les bras glacés
À l’arrêt
Il faudrait pourtant oser le frisson
Se décider à glaner parcelles de lumière
Tenter les ricochets sur l’étendue de l’abîme
Il serait temps

Six mois déjà
Parfois ta voix sourit à mes phrases
Comme un refrain de confiance
Une comptine d’enfance
Passe au ralenti
Démultiplie les graves
Souligne les contours évanouis
Il faudrait pourtant bercer le silence
S’accommoder de la portée déserte
Ranger le ressac
Il serait temps

Six mois déjà
Les chemins s’ouvrent sur les traces où tu demeures
N’arrive pas à suivre la boussole
Reste l’aimant figé
Les aiguilles bloquées
Il faudra bien pourtant tenter de passer
Se lancer vers les murmures des arbres
Y graver ton souvenir brûlant
Jusqu’au cœur du cœur de l’écorce
Il sera temps

Franchir encore la ligne rouge

« Les chambres à gaz point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale. » Il a remis ça ce matin à la radio, le fondateur du FN. Nausée. Une nouvelle fois. Exaspération aussi. Pourquoi continue-t-on à ouvrir micros et caméras à cet individu qui se vautre dans la haine et la négation de l’histoire ? Pour passer ma colère, je ressors ce texte publié il y a quelques mois suite à une ènième poussée de saloperie.

La ligne rouge

Ils viennent de me passer les menottes. Je grimace à l’intérieur des lèvres. À peine mal mais je grimace de cette douleur sourde qui affleure depuis si longtemps à chacun de ses mots barbares. Elle se taira maintenant cette douleur. Car il ne parlera plus jamais.

Garde du corps je fus de cet homme-là pendant quinze ans. Recruté à ma sortie du régiment de paras. Il était venu faire son marché in situ dans la cour de la caserne. Connaissait bien l’endroit car il avait été para lui aussi. L’Indo. L’Algérie.

– Cherche un gars baraqué et courageux, un gars qui en a dans le pantalon, il avait dit en riant de sa bouche humide et ridée.

J’avais fait l’affaire. Ça n’avait pas traîné. Choisi surtout parce que ma peau est très foncée.

– Ça clouera le bec à tous ceux qui me traitent de raciste, il avait lâché devant le colonel. Sans même me regarder dans les yeux.

J’avais dit oui parce que j’aime les défis. Fils de Tirailleur algérien je suis. Mon père libéra Marseille aux côtés des Tabors marocains. L’assaut à Notre-Dame de la Garde en août 44, il en fut. Patriote il s’était dit. Ça m’avait bien plu. J’aime ma patrie moi aussi. L’avais salué au garde-à-vous. Ensuite, j’étais parti du régiment à ses côtés. Avions marché au pas je crois en avançant vers sa voiture. Lui, fredonnait un chant militaire.

« Contre les Viets, contre l’ennemi

Partout où le devoir fait signe

Soldats de France, soldats du pays

Nous remonterons vers les lignes »

 Je me souviens. Il m’avait d’entrée glissé quelques gros billets dans les poings et montré ma chambre. Une piaule à l’étage de sa propriété aux murs blancs gardés par des chiens aussi baveux que gros. Leur ressemblait un peu je trouve.

– Tu dormiras là. Je te sonnerai. Tiens-toi toujours prêt. Je voyage beaucoup. Tu m’accompagneras partout. Je suppose que tu sais conduire ?

Chauffeur je fis aussi. La grosse Mercos, ça se conduit tranquille. Lui derrière à passer ses coups de fils. Toujours le costard impeccable, la cravate qui va bien, la pochette au revers assortie. Une forme d’élégance qui jurait dès qu’il ouvrait la bouche et que pleuvaient les insultes au téléphone. Lui derrière à engueuler le monde entier. Moi devant à le mener à ses réunions, ses meetings, ses rendez-vous d’affaires. Lui derrière à baver ses « bougnoules, négros, citrons, youpins, etc… » S’excusait à peine ensuite, mais un peu quand même.

– Toi, tu n’es pas pareil. Tu es fort. Tu es un soldat, il me disait.

C’est vrai que je suis un para et que je ne crains personne. Il pouvait compter sur moi lorsque nous arrivions quelque part et que ça brassait sévère aux abords des salles de meetings. Il était attendu. Banderoles, affichettes et slogans y’avait : « Le fascisme ne passera pas ! » je lisais. Comprenais pas bien. Connaissais pas le fascisme. Jamais trop été à l’école, moi. Je le protégeais, lui traçais sa route jusqu’à l’entrée et surveillais les allées et venues dans la salle, le calibre en veille dans son étui, là, côté cœur. Au retour dans la Mercos, me demandait de mettre l’un de ses disques préférés. Les éditait, je crois. En allemand ça chantait. Il fredonnait derrière en remuant la tête. Ne connais rien à l’allemand mais c’était entrainant. Comme des marches militaires.

Quinze ans, donc, ça a duré. Jamais eu à me plaindre de cette vie malgré les hurlements et les insultes. Ai appris à les endurer. J’en ai dans le pantalon, donc ne me suis jamais laissé traiter de melon. Mais ce soir, il a franchi la ligne rouge avec son « Monseigneur Ebola qui peut régler en trois mois le problème de l’explosion démographique ». En reprenant le volant, je lui ai fait remarquer que ça n’était pas joli de parler comme ça des gens qui souffrent. Que dans le temps, en France aussi ils faisaient beaucoup de minots. Lui ai parlé de mon père Tirailleur algérien.

– Ferme-là, sale négro, il m’a lancé. T’occupe pas de ce que tu ne comprends pas !

Les flics ont gardé mon calibre. Les menottes me serrent un peu aux poignets mais je me sens soulagé. Lui, il vient de repartir dans une ambulance. À la place de derrière, comme toujours. Je viens de lui coller une balle dans la bouche.

 

 

 

Eric Schulthess

Calligraphie tremblante

Elles sont passées sans prévenir
Bien au-dessus des toits
Calligraphie tremblante
Hésitante et pourtant
Points de suspension lancés dans le ciel bas
Comme un essaim éclaté
Une noria de nuages éparpillés au vent
Une flotte de barques accrochées à leur cap antique
De retour de pays plus chauds.

Mentons tendus vers ce large V gris foncé
Nous avons écouté les grues chanter.

Se rapprocher du printemps.

Oublier le toscin

Soudain, ce matin
Après tant et tant d’enterrements ici depuis janvier
Tant de tocsins lancés sur la ville
Tant de messes
De sanglots
De sorties les pieds par devant,

Soudain, ce matin
La grâce d’un tout petit bébé
Tout juste né ou presque
Il sommeille
Dans la poussette de sa maman de retour au travail
Épicière elle est
Joues rosies
Grâce autour du front et des yeux
De retour au travail parmi les légumes, les fruits et les fromages de pays
Et son minot tout mimi juste à côté de la caisse
Elle se pince de le voir si beau
Elle lui dit qu’il est gentil
Patient un peu
Il a les joues rosies comme elle.

Soudain, ce matin
Les embrasser
Oublier le tocsin.