Papa est parti au pied d’un arbre

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Première fois que je réentends sa voix depuis qu’il est parti, il y a trois mois jour pour jour. L’enregistrement date d’il y a presque un an, précisément du 4 juin dernier. Nous sommes à table. Finissons de déjeuner. Papa a peu mangé. N’a même pas fini son verre de rouge. Il est très fatigué. Vit tout seul dans son appartement depuis bientôt cinq ans. Très fatigué mais d’une lucidité, d’une précision dans la pensée et d’une sagesse qui m’autorisent ce jour-là à capter ce qu’il dit de la mort, de cette fin de vie qu’il sent se rapprocher, de l’éventualité d’un Dieu et de l’après, qu’il ne nomme pas l’au-delà.

Tout comme ma Maman, mon père ne croyait pas à l’âme.

Il avait 89 ans lorsqu’il a rejoint le Grand Tout. Au pied d’un arbre, comme il le désirait.

Sur l’arbre

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Juché sur la cime qu’attends-tu vieux voyageur des forêts vers quels horizons tournes-tu ton regard de cyclope étonné tu as pris le temps d’arpenter les sentiers bleus des matins tu t’es glissé entre les précipices tu as frôlé les crevasses du monde et tu l’observes à présent figé d’étonnement ou de stupeur ou de froid qui sait rien ne te protège des tempêtes à venir rien pour t’abriter lorsque approchera en silence à travers les nuages enfantins et les nuées d’oiseaux le grand tremblement qui d’un coup d’un seul nous enveloppera tous de ce noir où tout sera à réécrire repeindre réinventer.

Photo de ci-haut : « On the tree » , œuvre de HiroshiTachibana

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Ce miracle

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Juste avant la naissance du crépuscule il arrive que des mots s’échangent en silence d’arbre à ciel et de feuilles à lune toi aussi tu parles au chaud de ton désir que tes yeux s’ouvrent demain encore sur ce miracle.

Shanghai est un homme-arbre

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Peu lui importe que le saxo s’applique à suivre le flow de la sono dans un petit kiosque à côté rien ne le dérange l’homme-arbre est concentré tu l’aperçois d’abord de dos en flânant près du pont des amoureux il semble se frotter le dos à l’écorce d’un arbre élancé planté là parmi des dizaines de variétés tu ne connais aucun de ces arbres ne sais en nommer aucun pauvre de toi en apprécies seulement la fraîcheur et la paix l’homme- arbre tu le vois en face à présent il fait corps avec le tronc les jambes écartées les pieds vissés au sol en recherche de force d’énergie montée de dedans la terre son regard est fixe tourné vers lui-même il s’écoute et écoute les pulsations lancées en lui par cet arbre qui l’accueille tu te revois auprès des chênes de chez toi lorsque tu montes au-dessus de la ville avec ton amoureuse et que ça fait tellement de bien de se sentir ensemble entourés d’arbres et d’oiseaux aussi tu les entends autour de l’homme-arbre qui poursuit sa quête silencieuse tandis que le saxo continue de lancer sa musique tu la fredonneras sans doute cette mélodie chinoise lorsque tu rentreras et toi aussi tu tenteras de ne faire qu’un avec les arbres qui t’entourent.

Vieux platane

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À force de subir le tocsin
tu te noues de dedans
vieux platane troué de chagrin
tes bras déployés cherchent
le peu de sève qu’il reste
à offrir à la croix
pourtant sans avoir l’air
tu arbores étonné
de petits rameaux verts
puisse le printemps t’offrir
oiseaux sur le feuillage
et souffles de désir

Lui

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Cette blessure à vif
cette trace foncée à fleur d’écorce
raconte un manque d’ailes ou un amour
les deux peut-être

l’arrêt brutal de la lame
signe le remords ou la mort
sans tracer le t final
qui aurait sorti de l’obscurité
la main accrochée au canif

lui
aurait pu aussi se nicher
à côté d’elle
dans pluie
la main n’aurait pas tremblé
légère
pour dessiner les lettres absentes
p
e
juste à côté de la tache noire
gravée telle une larme oblongue

et cette croix griffonnée à la hâte
comme on se signe paupières closes
lorsque le tattoo saigne
lorsque le couperet claque
sur la peau et les os
lorsque le silence n’a plus de lettres
pour dire le définitif

je sais qu’à travers les rameaux s’envole
le cri sourd des arbres blessés
mêlé aux voix des trépassés
offertes pour consoler

 

 

Arbre muet

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De tes yeux sans pitié
dévisages le monde
vieil arbre muet

as vu passer amours et guerres
sans trembler ni crier
blessures au clair

raconte-moi la vie de ceux
qui s’approchaient tout près
riches et gens de peu

dis-moi s’ils te caressaient
en te racontant leurs vies
ou ne faisaient que passer

Ce serait … un prunier sauvage *

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Ce serait un prunier du Japon
aurait choisi d’offrir ses fleurs
aux moines d’un temple perché

Ce serait un prunier de Chine
se serait posé près des places
où rodent et hurlent les voix tues

Ce serait un prunier de Dakar
aurait migré vers les boubous
qui embrassent les âmes fières

Ce serait un prunier de Paris
ressusciterait les barricades
pour raviver les combats perdus

Ce serait un prunier de Marseille
prendrait ses quartiers au nord
où la lumière saigne souvent

Ce serait un prunier d’Avignon
se loverait près des remparts
où divaguent de belles rêveuses

* Je dédie ces quelques vers à Brigitte Célérier, auteure des superbes « Ce serait » publiés depuis août 2014 par Jan Doets sur son site Les Cosaques des Frontières.

Brigitte fait vivre aussi le blog « Paumée » que je prends plaisir à feuilleter chaque jour.