Toujours attiré par les cimetières où que j’aille ils m’apaisent nourrissent mon imagination m’emplissent de questions de mélancolie et de compassion m’y sens humain quelquefois même davantage qu’en compagnie de nombre de vivants dans les jardins du repos comme certains disent ici le silence se goûte les tombes brillent et comme chez nous les oiseaux parlent aux disparus non-loin de chez Noémie dans une rue bordée de vieilles vendeuses de fleurs et de haricots en vrac à même le trottoir de chiens maigres et sales d’usines en sursis de boutiques biscornues d’un dépôt de déchets de restaurants de fortune mon vélo m’a conduit devant un large portail vert foncé à peine un peu plus sombre que le vert de l’islam portail ouvert apparemment pas gardé l’ai franchi au ralenti aperçu des statuettes blanches des angelots je crois me suis donc aventuré vers les tombes alignées à leurs pieds petites de taille égale et sur la plupart des médaillons ovales les photos des défunts en noir et blanc peu en couleur puis avancé dans les allées soignées ornées de bosquets d’arbustes d’arbres entretenus avec soin jusqu’aux carrés immenses de bâtiments aux toits couverts de tuiles du même vert que le portail réservés à l’accueil des cendres les urnes abritées derrière des dizaines de milliers de plaques noires du marbre peut-être alignées les unes sur les autres et les unes à côté des autres posées au cordeau plusieurs bâtiments des photos ovales là aussi quelques croix chrétiennes des coupelles pour offrandes ou pour bâtonnets d’encens quelques minuscules pots avec fleurs fraîches certains délaissés depuis combien de temps un ou deux bonsaï noyés dans la multitude vingt huit millions d’habitants à Shanghai combien de départs pour toujours et puis des dates inscrites en doré à côté des caractères dorés gravés eux aussi les noms et prénoms des morts tu crois bien le calme répandu partout comme une bulle silencieuse sur un océan de bruit de fond où tu te replonges en sortant quelques tours de roues et la rue s’offre à nouveau le crépuscule approche tu retournes près des tiens là où la vie bat fort où il n’est point encore l’heure de penser à la mort.
cimetière
L’oiseau du cimetière
Comme par enchantement
l’oiseau s’est juché là-haut
juste en face de toi
là où depuis un mois
reposes en paix, mon Jacques
sur l’arbre vigie des tombes
il est venu te conter
les joies et les regrets
les espoirs et les tourments
les souvenirs et les silences
qui peuplent nos journées
et nos nuits ici-bas
Au cimetière du Père Lachaise
Jamais venu ici auparavant. Quelquefois promené non-loin du Mur des Fédérés aux côtés de mon père. Me racontait la Commune de Paris, Gavroche, ce salopard de Thiers, mais jamais entré dans cette ville dans la ville. 70.000 tombes à ce qu’il paraît. Un labirynthe. Un enchevêtrement d’allées pavées. Un foisonnement de tombes, de tombeaux, de stèles, de plaques. Peu de fleurs. Des oiseaux. Beaucoup de mousse. Nombre de sépultures en ruine. Une impression d’abandon. Suis allé écouter ce cimetière géant, saluer les Communards, les communistes, les déportés assassinés, Jean Baptiste Poquelin dit Molière et Jean de La Fontaine, Frédéric Chopin et Guillaume Apollinaire, Paul Éluard et Alain Bashung, Michel Petrucciani et Pierre Desproges. Aurais bien fait un clin d’oeil à Amadeo Modigliani mais le crépuscule m’a poussé vers la sortie.
Le Mur des Fédérés. Cherché les traces de balles. Imaginé le carnage.
Jean-Baptiste Clément. Fredonné sa chanson.
Jacques Duclos roulait les R.
Paul Éluard né Eugène Émile Paul Grindel
Buchenwald. M’y rendis dans ma jeunesse. Impérissable souvenir.
Molière l’immense impertinent.
Apollinaire. M’accompagne depuis l’adolescence.
Chopin. Pas un jour sans l’écouter.
Bashung. Déchirant écorché.
Petrucciani. Virevoltant.
Desproges désarmant.