J’ai découvert hier que c’était la Journée nationale de la Résistance. Me suis souvenu que c’est mon instituteur de père qui m’a appris à le lire ce mot. Juste avant que j’entre à la grande école, je crois bien. Écrit avec un R majuscule. Toujours. Ces dix lettres, je les avais découvertes dans l’Humanité laissée sur le rebord de la table. Imprimées peut-être à la Une. En dessous de la faucille et du marteau. Tout minot, je cherchais tout le temps des mots à déchiffrer, à reconnaître et à mémoriser. Puis à prononcer à voix haute. Pour le plaisir de les dire. Il fallait m’arrêter tellement j’étais bavard. Je fouinais dans les livres, je cherchais des mots nouveaux dans les revues et donc dans l’Huma. Résistance. Papa m’avait ensuite appris à l’écrire. Plus tard, il m’avait raconté. Il était enfant sous l’Occupation, à Marseille. Pas encore communiste. Fils d’ouvrier arrivé de Zurich dans les années 20 et pas du tout politisé. Papa avait revisité ses souvenirs. Je le réentends me dire qu’une image l’avait frappé à l’époque. Une affiche rouge collée plusieurs fois sur les murs de son quartier de Saint-Just. L’Armée du crime. Missak Manouchian. Il m’avait parlé des Résistants. Des Francs Tireurs Partisans – Main d’œuvre immigrée. Des Espagnols, des Arméniens, des Italiens, des Hongrois, des Polonais, aux côtés de Français. Il m’avait dit qu’ils étaient vingt-trois à s’être fait arrêter par les nazis, qu’ils étaient morts en héros, et qu’ils avaient refusé d’être fusillés les yeux bandés. Lui le fils d’immigré, il m’avait demandé de ne jamais oublier ce que les étrangers avaient fait pour libérer la France. Je lui avais promis que je garderais toujours en mémoire Missak et ses camarades.
L’affiche rouge – Louis Aragon – Léo Ferré