Les derniers sons reçus de ce monde

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En promenant sur l’île Saint-Honorat jeudi, après la messe des fondateurs de Citeaux, j’ai écouté les gabians et la mer et j’ai pensé à ce moine du cinquième siècle dont on raconte qu’il acheva sa vie dans une cellule isolée, à l’un des bouts de l’île. Les oiseaux et les vagues furent sans doute les derniers sons qu’il reçut de ce monde. Il s’appelait Caprais et fut compagnon d’Honorat, le fondateur de l’abbaye. L’une des sept chapelles de l’île a été baptisée Saint-Caprais.

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Je sais que des saints, il y en a une ribambelle. Je réentends ma grand-mère maternelle Zoé, catholique fervente, m’expliquer que les saints et les saintes sont des hommes et des femmes comme vous et moi, ordinaires, simples, qui ont choisi de se donner à Dieu en recherchant l’amour avec un grand A. L’amour de Dieu et de son prochain. Je revois les yeux de Mémé s’embrumer lorsqu’elle évoquait Saint-Lambert, le saint-patron de Bauduen, son village natal. Natif de Bauduen lui aussi, à la fin du onzième siècle, il se fit moine à l’âge de seize ans, vécut sur l’île de Lérins et fut nommé évêque de Vence. Chaque année, le 13 septembre, le village fête l’anniversaire de l’arrivée des reliques de Saint-Lambert, que les Bauduennois sont allés chercher à Vence, en procession et à pied, en 1634. Comment croire que les saints sont vraiment des gens ordinaires ?

Frères Benoît et Vincent de Lérins : une vie d’ascèse, de travail et de solitude

 

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Ils sont vingt et un, les moines qui vivent au monastère de l’île de Lérins. Leur vie est rythmée par la prière – sept par jour, dont la première à 4h30 du matin – le travail de la vigne et l’olivier, l’étude des textes et l’accueil du public. Tous ont choisi de mener une existence communautaire empreinte d’ascèse, de partage et de solitude. Jeudi, avant et après la messe, j’ai pu échanger un peu avec deux d’entre eux, Frère Benoît et Frère Vincent.

 

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D’un peu plus de huit hectares, le vignoble du domaine de l’Abbaye de Lérins se trouve dans la partie centrale de l’île. Les moines y perpétuent la tradition cistercienne de vinification parcellaire. 

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Les moines de l’Abbaye de Lérins commercialisent leurs vins et liqueurs dans une boutique sise non loin de l’église, ainsi qu’en ligne. 

 

 

Des moines ? Ainsi soit île !

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Je n’avais jamais approché un moine d’aussi près. Et plusieurs en même temps encore moins. Ce jeudi, ils étaient une vingtaine à partager leur messe matinale, en l’église de l’Abbaye de Lérins, sise sur l’île Saint-Honorat, au large de Cannes. Depuis seize siècles, une communauté de moines cisterciens y prie et y travaille. Leurs maitres mots : silence, recueillement, ferveur, partage. Jeudi, les moines avaient invité un chœur américain à chanter avec eux : The Gustavus Choir, un ensemble luthérien venu du Minnesota.

Que l’on croie ou non en Dieu, cette messe chantée a capella fut magnifique.

En voici quelques moments choisis.

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Papa est parti au pied d’un arbre

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Première fois que je réentends sa voix depuis qu’il est parti, il y a trois mois jour pour jour. L’enregistrement date d’il y a presque un an, précisément du 4 juin dernier. Nous sommes à table. Finissons de déjeuner. Papa a peu mangé. N’a même pas fini son verre de rouge. Il est très fatigué. Vit tout seul dans son appartement depuis bientôt cinq ans. Très fatigué mais d’une lucidité, d’une précision dans la pensée et d’une sagesse qui m’autorisent ce jour-là à capter ce qu’il dit de la mort, de cette fin de vie qu’il sent se rapprocher, de l’éventualité d’un Dieu et de l’après, qu’il ne nomme pas l’au-delà.

Tout comme ma Maman, mon père ne croyait pas à l’âme.

Il avait 89 ans lorsqu’il a rejoint le Grand Tout. Au pied d’un arbre, comme il le désirait.

Cent vingt-trois ans

Mémé

Mémé a cent vingt-trois ans aujourd’hui j’en parle au présent oui elle vit toujours Mémé même si voilà plus d’un quart de siècle qu’elle a rejoint le Paradis dont elle me racontait la beauté et la simplicité née en dix-huit cent quatre-vingt quatorze Mémé Zoé est très croyante ça l’aide à vivre sa vie depuis sa jeunesse perdre un promis parti à la Grande Guerre à vingt ans elle ne s’en est jamais remise heureusement sa foi l’accompagne tout le temps elle pleure beaucoup à la messe Mémé elle renifle en fermant les yeux et en serrant fort ses doigts quand elle récite ses prières je voudrais bien la consoler mais je n’ose pas il y a ses copines juste à côté et puis le curé est en train de parler bon Mémé elle sourit parfois quand je fais des grimaces pour la faire rire à la sortie de la messe au village et puis aussi à la maison lorsque je dis nianiourt au lieu de yaourt en l’imitant parce qu’elle ne sait pas prononcer yaourt comme il faut cette façon de se distinguer vient peut-être de l’enfance quand elle et ses camarades n’avaient pas le droit de parler provençal à l’école interdit la maîtresse se fâchait il fallait parler français sinon coups de règle sur le bout des doigts alors aujourd’hui elle résiste à sa manière nianiourt elle dit comme un pied de nez enfantin à ce passé violent le Provençal elle le parle avec son amie Clara sur le banc en face de la Poste lorsqu’elles se retrouvent l’été je les écoute c’est une langue qui chante qui sonne joli le Provençal Clara elle est devenue institutrice Mémé aurait voulu faire ce métier elle aussi mais elle a dû partir loin du village travailler aux bouchons à La Garde-Freinet juste après le certificat d’études pour aider à nourrir ses frères après la mort du père ensuite elle a fait femme de chambre bonne à tout faire à Aiguines chez des châtelains et puis droguiste à Marseille ça lui plaisait le commerce la droguerie le contact avec les clients à la retraite elle s’est beaucoup occupée de nous ses trois petits enfants succulents ses légumes farcis et sa soupe au pistou j’en garde la saveur intacte tout comme le bleu ciel de son sourire sa voix hélas non je tente de la rappeler à moi en fermant les paupières Mémé est là assise à tricoter devant moi ses lèvres bougent elle me parle de derrière ses lunettes mais je n’entends rien si seulement j’avais pensé à l’enregistrer comme pour Maman sa fille je pourrais l’écouter à volonté n’empêche je la vois très nettement souffler ses cent vingt-trois bougies et entamer sa portion de gâteau avant d’aller se poser un peu sur le fauteuil dans sa chambre lire quatre pages de son roman puis siester le visage paisible rêver peut-être à Bauduen son cher village natal et à son promis rejoint au Paradis.

Joli merle siffleur

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Chaque matin que le ciel fait espérer
ou Dieu, qui sait ?
chaque lendemain que l’Univers nous offre
dans sa tragique splendeur
et sa cruelle misère
tu reviens
merle siffleur
parler depuis ta frêle branche
aux morts déjà morts et enterrés
peut-être aussi te poses-tu aussi pour apaiser les morts à petit feu que sommes
devant la laideur et la saleté du monde

joli merle chanteur
tu ne crains ni nos cris
ni nos haines
ni nos crachats
ni nos hontes tues
sous le ciel laiteux ou bleu ou sombre
non
de ton bec or orangé
tu lances en paix ta mélodie
et réponds avec grâce
à celle que désirent parfois
timides
t’offrir mes pauvres lèvres en pleurs

voudrais tant te rejoindre un jour en souriant
sur ta branche fragile
pour ressusciter à tes côtés
les visages
les voix
et les baisers
de ceux qui autrefois
malgré les cris les haines les crachats et les hontes
osaient eux-aussi encore espérer
des lendemains divins