Du miel au bout des doigts #7

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Derrière mes Oakley argent, rien ne m’échappe.

Je guette les rares sourires frais, j’épie les couples et m’amuse de leurs caresses contenues, de leurs disputes convenues.

Parfois, je m’attriste des danseurs figés sur le parquet comme de la graisse froide.

Le rythme les déserte.

Ils se traînent à contre-temps, raides et pourtant si volontaires, si appliqués.

Pathétiques pantins.

De temps en temps, j’observe le manège discret des sachets blancs échangés sous les tables contre des billets.

Ce soir, un dealer à costume vert s’agite dur entre le téléphone et le bar. Je ne le connais pas, ce marchand de cauchemar.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #6

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Encore deux heures avant la fermeture.

J’ouvre la parenthèse et me plonge encore plus profond dans la danse des touches, juché sur mon perchoir de star.

Le Steinway trône sur une estrade bleu-nuit, au carrefour des deux allées ouvertes par la salle conçue en “T”.

La patronne m’aurait bien niché dans un coin près du pupitre à tiroir-caisse, le dos tourné aux clients comme mon prédécesseur, mais d’entrée j’ai refusé. Une place centrale, j’ai exigé. Avec une petite piste de danse dessinée en cercle autour du piano.

– “ Vous vous prenez pour qui ? “, m’a lancé Mado très énervée.

– “ C’est à prendre ou à laisser, madame. Je ne jouerai pas confiné près du radiateur. J’ai passé l’âge du piquet, qu’est-ce que vous en pensez ? “.

Mado m’a montré la porte sans sourciller. Je lui ai dit au revoir sans un regard.

Une semaine plus tard, elle envoyait Lisa me déloger du “ Misty “, le piano-bar de mes débuts où je taquinais l’impro tous les matins.

A la “ Vierge Dorée “, Mado avait installé le piano au coeur du bar, encerclé d’une piste de danse en bois clair.

Mon show pouvait commencer.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #5

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Discrètement, je leur tire la langue. Avachie à la caisse, près de l’entrée, Mado n’apprécie pas trop.

Elle serre les mâchoires en me menaçant d’un index tremblottant.

Du coup, je calme le jeu et je déroule sur mon clavier.

Souple et doux. “ Little piece in C for U ”.

Le swing boulègue et je cherche à deviner qui a bien pu me faire porter l’enveloppe bleutée.

Lisa n’a rien voulu me dire d’autre que “ tu perds rien pour attendre” avant de s’immerger dans ses courses aux trois “C” : caisse, clients, comptoir.

Scotché au clavier, j’ai beau mener ma ronde vers les fourrures et les sacs en croco, les turbans en feutre et les diamants, chou blanc.

Aucun sourire aux commissures. Aucun clin d’oeil coquin. Aucun rond de main qui pourrait revendiquer le billet, à la dérobée.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #4

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Ce soir pas de surprise, à la “ Vierge Dorée “, c’est Bysance.

Mado, la patronne, fait carton plein à chaque fois. Vingt ans que la monnaie tinte sur le comptoir cuivré.

Plus une place dans la grande salle aux baies vitrées qui ouvrent sur le port.

Peu de connaisseurs et beaucoup de m’as-tu-vu. Jeunes bourgeoises à lévrier, rombières emperruquées à collier marseillais, veuves éteintes au nez refait, encravatés liftés avec maîtresse, intellos de broussaille avec minot.

Je me pince, mais non, ce n’est pas un mirage, il y a même des enfants autour des tables du fond.

Tandis que les parents bavardent, ils dégustent leur glace trois boules en boudant ferme, le menton calé dans une main, la petite cuillère en équilibre dans l’autre. L’ennui dégouline de leurs faces proprettes de gosses de riches.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #3

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Le problème avec Lisa, c’est sa jalousie aiguisée comme un Laguiole.

Elle ne supporte pas que les clientes me tournent autour et m’invitent à prendre un verre après le service. Aussitôt, les larmes la possèdent et dès que la caisse est bouclée, elle file s’enfermer dans son studio. J’ai beau lui répéter à travers la porte que c’est elle ma gâtée, ma préférée, mon caramel, Lisa se met minable. Je ne dois pas être assez convaincant. Pourtant, un double whisky avec madame avant le dodo, je trouve qu’il n’y a pas mort d’homme, moi.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #2

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Lisa me prend pour un émigré cubain. A cause de mon béret vert-olive, de ma peau mat et de mon faux air caribéen. Petite erreur de feeling mais je lui ai tout de suite pardonné. Le rhum et le citron vert la rendent très douce ma malgachine et si généreuse une fois notre journée terminée.

Je la trouve encore plus délicieuse depuis qu’elle vient me caresser les doigts lorsque je m’assieds à mon Steinway. Elle approche ses cils de mes joues et d’un sourire, me glisse qu’un petit massage ne me fera pas de mal.

– “ Ca va même vous porter bonheur, senor havanero ! “.

Lisa me parle souvent espagnol. Elle a des mains d’accoucheuse et le bout des doigts bombé comme un dé de couturier.

La tête contre son épaule, je me laisse masser de la paume aux ongles. Pour saupoudrer la valse de ses pouces, elle m’offre aussi un zeste de son souffle teinté de Cuba Libre . Je le savoure, silencieux et apaisé.

(à suivre)

Du miel au bout des doigts #1

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Du miel au but des doigts est l’une des treize nouvelles de mon recueil « Marseille rouge sangs » publié l’an passé aux Editions Parole. C’est aussi l’un des trois textes du livre adaptés au théâtre par Base Art Compagnie et joués jusqu’au 27 juillet dans le cadre du OFF du Festival d’Avignon. Le spectacle est accueilli par le Bar Culturel de l’Angle.

Je baignais en plein “ Chloé meets Gershwin ” lorsque Lisa est venue me tendre un petit billet bleuté et parfumé en me chuchotant, la bouche tordue:

– “ Encore une cagole folle de toi, Oscar ! ”

Du regard, je lui ai montré le rebord du Steinway. Elle y a déposé le papier cacheté et s’est éloignée furieuse vers le comptoir du piano-bar.

Lisa c’est ma serveuse préférée. Une de ces métis sensas qui swingue et suce comme une Rolls. Douce et dingue mais peu docile. Idéal pour ne pas se lasser.

Trois mois que nous nous connaissons, depuis mon arrivée à la “ Vierge Dorée ”, la cave à jazz la plus en vue de Marseille.

Le premier soir, dès que je me suis installé au piano, j’ai senti ses yeux violets posés sur ma bouche, là, tout contre mes lèvres.

– “ Un petit Mojito senor Oscar ? “

(à suivre)

Paroles de Soupe aux Livres

Ce fut la 138ème Soupe aux Livres l’autre soir à Mouans-Sarthoux dans les Alpes-Maritimes. 138 veillées à l’ancienne organisées par Jean et Marie des Éditions Parole. À chacune d’entre elles viennent se lire, se réciter, se chanter ou même aussi parfois se slamer les textes de son choix. Ce qui en fait la réussite, c’est le plaisir de partager les mots écrits et puis le bol de soupe et le verre de vin à la mi-temps de la soirée. Pas loin de 80 personnes présentes l’autre soir dans l’une des salles du château de Mouans-Sarthoux où a lieu chaque année depuis plus d’un quart de siècle un Festival du Livre, organisé par l‘Office Mouansois Action Jeunesse et les Amis de la Médiathèque. La prochaine Soupe aux Livres aura lieu le 26 avril à La Palud-sur-Verdon dans les Alpes de Haute-Provence.

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En attendant la pluie, conte japonais

Couv'enattendant la pluieLues par moi même et par Momomi Machida – qui a traduit mon livre – voici les premières phrases de « En attendant la pluie« , un conte en français et en japonais qu’avec l’éditeur Jean Darot, des Editions Parole, nous lançons aujourd’hui à Marseille.

11 mars 2011 – 11 mars 2014. Trois ans ont passé depuis le terrible tsunami qui endeuilla le nord-est du Japon et notamment la ville de Kamaishi où je me rendis en mai dernier. Ce conte, je l’ai écrit à mon retour, en signe d’amitié avec toutes les personnes que j’ai rencontrées là-bas et qui m’ont bouleversé. Pas un jour depuis sans penser à ces femmes, ces hommes et ces enfants. Il me plaît que ce livre soit bilingue, qu’il mescle deux cultures. Je rêve maintenant qu’il voyage au Japon et que nous puissions aller l’offrir à nos amis japonais. Ci-dessous quelques photos ramenées de Kamaishi l’an passé. Elles racontent les stigmates du tsunami, la mémoire vive des victimes et des disparus, le sourire retrouvé des pêcheurs, une jeune maman relogée, et l’espoir de revoir un printemps paisible.

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Raconter « L’Homme semence » en BD

Je viens de consacrer un billet dans le blog Papiers à Bulles sur Mediapart, consacré à la publication toute récente de la bande dessinée L’Homme semence, adaptée du texte de Violette Ailhaud. Deux artistes, Laetitia Rouxel et Mandragore, signent cette BD à deux faces consacrée au best seller des Editions Parole, qui raconte un pacte tacite passé entre les femmes du village bas-alpin du Poil en 1852, pour le faire vivre alors que les hommes l’ont déserté en raison de la répression du soulèvement républicain contre le coup d’ Etat de Napoléon III. Pour vous remettre un peu L’Homme semence dans l’oreille, écoutez cet extrait lu par Rufus sur France Culture début janvier, dans l’émission « Je déballe ma bibliothèque »

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Vous vous souvenez sans doute que Rufus avait participé au Festival L’Homme semence à Digne-les-Bains et ses environs, organisé en juin dernier.
L’entretien avec les deux auteures de la BD, c’est icirufusaupoil