Venais juste ou presque d’achever la lecture de Les choses, le roman de Georges Perec lorsque soudain, orage de grêle de folie sur le toit d’en face
grêle comme celle qui l’été s’abattait sur les oliviers de Bauduen, mon village d’enfance en Provence
accompagner ensuite les vieux auprès du désastre
maudissaient les orages
serraient les mâchoires
ramassaient branchages fracassés de glaçons
les jetaient dans brouettes en bois
roues grinçaient sur le chemin du retour vers les maisons
noyés de cagnard étions tous
noyés
avons failli l’être en août 73
lorsqu’un projet de barrage EDF a voulu rayer villages de la carte
la providence ou pas du tout a fait que le notre fut épargné de la noyade
nourri par le Verdon un lac est né
au ras de Bauduen l’eau s’arrête
les pieds dans le lac sommes depuis
l’été, les orages de grêle poursuivent leur saccage
sur le peu d’oliviers qu’il reste à récolter sur les terrasses
là-haut vers Saint-Sauveur
reste ce Je me souviens publié ici il y a quelques années
Je me souviens de l’eau vive du Verdon
Je me souviens des bains dans le Verdon
Je me souviens du danger du Verdon
Je me souviens du carrefour de Sainte-Hélène au bout de la route
Je me souviens des paniers du goûter au bord de la rivière
Je me souviens des saules et des galets en face de Sainte-Croix
Je me souviens des truites de Fontaine l’Evêque
Je me souviens du pont de Garruby
Je me souviens des mûriers et des chênes truffiers disparus sous l’eau
Je me souviens des vergers du vallon aujourd’hui inondés
Je me souviens de l’allée de marronniers sur la route d’Aups
Je me souviens de l’estafette blanche qui nous montait d’Aups
Je me souviens du village des Salles, si proche, si loin de Bauduen
Je me souviens que ma mémé Zoé parlait patois avec Madame Rouvier
Je me souviens des Iscles et de ses champs bruns aux sillons réguliers
Je me souviens des départs aux champs de Monsieur Paix sur sa bicyclette
Je me souviens des remorques pleines à ras bord de lavande
Je me souviens des mas de Tante Berthe
Je me souviens des lucioles des soirées d’août
Je me souviens du cheval au sexe immense de mon grand-oncle
Je me souviens de Monsieur Coindet et de ses mouches pour la pêche
Je me souviens de Monsieur Gabin et de son pantalon bleu roi
Je me souviens de Elie le boulanger à la voix tonitruante
Je me souviens de Madame Cauvin et de son poulailler
Je me souviens du lait livré à la maison par Monsieur Bagarry
Je me souviens de Gisèle sur son balcon et moi en bas sur le parapet
Je me souviens de mon oncle Auguste partant à la chasse en face du village
Je me souviens de la trompettaïre et sa voix de crécelle
Je me souviens des marchands de légumes sur la place
Je me souviens des séances de cinéma sur la place
Je me souviens du miel de l’apiculteur
Je me souviens de l’école de ma mémé Zoé au Château
Je me souviens des bals devant l’Auberge du Lac
Je me souviens des cachettes dans la falaise
Je me souviens des amandiers en fleurs
Je me souviens des cailloux jetés à la nuit sur les terrasses
Je me souviens des fontaines au coin des rues et de leurs manivelles rondes
Je me souviens du grenier frais où couraient les souris
Je me souviens des bulldozers et des plaies sur la terre
Je me souviens que Bauduen faillit être noyé