Le cauchemar du rescapé

baignoire

Découvert avec effroi hier-soir sur Arte.tv le documentaire Heinrich Himmler – The Decent One consacré à Heinrich Himmler chef de la SS et architecte de la solution finale ai haï encore plus fort le fascisme le fanatisme le nationalisme et dans la nuit a surgi et tourné un cauchemar que j’ai tenté d’écrire tôt ce matin

Les traces de sang ont disparu lorsque la terre a tremblé sous les bombes tombées autour du camp le souvenir des méfaits de l’homme à la tête de mort sur la casquette s’est infiltré peu à peu dans les fissures ouvertes à l’endroit même où il avançait chaque jour en riant en claquant des talons cravache en main posait ses bottes noires là juste entre les deux anneaux puis se penchait vers nous et questionnait à voix basse de plus en plus basse au fur et à mesure que les coups pleuvaient nos silences se sont enfuis nos cris se sont tus nos hurlements ne résonnent plus que dans le crâne nu de l’homme aux lunettes cerclées maintenant que le voilà tête de mort enfoncée dans la bouche empierré et ligoté aux poignées de cette baignoire où il régnait en maître il y a peu avant de quitter le camp nous avons coupé l’eau pour le dissoudre à sec dans sa honte en vain il est trop tard à présent trop tard pour entendre et accepter les pardon pardon qui résonnent jusqu’au plafond de cette salle où l’homme demeure seul à ressasser remords ou peut-être dernières volontés tandis que chaque jour qui passe depuis voit le désert envahir un peu plus la terre et le camp où je me souviens avoir été jeté piétiné ce camp où des nuits entières ai prié pour en ressortir vivant.

après le cauchemar la nausée encore la bête immonde à la tête de mort remue encore et dans ma ville en plus sans que grand monde s’en émeuve

Photo de ci-haut @RomainVeillon

Rosa et Angelo

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J’ai bien connu Angelo
grandi au village lui aussi
dans la dernière maison avant la falaise
posée au bout d’un chemin avec vue sur la mer
murs épais comme des chênes millénaires
toit fragile de tuiles maigres
le regard bleu pâle il avait
perçait jusqu’au creux de mon âme et de mon ventre
le jour de rares oiseaux se hasardaient sur les étendoirs
Angelo leur parlait en les peignant
les guettait et imitait leur chant
la nuit entendions le canon
la grande guerre nous laissait transis
mais lui non
encore trop jeune pour partir
la peur rodait
lui ne tremblait pas
il souriait et continuait de peindre
des aquarelles d’abord
les personnages naissaient dans un drapé d’eau et de pigment
les toiles devenaient de plus en plus hautes au fil des mois
se juchait sur un tabouret
jamais le vertige
je l’accompagnais en silence dans son atelier
Rosa tu es si belle il me disait
mes yeux s’embuaient à chaque fois
le dimanche je posais nue pour lui
je grelottais
il me caressait des yeux
ne me touchait pas
il n’osait pas je crois
me donnait un baiser sur les cils en fin de séance
se serrait contre moi à la messe
je nous entendais respirer plus fort
l’hostie avalée il se signait
ne me quittait pas des yeux
repartait à reculons vers les maisons de riches où l’attendaient ses chantiers
ne me les montrait jamais
me disait le bonheur de donner vie à des anges
me racontait les arbres et les oiseaux
me nommait les couleurs
un jour il a fini par partir à la guerre
je ne l’ai plus jamais revu
la paix revenue mon père m’a marié à un vieux marquis
m’a cloitrée dans une immense villa en bord de falaise
aux murs décorés de larges fresques
au sommet du ciel j’ai deviné un A caché derrière un nuage bistre
il y a quelques secondes j’ai entendu la voix d’Angelo remonter de la mer
je me suis approchée de la fenêtre sans volets
happée par la lumière blanche je me suis envolée le rejoindre parmi les anges du ciel .

Cette photo, L’ultimo imperatore est signée Romain Veillon.

Irène et Fernand

orgue

Depuis toute petite tu savais
tu avais appris
ce jeu de mains et de pieds
qui transporte de haut en bas
tu connaissais par cœur les danses des doigts
sur le clavier
accordées aux déambulations des semelles
le long du pédalier
tu t’appelais Irène
née avec l’autre siècle
dix-huit ans avant le premier des cauchemars
qui endeuillèrent le monde

pendant que les hommes se battaient
tu venais t’asseoir ici et tu lançais ta prière
je te revois le buste droit comme un bouleau
les yeux clos
les cheveux tressés sur la nuque
et les lèvres pincées
pour que s’échappe de tout ton être
le chant qu’à chaque fois
tu murmurais pour accompagner ta musique

après l’armistice
tu as étendu ton répertoire
jusqu’aux frontières du connu
commencé à composer
à voyager d’église en église
appelée pour tant de cérémonies
pour tant de concerts aussi
première femme à oser jouer Bach
sur l’orgue de la Major
à Notre-Dame aussi

je me souviens de cet homme en larmes
chaque fois que tu jouais
venait s’agenouiller près de la Vierge
te tournait le dos face à l’autel
ne regardait jamais en arrière
se contentait d’écouter tes phrases
et montait vers toi en secret
frôlait les bas-côtés

un jeune écrivain je crois bien
as composé pour lui je le sais
est parti un beau matin
une lettre par jour t’a envoyé
Fernand il signait
a combattu dans le maquis
n’en est jamais revenu
toi, tu as arrêté de jouer
le jour où as reçu dans une enveloppe
sa plume de poète
toute de noir et de gris vêtue

Photo Eglise Saint-Vincent – Pays-Bas 2009 – @Sylvain Margaine

Alep crie fort

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Il a été blessé à la tête dans les bombardements
mais il ne le montre pas
250.000 personnes, dont 20.000 enfants en bas âge, risquent de mourir de faim
à Alep-est dont il est le maire
mais il ne pleure pas
sa ville brûle,
plus un seul de ses 7 hôpitaux bombardés fonctionne
mais il ne hurle pas
La Russie et la Chine ont dit non
à des pourparlers sur la Syrie
mais il ne s’énerve pas
il dit que si le conseil de sécurité reste les bras croisés
ce sera un permis de tuer

ce que réclame Brita Hagi Hasan
d’une voix calme et ferme
c’est que nous autres citoyens
envoyions des messages à notre président,
descendions dans les rues,
organisions des manifestations

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Brita Hagi Hasan est venu nous parler d’Alep hier-soir
en mairie du 2ème arrondissement de Paris
nous étions quelques poignées de femmes et d’hommes
oui, à peine quelques poignées

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dont Jean-François Bernardini
le chanteur corse d’I Muvrini
le militant de la paix et de la non-violence
auteur de « Alep s’endort » chanté vendredi dernier
au Zénith de Paris

au-delà du sublime de cette chanson
reste en moi un profond sentiment de honte et d’impuissance
méme si de nombreuses associations appellent à manifester
en solidarité avec la population d’Alep
ce samedi 10 décembre
partout en France
c’est le moins que nous puissions faire, avouons-le
en regardant Alep mourir.

Six lettres chair

MaoLou

Sur l’écorce du vieil hêtre
six lettres chair dessinées
gravées par quelque fiancé
penché à la fenêtre
d’un amour envolé

Lointaine Chine rouge
douce France en guerre
pleurs répandus sur la terre
désormais rien ne bouge
hormis le parfum des prières

Grand Timonier, Apollinaire
osez vos vers ressusciter
pour rappeler ce jour d’été
où les fiancés s’embrassèrent
au pied du vieil hêtre blessé

Partir à la guerre

J’ai commencé à lire le hors série de Télérama consacré à la Guerre de 14-18 – sous-titré L’onde de choc dans la cultre française et je suis saisi par les mots qui referment l’interview que l’historienne Annette Becker a donnée à Gilles Heuré  : « Je suis passionnée par ceux qui ont fait la guerre et qui sont parvenus à la sublimer dans une oeuvre d’art ». Je partage cette fascination. 14-18 priva ma grand-mère maternelle Zoé de son promis. Née en 1894, elle fut prise dès l’âge de 14 ans par le tourbillon de la survie, dans son petit village du Haut-Var. Elle ne devint pas artiste. Ni institutrice, ce dont elle rêvait. Pas le temps. Il lui fallut travailler dur pour ramener de quoi aider sa mère à nourrir ses petits frères. Son amoureux parti et tué à la guerre, sa vie devint une longue avancée dans les territoires de la mélancolie. Je n’ai jamais oublié comment elle évoquait ce deuil, dévastée par le chagrin. J’étais encore petit mais déjà assez grand pour haïr profondément la guerre. Plus tard, j’ai appris à me souvenir de ce passé tragique à travers des tableaux ou des chansons. Voici un extrait de chanson, déniché au coeur d’une création sonore publiée par ARTE Radio

Partir pour mourir un peu, extrait de la chanson Quand un soldat de Francis Lemarque qui résonne dans l’oeuvre sonore de Marie Chartron « L’Anarchoeur, 14-18 en rouge et noir », publié par ARTERadio. Charlie Marcelet en a assuré la mise en ondes et le mixage. Cette création nous donne à découvrir l’esprit libertaire et pacifiste qui anime les artistes de la chorale stéphanoise La Barricade. J’avoue avoir eu la gorge serrée de sanglots en l’écoutant et la réécoutant. Je vous la recommande et c’est ici

Philippe, 2 ans de guerre d’Algérie

A Salies-de-Béarn comme dans toutes les communes de France, l’on a donc commémoré jeudi dernier les Morts pour la France de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. Je ne sais pas vous, mais je n’ai pas pu ne pas noter que cette cérémonie survenait au lendemain du décès – dans son lit – du général Paul Aussaresses, qui revendiqua son passé de tortionnaire sans exprimer le moindre remord. Philippe, ancien soldat en Algérie – il y passa les années 61 et 62 – n’occulte pas ce fait d’histoire mais n’oublie pas que certains officiers osèrent dire non à la torture.

Les aveux du général Paul Aussaresses sur la Guerre d’Algérie.

Jacques Pâris de la Bollardière, le général qui refusa la torture.