Il y a des partages comme ça qui font tellement plaisir ! Je vous raconte. Sur le coup de cinq heures de l’après-midi hier, mon ami Bernard Seignouret y va de son petit post joyeux sur X (ex Twitter) : « Vé ! Balèti à la Bédoule ! » , accompagné de cette photo de l’un des musiciens du groupe Bagalenti Chapacan, basé à Saint-Zacharie, dans le Var.
Balèti ! Ce mot entendu souvent à Bauduen dans mon enfance me donne envie de sentir l’ambiance, de découvrir avec du son à quoi il ressemble. Je le dis à Bernard. Ni une ni deux, il fait chauffer l’enregistreur et m’envoie deux extraits de cette musique. En les mesclant, j’ai esquissé quelques pas de danse !
Régalade, non, cette mescle d’accordéon diatonique, de vielle à roue , de fifres et de tambourins ? Elle est bien dansante, pas vrai ? Ce balèti, Bagalenti Chapacan est venu l’animer à l’invitation de La Respelido Bedoulenco, une association qui à Roquefort La Bédoule se consacre à la promotion de la langue et de la culture provençales, grâce entre autres à des concerts, des balètis, des ateliers de danse et des cours de lengo nostro. Gramaci à elle et à mon ami Ber !
Les idées fausses, c’est comme les idées noires. Il convient de les chasser loin de soi. Et loin des autres aussi autant que faire se peut. Parce qu’elles sont nocives, ces idées. Parfois toxiques et dangereuses. En professeur de sociolinguiste à l’Université passionné, Médéric Gasquet-Cyrus n’est pas du genre à se laisser impressionner par le moulon d’idées fausses que trimbale la langue française. Elles l’emboucanent, elles lui hérissent le poil, elles le révoltent, mais en chercheur en Parole et Langage avisé, il résiste, il leur fait face et se fait un plaisir de les démonter dans un livre jubilatoire et savant, paru en avril dernier, « En finir avec les idées fausses sur la langue française ».
Il en a listé une quarantaine de ces idées fausses, véhiculées par ceux qui claironnent notamment que la langue française est en danger parce qu’elle « est menacée par l’anglais », « envahie par l’arabe », parce que « les jeunes parlent avec 500 mots », alors que « le français est une langue pure », « belle », que l’on doit parler comme il faut, en respectant les règles fixées par l’Académie française. Entre autres mythes qui entourent le français et que Médéric Gasquet-Cyrus déconstruit point par point, l’idée souvent repérée sur les réseaux sociaux selon laquelle « le » dictionnaire contiendrait la vérité sur la langue et sur le monde.
« Remettre le Vieux-Port au centre-ville » , c’est aussi rappeler dans ce livre que le français est présent sur les cinq continents, officiel dans 13 pays, co-officiel dans 16 autres, qu’il est une langue d’enseignement pour 93 millions d’élèves. Et donc non, « le français n’est pas menacé par celles et ceux qui s’en servent pour communiquer ». N’en déplaise aux réactionnaires, aux sectaires, aux xénophobes, et aux nationalistes de tous bords qui en prennent pour leur grade. C’est réjouissant de voir mis en pièces les Rivarol, Julien Aubert, Alain Finkielkraut, Jean-Michel Blanquer, entre autres chantres du roman national et caricaturistes du déclin de notre français que nous aimons tel qu’il est. Divers, ouvert, vivant, riche en accents et en mouvements.
« En finir avec les idées fausses sur la langue française » est publié aux Éditions de l’Atelier.
* ça m’amuse de tenter ce pendant marseillais de « remettre l’église au centre du village » ou de « mettre les points sur les i et les barres sur les t »
Umarell. J’ai découvert ce mot l’autre jour sur Twitter. Ne l’avais jamais entendu, mais il me plaît car avec ses deux « l ». Il sonne comme un mot catalan, un terme de la grande famille de l’occitan. En fait, Umarell vient du dialecte populaire de Bologne et décrit les hommes retraités qui passent leur temps à observer les chantiers de travaux publics, les mains jointes dans le dos.
Mon Pépé Paul – décédé en 1990 à l’âge de 90 ans – fut un vrai Umarell marseillais Je me souviens de ses escapades quotidiennes en trolley dans les années 60-70. Avec sa carte de la RATVM* au tarif retraité, il sillonnait Marseille de ligne en ligne et de chantier en chantier. Tunnel du Vieux-Port, construction du métro, rien ne lui a échappé. Au repas du soir, il nous faisait un récit détaillé de ses découvertes. Parfois, au lieu de m’accompagner à la mer ou de m’emmener à la pêche, Pépé me conduisait sur l’un des chantiers qui lui faisaient tant briller les yeux. Nous restions deux trois heures à bader le ballet des ouvriers sur les marteaux piqueurs, les grues et les pelles mécaniques. Je me souviens que nous ne disions mot devant ce spectacle et qu’au bout d’un moment, sentant que je fatiguais et me lassais sans doute un peu, il me lançait en roulant les « r » – allez Érrric, c’est l’heurrre de rrrentrrrer !
Les chapacans qui nous gouvernent ne sont pas à une vilenie près : ils viennent de décider que c’est désormais à 64 ans, pas avant, que les travailleurs pourront partir à la retraite et donc entamer, s’ils le désirent, une carrière d’Umarell. Je ne vois guère qu’une grève générale pour tenter d’empêcher ces nuisibles de continuer à bousiller la vie des gens.
*La RATVM, Régie autonome des Transports de la Ville de Marseille, est l’ancêtre de la Régie des Transports de Marseille, aujourd’hui Régie des Transports Métropolitains
Photo d’illustration @Wikipedia : le trolleybus de la ligne 63 qu’empruntait mon Pépé au départ de chacun de ses périples. Il montait au Terminus Église d’Endoume près duquel nous vivions.
New York City
Nueva York
cesser de mâchonner ici
recracher le chewing-gum sans suc
langues chaudes
rabâcher les sept syllabes
se les mettre en bouche et en nez
saliver
jouir jusqu’à l’envol
New York City
Nueva York Snowzilla
blizzard
congères
neige jusqu’au bas ventre Ground Zero mais haut désir
baisers à la pelle
empoigner
plonger
prendre
soulever
coups de reins
lancer loin
tracer passages
racler jusqu’au goudron
souffler
New York City
Nueva York
grelotter près des clochards
traîner parmi les errants
lèves gourdes
yeux gelés
partager un café
revenir aux mots
prononcer
New York City
Nueva York
puis tormenta
tempête en espagnol tormenta.
Le frère vespéral du matinal, ce joli mot castillan. L’instant où le soleil se faufile vers l’ultime ligne de l’horizon. Il nomme le coucher de l’astre comme le crépuscule.
Atardecer, atardecer, atardecer
Je le préfère un peu à son presque jumeau car il offre deux roulements de r, lui. Atarrrdecerrr
Parfois je les roule trop et mes amis espagnols en rient.
À la suite de son a initial, se pointent les cinq lettres qui signifient tout à la fois tard, l’après-midi et le soir.
Atardecer
Comme un souffle de lumière lancé à la nuit qui s’installe sans tarder.
La noche et ses mots murmurés et ses rythmes secrets.
Beaucoup parlé espagnol – castillan – ces derniers jours. Plaisir goûteux, toujours, de changer de ciel et de logiciel. En fais mon miel. Me laisse dérouter par nouveaux sons et rythmes et tournures. Accepte de ne pas comprendre lorsque le tempo accélère trop fort. Alors, ose demander de répéter. Por favor. Ensuite, lorsque me retrouve seul, prononce à voix basse les mots découverts. Plusieurs fois. En prenant mon temps. Ne peux résister à leur ronde dans ma bouche. Hier, ce fut Amanecer.
Amanecer, amanecer, amanecer
je le lance en boucle ce mot qui ouvre sur la promesse de la lumière, d’une nouvelle journée, de la vie qui se poursuit
l’instant de l’aube
Amanecer
amorce du jour
pour dire cer, prends soin de caresser du bout de la langue le tranchant des dents
puis fais-la vite repasser derrière, vers le palais, pour rouler le r cerrr Amanecerrr cerrr
n’oublie pas de mettre juste un peu plus de poids là-dessus
avec un è comme le è de notre cerf
Amanecer, amanecer, amanecer
oui, c’est ça
délicat et fugace câlin de langue au petit matin
servi bien doux
suave, si
Amanecer
l’instant où le jour se lève
il faut tenter de dire.
À la demande générale, voici l’intégrale du feuilleton consacré au parler de Marseille. Pas interdit de venir tchatcher avec nous. Histoire d’écouter in situ ces mots et ces paroles de chez nous. Et de nous dire ce que ça vous évoque. C’est quand voulez.
Par paresse ou facilité, c’est souvent par des clichés et des images toutes faites que l’on évoque Marseille et les Marseillais. Notre parler peut s’y prêter. Pierre Échinard, membre de l’Académie de Marseille, ne néglige pas ce travers qui rode autour de notre langue.
J’ai découvert un feuilleton sonore en provençal, la langue de ma grand-mère Zoé. Le titre, « Moun papet ». Le récit d’une petite-fille nommée Martine Bautista, amoureuse de son grand-père. Ecoutez et savourez le premier épisode.
Ce feuilleton est en ligne sur le site GeneProvence, dédié à la généalogie et à l’histoire locale en Provence et dans les Alpes, créé par Jean-Marie Dubois.
Le texte lu par Marie Bautista et sa traduction en français, c’est ici.
A la radio en voiture lorsque je roule entre le Béarn et les Landes, il m’arrive souvent en zappant de tomber sur une station basque. Tant au Pays basque Nord (Iparralde) qu’au Pays basque Sud (Hegoalde), il y a l’embarras du choix. Les bascophones sont gâtés, tout comme d’ailleurs les hispanophones, qui peuvent eux aussi capter des stations en castillan. Autant la langue espagnole ne m’est pas étrangère, autant l’Euskara – la langue basque – reste un total mystère. Je ne comprends rien. Rien de rien. Mais je m’obstine à écouter, au cas où un son surgirait que je pourrais associer à une image, un souvenir, une idée, une pensée.
Pour faire vivre la langue basque, des citoyens ont construit, avec l’appui de nombreux bénévoles, des ikastola, des écoles où l’éducation se fait en basque. L’enseignement bilingue basque/français est proposé dans plus de la moitié des établissements scolaires du 1er degré au Pays basque français.