Un vrai fadoli

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C’est chaque année pareil lorsque je promène près de la mer. Il suffit que le soleil fasse soudain semblant de réchauffer ma peau comme en été pour que le désir de me baigner devienne irrésistible. J’ai beau savoir que ne nous sommes que début janvier, que l’hiver me gelait la tête et les os il y a deux jours à peine, que je traîne un sale rhume depuis dimanche et que la mer ne dépasse pas les treize à quatorze degrés, il me faut tomber la chemise, ôter pantalon, chaussettes et chaussures et me jeter à l’eau. Un vrai fadoli, je sais…

Ah, ça pique beaucoup au départ ! Ça picote les pieds, puis les jambes, puis le reste. Ensuite, trop tard pour renoncer, il faut y aller tout entier. Les premières crawlées tirent sur la bête, ça grince aux épaules, les gambettes battent sans rythme, la respiration s’accélère et je me sens tel un vieil oiseau de mer déplumé, effrayé par son soudain manque d’aisance et de légèreté. J’en rigole tout en avançant et je passe bien vite à la brasse, moins gourmande en souffle et en énergie. Soudain, tout semble plus facile. La carcasse et les muscles se sont un peu réchauffés. Le crâne se sent libéré des crocs glacés qui l’enserraient il y a quelques poignées de secondes. La joie affleure. La tête me tourne. La mer semble tiède. Je savoure cette ivresse. Mais le corps commence à grelotter, alors il est temps de retourner vers la rive. Le soleil m’accueille gentiment. Demain, il aura peut-être un tout petit peu réchauffé la mer et je reviendrai.

Hiver #13 En bleu, en sang et en joie

Une coque de bateau comme un tableau. Tant de bleu, tant de coquillages devinés, d’écume gravée et de traces de sang rouillé aussi. Le sang des milliers de migrants morts en mer, des millions de poissons capturés. Rien ne s’efface nulle part de la saloperie du monde. Traces vivaces.

Mar y sol. Nettoyage de printemps. Refaire un semblant de beauté au vieux chalutier fatigué, avant de repartir gagner son pain comme on l’a toujours gagné. Popeye en rouge sur la proue. La vie comme un très vieux cartoon usé pas rigolo.

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Retrouver le sud de notre sud, donc. Aglagla. Bien bien froide, Madame Méditerranée toute bleue que chante si joliment Massilia Sound System. Aglagla ? Tant pis. Ce bain, je me le rêvais depuis plus de deux mois. Prendre le temps d’y entrer dans cette mer . La laisser mordre chaque millimètre de gambette et sentir qu’au fil des minutes, de bas en haut, le corps s’accoutume, se fait de plus en plus relax. Ensuite, se lancer. Plonger. Brasser sous la mer sans lambiner. Sentir les tempes se serrer et l’étau se dissiper une fois la tête sortie de l’eau. Reprendre souffle et y retourner. Jusqu’à trembler, chairdepouler, sortir et contempler. Humer. Joie. Sourire.

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Plus tard, en bâtissant et décorant de petits châteaux de sable, accueillir le souvenir des baignades de fin d’hiver avec les copains à Marseille. Il n’y avait pas de sable là où nous allions. Rien que des rochers. Nous y grelottions et nous sentions si vivants. Retrouver ces sensations. Le petit moulin de l’enfance ne cesse de tourner.

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La beauté, toujours et toujours la rechercher. La dénicher. La partager. Camille Thomas privée de scène mais en tournée dans les musées. Une merveille de merveille. Laisser venir à soi comme une furtive larme de joie.

L’elisir d’amore : Una furtiva lagrima – Donizetti, par Camille Thomas

Hiver #5 Gabian, yachts et kamikazes

Sur les hauteurs de Cannes j’ai croisé un gabian paisible juché sur une murette et qui contemplait la ville. Il n’a pas bronché lorsque je me suis approché pour lui demander où il nichait, s’il avait des petits, s’il appréciait la vue depuis le Suquet. Il a juste esquissé quelques pas de côté quand il a vu que je cherchais à percer le mystère de son œil jaune assorti à son bec et ses pattes palmées. Puis il est allé se poser en contrebas sur un petit mur en briquettes bistres comme des tomettes. J’avais encore quelques questions à lui poser, alors je suis descendu vers lui sans me presser, en savourant la lumière vive de janvier au bord de la Méditerranée. Lorsque j’ai voulu prendre place à ses côtés, il s’est envolé. Je l’ai photographié. J’aurais bien aimé qu’il m’offre son rire acidulé, mais même pas. J’ai seulement entendu remonter de la ville des cris d’écoliers à la récré et une sirène de bateau de retour des Îles de Lérins. Un de ces quatre, il faudra que j’aille goûter au silence qui entoure les moines de l’Île Saint-Honorat. Les gabians y vivent nombreux paraît-il.

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Un autre matin s’est levé sur les yachts alignés le long de la jetée Albert Édouard, derrière le Palais du Festival. Désertés pour la plupart. Vides de présence humaine, vigiles et agents d’entretien exceptés. Pavillons multicolores, odeur de fric, éclats de luxe, relents de paradis fiscaux. Silencieuse nausée rythmée par le frottement à peine exaspéré des cordes et des bouées sur les coques rutilantes en bord de quai. Culbute de mots et de rime pauvre dans ma tête. Voyage, sabotage, partage, ravage, dommage, abordage.

Mon écoute-podcast de la semaine. Des mots d’adieu à la radio. D’ultimes poèmes avant le départ vers la mort. L’émission L’Expérience sur France Culture les donne à découvrir : « Tombez, fleurs de cerisiers » : 1945, derniers mots de kamikazes japonais. Bouleversant voyage sonore autour des nombreuses lettres adressées à leurs familles, leurs enfants, leurs amis par de tout jeunes soldats, au dernier jour de leur courte vie, la veille de leur ultime mission à bord de leurs avions-suicide. Ces poèmes pour quitter le monde prolongent une tradition aristocratique et lettrée, pratiquée jadis par les moines et les samouraïs.

Envie de rester encore un peu au Japon, et de partager ces trois merveilles dénichées sur Twitter, signées Keizaburo Tejima (Les cygnes), Shiho Sakakibara (Le prunier et la mésange) et Kiyoshi Niiyama (Le temple sous la neige).

Callelongue dans la présence d’Izzo

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Chaque fois que mes pas me mènent ici en ce bout du monde marseillais je sais je sens que Jean-Claude Izzo m’accompagne pareil hier sous les embruns et les bourrasques de ce vent d’est furieux Callelongue et ses cabanons trempés sa roche blanche indondée teintée de beige par la pluie son sémaphore tendu vers le ciel gorgé de gris face aux îles Maïre et Tiboulen de Maïre secouées de vagues et d’écume Jean-Claude Izzo tremble à mes côtés devant ce Marseille grandiose terrible et cette Méditerranée où tant d’humains de migrants de marins continuent de se perdre

Je me souviens qu’il y a plus de deux ans et demi je m’étais installé au rond-point de Callelongue pour lire à voix haute un texte de Jean-Claude Izzo

Mon billet de blog du 1er avril 2015 c’est par ici.

 

Migrants mineurs : en montagne ou en mer, même calvaire

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Journée internationale des droits des enfants ce lundi pensée forte pour ces mineurs migrants africains abandonnés en montagne il y a dix jours dans les Hautes-Alpes au Col de l’Échelle près de Briançon ai découvert leur calvaire en écoutant ce reportage poignant et révoltant de Raphaël Krafft sur France Culture

Ce reportage a été diffusé vendredi dernier dans l’émission Le Magazine de la rédaction

Ne donnez pas à la mort le droit de dire le dernier mot, lançait Erri de Luca à la Maison de la poésie en avril dernier en évoquant le sort des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Ses mots valent également pour tous ceux qui empruntent plus au nord la voie de la montagne eux aussi au péril de leur vie.

Photo de ci-haut @RaphaëlKrafft

 

Le bunkœur abandonné

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Sur la plage d’en bas affalé contre les galets penché vers la mer le vieux bunker abandonné se tait raconterait quoi comme histoire si ses murs pouvaient parler peut-être dirait des mots de guerre de résistance de combats pour la liberté des paroles de deuil de souffrance de rêves vifs d’espoirs tués d’espérance violente il se tairait un peu ou longtemps peut-être puis réapparaitrait soudain sur sa peau un souffle de sourire lorsque parlerait de paix retrouvée

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là maintenant d’en haut face à la Méditerranée tu guettes le moindre signe l’aperçois te saluer en silence de son dos empesé épuisé et tu te prends à désirer le nommer bunkœur.

Respirer #4 Baignade imminente

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Peu importe que l’eau soit glacée
dans une minute
pas plus
je me lance

tout nu
c’est encore meilleur

Suggiton, c’est pour ce plaisir-là
que je descends m’asseoir sur tes rochers

redécouvrir ton dénuement
te désirer
chaque fois
lovée dans l’extrême beauté de ton attente

et surtout oublier un instant
qu’il me faudra
comme chaque fois
me revêtir
finir par te tourner le dos
puis remonter sur le sentier
et repartir là-haut vers la ville
avant que la nuit pose en silence ses bras
sur tes attraits

Erri de Luca, l’écrivain indigné

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Erri de Luca digne et indigné
sur la scène de la Maison de la Poésie
ce samedi
l’écrivain italien est venu nous parler de son Naples
et des tragédies du monde aussi
celle des réfugiés, des exilés
qui tentent au péril de leur vie souvent
de gagner les côtes de notre Europe

tant de naufragés
tant de vies perdues en Méditerranée
tant de deuils à faire
après ce qu’il appelle
le pire transport maritime de l’histoire de l’humanité

Erri de Luca s’en va cette semaine
embarquer à bord de l’Aquarius
le bateau de SOS Méditerranée
qui sauve des vies depuis un an
parce que
Nous ne pouvons accepter que des milliers de personnes meurent en mer sous nos yeux, aux portes de l’Europe, sans rien faire. Notre action de sauvetage en mer répond à un impératif moral et légal
Erri de Luca nous a dit lui aussi l’autre soir
qu’il ne faut pas laisser à la mort le dernier mot

Lire Jean-Claude Izzo au rond-point de Callellongue

J’ai franchi le pas. Impressionné et séduit depuis des mois par le projet que mène François Bon en partenariat avec le Pôle des arts urbains Saint-Pierre des Corps, le tour de Tours en 80 ronds-points. Alors, j’ai décidé de me lancer, de tenter le coup, et d’aller lire à voix haute – un jour peut-être crierai-je moi aussi – de la littérature. J’ai choisi Jean-Claude Izzo, un extrait de Marseille, la lumière et la mer, et me suis installé au rond-point de Callelongue.

Izzo parce que l’auteur des Marins perdus et du Soleil des mourants – je n’oublie pas Total Khéops et la suite – a écrit tant de beaux textes sur Marseille. Izzo car c’est lui qui m’encouragea à ne rien lâcher et à continuer à écrire, alors que mes nouvelles essuyaient refus après refus d’éditeurs parisiens.

Callelongue parce qu’avec L’Estaque, c’est le quartier d’une extrémité de ma ville. Ouvert sur la possibilité de s’en aller,  de voyager, d’imaginer d’autres vies possibles, d’autres destins. Ce rond-point de Callelongue est l’ultime rond-point marseillais avant le chemin des calanques. Une impasse à l’extrême sud-est de la cité. Le décor est minimaliste : quelques cabanons dans le fond du port, un bar restaurant, un parking, le terminus de la ligne 20 du bus et une fontaine pour les marcheurs. Chaque fois que j’y viens pour promener entre mer et roches blanches, me revient en mémoire la voix de Izzo. Posée. Chaleureuse. Timide. Tout comme le quartier du Panier ou le marché des Capucins, au coeur de Marseille, cet endroit est intimement lié à l’écrivain. Izzo adorait s’y perdre, en toute saison. Cet ailleurs dans Marseille lui rappelait la Grèce fondatrice. Il y côtoyait les gens de peu. Pêcheurs, marcheurs, cabannoniers, anonymes happés par la magie de l’endroit. C’est peut-être ici qu’Izzo écrivit Marseille, la lumière et la mer, qui figure dans l’anthologie Méditerranées qu’il publia avec Michel Le Bris en janvier 1999, quelques semaines avant sa mort. Douze autres écrivains y sont associés, dont Erri de Luca, Amin Maalouf, Jacques Lacarrière et Assia Djebar.

Située à l’entrée du Parc national des calanques, Callelongue est posée tout au bout de la route du bord de mer, après le village des Goudes. Pour y accéder, il faut traverser le quartier de la Pointe-Rouge, qui nous renvoie à un passé industriel aujourd’hui mort et enterré. À partir de la fin du XVIIIème siècle, ce quartier abrita des usines : traitement de la soude, traitement du plomb, puis raffinage du soufre. La soude permettait d’alimenter les multiples verreries et savonneries marseillaises. Nettoyé de ses impuretés, le soufre était destiné aux moulins à poudre marseillais et aux industriels de textiles pour le blanchiment de la laine ou de la soie. Une partie de leur production était également exportée vers l’Orient. D’où l’intérêt d’une implantation en bord de mer. Aujourd’hui, les collines de Callelongue et des Goudes gardent quelques traces encore visibles de ces usines, entre autres des cheminées rampantes, condensateurs destinés au filtrage des vapeurs d’acide chlorhydrique.

Ce que le rond-point voit de Marseille

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autour du rond-point

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le rond-point vu de l’extérieur

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Google Earth 43 ° 12’45.63 N – 5°21’12.18 E

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Un bain dans la Concha, pour boucler octobre

 

Donostia San Sebastian. 31 octobre. Fond de l’air à 27 degrés. Marius et moi n’avons pas hésité. Nous sommes baignés dans la Concha et plutôt plein de fois qu’une. N’avons pas été seuls à savourer cet océan à 22 degrés. Beaucoup de jeunes enfants avec parents, de vieilles dames et d’adolescents. Ce fut sans doute le dernier bain de l’année… Le premier c’était le 22 janvier à la calanque de Suggiton. Dans une Méditerranée à 16 degrés… Lumière d’hiver un peu moins dorée que celle qui baignait Donostia hier après-midi.

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