Un cri infini

MUNCHCRI

J’ignorais qu’Edvard Munch fut travaillé par l’angoisse et le doute existentiel à un point tel qu’il
déclina cinq fois le motif du Cri, son tableau le plus célèbre.
Je l’ai pris en pleine face, ce hurlement, au détour de l’exposition que lui dédie le Musée d’Orsay .*
Cette version imprimée, tellement épurée, m’a encore davantage horrifié que le célébrissime chef d’œuvre au coucher de soleil rouge sang.
Je l’ai entendue m’interpeler cette silhouette décharnée, depuis la passerelle qui s’allonge au-dessus du Fjord d’Oslo presque abandonné.
Comme si une momie surgie du fond des siècles surgissait pour jeter à ma face toute l’horreur que lui inspire notre temps présent.
Comme si elle se rapprochait de moi en lançant avec rage : – vous n’avez rien appris, rien de rien ! Ni des pogroms, ni des camps de la mort, ni des génocides et vous continuez à vous vautrer dans la saloperie du monde !
Dans son journal, en janvier 1892, Edvard Munch écrivit : « Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville. Mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété. Je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. »

*jusqu’au 22 janvier, « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort »

LeCriGrosPlan

Sur l’arbre

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Juché sur la cime qu’attends-tu vieux voyageur des forêts vers quels horizons tournes-tu ton regard de cyclope étonné tu as pris le temps d’arpenter les sentiers bleus des matins tu t’es glissé entre les précipices tu as frôlé les crevasses du monde et tu l’observes à présent figé d’étonnement ou de stupeur ou de froid qui sait rien ne te protège des tempêtes à venir rien pour t’abriter lorsque approchera en silence à travers les nuages enfantins et les nuées d’oiseaux le grand tremblement qui d’un coup d’un seul nous enveloppera tous de ce noir où tout sera à réécrire repeindre réinventer.

Photo de ci-haut : « On the tree » , œuvre de HiroshiTachibana

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Game over

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À peine évanouis les rires de la fête
rencontrer le chagrin des jouets délaissés
dérisoires cadeaux
fugaces embrassades
rêves trop vite éteints
ici enfants gâtés
là-bas abandonnés
ce monde est à pleurer

La baleine amoureuse

baleine

Il était une fois une baleine blanche
lasse des misères subies
des harpons
des fusils
de tout ce sang versé
des deuils au cœur de l’océan
décida d’émigrer
vers notre terre mère
s’approcha en silence
de la misère blême
du théâtre des guerres
devint grise
se posa près du ciel
où s’enfuient les oiseaux
en appela un
lui déclara sa flamme
lui demanda son aile
pour s’échapper sans un cri
du monde laid des humains

Elle te dit

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Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés

elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance

sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin

tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps

Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».

Ce monde

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Repartis les enfants
joues chaudes et douces
cheveux picotés de bruine
baisers vite envolés
le quai soudain délaissé
les rails muets
les yeux vides
le monde enfui

Sans savoir pourquoi
j’aime ce monde
où nous venons pour mourir

Natsume Sôseki (1867-1907)

Les oiseaux te diront

Tu envoies des oiseaux
Prendre nouvelles d’ici-bas
Rien n’a changé tu sais
Rien de rien
À peine un peu plus de foncé
Aux paupières du monde
Aux commissures de la Terre
Et cette rage qui gronde
Cette rabia
Cette colère
Cette douleur
Juchées aux cimes
Cette misère
Abandonnée aux caniveaux.
Les oiseaux te diront
Tu n’en reviendras pas
Les guetterai encore
Leur sourirai
Tant que je puis sourire
En cet hiver mauvais
Qui souligne en miroir
Le cri de ton absence.

Extinction de voies

Se poser. Urgent. Débrancher. Impératif. Écouter la pluie tomber et imaginer le lointain. S’évader au-delà des frontières de ce monde barbare. Sale. Ignoble. Ravaler les adjectifs souillés par tant et tant de salauds. Trop eu envie de crier ces dernières heures. Tueries. Enfants anéantis. Misère galopante. Planète méprisée. Regards détournés au passage de la différence. Égoïsmes à la pelle. Zemmourisation des ondes. Perdu la voix à force de hurler dans ma tête, fracassé par ce spectacle désespérant. Extinction de voies, me semble-t-il. Je deviens défaitiste. Ceci aussi me donne envie de crier. De dégoupiller. D’ouvrir le feu. Extinction de voies. Jusqu’à quand ? Continuer de patienter en écoutant Anoice, le groupe instrumental japonais. Et puis  se remémorer Le cri, le chef d’oeuvre d’Edvard Munch. Relire ce que le peintre norvégien écrivait à propos de son tableau : « J’étais en train de marcher le long de la route avec deux amis – le soleil se couchait – soudain le ciel devint rouge sang – j’ai fait une pause, me sentant épuisé, et me suis appuyé contre la grille – il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville – mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là tremblant d’anxiété – et j’ai entendu un cri infini déchirer la Nature. » Réécouter Anoice.

Maman s’en est allée

Lucette, ma maman, est morte ce lundi 6 octobre au petit matin. Je ne la reverrai plus ici-bas mais je l’entendrai toujours me parler, me questionner, m’encourager. Au mois de mai dernier, nous étions allés faire coucou à sa mère qui repose au cimetière de Bauduen, dans le Haut-Var. Nous avions évoqué cette mort qui est notre destinée commune. Maman n’en avait nullement peur. Emplie de sagesse elle était. Belle. Sereine. Forte et si profondément humaine. Comme chaque jour de ce que fut sa vie dans ce monde-ci.

Le monde à l’envers…

2.000 dans les rues de Marseille hier après-midi. Pas plus… Dans la deuxième ville de France. Colorée et assez joyeuse parfois la manif contre l’austérité, mais bon, à peine 2.000 personnes rassemblées en haut de la Canebière, j’ai trouvé que ça faisait un peu riquiqui. Je dois avoir beaucoup vieilli. Me souviens des manifs de ma jeunesse. Il restait encore beaucoup de monde aux Réformés lorsque la tête du cortège arrivait sur le Vieux-Port, tout en bas. Il paraît que nombreux sont ceux qui ont préféré monter manifester à Paris. Même dans les rangs de cette gauche-là, on a du mal à ne pas « tourner à l’envers », à échapper à la maladie du centralisme… Et puis hier, sur le Vieux Port, c’était le défilé de Carnaval…JC

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