Ligne de fuite *

paysagedeneige

Cheminé toute la journée sur cette trace
à travers les mélèzes chargés de petits ours blancs
le corps entier tendu vers les cimes et le ciel autour
pesant chaque pas
saisi par chaque empreinte abandonnée aux heures muettes
imaginant la fuite gorgée de joie
trappeur sans fusil
le silence comme seule arme.

* Grand merci à Nicolas Esse pour sa photo postée ce samedi sur Twitter et légendée de ces trois mots : Ligne de fuite.

A cappella

crépuscule1904

Le déluge dehors a cappella
les gouttes comme des poings sur l’horreur du jour qui part
tapent les tuiles par vagues d’exil
tambour de pluie en larmes
tonnerre colère misère partout
les gouttières débordent et déferlent au ras des façades repues

entrouvre la fenêtre
frissonne
besoin d’éprouver le vent du large
arrive de l’océan par les cimes sombres, là-bas
affole la girouette rouillée
caps perdus en route
boussoles noyées
complies égarées

à peine le temps de remplir poumons
le temps d’y croire encore un peu
l’orage est passé à travers la buée du crépuscule

voudrais un déluge de neige maintenant
neige neige neige a cappella je murmure
peindre l’avenir en silence
reprendre une page vierge de prières.

Chant grégorien de l’Abbaye de Fontfroide – Complies cisterciennes

Image : Crépuscule – Félix Vallotton – 1904

Hiver de misère

neigehélico

hiver du tonnerre
se promène en montagne parmi les ruines d’un vieux fort
tout là-haut accroché sous le soleil
l’herbe encore douce sous ses pas
à peine un pull sur ses bras
soudain sursaute, le fracas d’un moteur
vibrent les roches
tremblent ses pieds
s’approche l’oiseau de fer et son rotor
n’en croit ni ses oreilles ni ses yeux
là, en contrebas de la paroi
l’hélicoptère livre de la neige

bientôt porteront de l’eau à la mer
du sable au désert
hiver de misère.

© photo Anabelle Gallotti- Radio France

En attendant la fonte des neiges

De l’eau à profusion. Jaillissement brut sur les pierres. Les oiseaux n’osent approcher. La neige décore encore les branches. Guetter la délivrance. Patienter en relisant les haikus des grands maîtres.

« Dans la vieille mare

a coulé une sandale

tombe la neige fondue. »

Buson

« Si tienne est la neige

tu penses, légère elle sera

sur ton chapeau. »

Kikaku

 

neigeJapon neigeoiseau

Le sentier feuillu

Le redoux est là, annonciateur du printemps. Libérés du poids et du froid de la neige qui les recouvrait il y a 8 jours à peine, les sentiers jonchés de feuilles de chêne accueillent à nouveau les pas des promeneurs.

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Il était une feuille

Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de coeur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de coeur
Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de coeur
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines vignes de vie
Vignes de chance
Vignes de coeur
Au bout des racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.

Robert Desnos ( 1900 – 1945 )

Le ruisseau

C’est un ruisseau près de chez moi, qui parle de fonte des neiges. Il déboule dans un petit vallon encore pris de givre et de froidure. Ce ruisseau se fait entendre et nous sentons que le redoux est là. Enfin presque là. Dans la campagne de Haute Provence encore teintée de blanc, la lumière se fait un peu plus vive chaque jour et annonce timidement que dans un mois, le printemps aura sonné à notre porte. D’ici là, les oiseaux effarés auront pris des forces, heureux comme tout de saluer l’envol du vilain hiver…

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Le Ruisseau

Beaucoup d’eau a passé sous le pont
et aussi énormément de sang
Mais aux pieds de l’amour
coule un grand ruisseau blanc
Et dans les jardins de la lune
où tous les jours c’est ta fête
ce ruisseau chante en dormant
Et cette lune c’est ma tête
où tourne un grand soleil bleu
Et ce soleil c’est tes yeux

Jacques Prévert ( 1900 – 1977 )