Le silence et je reste coi

grenouillesMarseille

 

 

Les mots pour le dire

« L’été venu, lorsque la nuit me happe et m’enveloppe de ses échos, je monte parfois dans mon carrosse de mémoire et je convoque les grenouilles qui saluent derrière le portail rouillé. Je rejoins leurs débats et leurs ébats. Je me demande si leurs têtards sont de la fête. Immergé à leurs côtés, je deviens algue, amibe, racine de roseau, nénuphar. Remonté à la surface, je flotte parmi les graines échappées des fleurs. Je dérive dans l’onde des poissons rouges. Je frôle les herbes courbées sur mon passage. Je m’abreuve de pollen égaré. Je respire le peu de fraîcheur qui s’attarde. Je tremble lorsque se pointe la lune. Je sais qu’elle éclaire encore ce pauvre monde où explosent les thermomètres, où meurent les glaciers, où s’amasse la misère, où s’éternise la violence, où se délabre la justice, où s’effrite l’espérance. Soudain, les grenouilles se taisent. J’écoute le silence et je reste coi. »

 

1er mouvement du Concerto pour violoncelle en mi mineur d’Edward Elgar, par Jacqueline Du Pré et le Philarmonique de Londres, dirigé par Daniel Barenboim.

 

 

Le crépuscule lambine

crépuscule

Le crépuscule n’en finit pas de s’éterniser. Comme s’il refusait de laisser la place à la nuit noire. Il s’étire dans l’air doux de mai, il lambine, il palpite de bleu doré. Si je le quitte des yeux, juste une seconde ou le temps d’un battement de paupière ou du passage d’une abeille égarée, le voilà absorbé par l’encre de la nuit. Survient alors l’heure de la chouette. L’écouter hululer puis demander aux étoiles qu’elles guident ses prières.

Shanghai est insomnie

nuitshanghai

Tu tournes et vires au creux des draps
bordé de la nuit noire profonde muette
deux trois heures t’es assoupi pas plus
la pluie dehors le toc toc toc des gouttes sur la terrasse
pendant quelques secondes tu t’es demandé sur quel point du globe tu tournais
froide pluie arbres transis lueurs or à travers les ramures
as tenté de convoquer le noir au creux des paupières
en vain
alors puisqu’enfin t’es souvenu qu’ici la vie s’écrit autrement t’est apparu hésitant vivant démuni et délicat
le caractère 雨 avec son ciel au-dessus d’un nuage ouvert et ses quatre gouttes
la pluie yü
l’as écrit et réécrit sur ton cahier vert
doucement comme à l’école puis es retourné t’envelopper de noir et rêver aux miracles de la nuit.

Hibernation

hibernation

Hibernation
hibernation
tentation nette
noter ton teint noir
narrer ton brio
trier ta bio
boire ton bain en entier
hein
biner
braire
roter
niet
renier et bannir notre nation nantie
tarir notre rente
taire notre tain
rater notre train
borner notre bonnet
tirer notre taie
barrer notre trait
honnir notre honte
et renaitre

Shanghai est une clarinette

Shanghai est une clarinette

Chaque soir tu te demandes vers où partent les derniers avions qui passent au-dessus de la ville avec leurs petites lumières rouges qui clignotent à travers les nuages tu les imagines en route vers l’Australie ou vers le Japon et le Fuji et tu te souviens du Fuji survolé à ton retour de Tokyo il y a quatre ans enneigé il était comme sur les peintures d’Hokusai depuis c’est l’un des grands rêves de ta vie de venir te poser un jour à ses pieds et de le gravir jusqu’au sommet tu espères que ce jour viendra les passagers de l’avion qui avance là-haut vers l’ouest ils l’apercevront peut-être tout à l’heure en survolant le Japon un autre avion vole à présent en direction de l’immeuble d’où s’échappent des notes de clarinette il fait ses gammes le musicien et c’est joli à moins que ce soit une dame qui profite de la quiétude du soir malgré le vacarme des avions pour lancer sa musique dans la nuit de la ville tu es aux premières loges sur la terrasse tu voudrais t’y allonger en écoutant la clarinette te bercer fermer les yeux et te réveiller demain matin sur les pentes du Fuji.

La Nuit 65 de Joachim Séné

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J’ai reçu un très joli cadeau
avais commandé une surprise à Joachim Séné
séduit par sa formule magique de Nuit à la demande
hier-matin, la Nuit 65 m’attendait dans la boîte aux lettres
écrite à la main rien que pour moi
enveloppée d’un carton bordeaux
accompagnée d’une photo prise un matin de septembre 2015
au métro Gabriel Péri, ligne 13

cette Nuit 65, l’auteur la publia le 27 septembre 2015 sur son site
n’ai pas résisté au désir de la lire à voix haute
pour prolonger la découverte et tenter d’approcher de près la musique de ses mots

Fugace

Par la fenêtre de ma chambre
s’approche l’invisible flot
des récits tus
des merveilles ignorées
des paroles niées
des rêves déchirés de silence
j’ai beau me hisser vers la lune
rien d’autre ne flotte dans la nuit
que la trace d’un espoir fugace
s’enfuira dès le jour revenu

Auprès des chouettes

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Roder auprès des chouettes
se jucher avec elles sur les poutres des granges
au sommet des campaniles
oser le rebord des gouttières
poser ses griffes où gèle la pluie
grelotter de tout son être
attendre que la lune tourne sa face
hululer sur les balcons ouverts à l’aplomb des jardins
promener le regard vers les prairies endormies
guetter les proies
débusquer les cibles
fondre sur le silence amassé en contrebas
secouer ses plumes
garder la tête bien droite dans l’ampleur de la nuit
deviner l’heure du retour vers la cachette
se résoudre à l’absence de lumière.

Photo : La petite chouette d’Albrecht Dürer – aquarelle sur parchemin (vers 1502)

Concert d’insectes à Kyōto

Lire des haikus chaque jour m’emmène parfois sur la piste de sons qui proviennent de ce Japon où vécurent les grands maîtres. Kyōto, aujourd’hui. Un concert d’insectes qui me fait rêver du retour des cigales.

« Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin. »

Bashō