Shanghai est un vagabond

 

 

vagabond

Dans le grand parc de la Place du Peuple il finit sa nuit qui ne fut pas une nuit
a dû arriver ici dès l’ouverture
pour se poser près de l’étang aux lotus
les yeux engourdis de misère

deux balluchons accrochés à une large tige de bambou pour seul bagage
il grignote un bout rassis de mán tou 馒头 petit pain cuit à la vapeur
se gratte la tête chasse ses poux à coups d’ongles secs
puis écoute la ville s’agiter au-delà des arbres que d’autres humains embrassent pour leur gym du matin

a dormi où a grelotté où sous quel pont sous quelle voie rapide
où a-t-il pu se nicher pour prendre sa part de rêve et de repos
qui l’a donc chassé un jour et chassé encore de quel lieu de la ville
dans quelle usine a-t-il été indésirable
banni du jour au lendemain renvoyé sans un mot ni un yuan

le matin avance sur Shanghai
pour une fois avec le soleil
de sa tiédeur le vagabond se délecte les yeux clos
puis se relève s’étire et les mains jointes
semble prier pour l’avènement d’un nouveau printemps.

Shanghai est un concert de saxos

saxophonistes

Es retourné au parc Fuxing respirer une dernière fois parmi la foule vivante et attachante danseurs amoureux enfants joyeux vieillards fatigués mamans à bébés dompteurs de cerfs volants copines à frisbees gardiens à casquettes solitaires endormis joueurs de mah-jong mangeurs d’insectes marchands de ballons tapeurs de carton jardiniers appliqués ados boutonneux adeptes du tai chi couples muets mendiants exténués t’es empli de leur énergie et les as salué de l’intérieur juste avant la sortie t’es arrêté un instant happé par un concert de saxophones trois joueurs un assis sur son banc face à sa partition un peu hésitant dans son jeu les deux autres debout un peu plus loin sans notes davantage dans la maîtrise de leurs instruments ai imaginé Jean-Marc ton ami guitariste improviser avec eux ça aurait de la gueule aussi ce concert-là puis as repris le métro retrouver Noémie Dawei et les pitchouns pour une dernière soirée tous ensemble.

Shanghai est un homme-arbre

hommearbre

Peu lui importe que le saxo s’applique à suivre le flow de la sono dans un petit kiosque à côté rien ne le dérange l’homme-arbre est concentré tu l’aperçois d’abord de dos en flânant près du pont des amoureux il semble se frotter le dos à l’écorce d’un arbre élancé planté là parmi des dizaines de variétés tu ne connais aucun de ces arbres ne sais en nommer aucun pauvre de toi en apprécies seulement la fraîcheur et la paix l’homme- arbre tu le vois en face à présent il fait corps avec le tronc les jambes écartées les pieds vissés au sol en recherche de force d’énergie montée de dedans la terre son regard est fixe tourné vers lui-même il s’écoute et écoute les pulsations lancées en lui par cet arbre qui l’accueille tu te revois auprès des chênes de chez toi lorsque tu montes au-dessus de la ville avec ton amoureuse et que ça fait tellement de bien de se sentir ensemble entourés d’arbres et d’oiseaux aussi tu les entends autour de l’homme-arbre qui poursuit sa quête silencieuse tandis que le saxo continue de lancer sa musique tu la fredonneras sans doute cette mélodie chinoise lorsque tu rentreras et toi aussi tu tenteras de ne faire qu’un avec les arbres qui t’entourent.

Shanghai est un kiosque à musique

danseurs kiosque

Au Parc Fu Xing Gong Yuan à deux pas de la statue géante de Marx et Engels des allées ombragées mènent à une roseraie plantée du temps des colons français et  de l’autre côté à une immense pelouse où se croisent lanceurs de cerfs volants en quête de vent jeunes couples avec petits bébés les premiers pas l’enfant hésite titube avance tournoie accroché au doigt de sa maman copines prêtes pour un pique-nique on jette une nappe sur l’herbe et hop on partage les cacahuètes les petits sandwiches les biscuits les gros pamplemousses à éplucher avec les doigts puis à peler ôter cette peau épaisse tu es entouré de centaines de dialogues de rires de cris partout une atmosphère paisible et vivante pas dérangeante un peu à l’écart vers l’ombre qui avance sous les arbres un kiosque à musique d’où s’échappe le son syncopé d’une batterie roulements de caisse claire cymbales grosse caisse rien que ce rythme là répétitif lancé par un homme assis avec ses baguettes en mains il accompagne du regard un couple de danseurs d’une élégance folle elle cheveux courts ses longues jambes sur ballerines vermillon son tee-shirt imitation Dior ses lunettes de soleil aux verres larges et son pendentif en jade lui tout mince élancé chemise rose il est gracieux classieux ondule du bassin lève ses bras au ciel tu remarques au-dessus de ses mains deux poignets bleus comme les joueurs de tennis pour s’éponger le front il ressemble à un professeur de danse il la conseille avec douceur leurs sourires et ses paupières fermées à elle traduisent le plaisir partagé sensualité palpable malgré le tchac tchac tchac de la batterie ils s’en accommodent en Chine on apprend à s’adapter à accepter on garde son calme on partage et ils enchaînent les pas et les figures seuls au monde jusqu’au coup de fatigue du batteur puis le retour à la sono à des musiques moins monotones elle et lui les partageront encore avec leurs corps et leurs cœurs peut-être même jusqu’à la nuit et au-delà qui sait.

Shanghai est un moment de grâce

danseurs

Tu entres dans Zhōng Shān Gōng Yuán l’un des parcs publics de la ville non-loin de l’ancienne concession française une musique t’appelle derrière les barrières de pierre tu les franchis et là apparaissent des dizaines de couples de danseurs hommes et femmes femmes et femmes hommes et hommes seuls ou seules aussi pour certain.e.s les yeux accordés au rythme et les corps à l’unisson la plupart ne sont plus tout jeunes ils se sourient certains les corps s’écoutent ils s’appliquent avec légèreté la musique s’échappe de sonos portatives posées au bord de la piste improvisée beaucoup de monde autour pour regarder partager ce moment de grâce chacun et chacun.e est venu.e comme il.elle est personne pour se moquer personne pour montrer du doigt tel ou telle maladroit.e non le plaisir d’être ensemble avant tout et d’apprécier le ballet tu perçois chez certains danseurs un voile de nostalgie dans le regard leur jeunesse est loin maintenant mais y avait-il autant de grâce lorsqu’ils dansaient ensemble avant sans cette fragilité d’aujourd’hui qui te bouleverse, Papet, toi qui n’a jamais su danser jamais osé tant tu avais peur d’être ridicule sauf quand la musique était lente et que les slows s’enchaînaient et là tu savourais quelques minutes de grâce auprès des filles aux cheveux qui sentaient si bon.

 

Shanghai est une vieille dame des années trente

Tu le crois à peine Papet seulement quelques centaines de mètres en sortant du métro un parc coincé entre deux rues envahies de voitures de camions de scooters de vélos et de piétons un trafic de folie comme d’habitude et à l’angle de YanAn Lu et de Fumin Lu un sentier qui ondule vers une forêt miniature ornée de bosquets de parterres de fleurs tu vas vers une mare surmontée d’un pont de bois il y a une fleur de nénuphar une seule à la surface de l’eau verdâtre tu te glisses sous les arbres tu caresses leurs troncs ils isolent du bruit les arbres tu reviens vers la statue de José Martí héros national de Cuba ça sent Shanghai ce parfum qui tatoue la ville pendant deux semaines en début d’automne c’est le Guì Huā Shù l’arbre aux petites fleurs rondes et jaunes certains vieux Shanghaïens les cueillent et les mettent dans l’eau chaude à infuser tu te plais à prononcer Guì Huā Shù avec la dame qui vient s’asseoir à pas menus sur le banc juste à côté de toi elle te sourit gentiment elle rit même à pleine dents en t’annonçant qu’elle a quatre vingt six ans en faisant six liù avec ses doigts à la chinoise le pouce et l’annulaire dressés et les autres doigts repliés vers la paume elle est de trente en un la dame comme Papa tu te rends compte elle avait dix huit ans lorsque Mao a fait la révolution tu voudrais lui demander de te parler de ce temps-là le temps de sa jeunesse le temps de l’espérance savoir comment c’était Shanghai la Chine son quartier sa rue quand elle était enfant puis adolescente puis quand Mao a pris le pouvoir mais tu ne connais pas ces mots-là pas encore tu ne sais pas parler de tout ça il va falloir progresser en chinois Papet et continuer d’étudier la dame te montre toute contente ses courses dans des sachets plastique il y a un poulet et du tofu et des légumes verts les pattes du poulet dépassent ça fait peine puis elle commence à agiter ses jambes une deux une deux comme un petit enfant de maternelle assis dans sa cour d’école et elle se tapote les bras avec les mains toc toc toc les Chinois font souvent ça tu lui demandes si elle fait du Tai Chi oui mais là ce matin elle est un peu fatiguée à cause des courses elle a beaucoup marché elle te répond et maintenant elle commence à avoir faim et te dit au revoir en agitant sa main Zàijiàn tu la regardes s’éloigner vers la rue bruyante en longeant les Guì Huā Shù les arbres odorants tu prends ton temps de t’emplir de leur parfum délicat il t’accompagnera toute la journée.

Il est où l’avion ?

Le nez en l’air comme souvent. Regarder le ciel. Frôler la limite entre la frise de blanc et l’azur. Un avion passe. Vers où trace-t-il sa route ? Impossible à distinguer. Il a dû s’éterniser dans les nuages. Imaginer le pays où il se posera. Tout à l’heure. Dans la nuit. Ou bien demain. Lorsque poindra le jour sur le parc peuplé de chênes et de platanes, où le petit garçon est venu me demander Il est où ?

La petite mésange charbonnière

Dans un grand parc de Marseille l’autre jour. Parti pour me rapprocher le plus possible d’une pie qui jacassait à tue tête. Arrivé au pied des grands arbres, envolée plus loin la pie. Noyée parmi les cris d’enfants qui naviguaient depuis un jardin en contrebas. Me suis alors planté en face d’un gros tronc d’arbre. Observé les allées et venues de la mésange qui nourrissait ses petits. Un merveilleux ballet entre le nid, au creux de l’arbre, et le ciel.

Mésange1

Sortir juste la tête avant de s’envoler

Mésange2JPG

Repartir en quête d’insectes.