Trois fois clic clac et puis revient (17) Pour un temps seulement …

Parfois, tu marches, le regard vissé sur la pointe de tes chaussures, et tu peines à relever la tête. Colère sourde au fond de la gorge face aux libertés qui rétrécissent. Lassitude des jours empesés. Faux rythme infusé par la claustration. La flemme aussi qui rode et n’attend qu’un signe pour te gangréner le cycle des heures. Le temps de soixante petites minutes tu avances et tu rumines. Tu racles semelles, tu piétines quelques cadavres de feuilles, tu envoies valdinguer un caillou, une pigne, un bout de bois atterri là va savoir quand et comment. Et puis survient l’embellie. Tu ne t’y attends point lorsqu’elle t’incite à te taire dedans, à te redresser et à oser pointer le regard là-haut, là où jamais personne n’osera te demander de montrer papiers ou patte blanche. Tu clignes des yeux, tu t’émerveilles et tu t’écries – ciel, ces cieux ! Alors tu restes là, tu te poses, tu te juches sur le plus haut sommet de lumière possible, tu survoles le plus haut des nuages et tu oublies qu’avant qu’il ne soit trop tard, il te faudra surveiller ta montre, redescendre et t’en accommoder. Jusqu’au jour d’après. Peut-être toucheras-tu alors du doigt la chance qui est tienne de te voir offert tant de grâce, en dépit des pesanteurs présentes, des menaces qui approchent et des colères contenues. Sans doute pour un temps seulement. Carpe Diem, te prendras-tu à murmurer. Mais jusqu’à quand ?

Shine On You Crazy Diamond – Pink Floyd

Contribution #15 J’accueille aujourd’hui les photos et le texte adressés par Romain. Mille mercis.

En effet, on est pas les plus à plaindre, et notre rythme n’a pas tellement changé. Je travaille toujours et nos sorties quotidiennes avec Noon sont toujours de mise, avec un peu de verdure proche de la maison, même si nous sommes en ville !

(À demain, 8h30…)

Shanghai est un bonbon

rosebonbon

Elle a choisi une robe à volants roses
pour poser devant l’Hôtel de la Paix

un peu intimidé le fiancé
à moitié perdu face au flot de paroles du photographe
regardez là retournez vous oui de trois quarts repartez prenez vous dans les bras allez souriez oui c’est ça encore
il sature le jeune homme il est las il voudrait abréger
comme déconnecté de sa promise

elle semble maîtriser la séance
en apprécier le futile le dérisoire
et même si elle la sait incontournable avant de se marier
elle ne lui pèse pas
elle s’y prête à la fois présente et détachée

peut-être car elle devine que ce soir
le silence et la paix revenus
dans l’intimité retrouvée
il ne saura résister à sa robe rose bonbon.

Qu’es bòn !

portraitMarseille

Sur les murs de ma ville cette femme nous regarde venue de loin arrivée ici comme tant d’autres depuis tant de siècles derrière sa photo des journaux en chinois comme un habit de lumière au carrefour des continents un jour un portrait #OneDayOnePortrait ne sait qui a signé cet hommage discret à toutes celles et tous ceux venu.e.s d’ailleurs pour vivre à Marseille hommage à la fraternité joie dedans à chacun de mes pas et plaisir de fredonner l’une des chansons de Moussu T e lei Jovents qui chaque jour m’accompagnent où que je marche où que je respire où que je tâche de ne point désespérer

Qu’es bòn !

Nos farien creire que viure ensems es una ideia de calut,
Nos farien creire que sensa mestre seriam perdut,
Nos farien creire que tot pòu estre crompat o vendut,
Nos farien creire qu’es totjorn lo copable qu’es abatut.

Ils nous feraient croire que vivre ensemble est une idée de fou
Ils nous feraient croire que sans maître, nous serions perdus,
Ils nous feraient croire que tout peut être acheté ou vendu,
Ils nous feraient croire que c’est toujours le coupable qui est abattu

O fan
Qu’es bòn
De relevar la testa!
Qu’es bòn
De si sentir vivent!
Qu’es bòn
De rintrar dins la festa!
Qu’es bòn oie qu’es bòn!

Que c’est bon
de relever la tête !
De se sentir vivant !
De rentrer dans la fête !
Que c’est bon !

Nos farien veire dei montanhas d’aur per nos atisar,
Nos farien veire dei dieus poderos per davant si clinar,
Nos farien veire dei gròs saberuts per mai nos embarcar,
Nos farien veire d’imatges verinosa per nos enganar.

Ils nous feraient voir des montagnes d’or pour nous attirer
Ils nous feraient voir des dieux puissants pour s’incliner devant
Ils nous feraient voir des grands savants pour mieux nous arnaquer
Ils nous feraient voir des images venimeuses pour nous tromper.

Qu’es bòn
De relevar la testa!
Qu’es bòn
De si sentir vivent!
Qu’es bòn
De rintrar dins la festa!
Qu’es bòn oie qu’es bòn!

Nos farien viure un monde d’enveja e de prohibicion,
Nos farien viure empegat au pecat, a la supersticion,
Nos farien viure segon la borsa e seis evolucions,
Nos farien viure dins un astre malaut, poirit de polucion.

Ils nous feraient vivre un monde d’envie et de prohibition
Ils nous feraient vivre collés au pêché, à la superstition
Ils nous feraient vivre selon la bourse et ses évolutions,
Ils nous feraient vivre dans un astre malade, pourri de pollution.

Qu’es bòn
De relevar la testa!
Qu’es bòn
De si sentir vivent!
Qu’es bòn
De rintrar dins la festa!
Qu’es bòn oie qu’es bòn!

Elle te dit

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Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés

elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance

sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin

tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps

Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».

Todoliste… en trichant un peu

Après avoir accompagné mes enfants dans leur moment d’écriture, j’ai acheté le livre de Christine Jeanney Les sirènes on ne les voit pas un couvercle est posé dessus avec ses 180 premières Todolistes – et puis me suis essayé ici à tenter moi-aussi d’en imaginer une. En trichant un peu puisque écrite à partir de l’une de mes propres photos. Que Christine Jeanney me pardonne. Ce ne sera en tous cas sans doute pas la dernière …

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Penser à bien refermer le volet
après ton escapade amoureuse au grenier
sur le carrelage tiède jonché de lavande séchée

Ne pas se pencher vers le haut
car parfois une tuile se détache
et ça pourrait te couper la tête

Frotter tes doigts sur le bleu passé
puis t’en tatouer les poignets
et renifler le parfum des journées d’autrefois

Sentir la pluie dévaler sur la façade
et goûter goulûment les gouttes
comme si du ciel tombait du chocolat

 

 

Les mains offertes à Cécile Portier

La photo avant le texte. Ces mains m’ont attiré d’abord car tatouées. Les tatouages accompagnent ma vie depuis des années. Le texte m’a séduit car il évoque une rencontre fugace et profonde à la fois. L’un de ces rencontres qu’il faut avoir l’audace de provoquer, pour convoquer ce qu’il y a d’humain en nous. Pour se raconter des histoires. Porter notre regard sur l’autre dans toute sa singularité, toute sa différence. Ces mains offertes à Cécile Portier m’évoquent ces moments de grâce où en pleine ville, l’on arrête une passante pour lui dire que vous êtes belle ! Avant de s’en retourner à ses pas, chacun de son côté. Ne jamais s’interdire ces secondes où les mots énoncés à voix haute rendent la vie un peu plus douce. Un peu plus partagée. Cécile Portier tient un blog d’écriture, Petite Racine, fait pour écrire. à mains nues en est l’une des facettes. D’autres histoires de mains nous y attendent. Sur une autre page – La tête que ça nous fait – allez lire le très beau texte qu’elle écrivit après l’attentat contre Charlie Hebdo, intitulé Résister.

La photomaton parlant, avec J.S. Bach

Froide et triste cette voix synthétique qui nous guide pas à pas une fois assis dans le box. Je l’ai mesclée avec l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Glenn Gould, en imaginant qu’un jour pourquoi pas, lorsque nous irons nous faire tirer le portrait, le photomaton nous proposera d’écouter Bach, ou Chopin, ou Bob Marley, ou Pharell Williams…

Pour illustrer ce son, j’ai emprunté la photo à Valentin Gall, jeune et talentueux graphiste-illustrateur freelance.

Découvrez son blog par ici.

La voix de Raymond Depardon

J’ai toujours aimé écouter Raymond Depardon, photojournaliste et cinéaste aussi humble que renommé, parler de son art. De ses voyages. De ses rencontres et de son rapport à ses « sujets ». J’avoue être sous le charme de sa voix – dont je ne sais définir le timbre – et de son léger accent bourguignon. Sans doute parce qu’ils s’accordent à la douceur et à la simplicité qui émanent de nombre de ses photos. Je pense notamment à ces paysans, qu’il a filmés aussi. Raymond Depardon s’est raconté il y a quelque jours à Michel Ciment sur France Culture, dans l’émission Projection privée. Extrait.

Jusqu’au 10 février, le Grand Palais à Paris lui consacre une exposition, intitulée Raymond Depardon, un moment si doux.

Pour écouter l’émission entière, c’est ici :