Un orage porte-bonheur

DesOloésLeLivre

Ce fut un orage majuscule. Hier, à peine sorti de chez le libraire, avec en main Des Oloés, le livre d’Anne Savelli tant attendu, gros grains, éclairs et tonnerre m’ont cueilli et accompagné jusqu’à la maison. Il s’est un petit peu trempé, l’ouvrage. L’ai protégé en vitesse du tissu de mon boubou orangé, mais les gouttes de pluie tiède ont baptisé sa couverture. Une fois rentré, l’ai essuyée avec le premier bout de tissu rencontré, mon Bleu de Chine laissé sur un fauteuil. Ensuite, pour poursuivre la cérémonie de baptême, je suis monté à la chambre enregistrer l’orage qui avançait sur la ville et avait commencé à tremper le parquet. Voici gravé le souvenir vivace de ce porte-bonheur.

 

Anne Savelli publie ce livre chez Publie.net.

Le site de Joachim Séné dédié aux Oloés du monde entier.

Shanghai est insomnie

nuitshanghai

Tu tournes et vires au creux des draps
bordé de la nuit noire profonde muette
deux trois heures t’es assoupi pas plus
la pluie dehors le toc toc toc des gouttes sur la terrasse
pendant quelques secondes tu t’es demandé sur quel point du globe tu tournais
froide pluie arbres transis lueurs or à travers les ramures
as tenté de convoquer le noir au creux des paupières
en vain
alors puisqu’enfin t’es souvenu qu’ici la vie s’écrit autrement t’est apparu hésitant vivant démuni et délicat
le caractère 雨 avec son ciel au-dessus d’un nuage ouvert et ses quatre gouttes
la pluie yü
l’as écrit et réécrit sur ton cahier vert
doucement comme à l’école puis es retourné t’envelopper de noir et rêver aux miracles de la nuit.

Si peu

sipeu

Si peu aujourd’hui
les mots à l’arrêt
le désert
le calme plat
le vide
le rien du tout
l’infime
le silence
à peine quelques perles de pluie sur les fleurs
si peu

Shanghai est une pétarade

nuitpétards

Allez pose-toi maintenant grand-père après la fête du pitchoun et toutes ces heures à chevaucher pays et continents allonge-toi sur le grand lit du haut dans la chambre prêtée par Alexandre ouverte sur la ville et tente de fermer les paupières tu entends la pluie faire tic tic tic sur le caillebotis de la terrasse ça berce la pluie toujours ça te berce à la maison c’est pareil tu as appris à l’aimer cette pluie bénie qui apaise l’âme et abreuve les champs tu aimerais partir à la campagne découvrir la campagne chinoise et parler avec les cultivateurs tu voudrais bien tu verras si tu peux si ça peut se faire tic tic tic tout à coup une pétarade jaillit et claque tu ne sais d’où tu sors écouter de plus près pas la plus violente pétarade que tu connaisses depuis que tu viens en Chine mais quand même vigoureuse et joyeuse ils doivent fêter tu ne sais quoi peut-être une naissance oui ou bien un mariage mais non en pleine semaine ils ne se marient pas ici enfin tu ne sais pas à moins que ce soit l’entrée dans un appartement ou bien une embauche car il y a du travail à Shanghai je crois bien peut-être dans les usines de fabrication des pétards et ça continue à péter tu n’entends plus la pluie qui pourtant ne s’arrête pas il est joli le caractère pluie en chinois 雨 comme des gouttes sous un toit yū ça se prononce en baissant puis en remontant la voix sur le u troisième ton c’est très joli à dire depuis ton arrivée tu l’as beaucoup prononcé ce mot et ça fait plaisir et pétard tu ne sais pas alors tu vas demander à Alexandre comment on prononce pétard et comment ça s’écrit car la fête continue en face et toi tu te recouches et tentes de trouver un zeste de sommeil tu te sens bien malgré la fatigue car tu sais que quand le jour se lèvera les pétards se seront tus et les colombes commenceront à roucouler comme chaque matin que Shanghai fait.

Ces visages distraits et recueillis

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Sur la murette du chemin trempé
se sont installés des visages
discrets et recueillis
défigurés aussi
racontent à voix basse
des histoires lointaines
de porteurs de moustaches
de fumeurs de pipes
de gibets et de guerres
espèrent silencieux
pour le présent
pour les jours qui s’effilochent
la caresse d’une main
l’aube d’une prière
le baiser fugace
d’un merle ou d’un moineau
non-loin des pensées blessées

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Brahms – Intermezzo Op.117-1 – Glenn Gould

Accueillir la pluie

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Cette pluie qui me réveille
l’accueille comme une amie
à larmes ouvertes
bénie soit sa musique

voudrais fuir le soleil
sa violence
son insistance
son indécente présence

reste encore caché
astre dont l’ombre n’épargne
ni les aimés partis
ni les inconnus
ni les exilés aux pieds nus
ni les souvenirs brûlants

pluie, surtout ne cesse
de lancer tes pleurs sur les tuiles
poursuis ta chanson de caresse
accueille la mémoire de tous ceux
qui frissonnèrent sous tes gouttes

Billie Holiday – Come Rain Or Come Shine

Auprès des chouettes

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Roder auprès des chouettes
se jucher avec elles sur les poutres des granges
au sommet des campaniles
oser le rebord des gouttières
poser ses griffes où gèle la pluie
grelotter de tout son être
attendre que la lune tourne sa face
hululer sur les balcons ouverts à l’aplomb des jardins
promener le regard vers les prairies endormies
guetter les proies
débusquer les cibles
fondre sur le silence amassé en contrebas
secouer ses plumes
garder la tête bien droite dans l’ampleur de la nuit
deviner l’heure du retour vers la cachette
se résoudre à l’absence de lumière.

Photo : La petite chouette d’Albrecht Dürer – aquarelle sur parchemin (vers 1502)