Mon premier Premier Mai à Paris

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Premier Premier Mai de ma vie à Paris
pas pu m’empêcher de lancer ma mémoire vers Marseille alors que l’air se chargeait de nuages toxiques là-bas en tête de cortège
en cheminant vers la Place d’Italie
ne savais ne savions rien encore de ces relents puants, fascisants
rien de cette violence sourde en train de blesser le Paris des travailleurs, d’humilier le Paris des luttes et de la fête, de mettre en colère Paris du Front Populaire et de la Libération

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
parmi frères et sœurs à l’accent pointu avancer en souriant à la chaleur de mai
en me souvenant que minot c’était sur les épaules de mon père que je défilais entre les Réformés et la Joliette
il y avait des drapeaux rouges des faucilles et des marteaux dessus jaunes d’or
des calicots blancs avec slogans clairs Paix au Vietnam, Liberté pour Angela Davis
je me souviens des banderoles aux lettres rouges sang des cheminots, des postiers, des travailleurs de la réparation navale avec leurs Bleus de Chine
les adultes chantaient l’Internationale
l’ambiance était joyeuse légère
en descendant Canebière des gens applaudissaient ou nous rejoignaient ou se mêlaient au défilé en chantant
ça me plaisait de lever le poing les doigts bien serrés
quelques agents de police nous dévisageaient sous leurs képis blancs
ils transpiraient certains baillaient en regardant leur montre

parvenu sur le Vieux-Port le cortège ralentissait on regardait la mer scintiller et les mats des voiliers se dandiner
Rue de la République je me souviens de l’ombre soudain dans le cou et des slogans qui résonnaient plus fort
je voulais marcher moi aussi me dégourdir les jambes
mon père me faisait descendre maman me prenait par la main
vus d’en bas les drapeaux rouges caressaient le ciel
ça sentait l’iode le poisson mort la mer l’urine et un peu les poubelles aussi
elle me semblait lointaine la place de la Joliette là où le cortège se dispersait
en face des bateaux qui attendaient de reprendre la mer pour Bastia ou Alger
chaque fois j’avais envie d’embarquer moi aussi
et je pensais à mon grand-père corse qui avait passé sa vie à naviguer
à ses Premiers Mai à lui travailleur de la mer parmi les travailleurs sur la terre
et puis il fallait rentrer repartir vers l’autre côté du Vieux-Port retourner au quartier remiser les drapeaux
le visage brûlant de soleil

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
ce souvenir d’enfance m’a accompagné hier de Montparnasse jusqu’au carrefour où j’ai rebroussé chemin étouffant soudain dans ce cortège géant bruyant bon enfant ce cortège rempli de colère et de chants et de slogans tonitruants
colère à chaque coin de rue barrée
toutes sans exception
par les hommes bleus géants casqués armés boucliers matraques grenades lacrymogènes LBD
pris dans une nasse géante avons avancé dans l’autre sens alors que circulaient tout à coup sur nos smartphones les images violentes de la répression sauvage en tête de cortège le sang les blessés
les plans affolés sur ce déferlement de coups d’assauts de poursuites de baston de gazages de pavés lancés de cris et de colère mêlés

Premier Premier Mai de ma vie à Paris
ne serai pas allé jusqu’à la Place d’Italie
de retour à l’abri découvrir avec dégoût le mensonge d’État
honteux méprisable haïssable
reconnaître l’odeur affreuse de ces mots dans ma bouche
en détester la râpeuse texture
maudire chacune de leurs consonnes
les recracher avec dégoût
en reconnaître pourtant le poids de colère et de révolte
prendre pitié pour les blessés les cabossés les défigurés les menottés les humiliés
puis repartir les yeux clos vers la lumière joyeuse de mes défilés d’enfance.

Un paseo por la Concha #2

En descendant vers le sable depuis la large promenade de la Concha, j’ai d’abord croisé deux baigneuses qui se rhabillaient et une famille de Péruviens avec chien. Et puis j’ai aperçu la silhouette d’un homme qui semblait chercher quelque chose dans le sable, casque sur les oreilles, détecteur de métaux et petite pelle à la main. Je me suis approché et la discussion s’est engagée avec Alberto Pardo Elizalde, 45 ans.

Pour traduire cet échange avec Alberto, je n’ai pas souhaité superposer ma voix à la sienne. Mon désir est que vous puissiez – tout comme moi – apprécier toute la saveur de la langue espagnole. La traduction, la voici :

– Que cherchez-vous ?

– Je cherche des pièces de monnaie sur la plage.
– Des pièces ? Combien ?
– Ce qui vient, ce que je trouve. Des euros surtout. Ces derniers temps, je viens souvent ici car je suis au chômage.
Ce qui se passe aujourd’hui en Espagne, c’est que nous sommes revenus au franquisme. Au pouvoir aujourd’hui, il y a les mêmes qui nous gouvernaient il y a 100 ans. C’est le retour du franquisme. Nous nous retrouvons dans les mêmes conditions.
Depuis 40 ans, ils nous volent. Ils ont liquidé les fondations de l’Etat. La fraude fiscale dépasse les plus de 80.000 millions d’euros par an et pendant ce temps, ils s’attaquent aux emplois, aux retraites, aux médicaments, à la santé, à l’éducation.
– Quelle solution pour que ça change ?
– La seule, c’est l’indépendance du Pays Basque et de la Catalogne. Que peut-on espérer d’un pays dans lequel il n’y a eu aucune enquête sur le demi-million de morts du franquisme ? Les responsables ont été protégés par tous les gouvernants du Partido Popular (PP).
Imaginez un pays comme l’Allemagne avec un gouvernement qui aurait protégé tous les criminels nazis ? Sans les condamner ni les juger ni les mettre en prison… C’est ce qu’il se passe chez nous.
– Rien n’a changé en Espagne ?
– Non, rien n’a changé. Il y a même des gens qui disent que c’est pire que sous Franco. Parce qu’à l’époque, il y avait UN Franco et aujourd’hui, plein de Franco.
Avant, les gens étaient pauvres. Ils n’avaient pas d’argent. Aujourd’hui, non seulement nous sommes pauvres, mais on nous saigne avec tous ces impôts.

Révoltes FM

Franchement, n’avez-vous jamais rêvé de travailler sur Révoltes FM ?

Moi oui. Très souvent même. Et aujourd’hui encore…

https://soundcloud.com/syntonefr/r-voltes-fm-extrait

Cette création sonore est signée Bruno Guiganti. Elle émane de Syntone, une web revue consacrée à l’actualité et à la critique de l’art radiophonique. Syntone vient de lancer une campagne de crowdfunding – un appel à souscription assez bien ficelé ma foi – dont voici la bande annonce.
Syntone blogué en 2011 par l’incontournable Radio Fañch
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