Oui, je sais, je suis un peu fada de me baigner un 20 novembre dans une eau à 15 degrés. Mais que voulez-vous, chaque fois que je reviens au quartier, à Marseille, les rochers et la mer me tendent les bras et je ne peux résister. Je suis même sûr que je viendrais prendre le bain tous les jours si j’y vivais encore. En sortant de l’eau, il faisait encore bon et tout en me séchant, j’ai bavardé un court instant avec un homme qui patientait au bord de l’eau, le temps que son collègue lui trouve ses lunettes de nage perdues dans les flots. Figurez-vous que cet homme, m’a fait une drôle de révélation.
Papa fut instituteur de la République jusqu’en 1988, à l’école de La Roseraie, rue Pierre Mouren, dans le 7eme arrondissement de Marseille. S’il vivait encore, il se souviendrait à coup sûr de son élève Serge, souriant enfant d’Endoume devenu pâtissier.
Papo, c’est mon éléphanteau. Tout nouveau, tout beau. Déniché parmi maintes peluches par mon épouse pour les décos de Noël. Dès que je l’ai vu, je me le suis accaparé. L’éléphant est mon animal préféré. En regardant Papo assis paisiblement sur son fauteuil, je jette vers le néant le souvenir douloureux du jour de mes 7 ans. Depuis tout petit, Dumbo, un éléphant en peluche et bourré de paille m’accompagnait dans la maison. Je lui parlais, le câlinais, lui confiais mes petites misères, le grondais aussi de temps en temps parce que j’aurais bien voulu parfois gronder mes parents mais je n’osais pas. Arrive le jour de mes 7 ans ! L’âge de raison, m’annoncent Papa et Maman. Tu es grand maintenant ! Plus besoin de doudou ! Débarrasse-t’en ! Enfant conciliant j’étais. Ni une ni deux, Dumbo finit dans le poêle à bois. Jeté par ma petite main. Je me souviens de mes pleurs en le regardant s’embraser à toute vitesse et se ratatiner en un petit monticule de cendres. Plus de soixante ans plus tard, Papo me fait entrer dans l’âge de déraison. Et c’est très doux quand un éléphanteau paisible sèche les larmes d’un Papet.
Le pommier paradis. La feuille papillon. Le merle en récital. Les radis du dimanche. Tout semble si léger. Pourtant, la mélancolie rode et je descends dans les graves.
After Bach, par Clovis Nicolas (extrait de l’album Autoportrait)
Plongé dans ce morceau de contrebasse, je réalise que je n’ai plus entendu la voix de mon père depuis qu’il est parti, voilà bientôt quinze mois. Je lui parle souvent, surtout lorsque j’écoute Bach. Je sens qu’il est là mais je n’entends plus sa voix. Lorsque je joue du violoncelle aussi, il est présent. Je sais qu’il est content de savoir que le cello qu’il m’a offert quelques mois avant de mourir me procure joie et réconfort. Mais Papa reste muet. Sa voix me manque. En observant mon petit-fils de cinq ans et demi écrire avec application et jubilation chaque lettre de l’alphabet, je le retrouve dans sa blouse bleu-pétrole, lui qui fut instituteur de la République. Et je le réécoute se raconter.
L’écouter encore et continuer de lui parler en lui offrant ces rosaces dessinées et coloriées par ses deux arrière petits-fils.
Qu’en entendent-ils du mistral les disparus il fait danser les mouettes écumer les flots hurler trembler les fenêtres de ma chambre qui fut ton bureau Maman l’entends-tu toi dis ce vent de folie le sentent-ils les morts pousser et pousser encore les dalles de leurs tombes s’engouffre-t-il dans les fissures délaissées les pots de fleurs les ex-voto les plaques aux mots offerts qui tapent sur le marbre en perçoivent-ils les claquements et ces cendres dispersées au jardin du souvenir qu’en reste-t-il lorsque le vent se déchaîne et nous vrille la tête avec toutes ces pensées sombres tu peux me dire Maman ?
« … Mistral mistral mistral
On voudrait bien que tu t’arrêtes … »
Les yeux tendus vers l’azur,
comme souvent
j’ai entendu soudain
– approche, approche donc !
alors, j’ai avancé à petits pas
pour savourer l’offrande
enfoui ma tête sous le grand mimosa
laissé la voix de mille abeilles m’envahir
et tournoyer parmi les pompons d’or
jusqu’à parer mes pores d’éphémère poussière
ivresse légère d’un matin à chérir
parmi les souvenirs précieux
d’un hiver qui se meurt
C’est donc ainsi
encore une année sans toi
la troisième
en naîtront d’autres où tu vivras encore
chaque jour et chaque nuit
retournerons à la mer
sur ces rochers qui se souviennent
de la femme que tu fus
de l’enfant que j’étais
des baignades et des embruns
des gabians et des crabes
des aubes et des midis et des crépuscules
à écouter ensemble
nous repartirons aussi en montagne
approcherons des sommets
monterons marcher dans la neige
prendrons le temps de retrouver ces lacs
qui gardent en mémoire
le reflet de ton regard émerveillé
face aux silence des cimes
encore une année sans toi
mais chaque seconde de ma vie
te nomme et te ressuscite
c’est donc ainsi
Je suis revenu sur nos pas
ce chemin bistre
où nous aimions jouer
c’était joli en été
tu te souviens ?
des coquelicots à foison
poussaient jusqu’à la porte
en apportions au chevrier
s’amusait de nos mains blanches
nous laissait caresser les bêtes sous le toit frais
se moquait de nos grimaces
quand buvions un coup de son vin
partagé à la bota
puis l’abandonnions à ses bêtes
collions nos bras contre les pierres
osions parfois quelques baisers
revienne le temps du vin vert
des murs chauds et du chemin bistre
des grimaces et des coquelicots
Venais juste ou presque d’achever la lecture de Les choses, le roman de Georges Perec lorsque soudain, orage de grêle de folie sur le toit d’en face
grêle comme celle qui l’été s’abattait sur les oliviers de Bauduen, mon village d’enfance en Provence
accompagner ensuite les vieux auprès du désastre
maudissaient les orages
serraient les mâchoires
ramassaient branchages fracassés de glaçons
les jetaient dans brouettes en bois
roues grinçaient sur le chemin du retour vers les maisons
noyés de cagnard étions tous
noyés
avons failli l’être en août 73
lorsqu’un projet de barrage EDF a voulu rayer villages de la carte
la providence ou pas du tout a fait que le notre fut épargné de la noyade
nourri par le Verdon un lac est né
au ras de Bauduen l’eau s’arrête
les pieds dans le lac sommes depuis
l’été, les orages de grêle poursuivent leur saccage
sur le peu d’oliviers qu’il reste à récolter sur les terrasses
là-haut vers Saint-Sauveur
reste ce Je me souviens publié ici il y a quelques années
Je me souviens de l’eau vive du Verdon
Je me souviens des bains dans le Verdon
Je me souviens du danger du Verdon
Je me souviens du carrefour de Sainte-Hélène au bout de la route
Je me souviens des paniers du goûter au bord de la rivière
Je me souviens des saules et des galets en face de Sainte-Croix
Je me souviens des truites de Fontaine l’Evêque
Je me souviens du pont de Garruby
Je me souviens des mûriers et des chênes truffiers disparus sous l’eau
Je me souviens des vergers du vallon aujourd’hui inondés
Je me souviens de l’allée de marronniers sur la route d’Aups
Je me souviens de l’estafette blanche qui nous montait d’Aups
Je me souviens du village des Salles, si proche, si loin de Bauduen
Je me souviens que ma mémé Zoé parlait patois avec Madame Rouvier
Je me souviens des Iscles et de ses champs bruns aux sillons réguliers
Je me souviens des départs aux champs de Monsieur Paix sur sa bicyclette
Je me souviens des remorques pleines à ras bord de lavande
Je me souviens des mas de Tante Berthe
Je me souviens des lucioles des soirées d’août
Je me souviens du cheval au sexe immense de mon grand-oncle
Je me souviens de Monsieur Coindet et de ses mouches pour la pêche
Je me souviens de Monsieur Gabin et de son pantalon bleu roi
Je me souviens de Elie le boulanger à la voix tonitruante
Je me souviens de Madame Cauvin et de son poulailler
Je me souviens du lait livré à la maison par Monsieur Bagarry
Je me souviens de Gisèle sur son balcon et moi en bas sur le parapet
Je me souviens de mon oncle Auguste partant à la chasse en face du village
Je me souviens de la trompettaïre et sa voix de crécelle
Je me souviens des marchands de légumes sur la place
Je me souviens des séances de cinéma sur la place
Je me souviens du miel de l’apiculteur
Je me souviens de l’école de ma mémé Zoé au Château
Je me souviens des bals devant l’Auberge du Lac
Je me souviens des cachettes dans la falaise
Je me souviens des amandiers en fleurs
Je me souviens des cailloux jetés à la nuit sur les terrasses
Je me souviens des fontaines au coin des rues et de leurs manivelles rondes
Je me souviens du grenier frais où couraient les souris
Je me souviens des bulldozers et des plaies sur la terre
Pour tous les Chinois du monde, l’année a donc débuté sous le signe de la chèvre. À l’astrologie chinoise, je ne comprends pas grand chose. Comme d’ailleurs à l’astrologie occidentale. Mais bon, l’animal m’est sympathique depuis l’enfance. Ma tante Berthe en promenait une au village. Blanchette elle s’appelait. Elle la tenait par une ficelle accrochée au cou. Je me souviens de son odeur forte et de ses petites crottes noires comme des cachous qui nous amusaient beaucoup. Doux souvenir d’enfance, à accompagner d’une musique traditionnelle chinoise, histoire d’entamer cette nouvelle année en douceur. Les amoureux papillon, c’est le titre. Un jour, je saurai l’écrire en chinois.