Te souviens de ce dimanche le premier jour d’octobre traverses en ferry le Huangpu le fleuve au limon brun jaune deux yuans pour cinq minutes de voyage la caissière te donne un petit jeton bleu en plastique à remettre à l’employé à l’entrée de l’embarcadère regards vers l’autre rive plus large que le Rhône il te paraît le fleuve un parc de l’autre côté au pied des gratte-ciel t’installes sur le pont supérieur à l’arrière au grand air pas grand monde c’est rare il fait chaud les demoiselles en tenue légère les garçons en chemisettes tee-shirts drapeau chinois dans quelques mains ou poche arrière du pantalon premier octobre jour anniversaire de la République populaire soixante-huit ans ça fait une semaine de vacances pour tous ou presque tu te rends compte Papet les deux aéroports et les deux gares de Shanghai assaillis dès quatre heures du matin le ferry croise des péniches noires remontent vers la mer de l’Est un petit morceau de mer en bordure de Pacifique d’abord elles rejoindront le Yang Zi en français on l’appelle Yang-Tsé certaines chargées de charbon d’autres couvertes de larges bâches vertes du linge suspendu près de la cabine une chemise chaussettes culottes les mariniers voyagent avec femme et enfant tu imagines une vie à naviguer de fleuve en mer et de mer en fleuve pas d’école à bord peu importe la vie avance quand même ou bien tu laisses ton minot aux grands-parents souvent c’est ce qui se passe lorsqu’il faut aller chercher le travail à la grande ville quittes ta maison dis au-revoir à ton enfant revoir quand tu sais pas le grand-père et la grand-mère s’en occuperont d’ici à ton retour autant dire pendant des années à présent une secousse le ferry se cale contre le quai attaché à deux amarres deux cordages sales ont bien vécu s’effilochent un peu et la voie est libre à la descente inimaginable la foule massée le long du fleuve gigantesque ce flot humain qui se presse sur le Bund la plupart touristes de l’intérieur arrivés le matin de leur province il faut qu’ils la touchent des yeux la célèbre tour télé la Perle de l’Orient et ses quatre cent soixante huit mètres de haut pareil pour les buildings les ont vus à la télévision chez eux enfin ceux qui vivent dans les villes tu observes la marée humaine s’en dégage une impression de fatigue teintée d’insouciance de curiosité de naïveté nombreux visages tannés par le soleil chemises blanches oui pas de shorts et chaussures encore poussiéreuses le voyage vers la ville lumière en groupe le plus souvent suivez la guide et son fanion bleu ou rouge inaudibles les phrases criées pour expliquer raconter le panorama bouteilles de soda sucettes aux couleurs vives brochettes de fruits cornets de glace pistolets à bulles de savon pour les petits de nombreux jeunes couples avec bébés la grand-mère souvent dans leur foulée à surveiller le petit tandis que les parents s’arriment à leur portable le remarques souvent au restaurant aussi ne se parlent pas captivés par leurs écrans et la mémé qui gère le pitchoun le fleuve on y pose aussi contre les rambardes les barrières théâtre de selfies et de doigts en v brandis devant le photographe quelques joggers ils ont de quoi s’entrainer pendant qu’aux terrasses des cafés branchés ça bavarde en fumant autour d’un café crâne rasé collier à grosses boules en bois ou chaîne en or qui brille et Mercos garée à côté l’heure avance le soir approche tu vas retraverser le fleuve à l’embarcadère une poignée d’ouvriers patientent bicyclette en mains cigarette aux lèvres casque de chantier jaune brillant sur la tête pas de dimanche pour eux cette semaine encore et l’anniv’ de la République populaire n’ont pas eu le temps de le célébrer.
traversée
Traversée
Traverser la campagne givrée
train presque fantôme
juste le crissement des freins
et le claquement des rails
pour déchirer le silence du petit matin
avancer
rentrer
retourner
yeux fermés
souffle presque fantôme
juste la danse légère du sang
sous la peau fatiguée
puis
presque par surprise
se retrouver en pleine lumière
et prier
prier encore
à la mort des fantômes