Hier, j’ai pris le train et traversé Nice, la ville natale de mon père.
Il y passa seulement six mois – ensuite, ce fut Marseille – mais il n’oublia jamais ses premières minutes vécues dans la ville de la Côte d’Azur.
En approchant de la gare de Nice-ville, tandis que le train battait comme un cœur empesé, je me suis souvenu du récit amusé que Papa me fit de son tout premier voyage dans ce monde.
Son cri initial fut si puissant, si douloureux et son corps si visqueux que mon père effraya l’accoucheur et échappa de ses doigts.
Une fraction de seconde à peine après l’amorce de sa chute vers le sol, la tête en bas, la main leste de la sage-femme le rattrapa par la cheville.
La peur rétrospective de perdre son fils ne quitta jamais ma grand-mère.
Enfant et jusqu’à tout jeune homme, Papa fut surprotégé, couvé tel un oisillon tombé du nid.
Il conserva cette fragilité jusqu’à son dernier souffle.
Bientôt deux ans déjà qu’il est parti pour son dernier voyage.
Hier, il aurait fêté ses 91 ans.
vie
Une douce renaissance
Les mots pour le dire
« Elle était restée muette depuis que Maman s’en était allée vers l’autre monde. Plus de cinq années remisée sur une étagère au fond d’un placard. Rien que du silence autour de son corps tout blanc. Plus de mains pour le saisir. Plus de doigts pour lancer l’ouvrage. Plus un souffle. Plus un mot. Inanimée, la machine. Et puis Mathilde est arrivée avec un désir de coudre doux comme un baiser offert aux fils du passé. La machine l’attendait. Les bobines de fil aussi. Par dizaines. Multicolores. Rangées avec soin par les mains expertes de Maman couturière. Soudain, le silence s’est rompu. Dame machine s’est remise à parler, à chanter, à créer. Une douce renaissance. Une caresse joyeuse lancée sur les flots du présent. »
Oh Happy Day- Aretha Franklin
En silence et profond jusqu’aux cieux
Parti saluer les arbres
avec en tête
leur murmure magique raconté par Cendrine Robelin
l’autre jour sur France Culture
forêt de Brocéliande pour elle
forêt d’ici pour moi
moins dense
moins profonde
mais belle et recueillie aussi avec son bestiaire
silencieux tel un cimetière
parlé au grand arbre-éléphant
fait coucou au petit arbre-chouette
souri à l’arbre-taureau
les ai tous approchés
ai caressé leurs têtes moussues
leur ai demandé de me confier
leur vérité d’arbres coupés
privés par l’homme de majesté
réduits à l’état de souches abandonnées
m’ont répondu que comme les humains
souffrent et crient et se plaignent parfois
que comme nous autres
meurent aussi parfois
et se retrouvent en tombe
n’ai pas voulu les croire
je sais que jamais arbres ne meurent
sauf par le feu
et que sinon continuent de vivre
même trop tôt coupés dans leur élan
vivants sont depuis leurs racines
en silence et profond jusqu’aux cieux
Te retrouver ici et là-haut
C’est donc ainsi
encore une année sans toi
la troisième
en naîtront d’autres où tu vivras encore
chaque jour et chaque nuit
retournerons à la mer
sur ces rochers qui se souviennent
de la femme que tu fus
de l’enfant que j’étais
des baignades et des embruns
des gabians et des crabes
des aubes et des midis et des crépuscules
à écouter ensemble
nous repartirons aussi en montagne
approcherons des sommets
monterons marcher dans la neige
prendrons le temps de retrouver ces lacs
qui gardent en mémoire
le reflet de ton regard émerveillé
face aux silence des cimes
encore une année sans toi
mais chaque seconde de ma vie
te nomme et te ressuscite
c’est donc ainsi
Elle te dit
Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés
elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance
sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin
tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps
Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».
Miette de vie
Tempus fugit
Une vie de lézard
ce serait quoi ?
jouir au soleil, peu importe l’heure
retourner s’allonger au temps des Romains
une respiration simple
un corps gracile
des pattes lestes
sans autre vertige que celui de l’instant
une vie de lézard
ce serait aussi
sans pensées ni calcul
retrouver
l’art de la fugue à volonté
à l’ombre des cadrans
la recherche des failles
l’adoration des fissures
le culte des cachettes
les plaisirs de l’obscur
une vie de lézard
ce serait un peu comme
nous rêverions nos vies
si nous pouvions l’espace d’un instant
oublier le temps qui s’enfuit
Vie d’avant
Maman s’en est allée
Lucette, ma maman, est morte ce lundi 6 octobre au petit matin. Je ne la reverrai plus ici-bas mais je l’entendrai toujours me parler, me questionner, m’encourager. Au mois de mai dernier, nous étions allés faire coucou à sa mère qui repose au cimetière de Bauduen, dans le Haut-Var. Nous avions évoqué cette mort qui est notre destinée commune. Maman n’en avait nullement peur. Emplie de sagesse elle était. Belle. Sereine. Forte et si profondément humaine. Comme chaque jour de ce que fut sa vie dans ce monde-ci.