Comme l’autre jour avec les hirondelles, il m’a fallu être très patient pour réussir à capter l’un des éclairs qui ont zébré le ciel de la ville. Cette photo a nourri en moi l’espoir de gros orages. Pas de ceux qui tuent mais de ceux qui me laissent tremblant derrière la vitre, en me souvenant des délicieux coups de tabac d’autrefois, l’été à la campagne, lorsque la maison vibrait et avec elle toute la rue, tout le village.
Bauduen vêtu de blanc hier rare merveille comme une offrande d’anniversaire pour Mémé native du village l’imagine enfant six sept ans pas plus à la charnière entre les deux siècles passés nez rouge cache-nez autour des oreilles longue tresse qui dépasse sabots de bois gorgés de paille la vois bien dévaler Rue Longue vers l’école avec ses copines s’offrir quelques glissades sur la neige déjà verglacée dans la descente qui rejoint Rue Grande les chutes sur les fesses et les éclats de rires aussi clairs et joyeux les doigts gourds gelés après le ballet de boules de neige puis le porte-plume douloureux à saisir au moment d’oublier les jeux écrire avec peine les phrases dictées par la maîtresse quelques taches violettes sur la page le froid du plancher au plafond malgré le poêle à bois au beau milieu de la classe le concert d’atchoum de reniflades l’échappée des yeux à travers les vitres de la fenêtre vers les petits oiseaux perdus dans tout ce blanc jusqu’aux cimes des arbres puis la cloche sonne la récréation sortir grelotter dans la petite cour enveloppée de blanc se réchauffer les pieds les jambes le corps en tapant les sabots sur la neige chanter en chœur aussi quelques comptines pour se donner du courage et après la classe lorsque le soir approche déjà remonter à la maison enveloppée de cette lumière mate descendue des toits ne pas s’attarder se sentir seule au monde parmi les maisons silencieuses où traîne invisible l’odeur du bois brûlé en chemin se perdre entre deux rêves ou deux prières le retour rapide du soleil pour redonner au paysage son visage connu ou des cascades de neige à flocons épais comme des noix pour que s’installe le mystère jusqu’aux vacances et que durent les glissades et les rires clairs de retour à la maison là-haut Mémé choisit la baguette de fée toute blanche comme par miracle elle enveloppera de merveilleux l’ordinaire des jours.
Toujours aimé me rapprocher des frontières
de l’ailleurs à portée de pas
des coins reculés du monde
l’Espagne pas loin dimanche dernier
une escapade en montagne
les Pyrénées
l’horizon à flanc de cime
la petite route glacée pour monter au village
s’y parla longtemps et s’y parle encore un peu de ci de là le parler d’ici
l’occitan joli
Edelweiss sur la cheminée
on en trouvait tant au pays montagneux de mon grand-père
de l’autre côté de nos Alpes
de l’autre côté de l’autre frontière
celle qui ouvre sur la Suisse et l’Italie
les langues y roulaient leurs r
montagne de Corse aussi
l’Île blanche
sans autre frontière que la mer
la patrie de l’autre grand-père
cette Corse au teint de feu
aux saveurs de châtaignes
et cette langue belle et douce
chantée par les poètes
apôtres de paix
tout là-haut cet après-midi-là
suivre la marche du soleil
approcher en silence visages inconnus
saluer leur mémoire
puis se remettre en route
s’éloigner de la frontière
redescendre sur cette petite route glacée
où se croisent encore parfois nos semblables
comme une apparition
Bauduen, dans le Haut-Var. Quelques mois qu’elles ne s’étaient pas vues. Simone, 86 ans et Lucette, ma maman, deux ans de moins. Amies fidèles. Se sont retrouvées hier dans ce village qui les réunit depuis l’enfance. Mémoire vivace.
Cette pluie d’orage sur mon village m’a replongé dans l’enfance. Elle a vivifié le souvenir des orages de la fin août. L’air se faisait moins brûlant et la rentrée des classes approchait. C’était il y a quelques dizaine d’années…