Balin-balan rejoindre ma madone

Bien bruyant le vieux TER. Balin-balan, il mène sa vie de petit train fatigué. N’est pas du tout pressé. Longe la mer, de gare en gare. Se repose un court instant et repart en grinçant. Seul dans la rame, les paupières closes, je m’en vais rejoindre ma madone.

TER

La madòna dau TER – Moussu T e lei Jovents

Hiver #6 Île aux moines et île numérique

Choisir une île. S’échapper de la côte et du territoire connu. S’extraire de la routine des heures et partir vers le large. Embarquer. Laisser affleurer l’ivresse douce offerte par l’air marin et le léger roulis. Me souvenir de mon grand-père corse qui navigua toute sa vie entre Marseille et son île natale, calé dans la salle des machines. Sur le pont, écouter l’avancée du bateau. Longer les balises colorées de rouge et de vert. Deviner les montagnes blanches de neige, là-bas au loin. À même pas une demie-heure du port de Cannes, débarquer sur l’île Saint-Honorat, la plus petite des deux îles de Lérins. Mille cinq cents mètres de long sur quatre cents mètres de large, pas plus. Ce micro-territoire accueille des moines depuis l’an 410. Bénédictins d’abord. Cisterciens depuis 1867. La communauté d’aujourd’hui est réduite à une vingtaine de moines, âgés de trente à quatre-vingt dix ans. Retranchés dans leur cloître, leurs salles communes et leurs cellules, ils ont choisi de « se laisser façonner par Dieu ». À distance de notre monde, celui des non-reclus. Isolés derrière les murs de leur abbaye, ils sont invisibles, sauf lors de la messe quotidienne.

 

Arrivé trop tard sur l’île. Tu aurais aimé entendre leurs voix, leurs chants, leurs prières. Tu ne les approcheras pas. Il te faudra revenir après l’hiver pour les apercevoir travailler leurs vignobles. Alors, tu laisses aller tes pas sur le sentier qui fait le tour de l’île et tu écoutes la mer.

La mer, sans doute l’entendent-ils depuis leur monde. Sans doute apprécient-ils son chant. Sans doute leur permet-elle de se sentir encore plus proches de ce Dieu mystérieux auquel tu crois par intermittence, toi. Ce Dieu d’amour et créateur – paraît-il – que tu grondes de plus en plus souvent parce qu’il ne fait rien pour empêcher la saloperie du monde.

Nos îles numériques. Voilà quelques semaines que je rends visite à ce site imaginé par deux écrivains découverts et rencontrés sur le net, Anne Savelli et Joachim Séné. D’entrée, ils ont affiché la couleur : notre projet d’écriture utilise le web pour en cultiver la richesse et en contrer les effets néfastes. « Richesse et effets néfastes » résonnent en moi depuis si longtemps que j’ai choisi de participer à l’enquête qu’ils proposent, dédiée à nos rapports avec le numérique, à nos histoires de connexion, aux perturbations et aux bonheurs que le net engendre. Dans la dernière étape de leur enquête, Anne et Joachim proposent d’inventer ses lieux de refuge, de repos. Ils suggèrent aussi de se déconnecter d’internet – trois jours, une semaine ou un mois – et d’imaginer un lieu où vivre cette expérience – son île numérique – où se connecter à ses premières émotions, à ses premières sensations à l’écart du web. À l’écart du tumulte des clics, des scroll, des notifications et des réseaux sociaux. Allez, banco ! Je me laisse tenter. Dès demain, je me déconnecte du net. Pendant trois jours. Sans appréhension. Excité par le choix de ce petit voyage vers une île inconnue. Désireux de me laisser façonner par sa découverte, tel un moine de l’ordre des déconnectés. La semaine prochaine – à moins que je décide de prolonger l’aventure – je tenterai de raconter ici comment je l’aurai vécue. D’ici là, musique, avec un morceau dont j’ai commencé à étudier l’arrangement pour violoncelles, dans le petit orchestre auquel ma prof m’a invité de participer.

The show must go on – Queen

Sur l’arbre

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Juché sur la cime qu’attends-tu vieux voyageur des forêts vers quels horizons tournes-tu ton regard de cyclope étonné tu as pris le temps d’arpenter les sentiers bleus des matins tu t’es glissé entre les précipices tu as frôlé les crevasses du monde et tu l’observes à présent figé d’étonnement ou de stupeur ou de froid qui sait rien ne te protège des tempêtes à venir rien pour t’abriter lorsque approchera en silence à travers les nuages enfantins et les nuées d’oiseaux le grand tremblement qui d’un coup d’un seul nous enveloppera tous de ce noir où tout sera à réécrire repeindre réinventer.

Photo de ci-haut : « On the tree » , œuvre de HiroshiTachibana

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À travers l’Aragón

Je ne peux m’empêcher
de faire des travelling

là c’est l’Espagne
à travers l’Aragón
en direction de Zaragoza

les rares arbres nous tournent le dos
le paysage file à rebours
tandis que serions à l’arrêt
nous nous enfoncerions sous terre
puis happés par le ciel
nous ne résisterions pas à l’appel
de ces moulins à vent modernes
troupeaux de géants
certains déjà bien las
de tourner en rond dans le sens du temps
comme nous autres parfois

j’aime longer cette terre
ses champs ouverts comme une mer
ses entrepôts, ses silos
ses usines d’autrefois
leurs cheminées gratte-ciel
ses wagons de marchandises délaissés
ses voies ferrées qui espèrent les trains

j’aime deviner l’horizon de cette terre
au-delà de la caresse des arbres et des roseaux

Migrateur

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Puisqu’il faut rentrer
redescendre de la montagne
retourner sur le sol d’avant
non-pas cheminer à reculons
non
se placer dans l’autre sens
revenir dans les contrées laissées en friche
redessiner les contours effacés
laisser le ciel peser sur les silences et les cris d’ici

puisque l’heure sonne d’un nouvel abandon
chaque fois il le faut
oui
abandonner encore
toujours pareil
c’est
enfouir à nouveau le lien ténu avec la neige et la glace
gommer l’éclat des roches
rayer l’alphabet des écorces
écrire cette lumière et repartir

puisqu’il faut oser l’au-revoir
tourner le dos
quitter
couper
perdre

s’en remettre à présent aux calligrammes des migrateurs
redécouvrir leur grâce au-dessus des branches frêles
goûter les traces laissées aux pieds, aux doigts, au corps tout entier
puis, savoir se fondre dans les rêves de départ

Der Wanderer – Franz Schubert – chant : Dieter Fischer-Diskau – piano : Gerald Moore

Il est où l’avion ?

Le nez en l’air comme souvent. Regarder le ciel. Frôler la limite entre la frise de blanc et l’azur. Un avion passe. Vers où trace-t-il sa route ? Impossible à distinguer. Il a dû s’éterniser dans les nuages. Imaginer le pays où il se posera. Tout à l’heure. Dans la nuit. Ou bien demain. Lorsque poindra le jour sur le parc peuplé de chênes et de platanes, où le petit garçon est venu me demander Il est où ?

Avec mon fils, devenir des étrangers

Avec Marius, nous nous apprêtons à voyager en dehors des frontières de notre France. Descendons à Barcelone. Migrons vers cette ville que nous imaginons accueillante pour les étrangers. Notre grand-père et arrière grand-père fit le voyage – depuis Zürich – dans l’autre sens. Ce n’était pas pour des vacances. Ne l’oublions pas. La chanson d’HK & les Saltimbanks nous accompagne. Répèterons en choeur l’une des paroles : 7 milliards d’étrangers sur la planète…

Des oiseaux et des avions

Petit matin au sud de Paris hier matin. Un jardin en face de la chambre. De beaux arbres ouverts au vent de pluie, et des oiseaux heureux comme tout. Malgré le passage des avions tout là-haut. Entendre les oiseaux dès le réveil me met en joie pour la journée. Entendre les avions me donne encore un peu plus la bougeotte. Attise mon désir de voyage.

VasesCommunicants de juillet – 3 cartes postales d’Anna Jouy

Premier vendredi du premier mois du second trimestre. Comme le temps file vite. Je m’égare… Premier vendredi du mois et donc jour de l’échange, du mélange, de l’envasement désiré. Les VasesCommunicants, quelle découverte depuis le joli mois de mai ! Après Claudine Sales et Candice Nguyen, c’est avec Anna Jouy que nous avons choisi en ce mois de juillet de partager des mots, des phrases, des textes, des émotions, des sensations.

Anna Jouy est une poétesse suisse. Les adjectifs me manquent pour qualifier la beauté et la force de son Journal poétique « Les mots sous l’aube » http://www.jouyanna.ch/. Elle m’a suggéré voyages comme mot déclencheur. Et puis cartes postales. Je me suis laissé tenter. Comment aurais-je pu résister à ce partage ? Merci mille fois à elle d’accueillir sur son blog mes petites cartes postales. Sur mon CarnetDeMarseille, voici les siennes. Je les trouve superbes.

abitibi-1

Je t’écris de la terre lourde, de la glèbe et du pays de l’arbre ; je t’écris des eaux qui charrient des vaisseaux fantômes, de l’Indien, du cri, du Grand Voyageur.

Je t’écris à cheval sur les totems, dans la crique, dans le bois et dans le plus grand froid. Je t’écris de là où le cœur prend des racines qui soulèvent la forêt, la portent en ciel, sac de nuages et filaments de feu, en sacrant des blasphèmes de douleur et de désir.

Je t’écris des tripes liquoreuses des écorces, de l’état sauvage des jungles du Nord ; du triste et pesant travail de la taille et de la scie, du bruit mécanique et huileux des tronçonneuses. Je t’écris du barrage, du socque gras et des épis de gel dans les cheveux. Je t’écris comme on chute, avec ce squelette de foi qui tire les convois dans les banquises, avec cette chair de note brumeuse s’élevant des nostalgies. Je t’écris du chant de l’homme en mal d’amour.

Ici je vis solitaire, humain tendu, humain de trait, sans cesse, vainqueur de chaque défaite : Spike white Spike white, être de l’œuvre, esclave fier. Je t’écris de la rapaille, de l’ailleurs et tu sauras que partout où c’est noir, où c’est sale, où c’est transversales sombres, il y a ma poigne amoureuse désirante, projectile lent et lourd, planète ébranlée, ma Marche à L’amour.

ABITIBI photo guide sulisse.com

Québec Miron

PS Lire http://lunefunambule.com/2013/11/12/je-tecris-gaston-miron/

Buenos-Aires-de-Noche

Tu attends n’est-ce pas… ? Tu attends que se lève la nuit comme on lève la poste, les relevailles de folie, celle que je t’écris chaque soir, chaque nuit, à doigts saignants puisqu’en dessous il y a peut-être la vie.

Tu attends n’est-ce pas, que je rentre de mes frémissements, de mes alcools, des pilules blanches de lune ? J’en ai gobé des réverbères ronds et entiers sur le chemin de retour des aventures de Buenos Aires.

Tu attends que de solitude, que de chambre, que de table rase, je te sorte les foisons de l’immense, que je n’y aie pas fermé les yeux, mais gardé bien ouverts, nus de larmes, pures soucoupes dans lesquelles déposer tes amandes.

Tu attends que je sois devenue une danse, un briquet de feu dans les lampions du jeu des jambes. Tu attends que de ce ciel, je t’en dise la lumière, moi, qui n’habite que la nuit, seule couleur où tout le monde, même les êtres allogènes, les fiévreux du dispensaire, tous, peuvent fondre et me joindre.

Tu attends ces mots, qu’on ne peut dire que d’ici et qui sont bien ceux d’ici, America del Sur… Mais c’est à toi de trouver mon chemin, à toi de venir en moi, extraire la prose instable et le tango définitif d’un peu d’amour argentin.

Moi je n’ai que les cachets pour estampille de voiles à mettre.

Buenos Aires photo Omar Uran

Buenos Aires Pizarnik

PS Lire Pizarnik Alejandra http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/pizarnik/pizarnik.htm

pommeraie

Ça y est, j’y suis. Moi aussi j’ai cherché ce carré de neige rose dans le ciel de Google Earth. Moi aussi j’ai voulu m’enivrer de ce parfum, là où marcher sans jamais n’en revenir, dans le duvet du printemps. Il m’a fallu comme lui, attendre mon heure, attendre ce déclenchement soudain des chaleurs et des lumières pour savoir qu’il était temps. J’y suis allée pour toi, parce que je le savais déjà, à l’instant même où j’en ai lu le détail stérile de sa visite, sans la moindre miellée, que c’était l’exacte métaphore de tout ce que l’on entreprend et qui n’aura pas de suite.

Parfois c’est si beau que cela coupe le souffle. On se sent éperdu d’une gratitude inquiète : il y a bien des chances que la vie ressemble à ça. Ces kilomètres de pommiers, tous en même temps éclos, comme un gigantesque champignon aux spores évaporés, grand pompon de chantilly sur ce coin de terre, mouchoir d’un tulle infiniment léger et subtil recouvrant une absence en creux, un silence abasourdi, l’hébétude d’exister pour rien…. Un « don de Dieu », a-t-il dit, déambulant parmi ces arbres goupillant leur parfum au vent sec de Sibérie.

Et tout près de lui, dans les mêmes pas, aussi proches que possible aussi, aussi vains que le sont ces croisées qui n’auront jamais lieu…cet autre inaccessible.

Pommeraie/photo atome 77.com

Sibérie Andreï Makine

PS Lire Andreï Makine, Le Livre des brèves amours éternelles

http://www.aventurelitteraire.com/andrei-makine-le-livre-des-breves-amours-eternelles/

                                                                                                    Anna JOUY                                                                                                                                       

Un grand merci à François Bon et son Tiers Livre http://www.tierslivre.net/spip/, ainsi qu’à Scriptopolis http://www.scriptopolis.fr/, initiateurs de ce vivant projet des VasesCommunicants.

Remerciements chaleureux aussi à Brigitte Célérier grâce à qui chaque mois, nous ne manquons rien des autres échanges rendezvousdesvases.blogspot.fr.