Shanghai est une vieille dame des années trente

Tu le crois à peine Papet seulement quelques centaines de mètres en sortant du métro un parc coincé entre deux rues envahies de voitures de camions de scooters de vélos et de piétons un trafic de folie comme d’habitude et à l’angle de YanAn Lu et de Fumin Lu un sentier qui ondule vers une forêt miniature ornée de bosquets de parterres de fleurs tu vas vers une mare surmontée d’un pont de bois il y a une fleur de nénuphar une seule à la surface de l’eau verdâtre tu te glisses sous les arbres tu caresses leurs troncs ils isolent du bruit les arbres tu reviens vers la statue de José Martí héros national de Cuba ça sent Shanghai ce parfum qui tatoue la ville pendant deux semaines en début d’automne c’est le Guì Huā Shù l’arbre aux petites fleurs rondes et jaunes certains vieux Shanghaïens les cueillent et les mettent dans l’eau chaude à infuser tu te plais à prononcer Guì Huā Shù avec la dame qui vient s’asseoir à pas menus sur le banc juste à côté de toi elle te sourit gentiment elle rit même à pleine dents en t’annonçant qu’elle a quatre vingt six ans en faisant six liù avec ses doigts à la chinoise le pouce et l’annulaire dressés et les autres doigts repliés vers la paume elle est de trente en un la dame comme Papa tu te rends compte elle avait dix huit ans lorsque Mao a fait la révolution tu voudrais lui demander de te parler de ce temps-là le temps de sa jeunesse le temps de l’espérance savoir comment c’était Shanghai la Chine son quartier sa rue quand elle était enfant puis adolescente puis quand Mao a pris le pouvoir mais tu ne connais pas ces mots-là pas encore tu ne sais pas parler de tout ça il va falloir progresser en chinois Papet et continuer d’étudier la dame te montre toute contente ses courses dans des sachets plastique il y a un poulet et du tofu et des légumes verts les pattes du poulet dépassent ça fait peine puis elle commence à agiter ses jambes une deux une deux comme un petit enfant de maternelle assis dans sa cour d’école et elle se tapote les bras avec les mains toc toc toc les Chinois font souvent ça tu lui demandes si elle fait du Tai Chi oui mais là ce matin elle est un peu fatiguée à cause des courses elle a beaucoup marché elle te répond et maintenant elle commence à avoir faim et te dit au revoir en agitant sa main Zàijiàn tu la regardes s’éloigner vers la rue bruyante en longeant les Guì Huā Shù les arbres odorants tu prends ton temps de t’emplir de leur parfum délicat il t’accompagnera toute la journée.

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