Te retrouver ici et là-haut

 

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C’est donc ainsi
encore une année sans toi
la troisième
en naîtront d’autres où tu vivras encore
chaque jour et chaque nuit

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retournerons à la mer
sur ces rochers qui se souviennent
de la femme que tu fus
de l’enfant que j’étais
des baignades et des embruns
des gabians et des crabes
des aubes et des midis et des crépuscules
à écouter ensemble

 

nous repartirons aussi en montagne
approcherons des sommets
monterons marcher dans la neige

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prendrons le temps de retrouver ces lacs
qui gardent en mémoire
le reflet de ton regard émerveillé
face aux silence des cimes

 

 

 

encore une année sans toi
mais chaque seconde de ma vie
te nomme et te ressuscite
c’est donc ainsi

 

Une femme libre, c’est si dangereux

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Provisoire
liberté provisoire
remise en liberté provisoire
Asli Erdogan sous le choc
hier à Istanbul

après plus de quatre mois de prison
l’écrivaine turque va pouvoir se reposer un peu et se soigner
jusqu’au 2 janvier
lundi prochain
date de la nouvelle audience de son procès

provisoire sa liberté
mais
dérisoire le nombre d’heures qui la séparent
du retour devant les juges
lundi c’est déjà presque demain

provisoire
ce mot affreux
il rime presque avec parloir
mais il pourrait aussi s’accorder avec grimoire
histoire de jeter un mauvais sort
aux immondes tyrans qui s’acharnent sur Aslı
un grimoire pour changer le cours de son histoire

pour qu’advienne un miracle
surgisse comme une renaissance
comme une étoile neuve dans le ciel de l’an nouveau
pour qu’Aslı puisse assister libre la semaine prochaine
à la publication par sa maison d’édition, Actes Sud
du recueil de ses articles traduits en français
sous le titre le Silence même n’est plus à toi

en attendant le miracle
j’écoute Springsteen en boucle
sa voix déchirée
ses mots qui sortent des enceintes et qui racontent les vies fanées
les destins défaits par la violence du monde
les crève-coeurs quotidiens
les larmes trop douces pour les raisons qui les font couler

dehors la ville se prépare à la fête
quelle fête ?
une année de plus à regarder le monde tomber en morceaux
les puissants décider pour les impuissants
l’injustice monter sur le podium
les mille et une façons d’user de la violence recueillir toutes les médailles

et pourtant mercredi Jacqueline a retrouvé la vie libre qui lui était due
et pourtant hier soir Aslı a obtenu un sursis
retrouvé les bras de sa mère-courage
offert son doux visage épuisé à la brise du Bosphore
caressé un chat
bu le vin de la liberté
souri aux fidèles, aux bienveillants, aux épris d’humanité comme elle

une femme libre, c’est si dangereux
quelle insoutenable menace pour la tranquillité des vils
des accapareurs, des corrompus, des assassins, des moins-que-des-hommes
une femme libre ça marche en robe légère
ça danse les bords de trottoir
ça saute dans les flaques d’eau
ça dit non
ça porte sa voix plus loin que des murs de prison
ça hurle de rage et d’indignation
ça serre les poings et ça les lève droit vers les tyrans
ça les regarde dans les yeux
ça prononce leur nom
ça raconte et ça écrit sur les pages de livres qui voyagent
et se partagent et se multiplient et témoignent, témoigneront, auront témoigné
seront là pour nous le dire encore et malgré tout
malgré le silence, l’indifférence et le malheur des jours sans lumière :
qu’une femme libre, c’est la grandeur du monde

* Aslı Erdoğan dans les bras de sa maman à sa sortie de prison

Photo copiée sur la page Twitter de Seray Şahiner

 

Les murs parlent de toi, Aslı

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Il y a des combats violents
pour libérer la parole
les murs parlent de toi, Asli

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tant de visages ont disparu
tapis dans les murmures
des palissades froides où tu survis, Aslı

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parfois un cœur s’accroche
en solidarité vivace
des amoureux de la liberté comme toi, Aslı

Le procès d’ Aslı Erdoğan s’ouvre aujourd’hui à Istanbul. L’écrivaine turque est emprisonnée depuis le 17 août, poursuivie pour « atteinte à l’intégrité de l’Etat » et « propagande en faveur d’une organisation terroriste » pour avoir collaboré avec le journal Ozgür Gündem, qui soutenait des revendications pro-kurdes. Comme huit des prévenus jugés avec elle, Aslı Erdoğan risque la prison à perpétuité.

 

Game over

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À peine évanouis les rires de la fête
rencontrer le chagrin des jouets délaissés
dérisoires cadeaux
fugaces embrassades
rêves trop vite éteints
ici enfants gâtés
là-bas abandonnés
ce monde est à pleurer

Rosa et Angelo

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J’ai bien connu Angelo
grandi au village lui aussi
dans la dernière maison avant la falaise
posée au bout d’un chemin avec vue sur la mer
murs épais comme des chênes millénaires
toit fragile de tuiles maigres
le regard bleu pâle il avait
perçait jusqu’au creux de mon âme et de mon ventre
le jour de rares oiseaux se hasardaient sur les étendoirs
Angelo leur parlait en les peignant
les guettait et imitait leur chant
la nuit entendions le canon
la grande guerre nous laissait transis
mais lui non
encore trop jeune pour partir
la peur rodait
lui ne tremblait pas
il souriait et continuait de peindre
des aquarelles d’abord
les personnages naissaient dans un drapé d’eau et de pigment
les toiles devenaient de plus en plus hautes au fil des mois
se juchait sur un tabouret
jamais le vertige
je l’accompagnais en silence dans son atelier
Rosa tu es si belle il me disait
mes yeux s’embuaient à chaque fois
le dimanche je posais nue pour lui
je grelottais
il me caressait des yeux
ne me touchait pas
il n’osait pas je crois
me donnait un baiser sur les cils en fin de séance
se serrait contre moi à la messe
je nous entendais respirer plus fort
l’hostie avalée il se signait
ne me quittait pas des yeux
repartait à reculons vers les maisons de riches où l’attendaient ses chantiers
ne me les montrait jamais
me disait le bonheur de donner vie à des anges
me racontait les arbres et les oiseaux
me nommait les couleurs
un jour il a fini par partir à la guerre
je ne l’ai plus jamais revu
la paix revenue mon père m’a marié à un vieux marquis
m’a cloitrée dans une immense villa en bord de falaise
aux murs décorés de larges fresques
au sommet du ciel j’ai deviné un A caché derrière un nuage bistre
il y a quelques secondes j’ai entendu la voix d’Angelo remonter de la mer
je me suis approchée de la fenêtre sans volets
happée par la lumière blanche je me suis envolée le rejoindre parmi les anges du ciel .

Cette photo, L’ultimo imperatore est signée Romain Veillon.

Écrit en lettres géantes

 

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Il a la pâleur des lutteurs épuisés
le regard doux d’un enfant étonné
filent les jours et passent les semaines
racle semelles sur les places et les scènes
parcourt les routes
sillonne les villes
relie les pays
affronte le froid
ouvre son cœur

Il a la pâleur des lutteurs épuisés
le regard doux d’un enfant étonné

apparaît où se déploient encore
les acteurs des combats de justice
se tait souvent sous ses pancartes hurlantes
colorie le gris du monde en lettres géantes
juche sa haute silhouette d’oiseau migrateur
près de celles et ceux qui n’ont pas peur

Il a la pâleur des lutteurs épuisés
le regard doux d’un enfant étonné

instituteur de la République
activiste aux mille causes
sorcier de la paix
ennemi des guerres
Roi sans royaume
il est poète de l’humain
des animaux
des forêts
des océans
les chérit tout autant
sommes tous ses enfants

il a la pâleur des lutteurs épuisés
le regard doux d’un enfant étonné
il s’appelle Jean-Baptiste Voltuan-Redde

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Retrouver Jean-Baptiste Voltuan-Redde sur Twitter & sur Facebook

Irène et Fernand

orgue

Depuis toute petite tu savais
tu avais appris
ce jeu de mains et de pieds
qui transporte de haut en bas
tu connaissais par cœur les danses des doigts
sur le clavier
accordées aux déambulations des semelles
le long du pédalier
tu t’appelais Irène
née avec l’autre siècle
dix-huit ans avant le premier des cauchemars
qui endeuillèrent le monde

pendant que les hommes se battaient
tu venais t’asseoir ici et tu lançais ta prière
je te revois le buste droit comme un bouleau
les yeux clos
les cheveux tressés sur la nuque
et les lèvres pincées
pour que s’échappe de tout ton être
le chant qu’à chaque fois
tu murmurais pour accompagner ta musique

après l’armistice
tu as étendu ton répertoire
jusqu’aux frontières du connu
commencé à composer
à voyager d’église en église
appelée pour tant de cérémonies
pour tant de concerts aussi
première femme à oser jouer Bach
sur l’orgue de la Major
à Notre-Dame aussi

je me souviens de cet homme en larmes
chaque fois que tu jouais
venait s’agenouiller près de la Vierge
te tournait le dos face à l’autel
ne regardait jamais en arrière
se contentait d’écouter tes phrases
et montait vers toi en secret
frôlait les bas-côtés

un jeune écrivain je crois bien
as composé pour lui je le sais
est parti un beau matin
une lettre par jour t’a envoyé
Fernand il signait
a combattu dans le maquis
n’en est jamais revenu
toi, tu as arrêté de jouer
le jour où as reçu dans une enveloppe
sa plume de poète
toute de noir et de gris vêtue

Photo Eglise Saint-Vincent – Pays-Bas 2009 – @Sylvain Margaine

Même chagrin, même colère

À chaque fois pareil
même chagrin
même colère ici
face au port éteint

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encore plus à vif en remontant la Rue de la République
de Joliette à Vieux-Port
s’arrêter devant ses immeubles vidés de leur peuple
depuis des années

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rachetés – les immeubles –
par fonds de pension américains

 

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délogées les petites gens d’avant
la sève et la pulsation du quartier
y vécus non-loin, petit garçon
à peine un peu plus haut
au Panier
le lieu où vinrent se poser
tant de migrants
fuyaient le fascisme
ou débarquaient pour tenter leur chance
dans la ville sans nom
prenaient soin sans tarder de la nommer
de la chérir

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et aujourd’hui
Rue de la République

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ces femmes et ces hommes de peu
ces travailleurs du port
ces manœuvres
ces retraités
ces mères et pères dignes
avec leurs volées de minots
toutes et tous rayés de la carte
relogés ailleurs
contre leur gré

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toutes ces années plus tard
invisibles sont ces vies d’avant
hormis quelques traces tenaces

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et là
entre tramway et façades et palissades et cadenas
les fantômes qui se glissent
le long des promesses en sable

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sur ces pans de devantures où tout reste à écrire, à transformer
et où se renifle pourtant la crainte amère et glacée
des combats perdus et des luttes abandonnées.

D’un rivage à l’autre

D’un rivage à l’autre
la joie et les larmes d’un voyage

hier

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le sol natal d’abord

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le retrouver
l’embrasser à nouveau

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Marseille toujours aussi belle

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Marseille vivante et métissée
toujours aussi riche de ses accents
de ses couleurs et ses parfums venus de partout

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Marseille et son thé à la menthe brûlant
en plein quartier Noailles
y marchais enfant avec ma mère
Izzo s’y promenait souvent
ce thé brûlant comme le sang et le souvenir
de celles et ceux d’Alep
qui ne le partageront plus

Calais ensuite
tout là-haut sur la carte

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d’où se sont envolées vers moi ces photos sombres
postées par une amie

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Calais désormais désertée par celles et ceux
dont personne n’aura voulu

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et ce mot « jungle » qui rode
ce mot qui claque et claquera toujours comme une insulte
crachée à la face de l’humanité

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Calais et ses barbelés
ses sols pollués
ses menus restes

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Calais et ces traces infimes de la vie qui fut
cette vie précaire et dangereuse
qui ne se nourrit plus de rien d’autre à présent
que du souvenir de l’horizon inatteignable

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Les arbres-plumes

arbres-plumes

Arbres géants qui côtoyez les vents
vos bras lancés en prière
sauriez nous dire comment
nous pourrions arrêter les guerres

Plumes hautes tanquées dans la chair de la terre
qu’avez-vous à raconter
qui apaiserait les blessés
les malmenés
les enragés

Arbres fiers plantés par la main de l’homme
qu’auriez-vous à chanter pour nous
qui ramènerait bientôt la paix pour tous
dans notre monde de fous

Plumes élancées rivées aux pentes sauvages
qu’auriez-vous à écrire
qui consolerait les endeuillés
les abandonnés
les niés

Arbres noirs serrés dans la froidure
tendus vers le clair du ciel
connaissez tant les larmes du monde
qu’aujourd’hui vous vous taisez

Descente au Verdon

Ce texte est ma contribution à la deuxième proposition de François Bon dans son atelier d’écriture en ligne sur le thème du lieu. Le mouvement, mais sans verbe. Une consigne : pas de verbe, donc, usage de l’infinitif et du participe présent, verbe conjugué réservé aux propositions relatives ou complément. Pour le plaisir, j’y ai ajouté la consigne du premier atelier de cette série : un seul signe de ponctuation : le point-virgule. Bienvenue dans ma Descente au Verdon.

verdon

La place aux marronniers ; aux trois-quarts revêtue de sable ocre et de terre fine pour les parties de pétanque ; l’autre quart goudronné menant aux rues du village cul-de-sac en longeant l’immense façade blanche large et haute comme un fronton de pelote ; les hirondelles à fleur de poussière, le long des maisons et jusqu’aux toits aux tuiles brûlantes ; en contrebas de la place la route des aller-retours vers l’ailleurs ; les arrivées dans la petite fourgonnette Renault Alouette depuis Aups via Brignoles ; plus grand l’autobus au départ de Marseille en juillet ; à présent une descente à pied vers le Verdon après la sieste ; notre balade préférée en été ; sur nos têtes les bérets chapeaux de cow-boys casquettes blanches au liseré brun pâle de sueur larges coiffes de paille avec rubans lavande pour les dames et mon petit couvre-chef en feutre vert comme celui de Peter Pan ; le goudron ébène fondu collant aux semelles des sandalettes ; les amandiers calligraphes avec quelques points sombres sur les branches sveltes ; les rares amandes encore accrochées épargnées par la cueillette ; tête tantôt bien droite vers les vergers et les champs en jachère tantôt baissée vers les chaussures car la pente raide et parsemée de gravier par endroits sur la petite route toute en lacets ; le souvenir des chutes plus jeune ; tout petit garçon ; la trace encore vivace aux genoux ; après deux trois virages le regard tendu vers le mas de Tante Berthe en direction des Basses-Alpes ; sa peau traversée de rides douces avec un duvet d’adolescente au menton ; le sourire tendre et quelques dents absentes près des canines ; sa chèvre trainée depuis la cave jusqu’au pré nourricier ; absente peut-être à cette heure ou encore à la sieste car levée si tôt en toute saison ; passé le mas les chênes truffiers de Mémé ; discrets et feuillus ; déjà la soif au gosier et la gourde en fer blanc, cabossée tirée du sac à dos avec les écussons de tissu cousus sur les poches latérales ; la Savoie les Landes la Corse ; et le préféré de Maman l’Edelweiss ; petites gorgées d’eau à peine tiède ; à l’économie la halte courte avec copains et parents ; point d’ombre pour un semblant de fraicheur ; point de voitures non-plus ; point de attention ! hurlé par Mémé à l’entrée d’un virage ; toutes au garage à cette heure-ci les rares voitures du village ; et aucun estranger pour se hasarder tout là-haut dans ce bourg perdu posé au pied de ses rochers comme un décor de crèche ; des sauterelles en folie dans les buissons secs de chaque côté de la route ; parfois une abeille affolée au ras du visage ; ou peut-être une guêpe ; le chant des cigales en bruit de fond ; tellement installé de l’aube au coucher que presque absent du présent ; bientôt le carrefour à la fontaine ; en approche un croisement au nom oublié ; côté mer – car devinée et au loin à une centaine de kilomètres – les larges champs maraîchers sur la fertile terre en bord de Verdon ; patates poireaux courgettes ; pas de souvenir de tomates ici ; côté montagnes – car visibles au-dessus des futaies grises et blanches et déjà hautes – les petits chemins menant à la rivière terminus de la promenade ; précisément sur les galets bouillants ; les affaires jetées à la hâte et les jambes déjà dansant parmi les remous ; de l’eau jusqu’aux chevilles puis jusqu’aux genoux ; la baignade teintée de cris de joie et de peur mêlées devant les tourbillons en attente du faux pas ; et les yeux perdus de plaisir dans le flot bleu azur bruyant et glacé jusque vers la Durance .

Traversée

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Traverser la campagne givrée
train presque fantôme
juste le crissement des freins
et le claquement des rails
pour déchirer le silence du petit matin
avancer
rentrer
retourner
yeux fermés
souffle presque fantôme
juste la danse légère du sang
sous la peau fatiguée
puis
presque par surprise
se retrouver en pleine lumière
et prier
prier encore
à la mort des fantômes

La baleine amoureuse

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Il était une fois une baleine blanche
lasse des misères subies
des harpons
des fusils
de tout ce sang versé
des deuils au cœur de l’océan
décida d’émigrer
vers notre terre mère
s’approcha en silence
de la misère blême
du théâtre des guerres
devint grise
se posa près du ciel
où s’enfuient les oiseaux
en appela un
lui déclara sa flamme
lui demanda son aile
pour s’échapper sans un cri
du monde laid des humains

Colombes de la paix

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L’espace d’un instant fragile
à l’approche du crépuscule
me suis surpris à caresser
un nuage fugace
de colombes de la paix

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Les ours blancs

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Les ours blancs nous regardent
en silence

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ils ont trouvé refuge
sur la vieille porte d’entrée en chêne massif
ils observent notre danse effrénée vers le néant
forêts
océans
nuages
notre intraitable marche vers le chaos
voudraient nous alerter
nous demander d’arrêter nos guerres
nos massacres
nos razzias

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muets les ours blancs
caressés de mes pauvres doigts
sur cette vieille porte d’entrée
où je viens clouer ma peine

On dénombre actuellement entre 20.000 et 25.000 ours polaires dans le monde, dont la survie ne tient plus qu’à une mince couche de glace.

 

Sans voix devant ces photos d’Alep

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Manu Brabo / AP

Je reste sans voix
face à l’horreur
de ces photos d’Alep

adolescent
je fus un jour à Buchenwald
muet déjà
face à l’indicible de l’Holocauste

de retour mon père me parla d’Hiroshima
du massacre des Indiens d’Amérique
il me raconta les guerres de religion
le goulag
la torture en Algérie
les doigts coupés de Victor Jara

un jour il me parla d´Oradour
de Gernika
plus tard je découvris Sabra et Chatila
Srebrenica

mon père me nomma aussi les hommes de paix
Gandhi
Martin Luther King
Mandela

et puis il me fit écouter Lennon
Dylan
et Jean-Sébastien Bach

aujourd’hui
je ne peux rien lire
rien écouter
sans avoir envie de pleurer
impuissant et honteux
devant ces photos d’Alep

il me faudra pourtant
je le sais
continuer à croire en l’humanité
parler d’amour à mes enfants
leur raconter les tragédies
leur nommer l’innommable
leur dire le martyre du peuple syrien
leur montrer les photos d’Alep
et espérer un monde de paix

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Ameer Alhabi / AFP Photo

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Ameer Alhabi / AFP Photo

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Abdalrhman Ismail / Reuters

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Manu Brabo / AP

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Hosam Katan / Reuters

 

 

 

La petite route de montagne

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Toujours aimé me rapprocher des frontières
de l’ailleurs à portée de pas
des coins reculés du monde
l’Espagne pas loin dimanche dernier
une escapade en montagne
les Pyrénées
l’horizon à flanc de cime
la petite route glacée pour monter au village
s’y parla longtemps et s’y parle encore un peu de ci de là le parler d’ici
l’occitan joli

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Edelweiss sur la cheminée
on en trouvait tant au pays montagneux de mon grand-père
de l’autre côté de nos Alpes
de l’autre côté de l’autre frontière
celle qui ouvre sur la Suisse et l’Italie
les langues y roulaient leurs r

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montagne de Corse aussi
l’Île blanche
sans autre frontière que la mer
la patrie de l’autre grand-père
cette Corse au teint de feu
aux saveurs de châtaignes
et cette langue belle et douce
chantée par les poètes
apôtres de paix

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tout là-haut cet après-midi-là
suivre la marche du soleil
approcher en silence visages inconnus
saluer leur mémoire
puis se remettre en route
s’éloigner de la frontière
redescendre sur cette petite route glacée
où se croisent encore parfois nos semblables
comme une apparition

Liberté pour Aslı Erdoğan

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À Paris, Bordeaux, Nantes, Brest et tant d’autres lieux hier-soir
des femmes et des hommes sont venus crier Liberté pour Aslı Erdoğan
partout a été lue une lettre de l’écrivaine turque
écrite depuis la prison pour femmes d’Istanbul
entre maison de fous et léproserie
où elle est enfermée depuis juillet
accusée de terrorisme
elle risque la prison à vie

hélas pas pu me rendre à l’un de ces rassemblements
alors, en solidarité et en soutien à Aslı Erdoğan
j’ai lu un extrait de Le visiteur matinal
l’une des nouvelles de son recueil Les oiseaux de bois

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À la Maison de la poésie à Paris
la maman de l’écrivaine était là
émue et digne
devant elle, Françoise Nyssen, Présidente d’Actes Sud
a tenu à témoigner
c’est elle qui édite Aslı Erdoğan

Je suis venue vous dire qu’Asli a trouvé sa maison chez Actes Sud,
un abri, un foyer, un recours.
Nous publierons bientôt un texte qui a été interdit jusqu’à aujourd’hui en Turquie,
et nous continuerons de le faire.
Asli est un écrivain – elle a une patrie mais elle est sans patrie ; elle a écrit des livres magnifiques sur Rio et Genève, elle écrit sur la mort, sur la douleur des gens .
Lisez-la, et vous comprendrez qu’elle ne PEUT être une terroriste.

Yigit Bener, ami intime et traducteur d’Aslı a parlé lui aussi

Face à tant d’oppression, il nous reste la dérision.
On m’a toujours dit :  » Ah, mais tu ne ressembles pas à un turc » , à Paris comme en Turquie. Inch’Allah – je souhaite un avenir moins sombre pour tous les écrivains et les journalistes – il nous faut à toute force la solidarité dans le monde et la liberté d’expression en Turquie. Il faut faire, et encore faire, et ne jamais cesser de faire.

Aujourd’hui, Aslı Erdoğan vit avec des problèmes de circulation sanguine
elle souffre d’une infection des poumons, d’une hernie discale et d’hypoglycémie
elle est menottée pour aller à l’hôpital et parfois le médecin n’est même pas là
elle connait la solidarité qui est née en Turquie et dans le monde
ce qui compte énormément pour son moral et dans sa solitude
son audience est prévue pour le 29 décembre

Actes Sud publiera ses chroniques littéraires  – qui lui ont valu d’être arrêtée – en janvier prochain sous le titre Le silence même n’est plus à toi
elles ont été lues hier soir à la Maison de la poésie par Céline, une comédienne turco-française

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Chaque matin sur Twitter, je poste une photo de ciel pour Aslı Erdoğan
comme je le fis il fut un temps avec des fleurs pour l’artiste chinois Ai Weiwei
je continuerai tant qu’elle ne retrouvera pas la liberté

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* Anne Savelli, Mathilde Roux, Joachim Séné, Pierre Cohen-Hadria, dédient une page à sur leur site L’aiR Nu

* Tous les matins à 8 heures, le magazine Diakritik met en ligne un texte par jour, jusqu’à la libération d’Aslı Erdoğan, avec le titre On n’enfermera pas sa voix

 

 

 

 

 

 

L’amoureux des perroquets

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Enfant, ses amis l’appelaient Jean-des-oiseaux
toujours entouré d’oiseaux il était
une vraie volière, sa maison
aujourd’hui, Jean-Michel-perroquet lui irait très bien
très bavard le Monsieur
et surtout amoureux des huit spécimen qu’il côtoie
de sa salle à manger à sa véranda
de sa cuisine à son jardin
parmi eux, Charlie, un perroquet amazone à front bleu

 

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La place

La place sur laquelle vous allez avancer est le texte de ma contribution au nouveau cycle d’atelier d’écriture que François Bon vient de lancer sur son site le tiers livre.
Le thème tient en quatre lettres : le lieu.
Ou comment « appréhender le lieu en tant qu’acteur même de la narration ».
François nous propose une consigne. Une seule. Parler du lieu choisi en une seule phrase-paragraphe. Avec un seul signe de ponctuation : le point-virgule.
Bienvenue sur ma place.

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Il n’y a plus de place sur cette petite place ; on n’y respire plus l’air des tilleuls et des platanes ; envahie elle est de voitures de motos et de cacas de chiens ; de graffitis aussi ; nous y vendions l’Huma le dimanche-matin ; Maurice arrivait le premier ; il habitait à deux pas dans un immeuble La Savoisienne ; il était postier ; il avait fait la Résistance ; mon père me l’avait raconté ; Franc Tireur Partisan ; Maurice en parlait rarement ; sinon lui venaient les larmes aux yeux ; nous arrivions d’en bas avec Louis ; il habitait tout près de la mer ; il passait me prendre ; nous amenions les journaux ; nous tournions le dos à la rade et montions vers la place en sifflant ; Louis était cantonnier ; le jour de mon Brevet il m’a accompagné en mobylette au lycée Pagnol ; orange la mobylette ; il fumait beaucoup ; une derrière l’autre ; juste avant d’arriver sur la place nous longions l’Impérial ; j’y ai vu tant de westerns ; mangé tant de frigolos à l’entracte ; aujourd’hui ce cinéma est mort ; devenu une Maison pour tous ; sur la gauche de la place une école faisait angle en surplomb ; elle a disparu elle aussi ; ils ont construit une banque à la place ; Louis connaissait chaque rue d’Endoume ; chaque habitant de chaque maison de chaque rue ; Louis était le roi du quartier ; le roi de la place ; L’Huma se vendait comme des petits pains ; le muguet du 1er mai s’arrachait lui aussi ; quand on avait fini on buvait un casa ; on trinquait à la santé du Parti ; le bar n’existe plus ; agence immobilière à la place ; il ne reste plus que Loulou, le coiffeur pour hommes et Aldo le marchand de raviolis ; le trolleybus s’arrêtait juste devant notre petite table de camping sur la place ; c’était le 63 ; le traminot nous taquinait ; Duclos vous passe le bonjour il lançait ; il roulait les r comme lui ; Ginette la fleuriste à côté de Aldo rigolait ; maintenant  le trolley ne passe plus ; un jour ils sont venus démonter les rails en l’air ; un bus a pris le relais ; Ginette est morte il y a deux ans je crois ; on l’a retrouvée un soir sur la place ; inanimée ; une affichette à vendre est collée sur sa vitrine ; lettres noires sur fond rouge pâle.

Elle te dit

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Doigts glacés
yeux caramel
elle te dit qu’elle vit du côté de la mort
du côté de tous ceux
pour qui le ciel un jour s’est obscurci
elle dit que sa vie
ne pèse pas plus
qu’à l’aube, la griffure d’un moineau
sur la terre gelée des parcs et des jardins
elle dit que nos vies éparpillées
s’enfoncent à petits pas
chaque jour un peu plus
vers le silence éclaboussé de villes rasées
de rues vidées de leur sang
de maisons débarrassées de leur chair
de femmes, d’hommes et d’enfants dévastés

elle dit que pourtant
alors qu’approche le chaos
plus personne ne crie
nulle part
elle dit aussi que malgré l’horreur
nulle part où aller hurler et puiser une espérance

sans voix tu regardes ses lèvres pourpre
souffler vers toi chaque syllabe
à la trace tu suis ses mots
traverser son âme
danser sur ses dents enfantines
et percer ton cœur bouillant
tu en accompagnes chaque volute
consumé de chagrin

tu voudrais à présent réchauffer ses doigts
goûter au suc de ses yeux
la ramener vers la vie qui bat
de l’autre côté des sables du temps

Cette photo, « Les sables du temps » est signée Romain Veillon.
Elle vous attend parmi des dizaines d’autres exposées jusqu’au 18 décembre grâce au Musée de la Poste, à l’Espace Niemeyer à Paris. L’expo s’intitule « Temps suspendu ».

Derrière un chat

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Je découvre
non sans crainte
non sans plaisir
que derrière un chat
se cache un humain
un être de désir
peut-être un Bouddha .

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Ta petite pièce

Tu rentres en métro
tu as chaud
tu dormiras au chaud
tu as regardé du beau aujourd’hui :
Vincent Van Gogh

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Frédéric Bazille

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ce beau traverse le temps
il imprime les siècles
il respire l’éternité
ce beau imprègne l’humanité

tu as chaud au cœur, donc
et voilà que tu lèves la tête vers l’homme
qui te tourne le dos dans le métro
et qui va te tendre la main

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cet homme aura froid cette nuit
il dormira dehors
et la pièce de deux euros que tu lui tends ne suffira pas
à apaiser sa faim de chaud, de beau et d’humanité.

Alep crie fort

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Il a été blessé à la tête dans les bombardements
mais il ne le montre pas
250.000 personnes, dont 20.000 enfants en bas âge, risquent de mourir de faim
à Alep-est dont il est le maire
mais il ne pleure pas
sa ville brûle,
plus un seul de ses 7 hôpitaux bombardés fonctionne
mais il ne hurle pas
La Russie et la Chine ont dit non
à des pourparlers sur la Syrie
mais il ne s’énerve pas
il dit que si le conseil de sécurité reste les bras croisés
ce sera un permis de tuer

ce que réclame Brita Hagi Hasan
d’une voix calme et ferme
c’est que nous autres citoyens
envoyions des messages à notre président,
descendions dans les rues,
organisions des manifestations

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Brita Hagi Hasan est venu nous parler d’Alep hier-soir
en mairie du 2ème arrondissement de Paris
nous étions quelques poignées de femmes et d’hommes
oui, à peine quelques poignées

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dont Jean-François Bernardini
le chanteur corse d’I Muvrini
le militant de la paix et de la non-violence
auteur de « Alep s’endort » chanté vendredi dernier
au Zénith de Paris

au-delà du sublime de cette chanson
reste en moi un profond sentiment de honte et d’impuissance
méme si de nombreuses associations appellent à manifester
en solidarité avec la population d’Alep
ce samedi 10 décembre
partout en France
c’est le moins que nous puissions faire, avouons-le
en regardant Alep mourir.

Nos chemins se rejoignent

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Au cœur du crépuscule –
la lune s’égare,
nos chemins se rejoignent.

J’offre ce haïku à Thomas Pesquet
ses tweets poétiques me font tellement rêver

Shanghai est un mystère

À l’ombre des buildings
il est de vrais quartiers
où perce la lumière
et sèchent les culottes

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s’y perdre est un frisson
guetter les habitants
saluer les poissons
oser perdre son temps

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ne savoir déchiffrer
les mots et les slogans
qu’importe après tout
Shanghai est un mystère

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Just climb the wall – Ai Weiwei

La romance des amants papillon

Il connaît ses classiques
le flûtiste de rue

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les amants papillon
c’est l’air qui joue sur sa longue flûte
et qui s’échappe de l’ampli à l’abri dans son sac
les amants papillon
une légende chinoise issue de la dynastie Jin
une sorte de Roméo et Juliette de là-bas
l’histoire d’amants désespérés
Zhu Yingtai et Liang Shanbo
plutôt que d’être séparés
ils préfèrent mourir
la légende raconte qu’après leur mort
deux papillons se sont envolés vers l’infini
ce « tube » de la culture chinoise
est décliné en d’innombrables versions
au violon, c’est joli aussi je trouve

Entre femmes

Elles se retrouvent à la nuit tombée
le dimanche
entre femmes
une sono sur le trottoir
et elles dansent
pendant des heures

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des amies ou des copines du quartier sans doute,
ces danseuses du soir
ouvertes aux nouvelles venues
à ces mamans avec enfant qui se joignent au bal
point d’homme sur la piste
ils observent de loin

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ils auraient envie, qui sait
de venir se mêler aux pas légers de ces femmes
et respirer le parfum de liberté
qui glisse autour de leurs corps offerts à la nuit
mais ils ne savent pas se lâcher
peut-être le désirent-ils mais ils n’osent pas
seul le marchand ambulant approche son tricycle et il sourit.

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Jia Jia ne regrette rien

Deux ans que la demoiselle a quitté Dalian
sa ville natale du Liaoning
tout au Nord
pour tenter sa chance dans un autre port
presque au Sud
dans ce Shanghai féroce mais ouvert aux gens et sons du monde entier

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premiers pas de graphiste
et maintenant tatoueuse
Jia Jia a trouvé ici un studio où faire chanter ses aiguilles
sur la peau des accros de tattoos
à 22 ans, patiente et optimiste
elle ne se fout pas du passé
mais ne regrette rien.