In Paradisu #11

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Lorsqu’il est passé devant moi, j’ai voulu savoir s’il n’avait pas croisé une berline un peu plus bas. Aucun son n’a traversé ma gorge. Les lèvres entrouvertes, j’ai juste aperçu une poussière de buée bleutée s’évanouir autour de mon visage.

En grimpant dans le premier bus, je me suis rendu compte que mon sac était resté dans le taxi. Les paumes collées aux vitres embuées, je n’ai plus reconnu la rue qui mène au port.

Carcasse rongée jusqu’aux nerfs, charpente nue, coquille désertée. Plus aucun cinéma. Ni “ Forum “, ni “ Impérial “. Disparus tous les deux. Remplacés par des supérettes. Des magasins de téléphonie à la place des librairies-papeteries. Ecole de musique fermée. Murée sur deux étages. Partout, des palissades provisoires en agglo grossier truffées d’affiches publicitaires et de panneaux “ chantier… danger… à vendre “. Plus de halle aux fruits et légumes non plus. Vitres éclatées, portes défoncées, toît démoli. Un décor effroyable. Même le petit cimetière de la butte semblait abandonné.

(à suivre)

L’arrivée de l’orage sur le Chacaltaya

J’ai choisi de partager ce somptueux orage, enregistré par Félix Blume parce qu’ici en Béarn, la pluie et la grêle ont tapé sur les toits une bonne partie de la nuit et que dans mon sommeil m’est parvenu l’écho de ces sons sauvages écoutés récemment sur la page Soundcloud de Félix, preneur de sons et documentariste. Cet orage nous fait voyager loin, jusqu’en Bolivie. Fermer les yeux et s’imaginer perché au sommet du Chacaltaya, à 5.300 mètres d’altitude.

In Paradisu #10

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De retour à la station je n’ai plus retrouvé le taxi.

Juste un petit mot “ Je t’abandonne ici, pardonne-moi “ griffonné en noir sur une facture et remisé sur la borne d’appel.

J’ai espéré la Mercedes entre les raies ouatées dessinées par la neige contre les murs des immeubles, comme en transparence. Pas de trace de pas sur le trottoir encombré de mélasse épaisse. Plus la moindre marque de pneus sur la chaussée déjà gris sale. Aucune piste.

Seul un halo doré scintillait devant les haies de cyprès en contrebas, à l’entrée du jardin public où j’attendais mes fiancées après l’école. C’était la petite lumière bricolée par un vieux cycliste à l’avant de son vélo. Il se rapprochait en sifflotant. Sans se soucier du froid ni de l’homme figé entre les flocons tricotés serrés.

(à suivre)

Les oiseaux sous la pluie

Surpris par la pluie, hier en fin d’après-midi. Vite se mettre à l’abri et se demander comment font les oiseaux pour continuer à chanter ainsi dans le froid…

In Paradisu #9

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En arrivant devant la boutique, je me suis pincé.

Plus aucune trace du salon de coiffure, mise à part la marche en bois noir qui débordait un peu sur le trottoir. Le local avait été transformé en agence d’intérim. Bureaux rouge vif, ordinateurs, affiches aguicheuses et moquette bleu roi. Le nez écrasé contre la vitrine, j’ai aperçu  le poêle. Il n’avait pas bougé mais on l’avait amputé de son tuyau. A la place, une pile de tiroirs en plastique, bourrée de fiches et de dossiers.

(à suivre)

Une merveille de mer bretonne

 Souvenir tout frais de Bretagne et d’une promenade magique sur les dunes et les rochers de granit qui font face à la mer. Ici en Finistère on ne parle pas de plage mais de grève et les villages s’appellent Prospoder, Lanildut, Landunvez. Sur ce sol du bout d’Europe, j’ai longé l’Aber Ildut, l’un des trois Abers du Pays de Léon avec l’Aber Wrac’h et l’Aber Benoît. Autre découverte fascinante, le phare du Four qui marque la limite entre l’Océan Atlantique et la Manche. J’ai aussi approché les rives de Portsall, où en 1978 l’Amoco Cadiz fit naufrage un jour de tempête. Les côtes bretonnes furent polluées sur plus de 150 kilomètres.
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À bicyclette avec mon fils

Un vrai temps de printemps hier en Béarn. Avec Marius, nous en avons profité pour balader à vélo sur l’Allée verte. Escos et retour. Une petite vingtaine de kilomètres à travers bois et champs, sur l’ancienne voie ferrée qui reliait Salies-de-Béarn et Mauléon.

In Paradisu #8

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Le taxi s’est arrêté à quelques mètres de la devanture, de l’autre côté du boulevard. La station était déserte.

– Prends ton temps, m’a dit le chauffeur, je ne suis pas pressé.

Le tutoiement m’a saisi au plexus, sauvage solo gavé de décibels, et s’est aussitôt éparpillé par la portière entrebâillée.

Sur le trottoir, je me suis senti noyé dans un tournoiement de blanc, épais comme une angoisse sourde, pesant comme une peur rentrée. Oppressé par le silence en suspension qui trouait l’air vif et déboulait des toîts et des façades.

J’ai cherché à me souvenir de ma première tempête de neige. C’était du temps de la maternelle je crois. Nous habitions au fond de l’Impasse des Cerisiers. La neige nous avait bloqués deux ou trois jours à la maison. Ma grand-mère nous avait fait des confitures d’oranges.

(à suivre)

In Paradisu #7

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Il était le coiffeur du quartier. Les gens allaient chez Loulou. Trois paires de ciseaux, une tondeuse, un rasoir-sabre et un peigne. Besoin de rien d’autre.

Si, j’oublie la poire à parfum pour le pschitt pschitt final. Le petit jet frais me chatouillait le cou et je frissonnais dans mon peignoir en lycra bleu marine. Loulou, c’était un vrai coiffeur en blouse grise. Avec diplôme affiché au-dessus du miroir et poster couleur de l’équipe de River Plate sur le mur d’en face.

Seule fausse note, le salon avait été aménagé dans une ancienne poissonnerie. Pas d’autre local libre à l’époque. Il fallait constamment laisser la porte ouverte pour aérer. L’odeur était restée bien vivace malgré les années. En hiver, les clients se gelaient. Loulou tentait de les consoler en leur servant le thé. La bouilloire chauffait en permanence sur le poêle à charbon, au fond du salon. Lorsque Lucho a arrêté le métier – il devenait peu à peu aveugle – j’aurais bien pris la relève mais je n’ai jamais été adroit de mes dix doigts.

(à suivre)

El concurso de pesca

De Valencia où elle a passé récemment quelques jours de vacances, Mathilde – jeune diplômée en communication publique et politique – m’a envoyé cette interview réalisée à même la plage. Javier s’est prêté au jeu avec gentillesse. Bravo à l’intervieweuse. J’espère que sa curiosité et son empathie l’inciteront à s’adonner aussi souvent que possible à l’exercice singulier de l’interview. En espagnol et en français.

Voici la traduction de cet échange.

« Oui, aujourd’hui a lieu un concours de pêche qui compte pour le classement annuel du club. Nous nous préparons car le concours commence à 18h et se termine à 1h00. A voir si nous arrivons à attraper des poissons…

 Le gagnant est qualifié pour une compétition de niveau régional ou national ?

Non, ce concours est provincial. Il existe bien d’autres concours qui sont départementaux, ou d’autres niveaux, mais celui-ci est local.

 C’est la première fois que ce concours a lieu ?

Non, en janvier il y en a eu un, en février également. Il y en a un chaque mois.

 Et il se déroule à chaque fois sur cette plage ?

Non. Nous en avons déjà fait à Valencia, à Peñíscola, à Castellon ainsi que dans d’autres villes.

 Pour gagner, il faut pêcher le poisson le plus imposant ou le plus grand nombre de poissons ?

C’est au poids. Que l’on en pêche un ou plusieurs, c’est la même chose. La personne qui obtient la quantité la plus importante gagne.

 As tu déjà gagné ?

Quelques fois oui.

Génial ! Espérons que tu gagnes aujourd’hui.

Bonne chance ! »

In Paradisu #6

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Nous avons mis une demi-heure pour glisser jusqu’au bord de mer. Partout dans les rues, des voitures et des motos en travers, des ambulances au pas, des plaintes de gens à terre. Des gémissements de bêtes amochées.

Arrivé à la Vieille Chapelle, j’ai deviné Planier au loin et je me suis mis à fredonner : “ Voi dai nemici nostri… A noi datte vittoria… E poi l’eterna gloria… In Paradisu  “.

Le long de la Corniche, le taxi avançait en douceur vers la place de mon enfance. Presque au ralenti.

A hauteur du  Marégraphe, j’ai demandé à tourner à droite et à remonter vers Bompard. Je voulais revoir le salon où mon grand-père Lucho avait passé ses semaines pendant plus de quarante cinq ans.

(à suivre)

Clément rit aux éclats

Un jour, lorsqu’il avait 5 mois et demi, Clément, le plus jeune de mes petits-fils regarda son grand frère Alexandre sauter sur le lit et il se mit à rire aux éclats. Très touchant, non ?

In Paradisu #5

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Passée l’avenue des Calanques, le chauffeur a glissé une cassette dans l’auto-radio et il a entonné “ Dio vi salvi Regina “.

Le chant sacré des marins du quartier me répétait mon père lorsqu’il m’emmenait au Panier. Sur les hauteurs de ce bout de Marseille où la Méditerranée se planque, il racontait que la mer, même si on ne la voit pas, il suffit d’habiter à côté pour ne pas perdre le cap. Pour continuer à marcher droit. Et debout surtout.

Je n’ai pas dû écouter assez Ernesto puisque même en retrouvant la rade, je ne parviens toujours pas à croire en ma bonne étoile.

(à suivre)

L’affiche qui semblait une tache de sang

Joan Pau Verdier, le poète et chanteur occitan fait partie de la longue liste des artistes qui ont chanté  » l’Affiche rouge », ce sublime poème d’Aragon écrit en 1955 pour rendre hommage aux 22 membres des Francs tireurs et partisans – Main d’oeuvre immigrée morts pour la France, fusillés par les nazis au Mont Valérien le 21 février 1944 *. Sur cette liste figurent aussi bien sûr Léo Ferré, Leny Escudero, HK, Marc Ogeret… et Bernard Lavilliers.

70 ans après leur assassinat, la mémoire de ces résistants communistes se perpétue, notamment chez moi, à Marseille, où depuis 2010, un square est dédié à  Misak Manouchian, que les nazis qualifiaient de chef de bande. Une statue du résistant communiste arménien surplombe l’entrée du Vieux Port. Ce samedi 22 février aura lieu sur ce square une cérémonie du souvenir.

* La seule femme du groupe, Olga Bancic, a été décapitée le 10 mai 1944.

L’affiche rouge

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Louis Aragon ( 1897 – 1982 )

In Paradisu #4

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En quittant la prison, j’ai cligné des yeux sous la neige drue de janvier et j’ai commandé un taxi. Le chauffeur m’a dévisagé longuement dans le rétroviseur avant de mettre le contact, tout en fouillant dans un portefeuille ou un agenda. A la recherche d’une lettre ou d’une photo. Je ne sais pas. Impossible de deviner ses yeux masqués par des lunettes de glacier. Je me suis pourtant senti observé, détaillé, presque déshabillé.

Lorsque j’ai demandé “ Place de la Consolation s’il vous plaît “, il a tout rangé dans la boîte à gants et aussi sec s’est mis à pleurer. Le menton écroulé sur son blouson en cuir noir. Le corps entier secoué de spasmes et de sanglots sourds. J’ai tenté de poser ma main sur son épaule. Il l’a stoppée net d’un “ non ! “ définitif. Puis il a lancé sa Mercedes en direction du centre-ville.

(à suivre)

Radio Fond de France, c’est quand vous voulez ! Longueur d’Ondes #6

Avec mon ami Fañch Langoët, l’un des modestes artisans du Festival Longueur d’Ondes à Brest – il anime la République des auditeurs – nous avons pris le temps la semaine passée d’aller nous poser face aux déferlantes de la Manche, à moins d’une demie-heure de Brest, et nous avons eu envie d’associer par la pensée Radio Fond de France au Festival de la radio et de l’écoute. De cette webradio du bout du monde sise au coeur des Alpes, dans la vallée de la Bréda, je vous ai déjà parlé ici début janvier. Radio Fond de France propose aussi une programmation musicale variée et clame son attachement aux gens et aux sons de la montagne, à l’image de Céline, l’une de ses actrices.

Radio Fond de France, pas besoin de skis ou de remonte-pente pour s’y rendre… c’est par là.

In Paradisu #3

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La Place de la Consolation, quand y ai-je mis les pieds pour la dernière fois ?

Je ne sais plus mais je garde le souvenir d’un beau campo à l’italiennne. Arrondi en lisière de mer avec des micocouliers aux quatre coins, des massifs d’azalées et une fontaine en pierre de Cassis au beau milieu. Une place cernée de commerces, ouverte sur le port mais séparée des quais par des kilomètres de barrières métalliques et de portails ajourés et rouillés.

Depuis cet espace plan et lumineux en toute saison, les bateaux se guettent, s’épient, s’entrevoient. Le plus souvent, ils se devinent derrière les hangars noirs. Pour les approcher de près il faut un laisser-passer. Mon oncle Augusto, mécanicien à bord des cargos et des ferries, me répétait toujours qu’un navire ça se mérite. Je n’ai jamais compris pourquoi.

(à suivre)

– Les vrais bourricots, c’est nous !

En attendant le bus, deux turfistes désenchantés. À Marseille, il n’est pas rare que s’engagent de telles conversations hautes en décibels et riches en couleurs. La rue se transforme souvent en scène de théâtre ou plateau de cinéma.

BONUS

Rentrer à pied par la Corniche, au crépuscule. Au loin, Planier, le phare édifié en 1320. Depuis 1986, plus de gardien à l’intérieur pour saluer les ferries en partance vers la Corse ou de retour d’Algérie. Planier est automatisé. IMG_0835

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In Paradisu #2

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Je n’ai plus de famille pour m’attendre. Plus personne parmi les miens qui daigne me parler, m’écrire, me regarder en face ou m’embrasser. C’est à cause du hold up. Braquer une banque comme le commun des malfrats, ils ne me l’ont pas pardonné.

Moi, je voulais seulement récupérer assez de monnaie pour changer illico de décor. Aux côtés de mon père Ernesto. Je rêvais de prendre le premier avion pour l’Argentine, lui offrir ce voyage au pays natal dont il parlait si souvent. Il n’y était plus reparti depuis son arrivée à Marseille dans les années vingt.

L’attaque à main armée s’est achevée à cinq centimètres du paradis. Je me suis fait coincer dans le sas électronique, la mallette bourrée de cash en liasses épaisses et j’ai ouvert le feu sur le flic qui venait m’arrêter.

Cinq balles dans les dents. Abattu à bout portant le gardien de la paix Joseph Pace. A trente cinq ans. Avec Ernesto, on n’a plus jamais parlé de l’Argentine. On ne s’est plus jamais revu. Il est mort l’an passé sans y être retourné.

(à suivre)

Mercredi, c’est Mégacombi pardi ! Longueur d’Ondes #5

Parmi les très bons souvenirs ramenés du Festival Longueur d’Ondes à Brest, je retiens cette rencontre autour d’un petit-déjeuner avec les « déjantés » de Mégacombi, l’émission « éla-barrée » diffusée sur Radio Canut à Lyon tous les mercredis-soir de 18H à 19H. Très haut perchés ces acteurs et actrices de ce pur moment de radio gaga et libertaire, teintée de second degré, de dérision et d’impertinence. Toutes et tous sont bénévoles. Profs, chômeurs, travailleurs sociaux, unis par cette passion de donner à entendre chaque semaine un programme qui déroute, qui dérange, qui questionne, qui interpelle l’ordre établi, qui prend le temps aussi parfois de prendre le temps du reportage, de donner la parole aux gens. Mégacombi, c’est un rendez-vous hebdo qui cultive le travail collectif et le rire en partage, autour de parodies, de moments radiophoniques drôles et souvent surréalistes.
Mégacombi sur ARTE Radio, c’est par ici.
Syntone, le site de critique de l’art radiophonique, vous en dit plus sur Mégacombi et c’est par là.

In Paradisu #1

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Ils m’ont annoncé la nouvelle ce matin, comme on récite une recette cent fois ressassée. Que je le veuille ou non, il me faudrait dire adieu à la cellule où je croupissais depuis vingt ans. Je sortirais lorsque la nuit se serait dissoute dans le blanc des collines. Pas avant. J’ai mimé l’étonnement et la porte a claqué une dernière fois en projetant son souffle violent sur tous les rêves agglutinés dans l’ombre de ma tanière.

Avant même que les clés reviennent gratter entre la promesse de l’air libre et la moiteur des quatre murs, j’avais choisi ma destination. Ce serait Place de la Consolation. Marseille ne manque pas de lieux qui me sont chers mais cette place est unique. C’est là que j’ai appris à marcher. Enfant, j’y accompagnais mon père les jours de paie. Adolescent, j’y achevais mes manifs d’étudiant.

Aujourd’hui, je n’imagine pas d’autre lieu pour boucler la boucle.

(à suivre)

Hélène Hazéra chante Marseille et Foulquier Longueur d’Ondes #4

Bonheur d’une rencontre impromptue avec Hélène Hazéra la semaine passée à Brest, au Festival de la radio et de l’écoute Longueur d’Ondes. Productrice et animatrice de l’émission Chanson Boum sur France Culture, journaliste à Libération de 1978 à 2000, cette femme pétille et partage son amour de la chanson francophone qui sonne aux quatre coins du monde. Mille et mille anecdotes à raconter. Mille et mille souvenirs à confier. Parmi eux, son amitié avec Jean-Louis Foulquier, qui l’accueillit à la radio.

Chanson Boum, le magazine éclectique dédié à la chanson francophone internationale, c’est par ici.

BONUS : Hélène Hazéra est tellement gentille qu’elle s’est prêtée à l’enregistrement d’une bulle sonore Bobler, le média social vocal

Chambre seize #intégral

Chambre 16

– La seize, beau jeune homme, ça fait bientôt cent ans que je ne la loue plus !

 Au rythme de mes secousses désenchantées, la patronne de la Fausse Monnaie enfonce son regard lavande entre mes yeux d’obsédé. Je suis sans doute le premier client depuis la fin de l’été. C’est la première femme que j’approche de près depuis une éternité. Et comme ça fait une éternité que je n’ai plus été jeune, autant en profiter. Son décolleté se balance juste en dessous de mes lèvres énervées. La faute à nos coups de langue, comme au Cordon Rouge qui nous vide la tête depuis que j’ai enfin mis les pieds dans cet hôtel.

C’est une ancienne demeure juchée sur le calcaire à l’aplomb de la mer. Décorée façon colonies. Inondée de palmiers, de plantes grasses et de totems en bois noir. Trois étages avec vérandas pour chaque chambre. Une trentaine en tout. La seize me suffira. Voilà une bonne heure que je m’affaire sur le comptoir, une main sous ses hanches, l’autre accrochée aux gros billets qui claquent sur le guichet. Entre deux baisers, je lui montre les dessins et la clé dorée qui brille dans l’armoire en verre. Mais rien n’y fait. Elle gémit, accentue la cadence, roule des reins et réclame d’autres câlins mais ne veut rien savoir. Mon carnet lui fait peur et mon argent l’indiffère. Alors, je me retire de ses cuisses et plonge la liasse vers la poche revolver de mon blouson. Un peu plus, un peu moins, je me dis…

C’était ma première soirée à l’air libre depuis des lustres. Une vraie soirée d’octobre. Douce comme un beignet aux courgettes , légère comme une robe d’été, joyeuse comme la ronde qui remontait de l’école maternelle plusieurs fois par jour. Je suis sorti bien après la dernière récré. Le col remonté, j’ai marché jusqu’à la mer. Le soleil commençait à plonger derrière le Frioul. Plus aucun enfant dans la cour. Seuls quelques miettes par terre et des pigeons autour. Une nouvelle fois, les souvenirs sont revenus me narguer. Un pied de nez impromptu, mystérieux et feutré. Comme un « coucou ! » murmuré par le fantôme de Jo.

Bientôt un quart de siècle qu’il me visite ainsi sans prévenir. Depuis son retrait volontaire et pour toujours. C’était un beau matin d’Août, un lendemain de rude bras de fer. La routine pour deux frères élevés de concert. Même chambre plein sud, même fenêtre sur mer, même jeux et mêmes angoisses au moment d’éteindre et de se plonger vers le sommeil. Plus tard, même appêtit de fêtes. Même plaisir à échanger ses secrets. Même envie de se faire sauter la tête à coups de résine ou de tétine. Même désir de baisers profonds avec des filles à cheveux longs.

Sauf qu’un beau soir, soudain, plus qu’un seul secret à partager. Un seul rôle pour deux. Chacun voulait danser contre la même comédienne. Aglaé elle s’appelait. Une brunette aux yeux caramel et aux doigts aussi fins que des suce-miel. Elle nous aimait tant qu’elle ne pouvait pas trancher. A vous de jouer ! Le jeu a vite chaviré en dispute. Lourdement. Puis en guerre-éclair. Jo a perdu sur le champ et a disparu corps et biens.

Je ne me suis jamais pardonné ce sabordage. Cette impuissance à éviter le naufrage. Ces paroles absentes alors qu’elles auraient pu sauver. Trop accroché à ma conquête, j’ai oublié de le consoler, mon Jo. Je ne m’en suis jamais relevé. Jamais. Une fois mon frère envolé, Aglaé s’est laissée enfermer et n’a rien craché. Elle n’a même pas regardé les cendres de mon frère s’éparpiller vers le large.

En quelques jours, Marseille s’est dépeuplée, s’est vidée de mes moitiés. Je n’ai retrouvé Aglaé qu’au détour d’un voyage en Espagne. Plus de vingt longues années s’étaient égrenées. Elle réchauffait ses doigts au fond du cinéma l’Imperial. En plein Madrid. Ouvreuse elle était devenue. Un quotidien confiné à la lueur d’une lampe de poche. Des journées à tourner le dos à l’écran et à ses rêves d’actrice anéantis. Entre deux séances, elle m’a laissé effeuiller son costume de nonne et déchirer ses bas noirs. J’ai épargné le foulard orné d’une broche dorée, une cigale allongée de tout son long entre ses seins. Une fois nos cauchemars mélangés et apaisés, Aglaé m’a montré ses croquis couchés sur un épais carnet et m’a tout raconté. Leur dernière nuit avant le clap de fin, leurs cris de rapaces, leurs ultimes baisers jetés par dessus mer.

Et puis ce coup de feu qui soudain claque dans la bouche de Jo et le torrent de son sang. Comme un adieu lancé aux angelots du papier peint. Aglaé m’a décrit aussi les voisins saisis d’effroi à l’entrée de l’hôtel, l’ambulance où avance en tremblant le drap blanc, les menottes glacées à ses poignets et pour finir, le cachot. Sans un mot. Vingt ans elle a pris. Vingt années à se taire au fond de sa tanière. Honteuse et coupable. Pas un mot pour se défendre. Rien. Pas le moindre avocat pour la tirer de là. Elle n’en voulait pas. Vingt ans à se terrer, à se souvenir et à dessiner.

Pendant ce temps, j’ai gaspillé mes secondes à m’exploser au paradis sans pitié des faux et des fuyants. Jo parti, je me suis évadé au pays transparent d’où aucune réponse ne chute vers la soucoupe des mendiants. La lâcheté m’a saisi au cou et ne m’a pas lâché d’un millimètre. J’en ai vécu grassement et salement. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’aux confins de l’écoeurement. Lorsque la monnaie a commencé à suinter en grand de mes pores et de mes poches, je me suis fait coffrer. Bien fait pour moi. Je l’avais bien cherché. A quelques jours et quelques kilomètres de distance, Aglaé et moi avons parcouru le même espace. Chacun dans son quartier. Chacun à payer de son côté. Elle fière et droite. Moi rampant et larmoyant. Indigne de notre amour d’antan. Pitoyable là où il aurait fallu être admirable. A force de les feuilleter au rythme de nos ébats, ils ont fini par me rendre fou, ces croquis. Je me suis mis à la haïr, mon ouvreuse. Violemment. Tellement fort que sa carrière madrilène a tourné court. Elle s’est achevée dans les toilettes de l’Imperial. Un chargeur dans la peau et la tête scotchée à la chasse d’eau Le silencieux nettoyé, j’ai récupéré le carnet et j’ai filé prendre le premier express vers la Fausse Monnaie.

Je suis tombé dès mes premiers pas sur le quai de Saint-Charles. Filé, surveillé de près sans m’en rendre compte, puis cueilli en douceur à l’arrivée. Le cartable à la main et le carnet au fond. Comme Aglaé, j’ai choisi le chemin du silence. Rien à déclarer à quiconque sur nos adieux à l’espagnole. Rien à avouer non-plus sur mon désir de vengeance. Décidé à tenir bon malgré ce nouveau long plongeon au fond de la prison. Ils ne l’ont pas avalé et m’ont tenu reclus jusqu’à ce soir.

Lorsque la nuit a fini par s’installer, je me suis rembrayé parmi les magnum explosés et nous sommes montés nous coucher.

Dans le couloir, des yeux lavande m’observaient.

Même plus effrayés. Décorés d’un petit cercle rouge entre les sourcils, ils viraient peu à peu au transparent. Comme apaisés.

Chambre seize, rien n’avait bougé : les draps encore défaits, le papier peint constellé de petits anges dorés. Comme sur les croquis d’Aglaé.

J’ai refermé le carnet et je me suis envolé au dessus des embruns rougis de nos sangs mêlés.

Pas de répit pour l’Abeille Bourbon

17 heures 45 hier sur le port de  Brest, l’Abeille Bourbon appareille pour Ouessant suite à une alerte météo. 12 hommes de la marine marchande travaillent à bord de ce remorqueur d’intervention, d’assistance et de sauvetage, surnommé Le Saint-Bernard des mers. 150 bateaux passent chaque jour sur le rail d’Ouessant, sa zone d’intervention. Plus d’infos sur l’Abeille Bourbon, c’est par ici et par là.

 

 

Chambre seize #7 et fin

Chambre 16Lorsque la nuit a fini par s’installer, je me suis rembrayé parmi les magnum explosés et nous sommes montés nous coucher. Dans le couloir, des yeux lavande m’observaient. Même plus effrayés. Décorés d’un petit cercle rouge entre les sourcils, ils viraient peu à peu au transparent. Comme apaisés.

Chambre seize, rien n’avait bougé : les draps encore défaits, le papier peint constellé de petits anges dorés. Comme sur les croquis d’Aglaé.

J’ai refermé le carnet et je me suis envolé au dessus des embruns rougis de nos sangs mêlés.

Le savoureux festival Daniel Mermet Longueur d’Ondes #3

J’ai interviewé Daniel Mermet dans le couloir qui remontait vers le grand hall du Quartz, à la fin de la soirée spéciale Là-bas si j’y suis donnée hier-soir au public du festival Longueur d’Ondes. Détendu et disponible, le journaliste-producteur qui vient de fêter les 25 ans de son émission de reportage radiophonique sur France Inter. Initialement « émission des sans voix, des sans parole », Là-bas si j’y suis est devenue « un restaurant populaire qui propose une cuisine maison avec des plats du jour ». Une cuisine épicée souvent, teintée de cet esprit de résistance à l’ordre établi et à l’idéologie dominante. 600.000 auditeurs la dégustent chaque jour. Sur scène hier-soir, interrogé par Olivia Gesbert – productrice de l’émission Dimanche, et après ? sur France Culture – et par le public, Daniel Mermet nous a offert un festival de non-langue de bois. Brillant conteur. Incisif, ironique et combatif. Adepte de la « transgression qui participe à l’invention » et de cet « imparfait de l’objectif » cher à Prévert. De la pure régalade.

Là-bas si j’y suis, modeste et géniale, totalise 5.000 émissions fabriquées par un millier de personnes : reporters, réalisateurs, assistants, etc… Le site officiel, c’est par ici. Le site non-officiel où l’on peut notamment télécharger les émissions depuis 2001 c’est par là.

Fañch Langoët, véritable encyclopédie vivante de la radio, a consacré à Daniel Mermet de nombreux billets de son blog Radio Fañch.

Athur Rimbaud passe à la radio Longueur d’Ondes #2

Au Festival Longueur d’Ondes hier, passionnante séance d’écoute sur le thème de la radio scolaire. Rimbaud : le dormeur du val date de 1956. Avec la participation de Françoise Dorléac, alors âgée de 14 ans. La radio scolaire remonte à l’époque du Front Populaire, impulsée par Jean Zay, ministre de l’Éducation populaire et des beaux-arts. Aujourd’hui, le Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques Canopé de Poitiers dispose de 5.000 heures d’archives sonores liées à cet outil au service de la fonction enseignante.

Chambre seize #6

Chambre 16

A force de les feuilleter au rythme de nos ébats, ils ont fini par me rendre fou, ces croquis. Je me suis mis à la haïr, mon ouvreuse. Violemment. Tellement fort que sa carrière madrilène a tourné court. Elle s’est achevée dans les toilettes de l’Imperial. Un chargeur dans la peau et la tête scotchée à la chasse d’eau. Le silencieux nettoyé, j’ai récupéré le carnet et j’ai filé prendre le premier express vers la Fausse Monnaie.

 Je suis tombé dès mes premiers pas sur le quai de Saint-Charles. Filé, surveillé de près sans m’en rendre compte, puis cueilli en douceur à l’arrivée. Le cartable à la main et le carnet au fond. Comme Aglaé, j’ai choisi le chemin du silence. Rien à déclarer à quiconque sur nos adieux à l’espagnole. Rien à avouer non-plus sur mon désir de vengeance. Décidé à tenir bon malgré ce nouveau long plongeon au fond de la prison. Ils ne l’ont pas avalé et m’ont tenu reclus jusqu’à ce soir.

(à suivre)

Jour de tempête sur Brest

En fin de matinée, après quelques très agréables séances d’écoute au Festival Longueur d’Ondes, je n’ai pu résister à l’appel de la mer. Je suis descendu sur le port de Brest pour approcher de près les bateaux et écouter. Un vent terrible. Froid et violent à un point tel que par moments, il m’a fallu me plier vers l’avant pour résister aux rafales. J’ai même perdu mon bonnet. Envolé vers la grève en contrebas. Pas pu le récupérer. Au bout du port de commerce, les installations des Phares et Balises et dans un atelier, Loïc Delaby qui commence dans la carrière. Une rencontre à l’abri de la tempête, non loin du quai fouetté par les rafales.

Tempête1

Chambre seize #5

Chambre 16

Pendant ce temps, j’ai gaspillé mes secondes à m’exploser au paradis sans pitié des faux et des fuyants. Jo parti, je me suis évadé au pays transparent d’où aucune réponse ne chute vers la soucoupe des mendiants. La lâcheté m’a saisi au cou et ne m’a pas lâché d’un millimètre. J’en ai vécu grassement et salement. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’aux confins de l’écoeurement. Lorsque la monnaie a commencé à suinter en grand de mes pores et de mes poches, je me suis fait coffrer. Bien fait pour moi. Je l’avais bien cherché.

A quelques jours et quelques kilomètres de distance, Aglaé et moi avons parcouru le même espace. Chacun dans son quartier. Chacun à payer de son côté. Elle fière et droite. Moi rampant et larmoyant. Indigne de notre amour d’antan. Pitoyable là où il aurait fallu être admirable.

(à suivre)

La radio en surround au cinéma Longueur d’Ondes #1

S’installer dans une salle de cinéma et participer à une séance d’écoute de la radio en surround. J’ai vécu ce moment inédit hier-soir, proposé par le Festival Longueur d’Ondes à Brest. Plus de 70 personnes avaient fait le même choix, attirées comme moi par la découverte d’une écoute collective singulière. Le documentaire qui a été projeté dans le noir –  Lyon-Saint-Étienne / Regarder aux vitres du train – nous a été proposé avec une réalisation multicanal. Du coup, le son était spatialisé et nous nous sommes retrouvés comme embarqués à bord du train, aux côtés des passagers, nous avons partagé leurs pensées en même temps que nous avons regardé avec eux le paysage défilant sous leurs yeux comme dans un long et beau travelling. Extrait

Après la projection, je me suis retrouvé dans l’ambiance des cinéclubs d’autrefois. J’ai apprécié ce radioclub animé par Hervé Déjardin, passionnant ingénieur du son à Radio France, très enthousiaste et hyper-pointu sur son métier comme sur les projets que sa maison met en oeuvre pour développer le son multicanal et binaural. J’ai appris que bientôt, Radio France offrirait une écoute au casque personnalisée de ses programmes, adaptée aux particularités singulières de chacun, notamment de son appareil auditif.

Lyon-Saint-Étienne / Regarder aux vitres du train est un documentaire réalisé par Laure Bollinger et Véronique Lamendour. C’est une coproduction L’Atelier de la création (France Culture) et NouvOson. L’intégralité de l’oeuvre est en ligne sur le site de NouvOson et c’est par ici.

 

 

Chambre seize #4

Chambre 16

Je n’ai retrouvé Aglaé qu’au détour d’un voyage en Espagne. Plus de vingt longues années s’étaient égrenées. Elle réchauffait ses doigts au fond du cinéma l’Imperial. En plein Madrid. Ouvreuse elle était devenue. Un quotidien confiné à la lueur d’une lampe de poche. Des journées à tourner le dos à l’écran et à ses rêves d’actrice anéantis. Entre deux séances, elle m’a laissé effeuiller son costume de nonne et déchirer ses bas noirs. J’ai épargné le foulard orné d’une broche dorée, une cigale allongée de tout son long entre ses seins.

Une fois nos cauchemars mélangés et apaisés, Aglaé m’a montré ses croquis couchés sur un épais carnet et m’a tout raconté. Leur dernière nuit avant le clap de fin, leurs cris de rapaces, leurs ultimes baisers jetés par dessus mer. Et puis ce coup de feu qui soudain claque dans la bouche de Jo et le torrent de son sang. Comme un adieu lancé aux angelots du papier peint. Aglaé m’a décrit aussi les voisins saisis d’effroi à l’entrée de l’hôtel, l’ambulance où avance en tremblant le drap blanc, les menottes glacées à ses poignets et pour finir, le cachot. Sans un mot. Vingt ans elle a pris. Vingt années à se taire au fond de sa tanière. Honteuse et coupable. Pas un mot pour se défendre. Rien. Pas le moindre avocat pour la tirer de là. Elle n’en voulait pas. Vingt ans à se terrer, à se souvenir et à dessiner.

(à suivre)

Ondes de pluie sur Brest

Me voilà donc à Brest. À l’autre bout de la France. Là où se finit la terre. Là où la vieille Europe regarde vers l’Amérique. Brest où m’attendait l’ami Fañch, de Radio Fañch. Où m’attendait la pluie aussi. Abondante comme les tourteaux du Crabe-Marteau.

La pluie, m’a sorti du sommeil cette nuit. De la fenêtre de ma chambre d’hôtel, j’ai entendu un tapis d’eau chuter du toit et j’ai deviné la pleine lune qui là-haut pointait le bout de son nez.

Fañch m’a invité à Brest pour parler de ma passion de la radio au Festival de la radio et de l’écoute Longueur d’Ondes qui se tient jusqu’à dimanche. Retrouvez son blog par ici et Longueur d’Ondes par là.

Chambre seize #3

Chambre 16Sauf qu’un beau soir, soudain, plus qu’un seul secret à partager. Un seul rôle pour deux. Chacun voulait danser contre la même comédienne. Aglaé elle s’appelait. Une brunette aux yeux caramel et aux doigts aussi fins que des suce-miel. Elle nous aimait tant qu’elle ne pouvait pas trancher. A vous de jouer ! Le jeu a vite chaviré en dispute. Lourdement. Puis en guerre-éclair. Jo a perdu sur le champ et a disparu corps et biens. Je ne me suis jamais pardonné ce sabordage. Cette impuissance à éviter le naufrage. Ces paroles absentes alors qu’elles auraient pu sauver. Trop accroché à ma conquête, j’ai oublié de le consoler, mon Jo. Je ne m’en suis jamais relevé. Jamais. Une fois mon frère envolé, Aglaé s’est laissée enfermer et n’a rien craché. Elle n’a même pas regardé les cendres de mon frère s’éparpiller vers le large. En quelques jours, Marseille s’est dépeuplée, s’est vidée de mes moitiés.

(à suivre)

Cornemuse et trompette

Il n’y a pas de hasard. Alors que je m’apprête à prendre la route pour Brest – je monte y participer à Longueur d’Ondes, le 11ème Festival de la radio et de l’écoute – mon ami Jean Bernard m’adresse un cadeau sonore où résonne la cornemuse, en duo avec une trompette. J’adore la sonorité de la cornemuse, instrument mystérieux qui se nourrit du souffle des humains. J’avoue que la mescle avec la trompette que voici m’émeut profondément. Sans doute parce que la Bretagne me tend aujourd’hui les bras, tout comme mon ami Jean.

Ce duo fugace et splendide, Jean l’a enregistré vendredi dernier dans l’église de la Dalbade à Toulouse.

Une petite histoire de la cornemuse, c’est par ici.

Sabine Réthoré inventeuse de mondes

Nous nous étions perdus de vue depuis quelques années et puis dernièrement, Sabine Réthoré est réapparue. Juchée quelque part sur l’un des globes terrestres ou arpentant l’une des cartes qu’elle fabrique dans son atelier d’artiste. Cartographe contemporaine, la dame. Passionnée par les territoires et les représentations qui nous en sont fournies. Je l’avais rencontrée il y a quelques années dans le quartier Noailles à Marseille. Elle s’était racontée. Avec poésie et malice.

La Méditerranée est sans doute le territoire préféré de Sabine Réthoré. Le globe qui lui est dédié a donné naissance ensuite à une carte pensée avec un regard différent. Une Méditerranée réinventée.

Depuis juin 2011, Sabine Réthoré fait vivre son projet Méditerranées sans frontières. Elle l’a démarré après avoir constaté que les gens ne pouvaient plus trouver de carte de Mare Nostrum dans le commerce. Alors, elle s’est lancée dans le dessin d’une Méditerranée à partir de zéro, en proposant un regard neuf sur cette grande surface bleue, histoire de réorienter la vision et de questionner les représentations tout en permettant de tisser des liens entre les gens qui vivent sur les rives de cette mer mythique. Autant dire que ette carte ne tient compte ni des frontières, ni des nations.

Sabine Réthoré vous en dit plus sur son site. C’est par ici.

 

Chambre seize #2

Chambre 16C’était ma première soirée à l’air libre depuis des lustres. Une vraie soirée d’octobre. Douce comme un beignet aux courgettes, légère comme une robe d’été, joyeuse comme la ronde qui remontait de l’école maternelle plusieurs fois par jour. Je suis sorti bien après la dernière récré. Le col remonté, j’ai marché jusqu’à la mer. Le soleil commençait à plonger derrière le Frioul. Plus aucun enfant dans la cour. Seuls quelques miettes par terre et des pigeons autour. Une nouvelle fois, les souvenirs sont revenus me narguer. Un pied de nez impromptu, mystérieux et feutré. Comme un « coucou ! » murmuré par le fantôme de Jo.

 Bientôt un quart de siècle qu’il me visite ainsi sans prévenir. Depuis son retrait volontaire et pour toujours. C’était un beau matin d’août, un lendemain de rude bras de fer. La routine pour deux frères élevés de concert. Même chambre plein sud, même fenêtre sur mer, même jeux et mêmes angoisses au moment d’éteindre et de se plonger vers le sommeil. Plus tard, même appêtit de fêtes. Même plaisir à échanger ses secrets. Même envie de se faire sauter la tête à coups de résine ou de tétine. Même désir de baisers profonds avec des filles à cheveux longs.

(à suivre)

Chambre seize #1

Chambre 16

– La seize, mon beau jeune homme, ça fait bientôt cent ans que je ne la loue plus !

 Au rythme de mes secousses désenchantées, la patronne de la Fausse Monnaie enfonce son regard lavande entre mes yeux d’obsédé. Je suis sans doute le premier client depuis la fin de l’été. C’est la première femme que j’approche de près depuis une éternité. Et comme ça fait une éternité que je n’ai plus été jeune, autant en profiter. Son décolleté se balance juste en dessous de mes lèvres énervées. La faute à nos coups de langue, comme au Cordon Rouge qui nous vide la tête depuis que j’ai enfin mis les pieds dans cet hôtel au coucher su soleil.

C’est une ancienne demeure juchée sur le calcaire à l’aplomb de la mer. Décorée façon colonies. Inondée de palmiers, de plantes grasses et de totems en bois noir. Trois étages avec vérandas pour chaque chambre. Une trentaine en tout. La seize me suffira. Voilà une bonne heure que je m’affaire sur le comptoir, une main sous ses hanches, l’autre accrochée aux gros billets qui claquent sur le guichet. Entre deux baisers, je lui montre les dessins et la clé dorée qui brille dans l’armoire en verre. Mais rien n’y fait. Elle gémit, accentue la cadence, roule des reins et réclame d’autres câlins mais ne veut rien savoir. Mon carnet lui fait peur et mon argent l’indiffère. Alors, je me retire de ses cuisses et plonge la liasse vers la poche revolver de mon blouson. Un peu plus, un peu moins, je me dis…

(à suivre)

L’oiseau du petit matin

Quatre heures du matin. Il ne pleut pas encore. Un oiseau en profite pour chanter. Là, juste de l’autre côté du Saleys qui coule au pied de la maison.

Lo Carnaval Biarnés à Salies

Ce samedi, Salies-de-Béarn a accueilli pour la première fois le Carnaval Biarnés, organisé depuis 30 ans par l’association paloise Carnaval Pantalonada. La cité du sel a donc pu faire partager à tous les courageux qui ont bravé la pluie cette tradition festive béarnaise, incarnée entre autres par de truculents personnages, comme le légendaire Sent Pançard et sa femme Carronha. Ce Carnaval Biarnés a Salias a permis aussi de se plonger avec plaisir dans les musiques, les danses et les chants béarnais, portés par la langue occitane que je trouve si jolie et si poétique. Voici un florilège d’ambiances sonores offertes par ce Carnaval salisien qui en appelle bien d’autres j’espère.

La « philosophie » de l’association Carnaval Pantalonada, en béarnais et en francais :

FAIRE CARNAVAL !

Bohar
Desconar, hartar, peguejar,
Dançar, cantar, dinc a càder de fatiga
La gentilhessa, l’umor e la toleréncia
Las diferéncias
Vestí’s en hemna quan èm un òmi
Vestí’s en òmi quan èm ua hemna
Mascà’s e cambiar de votz
Denonciar l’injustícia, los mèstes deu monde
Har tentar los pisha-vinagre, los de qui cau
Desbotoà’s, arrebendí’s
Deishar har la soa fantesia
 

Souffler
Déconner, bouffer, faire le « pec »
Danser et chanter jusqu’à épuisement
La gentillesse, l’humour et la tolérance
Les différences
S’habiller en femme si l’on est un homme
S’habiller en homme si l’on est une femme
Se masquer et changer de voix
Dénoncer l’injustice, les maîtres du monde
Faire râler les pisse vinaigre, les bien pensants
S e débrider, se rebeller
Laisser libre cours à sa fantaisie

L’Ostau Bearnès, lieu de diffusion de la culture occitane, c’est par ici.

 

Au chevet du chêne du Millénaire

Une balade vers les quais de la Garonne hier après-midi à Bordeaux et soudain, des bruits sourds, métalliques surgissent d’un atelier en plein air. Dans le quartier de Bacalan, non-loin du fleuve, tomber sur les Vivres de l’art, une résidence artistique et un lieu cosmopolite dédiés à la création. Jusqu’au mois prochain, fers à souder, clés à molette et masses en main, des artistes vont continuer de se porter au chevet du chêne du Millénaire, à l’initiative du sculpteur Jean-François Buisson.

Le projet, les évènements et les artistes de Les Vivres de l’art, c’est par ici.

Le saut de l’ange #intégral

Pour celles et ceux qui n’ont pas suivi le feuilleton Le Saut de l’ange en 7 épisodes publié ces jours derniers, en voici l’intégralité.

Le saut de l'ange

Un cliquetis sauvage secoue mes semelles. Pas moyen de faire la sieste. Les pelleteuses viennent de pulvériser la dernière murette du domaine ouvert en contrebas sur la mer. Le temps d’activer mon Leica, une odeur de fuel poisseux troue l’air azur de décembre. Je n’ai pas le courage de m’allonger en travers des chenilles d’acier, alors, je marche à reculons, adossé aux flots. Un oeil collé au viseur, l’autre fermé sur la mémoire. Dans quelques minutes, plus personne ne connaîtra l’histoire des jardins d’Angelo.

Photo numéro neuf.

Zoom avant vers l’orangeraie des origines. Gros plan sur des milliers de fruits en bouillie, des centaines de troncs affalés, une récolte déchiquetée. C’est par là que les machines ont commencé leur sale boulot. Lorsque des pirates corses fondèrent la cité, ils débarquèrent de leurs bateaux des sacs joufflus gonflés de pépins. Les semailles furent providentielles : des arbres surgirent en abondance entre pinède et roche blanche. La première cueillette offrit navels, limettes, clémentines et sanguines à volonté. L’année qui suivit, les pirates désarmèrent leurs barques pointues et choisirent de devenir paysans. Le troc procura les arpents nécessaires à l’extension des cultures. Des familles entières arrivèrent de l’autre côté de l’horizon pour tenter leur chance à Angelo, du nom du premier marin à fouler le sol du continent. Encore quelques clichés, et ce nom s’éteindra pour toujours.

Photo numéro huit.

Déclencher avant qu’il ne soit trop tard. Mais où sont passées les baraques en bois peint que nous surnommions les trois cabanons ? Volatilisées en pleine poussière. J’ai beau m’écraser la face contre le viseur – pommette et arcade au beurre noir – je ne devine que quelques touches de couleur à travers les ramures. Pas d’avantage. Vermillon pour l’abri à outils, jaune d’or pour le hangar à graines et bleu ciel pour la maison des fleurs. Vestiges opaques et presque virtuels d’un peuple de pépiniéristes artistes.

Une fois l’an, les jardiniers d’Angelo repeignent les murs de leurs demeures. Pour célébrer le retour de l’été. Les pigments sont broyés et mélangés dans de grandes cuves en bois d’olivier, au pied des échafaudages. Les enfants grimpent jusqu’au sommet des façades et y composent leurs frises en regardant la mer. Juché sur ces gigantesques échasses, je me suis souvent pris pour Giotto. Tout jeune, c’est la maison des fleurs que j’ai choisi de repeindre. Juste pour le plaisir de passer ma journée dans le bleu ciel. C’était ma couleur préférée. J’adorais les mots mystérieux qu’égrenait ma grand-mère en feuilletant le registre des ventes : aristoloche, joubarbe, fraxinelle, pied d’alouette ou zinnia. Toutes ces fleurs trouvaient preneurs jusqu’aux antipodes. Aujourd’hui, le bleu ciel m’indiffère et plus personne ne me guide parmi ces merveilles.

Photo numéro sept.

Un obstacle, soudain, à mes talons. Je trébuche et me retourne de justesse pour éviter la chute. Je viens de me cogner à un amas de pierres grises.  Construit au centre du domaine, l’oratoire à la Vierge n’a pas résisté aux vibrations infernales des caterpillars. Il s’est écroulé face contre terre et la croix qui ornait le sommet a disparu sous les gravats. Je n’aurai pas eu le temps d’y prier une dernière fois. Vite, fouiller dans les décombres. Je m’écorche le bout des doigts à creuser comme un chien. De mes poings qui enserrent les pierres ne s’échappent que des fragments d’argile cuite brun-rose, sans doute le corps de Jésus. Aucune trace des yeux étonnés qui happaient les miens chaque fois que la peur me conduisait auprès de la niche sacrée. Les paysans d’Angelo l’érigèrent face à la mer, pour remercier Marie d’avoir épargné leurs jardins lors de la grande tempête de mil huit cent trente.  J’aurais tant aimé l’embrasser encore, ce visage poupon et lui parler de ces sauvages qui ravagent notre terre. Lui dire qu’ils me font horreur. Lui demander de me donner le courage de tenir jusqu’au bout.

Photo numéro six.

Des cris m’attirent à contre-sens. Complainte sourde enveloppée dans des nuages de poudre. Ce sont des voix d’enfants mêlées à des aboiements et des claquements secs, à deux, trois cents mètres de l’oratoire effondré. A l’aveuglette, je mitraille vers ces sons de malheur.

 Photo numéro cinq.

Dans mon viseur, je cadre des gamins en file indienne. Je les reconnais à leurs blouses vertes. Tous fréquentent l’école des jardins. Les enfants avancent à genoux, cravaches à la main. Ils bastonnent les plates-bandes de pensées. Je ne comprends pas pourquoi ils sont en train de saccager ces fleurs qu’ils avaient eux-mêmes plantées.

Photo numéro quatre.

Au premier plan, des vigiles et des chiens tenus en laisse entourent les écoliers en larmes. En retrait, un colosse à casquette, revolver au ceinturon. Le téléphone portable vissé à la tempe, il semble prendre des ordres, acquiesce sans cesse et éclate de rire. Je frissonne. Et s’il m’apercevait… Je m’accroupis et le suis à la trace en tentant de ne pas trembler. Le voilà cerné par les repères rectilignes du viseur.

Photo numéro trois.

Le nervi s’approche des fils d’Angelo et l’arme au poing, en fait sortir cinq du rang. Chacun se relève, saisit un arrosoir et dévale l’allée des pensées en direction de la mer. Ils se rapprochent comme au ralenti. Je bats en retraite à reculons pour ne surtout pas les perdre de vue.

Photo numéro deux.

Mon ombre dérive le long du chemin des potagers. Le soleil sur le déclin m’y projette en géant hésitant. J’ai la tête qui tourne et la nuque douloureuse. Je longe des plants vert foncé mais j’ai oublié quels légumes donneront ces grosses feuilles qui défilent dans mon cadre. Je me souviens seulement que ces cultures nourricières, les jardiniers d’ici les lancèrent en cachette pendant la guerre, pour contourner les privations forcées. A l’arrivée des nazis, personne à Angelo n’avait jamais planté ni salade, ni chou, ni carotte. Le conseil de résistance décida d’innover : la terre offrirait des plantes potagères. Les soldats dévastèrent les semailles, qu’importe, chaque fois dans la nuit qui suivait, le sol était réensemencé. Les ouvriers des huileries voisines vinrent prêter leurs mains aux jardiniers. L’occupant s’épuisa. A la Libération, les gars des chantiers navals reçurent eux aussi leurs parcelles et l’on fonda les jardins ouvriers, la fierté d’Angelo jusqu’à l’an passé. Depuis, la Ville a décidé de vendre. Les pétitions et les défilés n’auront rien donné. Une société texane a racheté le domaine. Personne ne se doutait qu’elle nous chasserait si tôt.

Photo numéro un.

L’avant-dernière.

Pourvu qu’elle ne soit pas floue. Mise au point sur les flammes qui brusquement empourprent le ciel. Elles s’agitent là-haut comme des sorcières, tout au fond des jardins. Les larmes se coulent à l’intérieur de mes paupières. Le travail du deuil m’a toujours consumé les yeux. A quel coin du parc le feu a-t-il pris naissance ? Mystère. Il a sauté les haies de cèdres et de cyprès, pour filer à toutes jambes vers les champs d’oliviers. En plein mistral, le voilà qui roule tel une pieuvre rousse le long des allées. Incompréhensible ballet qui me force à reculer plus vite encore en direction de la mer. Les nervis, les chiens et les écoliers se sont mis à courir eux-aussi, poursuivis par des nuages de cendre et de fumée. Les cinq enfants aux arrosoirs ont disparu. Le vent m’ engourdit le visage et je claque des dents. Les rafales giflent les pins-parasol qui se bousculent dans le viseur au fil de mes foulées. Renversants, ces arbres lorsque l’on arrive à Angelo par bateau. Stupéfiants car accrochés à même le rebord de la falaise tels d’ immenses gibets. De très loin, leurs silhouettes s’imposent et trônent au dessus des flots. Personne n’imagine alors un seul instant les jardins cachés derrière ces statues décharnées. Vite, les photographier avant qu’elles ne s’embrasent. Ce sera mon tout dernier cliché.

J’accélère l’allure pour me donner un peu plus de recul.

Les arbres ont disparu du viseur.

J’ ai basculé soudain vers la mer.

Je crois que j’ai entendu le déclic de mon Leica.

Juste à côté de la chaise-longue, mon fils Angelo joue aux petites voitures et me demande : dis, papa, on va promener ?

Fin

Chez le dentiste des pieds

L’autre jour, ma maman m’a dit en dévisageant mes pieds :

– mon fils, je t’emmène chez le pédicure !

Comme je suis obéissant, je l’ai accompagnée. Peu rassuré je l’avoue car j’ai horreur que des inconnus touchent mes pieds. Domaine réservé à mon amoureuse.

piedbandé_003

Je n’ai pas du tout eu mal, ce fut même plutôt agréable, mais je ne sais pourquoi je n’ai pu m’empêcher pendant ce soin de penser à ces générations de femmes chinoises aux pieds bandés.

Le saut de l’ange #7 et fin

Le saut de l'angePhoto numéro un.

L’avant-dernière.

Pourvu qu’elle ne soit pas floue. Mise au point sur les flammes qui brusquement empourprent le ciel. Elles s’agitent là-haut comme des sorcières, tout au fond des jardins. Les larmes se coulent à l’intérieur de mes paupières. Le travail du deuil m’a toujours consumé les yeux. A quel coin du parc le feu a-t-il pris naissance ? Mystère. Il a sauté les haies de cèdres et de cyprès, pour filer à toutes jambes vers les champs d’oliviers. En plein mistral, le voilà qui roule tel une pieuvre rousse le long des allées. Incompréhensible ballet qui me force à reculer plus vite encore en direction de la mer. Les nervis, les chiens et les écoliers se sont mis à courir eux-aussi, poursuivis par des nuages de cendre et de fumée. Les cinq enfants aux arrosoirs ont disparu. Le vent m’ engourdit le visage et je claque des dents. Les rafales giflent les pins-parasol qui se bousculent dans le viseur au fil de mes foulées. Renversants, ces arbres lorsque l’on arrive à Angelo par bateau. Stupéfiants car accrochés à même le rebord de la falaise tels d’ immenses gibets. De très loin, leurs silhouettes s’imposent et trônent au dessus des flots. Personne n’imagine alors un seul instant les jardins cachés derrière ces statues décharnées. Vite, les photographier avant qu’elles ne s’embrasent. Ce sera mon tout dernier cliché.

J’accélère l’allure pour me donner un peu plus de recul.

Les arbres ont disparu du viseur.

J’ ai basculé soudain vers la mer.

Je crois que j’ai entendu le déclic de mon Leica.

Juste à côté de la chaise-longue, mon fils Angelo joue aux petites voitures et me demande : dis, papa, on va promener ?

Fin

 

Le saut de l’ange #6

Le saut de l'angePhoto numéro deux.

Mon ombre dérive le long du chemin des potagers. Le soleil sur le déclin m’y projette en géant hésitant. J’ai la tête qui tourne et la nuque douloureuse. Je longe des plants vert foncé mais j’ai oublié quels légumes donneront ces grosses feuilles qui défilent dans mon cadre. Je me souviens seulement que ces cultures nourricières, les jardiniers d’ici les lancèrent en cachette pendant la guerre, pour contourner les privations forcées. A l’arrivée des nazis, personne à Angelo n’avait jamais planté ni salade, ni chou, ni carotte. Le conseil de résistance décida d’innover : la terre offrirait des plantes potagères. Les soldats dévastèrent les semailles, qu’importe, chaque fois dans la nuit qui suivait, le sol était réensemencé. Les ouvriers des huileries voisines vinrent prêter leurs mains aux jardiniers. L’occupant s’épuisa. A la Libération, les gars des chantiers navals reçurent eux aussi leurs parcelles et l’on fonda les jardins ouvriers, la fierté d’Angelo jusqu’à l’an passé. Depuis, la Ville a décidé de vendre. Les pétitions et les défilés n’auront rien donné. Une société texane a racheté le domaine. Personne ne se doutait qu’elle nous chasserait si tôt.

(à suivre)

Eternal vibration, Yeah, Bob Marley !

Il y a 69 ans jour pour jour naissait Bob Marley, le musicien jamaïcain, chanteur de reggae de légende aux textes et rythmes qui portent le cri et les prières des déshérités, de tous les sans nom du monde. J’ai retrouvé dans mes archives – vive le podcasting – le très bel hommage que le Sonar de Radio Nova rendait à Robert Nesta Marley le 6 novembre 2007.

 

Heureux, chanceux, bénis ceux qui ont pu assister à un concert de Bob Marley.
Pour les autres, dont je suis, voici le Live qu’il donna à Santa Barbara en novembre 1979.

Bob Marley, le site officiel, c’est par ici

Le saut de l’ange #5

Le saut de l'angePhoto numéro trois.

Le nervi s’approche des fils d’Angelo et l’arme au poing, en fait sortir cinq du rang. Chacun se relève, saisit un arrosoir et dévale l’allée des pensées en direction de la mer. Ils se rapprochent comme au ralenti. Je bats en retraite à reculons pour ne surtout pas les perdre de vue.

(à suivre)

Françoise et Janeta, covoituristes

Le covoiturage. Voilà longtemps que Chantal et moi en avions entendu parler sans jamais franchir le pas. Depuis la semaine passée, nous avons adopté ce mode de déplacement qui conjugue partage et économies. D’argent et de pollution aussi. Sans parler de la découverte de personnes avec lesquelles se noue un contact chaleureux et s’échangent des histoires de vie, le temps de quelques centaines de kilomètres. Hier, en rentrant de Marseille, Françoise* et Janeta** furent nos passagères de parole.

Le site de covoiturage que nous avons choisi s’appelle BlaBlaCar et c’est par ici.

*Françoise est une artiste toulousaine native de Cahors. Elle chante Vian, Nougaro, Piaf, Patti Smith et tant d’autres beautés. Bientôt de retour sur les planches.

**Janeta est une ingénieure en génie électrique. Native de Timisoara en Roumanie, elle désire fonder une famille. Sa priorité du moment, trouver un emploi.

 

 

 

Le saut de l’ange #4

Le saut de l'angePhoto numéro quatre.

Au premier plan, des vigiles et des chiens tenus en laisse entourent les écoliers en larmes. En retrait, un colosse à casquette, revolver au ceinturon. Le téléphone portable vissé à la tempe, il semble prendre des ordres, acquiesce sans cesse et éclate de rire. Je frissonne. Et s’il m’apercevait… Je m’accroupis et le suis à la trace en tentant de ne pas trembler. Le voilà cerné par les repères rectilignes du viseur.

(à suivre)

Temps calme sur Sormiou

Sormiou. La calanque de Marseille la plus proche de la ville et la plus fréquentée à la belle saison. Très peu de monde hier. Avec Chantal nous en avons profité pour balader. D’abord une montée au pourcentage de folie et puis un col d’où nous avons plongé vers cette merveille de calanque, encadrée par deux crêtes de roche blanche. Tout en bas, des cabanons aux noms charmants, Loustalet, Mon repos ou Vendraï maï. Une plage de sable blanc et un sentier caillouteux qui part dans la pinède jusqu’au pied de la montagne et d’où Sormiou offre un autre profil.

Plus d’infos sur Sormiou, c’est par ici.

Jirō, Petit Prince japonais 日本

Éblouissant. Le vent se lève, l’ultime opus de Hayao Miyazaki, est une merveille absolue. Ce film d’animation nous transporte dans le Japon des années 20, des deux décennies qui précédèrent l’horreur de la Seconde guerre mondiale. Le héros se prénomme Jirō. Une sorte de Petit Prince rêveur, profondément généreux et dont la vie est « un avion-nuage » tant l’anime depuis tout petit le désir de voler, la passion des avions. Décors, paysages, expression des visages, bruitages, tout est absolument enchanteur, bouleversant de beauté, de poésie et d’humanité. Sans parler de la bande originale, signée Joe Hisaishi dont voici les trois premières minutes, enregistrées hier au cinéma Variétés à Marseille.

Le titre de son film, Hayao Miyazaki l’a emprunté à une citation de Paul Valéry, extraite du « Cimetière marin » :  « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Jirō la prononce en français avec l’accent japonais. C’est très touchant.

Dans son blog Métronomiques, Dominique Hasselmann a consacré récemment un superbe billet au film de Miyazaki. C’est par ici.

 

Le saut de l’ange #3

Le saut de l'angePhoto numéro six.

Des cris m’attirent à contre-sens. Complainte sourde enveloppée dans des nuages de poudre. Ce sont des voix d’enfants mêlées à des aboiements et des claquements secs, à deux, trois cents mètres de l’oratoire effondré. A l’aveuglette, je mitraille vers ces sons de malheur.

 Photo numéro cinq.

Dans mon viseur, je cadre des gamins en file indienne. Je les reconnais à leurs blouses vertes. Tous fréquentent l’école des jardins. Les enfants avancent à genoux, cravaches à la main. Ils bastonnent les plates-bandes de pensées. Je ne comprends pas pourquoi ils sont en train de saccager ces fleurs qu’ils avaient eux-mêmes plantées.

(à suivre)

La caverne du MUcem

J’ai donc fini par découvrir le MUcem, ce Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée qui a paraît-il laissé baba le New York Times. J’avoue l’avoir franchement boycotté en 2013, peiné et dégoûté que l’agenda de Marseille Provence 2013 capitale européenne de la culture n’ait réservé aucune place à Arthur Rimbaud, à Jean-Claude Izzo et à IAM, les papas du hip hop. Et puis je me suis dit que la bouderie avait assez duré et je suis allé le visiter, ce musée ouvert sur la mer et bâti à quelques battements d’ailes du quartier du Panier où j’ai vécu les deux première années de ma vie. Je le confesse, je ne l’ai pas regretté tant le MUcem regorge de trésors et témoigne d’un parti-pris affirmé, d’un regard sur la Méditerranée qui m’est cher, ancré sur l’ouverture et le partage. Première escale, la salle du corps de garde. Une balade visuelle et sonore intitulée La colline retrouvée, 26 siècles d’histoire de Marseille. On se croirait dans une caverne.

Ce spectacle a été écrit et réalisé par Henri Louis Poirier. Plus d’infos sur le MUcem, c’est par ici.

Le saut de l’ange #2

Le saut de l'angePhoto numéro huit.

Déclencher avant qu’il ne soit trop tard. Mais où sont passées les baraques en bois peint que nous surnommions les trois cabanons ? Volatilisées en pleine poussière. J’ai beau m’écraser la face contre le viseur – pommette et arcade au beurre noir – je ne devine que quelques touches de couleur à travers les ramures. Pas d’avantage. Vermillon pour l’abri à outils, jaune d’or pour le hangar à graines et bleu ciel pour la maison des fleurs. Vestiges opaques et presque virtuels d’un peuple de pépiniéristes artistes.

Une fois l’an, les jardiniers d’Angelo repeignent les murs de leurs demeures. Pour célébrer le retour de l’été. Les pigments sont broyés et mélangés dans de grandes cuves en bois d’olivier, au pied des échafaudages. Les enfants grimpent jusqu’au sommet des façades et y composent leurs frises en regardant la mer. Juché sur ces gigantesques échasses, je me suis souvent pris pour Giotto. Tout jeune, c’est la maison des fleurs que j’ai choisi de repeindre. Juste pour le plaisir de passer ma journée dans le bleu ciel. C’était ma couleur préférée. J’adorais les mots mystérieux qu’égrenait ma grand-mère en feuilletant le registre des ventes : aristoloche, joubarbe, fraxinelle, pied d’alouette ou zinnia. Toutes ces fleurs trouvaient preneurs jusqu’aux antipodes. Aujourd’hui, le bleu ciel m’indiffère et plus personne ne me guide parmi ces merveilles.

Photo numéro sept.

Un obstacle, soudain, à mes talons. Je trébuche et me retourne de justesse pour éviter la chute. Je viens de me cogner à un amas de pierres grises.  Construit au centre du domaine, l’oratoire à la Vierge n’a pas résisté aux vibrations infernales des caterpillars. Il s’est écroulé face contre terre et la croix qui ornait le sommet a disparu sous les gravats. Je n’aurai pas eu le temps d’y prier une dernière fois. Vite, fouiller dans les décombres. Je m’écorche le bout des doigts à creuser comme un chien. De mes poings qui enserrent les pierres ne s’échappent que des fragments d’argile cuite brun-rose, sans doute le corps de Jésus. Aucune trace des yeux étonnés qui happaient les miens chaque fois que la peur me conduisait auprès de la niche sacrée. Les paysans d’Angelo l’érigèrent face à la mer, pour remercier Marie d’avoir épargné leurs jardins lors de la grande tempête de mil huit cent trente.  J’aurais tant aimé l’embrasser encore, ce visage poupon et lui parler de ces sauvages qui ravagent notre terre. Lui dire qu’ils me font horreur. Lui demander de me donner le courage de tenir jusqu’au bout.

(à suivre)

Un mécano tendre

Dans moins de deux semaines, Brest. Longueur d’Ondes. Le Festival de la radio et de l’écoute. Je me languis d’y être et de déployer bien larges mes oreilles. Parmi les pépites sonores sélectionnées qui seront diffusées lors des séances d’écoutes du 13 au 16 février, ce moment de grâce, signé Jérôme Bailly.

https://soundcloud.com/mecanique-des-sons/la-complainte-du-rouet

Mécanique des sons est un lieu dédié aux sons de l’autre bout de la France quand on regarde la carte depuis Marseille. Jérôme Bailly en est le mécano en chef.

Le saut de l’ange #1

Le saut de l'angeUn cliquetis sauvage secoue mes semelles. Pas moyen de faire la sieste. Les pelleteuses viennent de pulvériser la dernière murette du domaine ouvert en contrebas sur la mer. Le temps d’activer mon Leica, une odeur de fuel poisseux troue l’air azur de décembre. Je n’ai pas le courage de m’allonger en travers des chenilles d’acier, alors, je marche à reculons, adossé aux flots. Un oeil collé au viseur, l’autre fermé sur la mémoire. Dans quelques minutes, plus personne ne connaîtra l’histoire des jardins d’Angelo.

Photo numéro neuf.

Zoom avant vers l’orangeraie des origines. Gros plan sur des milliers de fruits en bouillie, des centaines de troncs affalés, une récolte déchiquetée. C’est par là que les machines ont commencé leur sale boulot. Lorsque des pirates corses fondèrent la cité, ils débarquèrent de leurs bateaux des sacs joufflus gonflés de pépins. Les semailles furent providentielles : des arbres surgirent en abondance entre pinède et roche blanche. La première cueillette offrit navels, limettes, clémentines et sanguines à volonté. L’année qui suivit, les pirates désarmèrent leurs barques pointues et choisirent de devenir paysans. Le troc procura les arpents nécessaires à l’extension des cultures. Des familles entières arrivèrent de l’autre côté de l’horizon pour tenter leur chance à Angelo, du nom du premier marin à fouler le sol du continent. Encore quelques clichés, et ce nom s’éteindra pour toujours.

(à suivre)