Retourner écouter la mer et contempler le Marseille de Paul Cézanne

Lendemain d’élections municipales. Gueule de bois. Marseille, Béziers, Fréjus, l’abstention, une mescle indigeste. Heureusement*, il y a la mer à écouter et réécouter. La mer à respirer encore et encore. En contemplant le Marseille de Cézanne.CézanneMarseille

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* Heureusement aussi, il y a Paris, évoqué par Dominique Hasselmann , Avignon, Arles, Lourdes et Salies-de-Béarn où je vis désormais.

Générique de fin #6

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Insupportable ronronnement qui valse d’un mur à l’autre dans notre chambre.

Aglaé s’endort si vite qu’elle me prend de court.

A chaque fois, je dois calquer ma respiration sur son souffle agité par ses premiers rêves.

Déboussolé, j’échoue dans le salon pour retrouver ma propre musique.

Il me faut une bonne heure pour sentir le sommeil s’enrouler à nouveau autour de mes paupières.

J’ai abandonné mon canapé et je me suis glissé sur la terrasse pour tenter de fermer les volets.

Malgré la tourmente, Marseille frémissait au rythme du tango qui montait du balcon d’en dessous.

Raphaël Medeiros et son jeu de braise je crois.

(à suivre)

Générique de fin #5

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Lorsque mon sac n’a plus accepté la moindre chaussette, je me suis occupé de mes papiers.

Passeport, carte de presse, permis de conduire, photos d’identité, tout était en règle, à portée de main dans mon tiroir bien rangé d’homme marié.

Le plus dur, ça serait tout à l’heure d’aller réveiller Aglaé et de lui dire je m’en vais.

Elle ne comprendrait pas pourquoi.

Elle ne comprendrait jamais.

Elle me traiterait de traître.

Pour l’instant, elle dormait dans la pièce d’à côté.

Je l’entendais ronfloter.

(à suivre)

Toute première fois élues et élus

Paule, Sébastien, Claire, Frédéric et Caroline ont été élu(e)s pour la première fois de leur vie dimanche dernier à Salies-de-Béarn, suite à la victoire de la liste L’Élan Nouveau. Ils ont vécu hier leur tout premier Conseil Municipal et ont participé à la réélection du maire sortant Claude Serres-Cousiné.

Générique de fin #4

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Dans la poche intérieure gauche de l’une de mes vestes, j’ai déniché une photo de mon grand-père Paul à vingt quatre ans, en quête de seconde chance sur la Côte d’Azur.

Il pose avec sérieux sur fond de palmiers et de villas blanches. Casquette ronde à la main, il fixe l’objectif d’un air timide et impatient comme s’il étouffait dans son costume de paysan.

Un matin, il avait lu une petite annonce proposant un emploi de métayer plutôt bien payé.

Le soir même, sans prévenir, il quittait Zürich par le train de nuit destination son nouveau monde à lui.

Dans une heure j’allais l’imiter, passer de l’autre côté du ciel et j’étais fier d’être de sa lignée.

(à suivre)

La chanson des Belles de Mai

Vous avez plébiscité le Bella Ciao de l’Académie de Chant Populaire – écouté plus de 105 fois sur ma page Soundcloud – vous adorerez cette chanson des cigarières marseillaises*, ces ouvrières aux blouses bleues, italiennes ou espagnoles, qui vendirent leur force de travail à la Seita et à la Manufacture des tabacs de la Belle de Mai, devenue en 1990 la Friche Belle de Mai. J’ai enregistré cette chanson lors du Forum Culture du Front de Gauche à la Friche le 12 mars dernier, pendant lequel la chorale dirigée par Alain Aubin a proposé quelques belles respirations musicales.

*Pour la plupart, ces cigarières étaient des femmes très jeunes. Elles travaillaient entre 9 heures et dix heures par jour. En 1887, leur combativité leur permit d’obtenir une amélioration de leurs conditions de travail suite à une grève. Elles furent ensuite les premières ouvrières de toutes les manufactures de l’Etat, à former un syndicat.

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Sur les murs de la Friche Belle de Mai.

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Vestige de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture…

Générique de fin #3

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Un décor sans Méditerranée mais avec l’Océan.

J’y perdrais sans doute en chaleur et en lumière mais j’y gagnerais en aventure, en espace, en majesté.

– A New York, l’eau est plus froide et plus grise qu’à Marseille, me répète mon frère à chaque fois que nous feuilletons les magazines.

Je lui réponds qu’aujourd’hui, sans s’en rendre compte, Marseille file au delà du gris.

Elle se tourne le dos et se renie à force de laisser parler ceux qui n’ouvrent plus leurs bras.

Marseille expulse en catimini, Marseille grelotte, s’épaissit et noircit à vue d’oeil.

Sans une once de honte.

Comme si elle avait revêtu des habits taillés dans l’oubli, coupés façon faisceau alla francese.

(à suivre)

Jeudi en campagnes

Tailler. Couper. Raser. Désherber. Faire propre. Éliminer. Faire joli. Se débarrasser des mauvaises herbes. Des pousses indésirables. Nettoyer. Supprimer. Dans la campagne béarnaise hier après-midi, je me suis rappelé qu’il restait encore beaucoup de travail avant que dimanche, nous retrouvions le goût de chanter.  Barrièresetnuages

Barbelés et nuage

Colzaetfumier

Tas de fumier

croix

Prier et encore prier

Jachèreetcolza

Jachère

 

 

Générique de fin #2

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En commençant à trier mes affaires, à choisir celles qui resteraient ici et celles qui gonfleraient mon sac, je me suis dit que s’en aller, c’était d’abord comme taguer une planisphère.

A grands coups de feutre noir y imprimer son dégoût, sa colère.

Remplir de graffitis le pays délaissé.

Tirer un trait sur quarante ans de vieille Europe et autant de Provence, de plus en plus odieuse avec ses frileux relents d’avant-guerre.

Plein écran, j’ai fixé la rue noire et mouillée à peine masquée par l’ascension des caractères et j’ai frissonné en imaginant que ma vie s’écrirait bientôt là-bas, dans cet univers de cinéma.

(à suivre)

Supplique aux morts et Violoncelle

https://soundcloud.com/ericschulthess/supplique-aux-morts-et-1

Parler aux morts. S’adresser aux disparus. Leur écrire. Leur dire qu’ils existent toujours. Leur faire savoir qu’il en sera ainsi tant que nous vivrons. Tant que nous saurons les chérir de mots et de pensées belles. Leur rappeler que tant que persistera cette ombre chinoise par eux projetée sur nos murs, sur nos peaux, sur l’immensité de nos nuits intérieures, ils continueront de vivre. Ils seront là. À nos côtés. Découpés de lumière au fond de notre obscurité. Isabelle Parienté-Butterlin est l’auteur de cette sublime Supplique aux Morts. La onzième qu’elle écrit et publie sur son blog Au bord des mondes. À chacune d’entre elles, je suis bouleversé. Ses mots sonnent avec une telle justesse. Une telle poésie. Une telle puissance aussi, teintée de douceur et de désespérance. Ces Suppliques résonnent en moi au plus profond car comme Isabelle, je suis saisi au quotidien par ce paradoxe. Comme les jours anciens, nos disparus ne reviendront plus et pourtant les voilà qui continuent de vivre en nous, de nous frôler, par la grâce des mots que nous leur adressons depuis notre nuit intérieure en convoquant leur souvenir. Cette onzième Supplique, j’ai désiré la lire à voix haute et la mêler à l’un des morceaux de musique que je préfère. Vous aurez sans doute reconnu le Prélude de la 4ème Suite pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach, joué par Mstislav Rostropovitch. Bach, Rostropovitch. Souvenir d’eux aussi, lumineux et précis dans la nuit intérieure qui nous englobe.

Supplique aux Morts 11

« Froissement de vous, des souvenirs de vous, frôlements de vous dans la nuit intérieure, frôlement de vous, froissement, dans cette nuit intérieure que nous portons en nous, qui pas un instant ne nous quitte, même en plein vent, plein soleil, il reste, il demeure un repli, un recoin

de nuit intérieure

dans notre pupille, froissements de vous, un tissu qu’on froisse, un crissement, qu’on n’entend pas dans le monde, froissements de vous, et le monde passe, et s’étire, et nous : repli de nous,

dans la nuit intérieure où nous connaissons,

de nous les angoisses, de nous les impossibles, de nous les replis, ce qui nous empêche, nous retient, nous englue, bitume de nous, dans la nuit intérieure, qui nous enveloppe, ruban de Mœbius, de nous se retournant sur nous, nous engluant

et le souvenir de vous, lumineux et précis dans la nuit intérieure qui nous englobe

ombre chinoise du bonheur de vous, qui fut, qui s’enfuit, ombre chinoise et découpée, sur la nuit intérieure de nous, nous engloutis dans la nuit intérieure, et vous, silhouettes, se découpant, bordures fines, sur la nuit intérieure

je ne sais pas combien de temps nous surnagerons, j’ai rêvé plusieurs fois qu’elle nous engloutissait, nous surnageons, elle nous engloutit, cela sans fin, engloutissement, de nous, dans la nuit intérieure, nous tentons, de surnager, nous tentons, et elle nous engloutit, et nous descendons, nous nous absorbons

dans cette nuit intérieure sur laquelle vous vous découpez. »

Isabelle Parienté-Butterlin

 

Générique de fin #1

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Lorsqu’à la fin du film, le générique jaune a entamé sa remontée vers le sommet de la télé, j’ai décidé de mettre mon plan à exécution sur l’heure.

Surtout, ne plus tergiverser.

Fini les on verra plus tard, c’est pas le moment, je ne suis pas encore prêt.

Terminé les c’est trop risqué.

Rideau sur les reculades.

New York, j’en rêvais depuis mon premier Scorcese, alors maintenant, il fallait oser.

Partir. Émigrer.

Dehors, la tempête se déchaînait.

(à suivre)

Soudain, de la grêle partout

L’orage n’a duré qu’une poignée de minutes. Suffisamment pour coiffer la ville d’un blanc grêlé qui nous a fait retomber en hiver. Dans le ciel gris sale, j’ai lu comme un écoeurement teinté de vilaine pitié pour ce pays, notre pays, – et notamment ma région – qui se laisse meurtrir sans trop broncher par les assassins d’horizon.

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Cette photo est signée Candice Nguyen. Elle l’a postée sur Twitter dimanche-soir depuis Marseille. Comme moi, elle voyage avec les mots, les sons et les lumières du monde. Je vous recommande son superbe blog. C’est par ici.

Le feuilleton Dylan de François Bon #1

Un enchantement. Comme un cadeau surgi de l’enfance. Bob Dylan suivi pas à pas dans cette Amérique des années 40, depuis Hibbing et ses mines de fer jusqu’à New York et ses promesses. Robert Allen Zimmerman accompagné avec gourmandise par l’écrivain François Bon. Cette merveille de biographie sonore, j’en ai savouré le premier volet comme l’on se laisse aller à déguster un gros gâteau à la crème, avec plein de pépites dedans. La voix de Bob. Les textes de Bob. Les mélodies de Bob et de ceux qui furent à la source de son formidable appétit de devenir artiste, de raconter le monde. Son monde de fils d’immigrés juif dont les parents fuirent les pogroms pour le Minnesota au début du siècle passé. Le passé. Notre passé commun. Comment pousser les bords du monde m’a plongé tout entier dans le  souvenir de ces vinyls de Dylan achetés par mon père pacifiste. J’étais un tout jeune ado marseillais qui grandissait dans l’abhorration de la guerre. De toutes les guerres et donc de la guerre du Vietnam que Dylan dénonçait avec cette vigueur, cette radicalité qui nous saisissait, nous soudait aux côtés des ces Américains-là. Ce feuilleton, je l’ai découvert hier sur le tiers livre, le site que fait vivre François Bon depuis 1997. 15 épisodes il comporte – je vais de ce pas en découvrir le second épisode – ainsi qu’un dossier Bob Dylan. Il fut à l’origine diffusé sur France Culture en 2007. Puis rediffusé en 2011. Si vous vous autorisez à être gourmand comme moi, vous dénicherez dans ce tiers livre – le Tiers État, ça vous parle à vous aussi ? – d’autres feuilletons et bien d’autres nourritures – littéraires notamment – qui font du bien à l’âme, ce qui ne se refuse pas en ce début de printemps pourri par l’abstention et par les aboiements de ces « assassins d’aube » auquel Aimé Césaire nous dit qu' »il n’est pas question de livrer le monde. »

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François Bon est également l’auteur de cette biographie chez Albin Michel.

Jo est un autre #intégral

Le port était pourtant si calme ce soir.

Plus personne au pied des bateaux. Plus un docker sur les grues.

Un décor fin d’époque.

 

Cinq heures que je jouais avec toi face à la mer, mon Jo, je ne les ai pas entendus approcher.

Ils sont revenus en traître. Dans notre dos.

Les salauds !

Lorsque je les ai aperçus, ils avaient déjà lâché leurs dobermans.

J’ai tout de suite pensé à sauver ta peau, mon bijou.

Je t’ai enveloppé dans ta cape noire et tu es passé par dessus quai.

Puisse la houle te serrer dans ses bras et t’accompagner jusqu’à la digue du large.

Cette digue qui nous est si familière.

Là-bas, tu seras peut-être à l’abri du danger.

 

Personne n’imaginait que les chantiers fermeraient si vite.

Personne ne se doutait que les navires usés devraient un jour aller chercher fortune ailleurs.

Depuis quarante ans, ils arrivent de partout pour se faire réparer chez nous : rouliers grecs, paquebots russes, asphaltiers hollandais, céréaliers chinois, bananiers ivoiriens et ferries corses bien sûr.

A chacune de leurs escales, nous accourons les accueillir dans la rade, toi et moi.

Fiers d’être les descendants de Pythéas.

 

Les sorties en chaloupe pour se ruer à leur rencontre, tu n’en as raté aucune, mon Jo.

A l’approche de leurs coques géantes, nous nous risquons sur la proue.

Tu viens contre ma poitrine et je ferme les yeux tandis que là-haut, les marins t’applaudissent tellement tu es beau.

Une fois à quai, je les laisse t’effleurer. Bouche bée.

Je suis sûr qu’ ils n’ont jamais imaginé pareille merveille.

Dans aucun port.

Parfois, ils osent même un baiser sur tes joues rondes.

Je fais mine de ne rien voir et nous partons jouer au soleil sur la jetée.

Pour l’instant, la voie est libre.

Tu avances vers le large, en frissonnant dans le ressac.

Le crépuscule approche. J’ai peur que tu attrapes froid.

 

Lorsque je t’emmène au coeur des ateliers, tu n’en crois pas tes yeux.

Un décor d’opéra dans un espace de cathédrale.

Aux quatre coins des hangars ouverts aux courants d’air, un râle de ferraille et de feu.

Un gigantesque ronflement de moteurs, de fraiseuses, de presses et de tours avec de grosses mains autour.

Au travail, les machines hurlent et les hommes se taisent.

Quelquefois, c’est l’inverse.

A la pause, en sourdine, nous essayons d’accompagner ce brassage de langues et d’accents.

Tu es plus doué que moi pour l’improvisation, mon Jo.

Je n’ai jamais eu ni coffre, ni voix. A peine un peu d’oreille.

Toi, tu ne vis que pour ces instants où les sons se mêlent, se jaugent, se défient.

Je tente de te suivre de mon mieux.

Tu sais bien que mes mains ne t’abandonnent jamais.

 

Je me mords les doigts pour ne pas crier.

Un zodiac vient de te frôler à toute allure.

Dans son sillage d’écume, tu danses comme un bouchon.

Ma curiosité nous pousse parfois jusqu’aux formes où sont opérés les bateaux fatigués par des années de traversées.

Tu adores y descendre dans mon dos.

Tout au long de l’échelle tu trembles, tu te cramponnes, tu te fais lourd, mais une fois au fond, tu es content mon Jo, je le sens bien.

Le ventre des navires t’inspire.

Tu veux en explorer chaque recoin. Y laisser ta trace.

Dans la salle des machines, il faut même que je te surveille de près.

Le rythme des pistons et des vilbrequins te donne la bougeotte.

Leurs trépidations t’affolent.

Ta peau dorée d’aristocrate se marie bien aux relents de cambouis brûlant.

Si je ne te retenais pas, mon Jo, tu serais capable d’aller te frotter aux bleus des mécaniciens.

Je te laisse leur offrir nos airs préférés, à ces horlogers de la mer, malgré le vacarme.

 

Un jour, hypnotisé par les vibrations, tu t’es retrouvé happé vers l’hélice d’un moteur de cargo.

Dieu sait comment, je t’ai sauvé in extremis.

Je t’aurais pilé.

Depuis, même si je t’entends ronchonner, j’abrège les visites.

Je ne suis rassuré que lorsque nous sommes de retour au grand air.

Toi, tu ne rêves que de redescendre plonger auprès des hommes de l’art.

Ces hommes que l’on abandonne aujourd’hui dans le plus assourdissant des silences.

 

Encore quelques minutes et tu disparaîtras derrière les blocs blancs de la digue.

Je prie pour que tu sois recueilli avant la nuit.

Les doberman me saisissent à la gorge.

Ils me broient les chevilles.

Je cherche à hurler ton nom, mon Jo, mais je n’ai plus de voix.

En m’écroulant dans le bassin de radoub, je me souviens : tout à l’heure, un gros flic à lunettes m’a lancé

– vous vous prenez pour Rostropovitch ?

La Voie Lactée de Moussu Sivan

Revenir aux fondamentaux en ce lundi de tristesse et de colère post-électorales. Jean-Pierre Sivan est atsrophysicien, président du Comité Archimède qui travaille pour la diffusion au plus grand nombre de la culture scientifique dans la région PACA. Je l’avais rencontré à Marseille il y a quelques années alors qu’il était Directeur de l’Observatoire astronomique Marseille-Provence et de l’Observatoire de Haute-Provence. Il m’avait raconté les étoiles en Provençal. Bonheur de regarder avec lui vers le ciel et de se poser à sa juste place.

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Le ciel étoilé de Vincent Van Gogh.

Jo est un autre #7

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Si je ne te retenais pas, mon Jo, tu serais capable d’aller te frotter aux bleus des mécaniciens.

Je te laisse leur offrir nos airs préférés, à ces horlogers de la mer, malgré le vacarme.

Un jour, hypnotisé par les vibrations, tu t’es retrouvé happé vers l’hélice d’un moteur de cargo.

Dieu sait comment, je t’ai sauvé in extremis.

Je t’aurais pilé.

Depuis, même si je t’entends ronchonner, j’abrège les visites.

Je ne suis rassuré que lorsque nous sommes de retour au grand air.

Toi, tu ne rêves que de redescendre plonger auprès des hommes de l’art.

Ces hommes que l’on abandonne aujourd’hui dans le plus assourdissant des silences.

 Encore quelques minutes et tu disparaîtras derrière les blocs blancs de la digue.

Je prie pour que tu sois recueilli avant la nuit.

 Les doberman me saisissent à la gorge.

Ils me broient les chevilles.

Je cherche à hurler ton nom, mon Jo, mais je n’ai plus de voix.

En m’écroulant dans le bassin de radoub, je me souviens : tout à l’heure, un gros flic à lunettes m’a lancé

– vous vous prenez pour Rostropovitch ?

Jo est un autre #6

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Je me mords les doigts pour ne pas crier.

Un zodiac vient de te frôler à toute allure.

Dans son sillage d’écume, tu danses comme un bouchon.

 Ma curiosité nous pousse parfois jusqu’aux formes où sont opérés les bateaux fatigués par des années de traversées.

Tu adores y descendre dans mon dos.

Tout au long de l’échelle tu trembles, tu te cramponnes, tu te fais lourd, mais une fois au fond, tu es content mon Jo, je le sens bien.

Le ventre des navires t’inspire.

Tu veux en explorer chaque recoin. Y laisser ta trace.

Dans la salle des machines, il faut même que je te surveille de près.

Le rythme des pistons et des vilbrequins te donne la bougeotte.

Leurs trépidations t’affolent.

Ta peau dorée d’aristocrate se marie bien aux relents de cambouis brûlant.

(à suivre)

Si j’étais maire de Marseille

 

C’est Papet Jali, le MC globe trotter raggamuffin vagabond qui chante cette chanson de circonstance. En ce dimanche de premier tour des élections municipales, je l’ai choisie pour sa bonne humeur qui peut inciter à se rendre en chantant vers son bureau de vote. Et puis parce que je partage sa préoccupation de voir « Le FN remplacer le Front Populaire ».  À Marseille et dans nombre d’autres endroits de notre pays. Aujourd’hui – et dimanche prochain itou – surtout ne pas s’abstenir. Ni de chanter. Ni de voter. En n’oubliant pas que comme l’écrivait Aimé Césaire, « Il n’est pas question de livrer le monde – de livrer Marseille – aux assassins d’aube« . Le site de Papet J, c’est par ici.

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Papet Jali – René Mazzarino sur son passeport – est l’auteur de cette chanson, composée avec M. Forestal et 149 Band*, enregistrée au 149 studio par Greg Lampis.
*Le 149 Band :  Drums: Maxime Dormoy à la batterie, Patrice Taboni à la basse, Vinciane Hasnberger au clavier, Alex Ginanneschi à la guitare, Lilian Delhotellerie à la percussion et Greg Lampis au sax.

Jo est un autre #5

P1010766Pour l’instant, la voie est libre.

Tu avances vers le large, en frissonnant dans le ressac.

Le crépuscule approche. J’ai peur que tu attrapes froid.

 Lorsque je t’emmène au coeur des ateliers, tu n’en crois pas tes yeux.

Un décor d’opéra dans un espace de cathédrale.

Aux quatre coins des hangars ouverts aux courants d’air, un râle de ferraille et de feu.

Un gigantesque ronflement de moteurs, de fraiseuses, de presses et de tours avec de grosses mains autour.

Au travail, les machines hurlent et les hommes se taisent.

Quelquefois, c’est l’inverse.

A la pause, en sourdine, nous essayons d’accompagner ce brassage de langues et d’accents.

Tu es plus doué que moi pour l’improvisation, mon Jo.

Je n’ai jamais eu ni coffre, ni voix. A peine un peu d’oreille.

Toi, tu ne vis que pour ces instants où les sons se mêlent, se jaugent, se défient.

Je tente de te suivre de mon mieux.

Tu sais bien que mes mains ne t’abandonnent jamais.

(à suivre)

La Harley du Vallon des Auffes

Marseille. Vallon des Auffes l’autre soir. Une Harley Davidson prend son temps et finit par remonter vers Endoume. Je n’ai jamais mené de moto de ma vie. Si j’en avais l’opportunité, c’est une Harley que je choisirais. Pour le son rond et puissant du moteur. Pour l’évocation des interminables routes américaines qui traversent les USA. Pour le look aussi de ces motards souvent mystérieux et taiseux, accrochés à des guidons hauts comme des grands huit, les bottes posées sur des appui-pieds aussi larges que des passerelles de bateaux.

Les intermittents s’invitent au MUcem

Avec ma fille aînée Noémie, nous nous sommes rendus au MUcem hier après-midi, ce bijou de Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille. La visite a été écourtée par l’irruption de plus d’une centaine d’intermittents du spectacle, de chômeurs et de précaires. Pas eu le temps de découvrir grand chose… Nous leur avons « pardonné », tant nous nous sentons concernés par le fond-même de leurs revendications. La culture n’est pas une marchandise. Et la précarité n’a rien à voir avec la dignité. J’ai tout de même pris le temps de prendre deux photos : un détail de La traversée de la Mer rouge, peint en 1955 par Marc Chagall et ce morceau du Mur de Berlin, le sinistre Mur de la Honte, qui n’a rien à voir avec la Méditerranée mais tant avec notre vieille Europe…

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Jo est un autre #4

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A l’approche de leurs coques géantes, nous nous risquons sur la proue.

Tu viens contre ma poitrine et je ferme les yeux tandis que là-haut, les marins t’applaudissent tellement tu es beau.

Une fois à quai, je les laisse t’effleurer. Bouche bée.

Je suis sûr qu’ ils n’ont jamais imaginé pareille merveille.

Dans aucun port.

Parfois, ils osent même un baiser sur tes joues rondes.

Je fais mine de ne rien voir et nous partons jouer au soleil sur la jetée.

(à suivre)

Jo est un autre #3

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Depuis quarante ans, ils arrivent de partout pour se faire réparer chez nous : rouliers grecs, paquebots russes, asphaltiers hollandais, céréaliers chinois, bananiers ivoiriens et ferries corses bien sûr.

A chacune de leurs escales, nous accourons les accueillir dans la rade, toi et moi.

Fiers d’être les descendants de Pythéas.

Les sorties en chaloupe pour se ruer à leur rencontre, tu n’en as raté aucune, mon Jo.

(à suivre)

Van Gogh et Artaud à la radio

Extrait de La Dispute, hier-soir sur France Culture, de 21H à 22H. J’ai adoré la fougue et la passion qui portaient le propos de Corinne Rondeau. Elle évoquait Vincent Van Gogh et Antonin Artaud réunis dans une exposition au Musée d’Orsay à Paris, à partir du texte Van Gogh le suicidé de la société, qu’Artaud écrivit en 1947 et autour d’une quarantaine de tableaux de celui dont Artaud disait qu’il était « le plus peintre de tous les peintres« . L’intégralité de l’émission proposée par Arnaud Laporte, c’est par ici.

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La nuit étoilée (1889)

456px-Van_Gogh_-_Selbstbildnis_mit_verbundenem_OhrAutoportrait à l’oreille coupée (1889)

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Vincent Van Gogh japoniste.

Jo est un autre #2

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J’ai tout de suite pensé à sauver ta peau, mon bijou.

Je t’ai enveloppé dans ta cape noire et tu es passé par dessus quai.

Puisse la houle te serrer dans ses bras et t’accompagner jusqu’à la digue du large. Cette digue qui nous est si familière.

Là-bas, tu seras peut-être à l’abri du danger.

 Personne n’imaginait que les chantiers fermeraient si vite.

Personne ne se doutait que les navires usés devraient un jour aller chercher fortune ailleurs.

(à suivre)

Le blues du traminot marseillais

Station de tram Noailles. Il est près de 23 heures. Discussion avec cet homme qui porte au visage la trace de lunettes de ski. Il est chauffeur de bus à la Régie des Transports de Marseille. Il est rentré de la montagne la veille et vient de finir sa journée. Dans 4 jours, le premier tour des élections municipales…

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Serait-ce un bon thème de campagne ?

Jo est un autre #1

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Le port était pourtant si calme ce soir.

Plus personne au pied des bateaux. Plus un docker sur les grues.

Un décor fin d’ époque.

Cinq heures que je jouais avec toi face à la mer, mon Jo.

Je ne les ai pas entendus approcher.

Ils sont revenus en traître. Dans notre dos.

Les salauds !

Lorsque je les ai aperçus, ils avaient déjà lâché leurs dobermans.

(à suivre)

Au monument Arthur Rimbaud, la mémoire fragile des Marseillais

Marseille. Plages du Prado. Une balade au soleil le long de la mer avec Noémie, ma fille aînée. En haut d’une petite butte, le monument dédié à Arthur Rimbaud, venu s’échouer à Marseille, son dernier voyage, et mourir à l’Hôpital de La Conception le 10 novembre 1891. Depuis bientôt un quart de siècle une sculpture de Jean Amado et une stèle en contrebas évoquent le poète et son Bateau ivre. Monument discret, fortin bistre penché vers la mer. Mémoire fragile. Polie comme un ancien galet. Pour combien de temps encore ?

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Les Acacias #intégral

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Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi elle me dévisageait.

Son regard est tombé sur moi comme un souffle soudain, quelques minutes après mon arrivée.

J’ai dressé la tête et elle se tenait là, silencieuse sous le ciel lisse de Mars.

A midi tapantes, comme tous les jours, je me suis assis aux Acacias, un petit bar-restaurant tout proche, face à la mer, à un quart d’heure à pied de l’école, pas plus.

Après la classe, depuis que j’ai été nommé dans le quartier, je confie mes élèves aux cantinières et je descends vers le port.

La promenade me détend, me vide la tête. J’avance sur les trottoirs, toujours les mêmes trottoirs sur le même parcours, et je tourne la page sur les tensions de la matinée en rejoignant les quais.

Les Acacias sont orientés plein sud, juste à l’entrée du domaine maritime, au fond d’une allée empierrée de galets.

J’aime venir y manger un bout parmi les dockers et les ouvriers des chantiers. Tous ont bon appétit et parlent haut.

A les entendre, le port c’était quand même autre chose du temps de leur jeunesse. Depuis vingt ans, les bateaux se sont faits de plus en plus rares. Le travail a filé à Gênes ou Barcelone et si ça continue les métiers finiront au musée.

Ils disent aussi que leurs enfants ne croient plus à cette ville, qu’en tournant le dos à son passé elle ne leur offre plus d’avenir. Certains rêvent même de quitter Marseille.

N’empêche, moi, ce port-là je ne m’en lasse pas.

La terrasse est au calme, à l’écart de toute circulation. Elle donne sur une petite place ronde cernée de douze acacias plantés par les premiers propriétaires. Un arbre pour chaque mois de l’année. Il paraît que ça devait porter bonheur.

Aujourd’hui, pour une fois, j’ai consulté la carte.

D’ordinaire, dès que je suis attablé, le patron vient me serrer la main et me propose : bolo ou  trois fromages, Monsieur Louis ?

Pâtes ou pizza, pizza ou pâtes,  je tranche selon mon humeur.

C’est le seul moment de la journée où frémit en moi un zeste d’incertitude, d’indécision.

Sinon, tout est  réglé, calibré, préparé, minuté, cadré.

Du matin au soir.

Hormis à midi, pas de place pour la fantaisie.

Tout à l’heure donc, je me suis surpris à tenter d’improviser un repas, sans doute parce que le patron tardait un peu.

J’ai choisi sur une grosse ardoise posée contre un parasol avec des plats et des prix écrits à la craie.

Je me suis décidé pour riz-supions et puis j’ai attendu, en attrapant le journal sur la table d’à côté.

A la une, la photo d’un train de marchandises couplée à un gros titre, sur trois colonnes : “ Scènes de Far West à l’Estaque : des ados affamés attaquent un convoi ! “.

Je me suis imaginé au pied d’une locomotive à vapeur, le visage masqué d’un foulard rouge, entassant des boîtes de conserve dans un chariot de supermarché sous la protection de pistoleros en short.

Toujours pas de patron à l’horizon.

Mon ventre a commencé à gargouiller.

Une silhouette longue et haute m’a soudain distrait  de mon estomac.

J’ai dressé la tête et je l’ai aperçue. Debout face à moi, immobile et calme, les bras croisés. Elancée comme une madone moderne avec son jean et ses baskets, souriante et muette.

D’habitude, les femmes me laissent de glace.

Mon regard les traverse et va se poser au delà de la lumière qu’elles agrègent à leur odeur et à leurs gestes. Je n’accroche plus leur chroma. Les mots qu’elles prononcent se noient tout autour de moi.

Depuis que Lou s’en est allée, j’ai fermé le verrou.

Mais aujourd’hui, l’improviste a su se faufiler en douce et il a pris le dessus.

Je me suis demandé ce qu’elle faisait là, droite et paisible sous les acacias. Si je l’invitais à déjeuner ? Je n’ai pas osé. J’ai vite avalé ma question en retournant à mes nouvelles : la santé-record de la Bourse; l’expulsion d’un déserteur algérien à bord du Liberté; le triomphe de José Van Dam à l’Opéra.

J’ai fredonné Le Tilleul de Schubert et puis la douceur de Mars m’a fourré dans sa housse.

Je me suis laissé happer par sa caresse, les paupières relâchées face au soleil, concentré sur des cris minuscules encerclant les tables.

Les acacias criaient en silence comme des cigales à l’agonie.

Les épines palpitaient, les branches gémissaient, les troncs s’étouffaient, les racines tremblaient.

J’ignore pendant combien de temps je suis resté à écouter les arbres en pleurs. Malgré les conversations alentour, je n’ai pas perdu le fil de leur plainte. Je me suis demandé si les tilleuls criaient aussi.

Dans la cour de l’école, nous avons cinq tilleuls.

– La commande, c’est quand vous voulez !

J’’ai sursauté. L’inconnue ne souriait plus. Le patron s’est approché l’air agacé et lui a tendu une carafe d’eau, pour le client de la quatre.

J’ai à peine eu le temps de remarquer que la serveuse avait un oeil noir et l’autre vert.

J’ai renoncé à mon riz-supions. Trop tard.

C’était l’heure de remonter travailler.

Au port de Sausset, si près de Marseille

Mâts, drisses, ponton, bouts, voiles, coques. Ces mots marins nous ont accompagné hier sur les quais du port de plaisance de Sausset-les-Pins, sur la Côte Bleue. Invités par Annie et Jacques à bord de leur bateau, nous avons partagé une divine soupe de poissons pêchés du matin. Quarante ans qu’ils sont arrivés à Marseille. Ils ne l’ont plus quitté. Leur bateau est leur seconde maison.

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Passée la digue, à babord, Marseille.

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La route de Carry au couchant.

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Au pied des pins, la mer.

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Sous la lune, retour sur Marseille par la route côtière qui mène jusqu’à l’Estaque.

Sous le vent, le carillon de bambou

Hier-soir, le mistral s’est levé et le petit carillon de bambou s’est agité sur la terrasse. Il m’a attiré dehors alors que je commençais à chercher le sommeil. Avant de m’endormir, j’ai écrit ces quelques lignes, à retrouver par ici.

Ce matin, le mistral dort encore. Le carillon s’est tu. Il a laissé la place aux oiseaux.

 

Les Acacias #7

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J’ignore pendant combien de temps je suis resté à écouter les arbres en pleurs. Malgré les conversations alentour, je n’ai pas perdu le fil de leur plainte. Je me suis demandé si les tilleuls criaient aussi.

Dans la cour de l’école, nous avons cinq tilleuls.

– La commande, c’est quand vous voulez !

J’’ai sursauté. L’inconnue ne souriait plus. Le patron s’est approché l’air agacé et lui a tendu une carafe d’eau, pour le client de la quatre.

J’ai à peine eu le temps de remarquer que la serveuse avait un oeil noir et l’autre vert.

J’ai renoncé à mon riz-supions. Trop tard.

C’était l’heure de remonter travailler.

Les calanques d’Izzo, featuring Miles

Ce texte est un extrait* du roman Solea de Jean-Claude Izzo, le troisième de la série des aventures du flic Fabio Montale après Total Khéops et Chourmo. Je l’ai choisi car hier avec ma compagne Chantal, nous avons marché sur ces sentiers des calanques si chères à l’écrivain marseillais. Pendant plus de 4 heures 30, nous avons parcouru ce chemin exceptionnel de beauté qui mène depuis Callelongue à la calanque Podestat, au col de Cortiou, au plateau de l’Homme mort, au col de la Galinette et retour vers la calanque de la Mounine puis retour. Tout au long du parcours parfumé de pins, de romarin, de bruyère et d’iode, m’est revenu en mémoire le souvenir d’Izzo, amoureux de Marseille et de ses calanques. *Vous aurez reconnu Blue in green de Miles Davis que Jean-Claude aimait tant.

1Podestat

La calanque Podestat

2marseilleveyre

Le massif de Marseilleveyre

3plateauhommemort

Sur le plateau de l’Homme mort

4coldeCortiou

Depuis le col de Cortiou

5versredescente

La redescente vers la mer

6marseille

Marseille

7couchersoleil

L’île Maïre au couchant

Les Acacias #6

P1010770Toujours pas de patron à l’horizon.

Mon ventre a commencé à gargouiller.

Une silhouette longue et haute m’a soudain distrait de mon estomac.

J’ai dressé la tête et je l’ai aperçue. Debout face à moi, immobile et calme, les bras croisés. Élancée comme une madone moderne avec son jean et ses baskets, souriante et muette.

D’habitude, les femmes me laissent de glace.

Mon regard les traverse et va se poser au delà de la lumière qu’elles agrègent à leur odeur et à leurs gestes. Je n’accroche plus leur chroma. Les mots qu’elles prononcent se noient tout autour de moi.

Depuis que Lou s’en est allée, j’ai fermé le verrou.

Mais aujourd’hui, l’improviste a su se faufiler en douce et il a pris le dessus.

Je me suis demandé ce qu’elle faisait là, droite et paisible sous les acacias. Si je l’invitais à déjeuner ? Je n’ai pas osé.

J’ai vite avalé ma question en retournant à mes nouvelles : la santé-record de la Bourse; l’expulsion d’un déserteur algérien à bord du Liberté; le triomphe de José Van Dam à l’Opéra.

J’ai fredonné Le Tilleul de Schubert et puis la douceur de Mars m’a fourré dans sa housse.

Je me suis laissé happer par sa caresse, les paupières relâchées face au soleil, concentré sur des cris minuscules encerclant les tables.

Les acacias criaient en silence comme des cigales à l’agonie.

Les épines palpitaient, les branches gémissaient, les troncs s’étouffaient, les racines tremblaient.

(à suivre)

Un bain à la calanque Marseilleveyre

Ce fut un bain express mais délicieux. À même pas une heure de Marseille, après une marche paisible sur le GR 51 / 98 au départ de Callelongue. Peu de monde, contrairement à dimanche sur le chemin d’En-Vau. La mer est très fraîche un treize mars, mais je n’ai résisté ni à ses clignements ni à ses clapotements. Ceci me vient de l’enfance. Longtemps vécu à quelques poignées de minutes des rochers du Petit Nice, en dessous de la Corniche. D’avril à octobre, nous y passions tout notre temps libre ou presque. Je n’ai jamais renoncé au plaisir de me lancer dans cette mer qui me serre le corps et me laisse avancer à mon gré, même pour une petite minute. Joie en sortant, de se sentir vivant. Un peu comme un rappel fugace de la beauté du monde avec nous autres humains à l’intérieur. 3joie4verselesîles

Les vestiges d’un sémaphore trônent en hauteur et à main gauche sur ce sentier qui longe la mer en direction de la calanque Marseilleveyre.

5semaphore7calanquemarseilleveyre8gabiansciel

Ce massif de Marseilleveyre est le paradis des gabians. La première calanque en partant de Callelongue s’appelle la Mounine. C’est ainsi qu’à Marseille l’on désigne parfois le sexe des femmes.

11mounine

 

Les Acacias #5

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Sinon, tout est  réglé, calibré, préparé, minuté, cadré.

Du matin au soir.

Hormis à midi, pas de place pour la fantaisie.

Tout à l’heure donc, je me suis surpris à tenter d’improviser un repas, sans doute parce que le patron tardait un peu.

J’ai choisi sur une grosse ardoise posée contre un parasol avec des plats et des prix écrits à la craie.

Je me suis décidé pour riz-supions et puis j’ai attendu, en attrapant le journal sur la table d’à côté.

A la une, la photo d’un train de marchandises couplée à un gros titre, sur trois colonnes : “ Scènes de Far West à l’Estaque, des ados affamés attaquent un convoi ! “.

Je me suis imaginé au pied d’une locomotive à vapeur, le visage masqué d’un foulard rouge, entassant des boîtes de conserve dans un chariot de supermarché sous la protection de pistoleros en short.

(à suivre)

Les Acacias #4

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La terrasse est au calme, à l’écart de toute circulation.

Elle donne sur une petite place ronde cernée de douze acacias plantés par les premiers propriétaires.

Un arbre pour chaque mois de l’année. Il paraît que ça devait porter bonheur.

Aujourd’hui, pour une fois, j’ai consulté la carte.

D’ordinaire, dès que je suis attablé, le patron vient me serrer la main et me propose  – bolo ou  trois fromages, Monsieur Louis ?

Pâtes ou pizza, pizza ou pâtes,  je tranche selon mon humeur.

C’est le seul moment de la journée où frémit en moi un zeste d’incertitude, d’indécision.

(à suivre)

L’Académie de Chant Populaire

Ce Bella Ciao interprété par l’Académie de Chant Populaire de Marseille, je l’ai savouré hier-soir à la Friche Belle de Mai où se tenait le Forum du Front de Gauche consacré à la culture, en vue des prochaines élections municipales. Au passage, ce fut le seul débat de la campagne marseillaise sur ce thème, ce qui est tout à l’honneur de Jean-Marc Coppola, Alain Hayot et Agnès Freschel, candidats de la liste Marseille à gauche. Actrices et acteurs de la culture sont venus échanger et parfois confronter leurs idées et leurs propositions avec celles des candidats. La soirée a été ponctuée de très agréables respirations musicales grâce à la chorale créée et dirigée par Alain Aubin, qui fonda l’Académie il y aura bientôt vingt ans.

Alain Aubin est chanteur lyrique, compositeur et maître de choeur. Contre ténor, il s’est produit sur les plus importantes scènes lyriques d’Europe. Vous pouvez découvrir l’étendue de son talent par ici.

Les gabians de la Canebière

En remontant Canebière tard hier-soir, nous avons été accompagnés par des gabians qui s’époumonaient au-dessus des arbres et des toits. Auparavant, le lancement de mon livre « En attendant la pluie » s’était passé dans une ambiance très amicale au Miyadori-do, le magasin d’art et d’objets japonais de Françoise Potheau. Une quarantaine de personnes présentes. Parmi elles, Messieurs Masaki Sato et Masaki Morimoto, Consul général et Consul général adjoint du Japon à Marseille, Jean Darot, éditeur des Editions Parole et Franck Di Benedetto, 1er adjoint au maire de Digne-les-Bains. Plus de photos, par ici.

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Les Acacias #3

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À les entendre, le port c’était quand même autre chose du temps de leur jeunesse.

Depuis vingt ans, les bateaux se sont faits de plus en plus rares.

Le travail a filé à Gênes ou Barcelone et si ça continue les métiers finiront au musée.

Ils disent aussi que leurs enfants ne croient plus à cette ville, qu’en tournant le dos à son passé elle ne leur offre plus d’avenir.

Certains rêvent même de quitter Marseille.

N’empêche, moi, ce port-là je ne m’en lasse pas.

(à suivre)

Les Acacias #2

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Après la classe, depuis que j’ai été nommé dans le quartier, je confie mes élèves aux cantinières et je descends vers le port.

La promenade me détend, me vide la tête.

J’avance sur les trottoirs, toujours les mêmes trottoirs sur le même parcours, et je tourne la page sur les tensions de la matinée en rejoignant les quais.

Les Acacias sont orientés plein sud, juste à l’entrée du domaine maritime, au fond d’une allée empierrée de galets.

J’aime venir y manger un bout parmi les dockers et les ouvriers des chantiers.

Tous ont bon appétit et parlent haut.

(à suivre)

En attendant la pluie, conte japonais

Couv'enattendant la pluieLues par moi même et par Momomi Machida – qui a traduit mon livre – voici les premières phrases de « En attendant la pluie« , un conte en français et en japonais qu’avec l’éditeur Jean Darot, des Editions Parole, nous lançons aujourd’hui à Marseille.

11 mars 2011 – 11 mars 2014. Trois ans ont passé depuis le terrible tsunami qui endeuilla le nord-est du Japon et notamment la ville de Kamaishi où je me rendis en mai dernier. Ce conte, je l’ai écrit à mon retour, en signe d’amitié avec toutes les personnes que j’ai rencontrées là-bas et qui m’ont bouleversé. Pas un jour depuis sans penser à ces femmes, ces hommes et ces enfants. Il me plaît que ce livre soit bilingue, qu’il mescle deux cultures. Je rêve maintenant qu’il voyage au Japon et que nous puissions aller l’offrir à nos amis japonais. Ci-dessous quelques photos ramenées de Kamaishi l’an passé. Elles racontent les stigmates du tsunami, la mémoire vive des victimes et des disparus, le sourire retrouvé des pêcheurs, une jeune maman relogée, et l’espoir de revoir un printemps paisible.

1vestiges du tsunami2Centredepréventiondesrisques3photosurterrassetsunamiarrive4pecheurs5femmetebébérelogés6tulipesstigmatestsunamikamaishi

Boulevard des calanques

Belle balade dans les calanques de Marseille hier au départ de Cassis. Port-Miou et sa forêt de mâts, Port-Pin et ses pique-niqueurs, En-Vau et ses fanas d’escalade. Un parfum d’été tant il faisait beau et chaud. Des allures de grande artère, de Canebière aussi tant il y avait de monde sur le sentier. Les calanques, entend-on souvent, ça se mérite. À pied. Nous étions très nombreux à les mériter et à racler nos souliers sur les cailloux du chemin. J’avoue préférer la solitude du marcheur à la foule des promeneurs. Mais il me plaît que cette ville-là, Marseille, permette à chacune et chacun de profiter de cet exceptionnel panorama offert par le territoire des calanques. Nous y reviendrons en semaine, histoire de profiter davantage du silence majestueux de l’endroit, qui mescle le bruit de la mer et le cri des gabians.calanque1

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Les Acacias #1

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Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi elle me dévisageait.

Son regard est tombé sur moi comme un souffle soudain, quelques minutes après mon arrivée.

J’ai dressé la tête et elle se tenait là, silencieuse sous le ciel lisse de Mars.

A midi tapantes, comme tous les jours, je me suis assis aux Acacias, un petit bar-restaurant tout proche, face à la mer, à un quart d’heure à pied de l’école, pas plus.

Après la classe, depuis que j’ai été nommé dans le quartier, je confie mes élèves aux cantinières et je descends vers le port.

La promenade me détend, me vide la tête.

J’avance sur les trottoirs, toujours les mêmes trottoirs sur le même parcours, et je tourne la page sur les tensions de la matinée en rejoignant les quais.

(à suivre)

In Paradisu #intégral

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Ils m’ont annoncé la nouvelle ce matin, comme on récite une recette cent fois ressassée. Que je le veuille ou non, il me faudrait dire adieu à la cellule où je croupissais depuis vingt ans. Je sortirais lorsque la nuit se serait dissoute dans le blanc des collines. Pas avant.

J’ai mimé l’étonnement et la porte a claqué une dernière fois en projetant son souffle violent sur tous les rêves agglutinés dans l’ombre de ma tanière.

Avant même que les clés reviennent gratter entre la promesse de l’air libre et la moiteur des quatre murs, j’avais choisi ma destination.

Ce serait Place de la Consolation.

Marseille ne manque pas de lieux qui me sont chers mais cette place est unique. C’est là que j’ai appris à marcher. Enfant, j’y accompagnais mon père les jours de paie. Adolescent, j’y achevais mes manifs d’étudiant.

Aujourd’hui, je n’imagine pas d’autre lieu pour boucler la boucle.

Je n’ai plus de famille pour m’attendre. Plus personne parmi les miens qui daigne me parler, m’écrire, me regarder en face ou m’embrasser.

C’est à cause du hold up. Braquer une banque comme le commun des malfrats, ils ne me l’ont pas pardonné.

Moi, je voulais seulement récupérer assez de monnaie pour changer illico de décor. Aux côtés de mon père Ernesto. Je rêvais de prendre le premier avion pour l’Argentine, lui offrir ce voyage au pays natal dont il parlait si souvent.

Il n’y était plus reparti depuis son arrivée à Marseille dans les années vingt.

L’attaque à main armée s’est achevée à cinq centimètres du paradis. Je me suis fait coincer dans le sas électronique, la mallette bourrée de cash en liasses épaisses et j’ai ouvert le feu sur le flic qui venait m’arrêter.

Cinq balles dans les dents. Abattu à bout portant le gardien de la paix Joseph Pace. A trente cinq ans.

Avec Ernesto, on n’a plus jamais parlé de l’Argentine. On ne s’est plus jamais revu. Il est mort l’an passé sans y être retourné.

La Place de la Consolation, quand y ai-je mis les pieds pour la dernière fois ?

Je ne sais plus mais je garde le souvenir d’un beau campo à l’italiennne. Arrondi en lisière de mer avec des micocouliers aux quatre coins, des massifs d’azalées et une fontaine en pierre de Cassis au beau milieu. Une place cernée de commerces, ouverte sur le port mais séparée des quais par des kilomètres de barrières métalliques et de portails ajourés et rouillés. Depuis cet espace plan et lumineux en toute saison, les bateaux se guettent, s’épient, s’entrevoient. Le plus souvent, ils se devinent derrière les hangars noirs. Pour les approcher de près il faut un laisser-passer.

Mon oncle Augusto, mécanicien à bord des cargos et des ferries, me répétait toujours qu’un navire ça se mérite. Je n’ai jamais compris pourquoi.

En quittant la prison, j’ai cligné des yeux sous la neige drue de janvier et j’ai commandé un taxi.

Le chauffeur m’a dévisagé longuement dans le rétroviseur avant de mettre le contact, tout en fouillant dans un portefeuille ou un agenda. A la recherche d’une lettre ou d’une photo. Je ne sais pas. Impossible de deviner ses yeux masqués par des lunettes de glacier. Je me suis pourtant senti observé, détaillé, presque déshabillé.

Lorsque j’ai demandé “ Place de la Consolation s’il vous plaît “, il a tout rangé dans la boîte à gants et aussi sec s’est mis à pleurer. Le menton écroulé sur son blouson en cuir noir. Le corps entier secoué de spasmes et de sanglots sourds.

J’ai tenté de poser ma main sur son épaule. Il l’a stoppée net d’un “ non ! “ définitif. Puis il a lancé sa Mercedes en direction du centre-ville.

Passée l’Avenue des Calanques, le chauffeur a glissé une cassette dans l’auto-radio et il a entonné “ Dio vi salvi Regina “.

Le chant sacré des marins du quartier me répétait mon père lorsqu’il m’emmenait au Panier. Sur les hauteurs de ce bout de Marseille où la Méditerranée se planque, il racontait que la mer, même si on ne la voit pas, il suffit d’habiter à côté pour ne pas perdre le cap. Pour continuer à marcher droit. Et debout surtout.

Je n’ai pas dû écouter assez Ernesto puisque même en retrouvant la rade, je ne parviens toujours pas à croire en ma bonne étoile.

Nous avons mis une demi-heure pour glisser jusqu’au bord de mer. Partout dans les rues, des voitures et des motos en travers, des ambulances au pas, des plaintes de gens à terre. Des gémissements de bêtes amochées.

Arrivé à la Vieille Chapelle, j’ai deviné Planier au loin et je me suis mis à fredonner  “ Voi dai nemici nostri… A noi datte vittoria… E poi l’eterna gloria… In Paradisu  “.

Le long de la Corniche, le taxi avançait en douceur vers la place de mon enfance. Presque au ralenti.

A hauteur du  Marégraphe, j’ai demandé à tourner à droite et à remonter vers Bompard. Je voulais revoir le salon où mon grand-père Lucho avait passé ses semaines pendant plus de quarante cinq ans.

Il était le coiffeur du quartier. Les gens allaient chez Loulou. Trois paires de ciseaux, une tondeuse, un rasoir-sabre et un peigne. Besoin de rien d’autre.

Si, j’oublie la poire à parfum pour le pschitt pschitt final. Le petit jet frais me chatouillait le cou et je frissonnais dans mon peignoir en lycra bleu marine. Loulou, c’était un vrai coiffeur en blouse grise. Avec diplôme affiché au-dessus du miroir et poster couleur de l’équipe de River Plate sur le mur d’en face.

Seule fausse note, le salon avait été aménagé dans une ancienne poissonnerie. Pas d’autre local libre à l’époque. Il fallait constamment laisser la porte ouverte pour aérer. L’odeur était restée bien vivace malgré les années. En hiver, les clients se gelaient. Loulou tentait de les consoler en leur servant le thé. La bouilloire chauffait en permanence sur le poêle à charbon, au fond du salon. Lorsque Lucho a arrêté le métier – il devenait peu à peu aveugle – j’aurais bien pris la relève mais je n’ai jamais été adroit de mes dix doigts.

Le taxi s’est arrêté à quelques mètres de la devanture, de l’autre côté du boulevard. La station était déserte.

– Prends ton temps, m’a dit le chauffeur, je ne suis pas pressé.

Le tutoiement m’a saisi au plexus, sauvage solo gavé de décibels, et s’est aussitôt éparpillé par la portière entrebaillée.

Sur le trottoir, je me suis senti noyé dans un tournoiement de blanc, épais comme une angoisse sourde, pesant comme une peur rentrée. Oppressé par le silence en suspension qui trouait l’air vif et déboulait des toîts et des façades.

J’ai cherché à me souvenir de ma première tempête de neige. C’était du temps de la maternelle je crois. Nous habitions au fond de l’Impasse des Cerisiers. La neige nous avait bloqués deux ou trois jours à la maison. Ma grand-mère nous avait fait des confitures d’oranges.

En arrivant devant la boutique, je me suis pincé. Plus aucune trace du salon de coiffure, mise à part la marche en bois noir qui débordait un peu sur le trottoir. Le local avait été transformé en agence d’intérim. Bureaux rouge vif, ordinateurs, affiches aguicheuses et moquette bleu roi. Le nez écrasé contre la vitrine, j’ai aperçu  le poêle. Il n’avait pas bougé mais on l’avait amputé de son tuyau. A la place, une pile de tiroirs en plastique, bourrée de fiches et de dossiers.

De retour à la station je n’ai plus retrouvé le taxi.

Juste un petit mot “ Je t’abandonne ici, pardonne-moi “ griffonné en noir sur une facture et remisé sur la borne d’appel. J’ai espéré la Mercedes entre les raies ouatées dessinées par la neige contre les murs des immeubles, comme en transparence. Pas de trace de pas sur le trottoir encombré de mélasse épaisse. Plus la moindre marque de pneus sur la chaussée déjà gris sale. Aucune piste. Seul un halo doré scintillait devant les haies de cyprès en contrebas, à l’entrée du jardin public où j’attendais mes fiancées après l’école. C’était la petite lumière bricolée par un vieux cycliste à l’avant de son vélo. Il se rapprochait en sifflotant. Sans se soucier du froid ni de l’homme figé entre les flocons tricotés serrés.

Lorsqu’il est passé devant moi, j’ai voulu savoir s’il n’avait pas croisé une berline un peu plus bas. Aucun son n’a traversé ma gorge. Les lèvres entrouvertes, j’ai juste aperçu une poussière de buée bleutée s’évanouir autour de mon visage.

En grimpant dans le premier bus, je me suis rendu compte que mon sac était resté dans le taxi.

Les paumes collées aux vitres embuées, je n’ai plus reconnu la rue qui mène au port. Carcasse rongée jusqu’aux nerfs, charpente nue, coquille désertée. Plus aucun cinéma. Ni “ Forum “, ni “ Impérial “. Disparus tous les deux. Remplacés par des supérettes. Des magasins de téléphonie à la place des librairies-papeteries. Ecole de musique fermée. Murée sur deux étages. Partout, des palissades provisoires en agglo grossier truffées d’affiches publicitaires et de panneaux “ chantier… danger… à vendre “. Plus de halle aux fruits et légumes non plus. Vitres éclatées, portes défoncées, toît démoli. Un décor effroyable. Même le petit cimetière de la butte semblait abandonné.

Le muret que nous escaladions après l’école malgré les tessons vert bouteille présentait des brêches béantes. Elles ouvraient sur un fouillis de tombes sales dispersées entre les cyprès. J’ai eu envie de réclamer le prochain arrêt mais je me suis souvenu que Luis ne pouvait être là car il n’avait aucune sépulture. Quelques années avant sa mort, il avait donné son corps à la science.

Passé le dernier virage avant la mer, je me suis demandé comment vivre avec les morts à jamais introuvables.

Comment leur parler, leur raconter ce qui blesse ici-bas ? Tout ce qui fait saigner sans laisser de trace sûre.

D’où guetter les mots que les disparus nous lancent paraît-il de temps à autre depuis l’au-delà ?

Terminus Quai du Port. J’ai débarqué hagard près des baraques à frites et des kiosques à journaux, en grelottant dans mon manteau vert sapin. Des rafales de folie hurlaient dans les haubans et les coques des voiliers grinçaient comme de lourds dragons empêtrés sous des tonnes de neige. J’ai accéléré le pas pour tenter de me réchauffer et j’ai filé vers la gauche.

En arrivant Place de la Consolation, je me suis écroulé sur le trottoir gelé. Les pieds en cloques et les jambes sciées. Transi d’une immense tristesse. Plus de fontaine, plus d’azalées, plus de micocouliers. Pratiquement plus aucun commerce. Seul vestige du campo de mon enfance, un bar à la devanture bleue outremer. Le Bar d’Orient. Avec un taxi stationné juste à côté. J’ai un peu hésité à entrer, puis j’ai poussé la porte presque machinalement.

A l’intérieur, j’ai retrouvé le chauffeur. Trahi par ses lunettes de glacier et son blouson noir.

Il m’a souri et m’a offert une Sol, puis deux, puis trois. Nous avons trinqué au retour du printemps. Je lui ai demandé son prénom en bafouillant et pourquoi tout à l’heure il m’avait laissé en plan sous la tempête.

– Je m’appelle Sauveur, il m’a répondu en faisant cliquer des menottes et un briquet sous mon gosier. Puis il m’a conduit dans sa voiture. En claquant la portière, il a dit d’une voix assurée :

– J’ai quelqu’un à te présenter.

Le taxi a fait le tour de la place une bonne dizaine de fois. Je me suis hasardé à comprendre pourquoi. Sans succès.

– Savoure le paysage, savoure, m’a lancé Sauveur. Le manège est bientôt terminé, alors profite.

La Mercedes s’est arrêtée au pied d’un immeuble d’angle. C’est pas très loin d’ici que je suis né. Juste en face des Docks où Ernesto touchait sa paie à la semaine et m’accompagnait le dimanche pour tester mon désir de tenir debout.

En titubant parmi les poubelles éboulées sous la neige, j’ai cherché les bateaux à travers les barreaux rouillés du domaine maritime. Il m’a semblé entrevoir là-bas de longues rayures blanches et bleues étalées de l’autre côté de la Place.

Je crois bien que des cheminées allongeaient leur palette anthracite au-dessus des bastingages. Aucun marin, aucun docker à bord de ces silhouettes de navires. Pas de passager non plus. Seulement de larges taches blanches avec un peu de bleu ajouté en frise légère au-dessus de la mer.

C’est la dernière image que je garde de ma Place.

Après, il n’y a que de l’obscurité d’un hall où m’entraîne le chauffeur. Je ne sais pas pourquoi je saigne du coeur des arcades. De l’intérieur de la bouche aussi. Sans douleur. Je ne capte plus rien de rien. La cornée se sauve. Les photons ignorent mes pupilles. Que j’ouvre les yeux ou ferme les paupières, aucune forme sur l’écran, là, tout au fond du crâne. Pas la moindre couleur n’est palpable. Seul, le noir se fraie sa place en douce. Il étale partout son encre sale et compacte.

Une porte grince en un aller-retour rapide et terrifiant ponctué d’une brûlure aux poignets. Clic clac. Je suis poussé puis cadenassé à un grillage qui se referme sur ma face et me serre contre un amas de câbles, de poids et de poulies. Les mots restent murés au fond de ma gorge. Je n’ai plus la force de crier ni de prier.

J’entends des pas battre doucement et s’éloigner vers les étages. Les souliers de Sauveur crissent sur le rebord de chaque marche.

Une pause et “ Dio vi salve Regina “ résonne en écho au sommet de la cage d’escalier. Je me signe en cadence avec le bout de la langue. Ensuite, plus rien.

Un silence mat et vide juste avant ce cri énorme scandé de plus en plus fort, en même temps que dévale l’ascenseur au-dessus de ma tête

Je m’appelle Sauveur Pace, Sauveur Pace, fils de Joseph Pace. Je m’appelle Sauveur Pace, Sauveur Pace, fils de ….

Sur les rails canadiens et marseillais

Beaucoup pris le tramway ces jours-ci dans Marseille. C’est pourquoi j’ai choisi de vous faire partager ce morceau signé Meriol Lehmann, accompagné de quelques photographies prises depuis la rame, vers Noailles. Né en Suisse, cet artiste installé au Canada s’adonne à la musique, à la photographie, au new art, au fieldreording. Il s’intéresse tout particulièrement aux paysages altérés par l’homme, notamment à l’impact de l’industrialisation sur les territoires. Cet extrait provient d’une installation sonore réalisée en 2011 pour le Le Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville.

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Ma Maman retourne en enfance

Traverse Beau Site hier. Marseille, quartier de La Barasse Tubet. Ma maman désirait retourner sur les lieux heureux de son enfance. Avec ma compagne Chantal, nous l’avons accompagnée revoir la maison où elle vécut de 1939 à 1941. Elle était une enfant de 9 ans…

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Merci à Chantal pour ces belles photos.

In Paradisu #19

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Une pause et “ Dio vi salve Regina “ résonne en écho au sommet de la cage d’escalier.

Je me signe en cadence avec le bout de la langue. Ensuite, plus rien.

Un silence mat et vide juste avant ce cri énorme scandé de plus en plus fort, en même temps que dévale l’ascenseur au-dessus de ma tête :

– Je m’appelle Sauveur Pace, fils de Joseph Pace. Je m’appelle Sauveur Pace, fils de ….

Embruns de Klezmer sur les Alpes

C’est un nouveau cadeau de Jean, mon ami bas-alpin qui parfois se hasarde à monter jusqu’aux Hautes-Alpes voisines. Là, c’est à Embrun qu’il est allé se promener. Dans une rue piétonne, il a croisé le groupe Fatum Fatras, composé de 5 musiciens – accordéon, guitare, hautbois, trombone, caisse claire –  qui nous invitent à  « embarquer pour une bouillonnante épopée à la conquête de l’Est ! ». Ils sont adeptes du klezmer spaghetti, un univers où cohabitent envolées klezmer et balkaniques, suspens rockn’roll, surf music et love stories débridées… Un western carton pâte sauce balkanique, décalé et énergique !

In Paradisu #18

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Une porte grince en un aller-retour rapide et terrifiant ponctué d’une brûlure aux poignets. Clic clac.

Je suis poussé puis cadenassé à un grillage qui se referme sur ma face et me serre contre un amas de câbles, de poids et de poulies.

Les mots restent murés au fond de ma gorge. Je n’ai plus la force de crier ni de prier.

J’entends des pas battre doucement et s’éloigner vers les étages.

Les souliers de Sauveur crissent sur le rebord de chaque marche.

(à suivre)

La photomaton parlant, avec J.S. Bach

Froide et triste cette voix synthétique qui nous guide pas à pas une fois assis dans le box. Je l’ai mesclée avec l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach, interprétée par Glenn Gould, en imaginant qu’un jour pourquoi pas, lorsque nous irons nous faire tirer le portrait, le photomaton nous proposera d’écouter Bach, ou Chopin, ou Bob Marley, ou Pharell Williams…

Pour illustrer ce son, j’ai emprunté la photo à Valentin Gall, jeune et talentueux graphiste-illustrateur freelance.

Découvrez son blog par ici.

In Paradisu #17

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C’est la dernière image que je garde de ma Place.

Après, il n’y a que de l’obscurité d’un hall où m’entraîne le chauffeur. Je ne sais pas pourquoi je saigne du coeur des arcades. De l’intérieur de la bouche aussi. Sans douleur. Je ne capte plus rien de rien. La cornée se sauve. Les photons ignorent mes pupilles. Que j’ouvre les yeux ou ferme les paupières, aucune forme sur l’écran, là, tout au fond du crâne. Pas la moindre couleur n’est palpable. Seul, le noir se fraie sa place en douce. Il étale partout son encre sale et compacte.

(à suivre)

Tramway Night avec Ólafur Arnalds

Marseille tard hier-soir. Tramway de nuit station Noailles. Il arrive et repart presque aussitôt. La musique du compositeur islandais Ólafur Arnalds nous accompagne. Suspects, extrait de son album Broadchurch. Ce soir, le natif de Reykjavik donne un concert devinez où ? À Tokyo…

Voici en bonus un aperçu de son tout dernier album, For now I am winter

 

In Paradisu #16

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En titubant parmi les poubelles éboulées sous la neige, j’ai cherché les bateaux à travers les barreaux rouillés du domaine maritime. Il m’a semblé entrevoir là-bas de longues rayures blanches et bleues étalées de l’autre côté de la Place.

Je crois bien que des cheminées allongeaient leur palette anthracite au-dessus des bastingages. Aucun marin, aucun docker à bord de ces silhouettes de navires. Pas de passager non plus. Seulement de larges taches blanches avec un peu de bleu ajouté en frise légère au-dessus de la mer.

(à suivre)

In Paradisu #15

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Le taxi a fait le tour de la place une bonne dizaine de fois. Je me suis hasardé à comprendre pourquoi. Sans succès.

– Savoure le paysage, savoure, m’a lancé Sauveur. Le manège est bientôt terminé, alors profite.

La Mercedes s’est arrêtée au pied d’un immeuble d’angle. C’est pas très loin d’ici que je suis né. Juste en face des Docks où Ernesto touchait sa paie à la semaine et m’accompagnait le dimanche pour tester mon désir de tenir debout.

(à suivre)

Dedans, dehors, le vent

Ici, Mars a donc débuté sous le vent. Dedans, dehors, partout. Je l’ai teinté de quelques accords paisibles de Takahiro Kido, musicien et compositeur japonais dont la musique m’emporte souvent vers Tokyo. Vers ce Japon que j’aime et où je languis de retourner. Une pensée amicale pour le poète Francis Royo, amoureux lui aussi de ce Japon magique.

En bonus, voici le dernier opus de Takahiro Kido, intitulé Krageneidechse et composé de 12 petites pièces subtiles et déroutantes.

L’orage du soir sur Salies

Cet orage vient de passer au-dessus de Salies-de-Béarn. En provenance de l’océan. Là-bas, à l’ouest.

In Paradisu #14

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A l’intérieur, j’ai retrouvé le chauffeur. Trahi par ses lunettes de glacier et son blouson noir.

Il m’a souri et m’a offert une Sol, puis deux, puis trois. Nous avons trinqué au retour du printemps. Je lui ai demandé son prénom en bafouillant et pourquoi tout à l’heure il m’avait laissé en plan sous la tempête.

– Je m’appelle Sauveur, il m’a répondu en faisant cliquer des menottes et un briquet sous mon gosier. Puis il m’a conduit dans sa voiture. En claquant la portière, il a dit d’une voix assurée :

– J’ai quelqu’un à te présenter.

(à suivre)

Comme à l’école

Parfois, dans une gare c’est comme à l’école. On y sonne la fin de la récré. Entendu cette sonnerie hier-soir en gare de Dax, après une belle semaine de vacances avec mes enfants. Ce matin, ils ont repris le chemin du collège et de l’école. Fin de la récré…

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In Paradisu #13

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Terminus Quai du Port. J’ai débarqué hagard près des baraques à frites et des kiosques à journaux, en grelottant dans mon manteau vert sapin. Des rafales de folie hurlaient dans les haubans et les coques des voiliers grinçaient comme de lourds dragons empêtrés sous des tonnes de neige. J’ai accéléré le pas pour tenter de me réchauffer et j’ai filé vers la gauche.

En arrivant Place de la Consolation, je me suis écroulé sur le trottoir gelé. Les pieds en cloques et les jambes sciées. Transi d’une immense tristesse. Plus de fontaine, plus d’azalées, plus de micocouliers. Pratiquement plus aucun commerce. Seul vestige du campo de mon enfance, un bar à la devanture bleue outremer. Le Bar d’Orient. Avec un taxi stationné juste à côté. J’ai un peu hésité à entrer, puis j’ai poussé la porte presque machinalement.

(à suivre)

Chaliapine chante l’Elégie de Massenet

Cette sublime Elégie de Jules Massenet, j’avoue ne l’avoir découverte qu’hier grâce à un post de mon vieux camarade Jean-Pierre Cottet sur le réseau social qui commence par F et finit par K. L’enregistrement date de 1931. Fédor Chaliapine en est l’interprète. Les grésillements du disque vinyl confèrent à ce morceau une beauté singulière. Sa mélancolie me touche. Tout comme les paroles.

Elégie

Rêve d’un bonheur effacé

Mon coeur lassé,

T’appelle en vain dans la nuit.

Tendres serments échangés,

Soirs enivrés, Vous reposez dans l’oubli!

C’est la fin des beaux jours

Ô souvenirs de nos brèves amours

La nuit descend lentement sur nos coeurs

L’automne effeuille les fleurs

La paix du soir vient adoucir nos douleurs,

Tout nous trahit, tout nous fuit sans retour,

Tout nous trahit sans retour.

Jules Massenet ( 1842 – 1912 )

In Paradisu #12

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Le muret que nous escaladions après l’école malgré les tessons vert bouteille présentait des brèches béantes. Elles ouvraient sur un fouillis de tombes sales dispersées entre les cyprès. J’ai eu envie de réclamer le prochain arrêt mais je me suis souvenu que Luis ne pouvait être là car il n’avait aucune sépulture. Quelques années avant sa mort, il avait donné son corps à la science.

Passé le dernier virage avant la mer, je me suis demandé comment vivre avec les morts à jamais introuvables.

Comment leur parler, leur raconter ce qui blesse ici-bas ? Tout ce qui fait saigner sans laisser de trace sûre.

D’où guetter les mots que les disparus nous lancent paraît-il de temps à autre depuis l’au-delà ?

(à suivre)

Vendredi, c’est cookies !

Ma fille Zoé est une jeune adolescente très appliquée et très organisée. Très méthodique. Hier en fin d’après-midi elle s’est lancée dans la fabrication de cookies au chocolat. Farine, sucre, cassonade, oeufs, beurre, pépites de chocolat, un bon four et en avant ! Recette réussie. Ces cookies sont jolis. Nous les dégusterons en famille ce midi.cookies