Éclair/HaïkuOiseaux#20

Au crépuscule –
guetteur fébrile et patient
pris de vitesse

Alalá Das Mariñas · Alejandra Díaz, chant et violoncelle

Matinal/HaïkuOiseaux#19

Par bonds secs et noirs –
joyeux dès le matin, oui
le merle basque

En transit à Donostia San Sebastian. Petit matin. Comme toujours, je suis en avance pour prendre mon bus. Passé le pont Maria Cristina, je flâne, je respire et je rêvasse tout près du fleuve Urumea d’où remonte l’odeur iodée de la mer qui n’est pas loin. Il a plu toute la nuit. Le long de l’allée, les jonquilles ont abdiqué mais pas le merle venu me saluer. Il sait que je l’écoute en lui souriant et ça lui plaît. Et vous ?

L’hiver griffé/HaïkuOiseaux#18

Déjà de retour –
l’hiver griffé de vos cris
chaque année plus tôt

Concerto pour violoncelle en Sol majeur RV 414 de Vivaldi, II. Largo · Christophe Coin au violoncelle, Il Giardino Armonico dirigé par Giovanni Antonini

Caché/HaïkuOiseaux#17

Une apparition –
comme un éclair rouge et noir
la beauté cachée

Variations Rococo de Piotr Ilitch Tchaïkowsky – Santiago Cañón-Valencia, violoncelle, Orchestre Philharmonique de Saint Petersbourg, dirigé par Nikolai Alexeev

Abri/HaïkusOiseaux#16

Pas pressés le soir –
un abri dans les palmiers
ou en bord de mer

Antonio Vivaldi — Sonate N° 3 en la mineur (premier mouvement) – Lorraine Campet à la contrebasse

Faim/HaïkuOiseaux#15

Par flocons soudains –
les rizières envahies
le bal de la faim

Prélude de la suite N°2 pour violoncelle seul en ré mineur BWV 1008 de Jean-Sébastien Bach – Maxime Bazerque au saxophone baryton

Matins/HaïkuOiseaux#14

En grappes fines –
matin clair après matin
écrits éphémères

Allegro appassionato Op.43 de Camille Saint-Saëns – Jacqueline du Pré au violoncelle

Oui, Maman joua à l’OM !

Née à Marseille le 29 janvier 1930, Maman aurait fêté aujourd’hui ses 94 ans.
Depuis qu’elle est partie, son absence ne rime pas avec silence. Parce qu’à la fin de sa vie, elle accepta que je l’enregistre. Maman était bavarde. En bonne Marseillaise, elle adorait parler, échanger, commenter, raconter. Grâce au miracle de sa voix, j’ai la chance aujourd’hui, chaque fois que je le désire, de la retrouver vivante. Elle me confie sa passion pour la montagne, sa sérénité absolue face à la mort et le plaisir qu’elle prit dans sa jeunesse à être une joueuse de l’OM.

Combien/HaïkuOiseau#13

Dos vers le couchant –
combien de fuites encore
jusqu’au noir sans fin

El Messies (extrait) de George Friedrich Haendel, par la Schola Cantorum d’Algemesí, dirigée par Borja Martínez

Utopie/HaïkuOiseaux#12

Et si une pause –
une vraie de vraie là-haut
un langage commun

Courante de la partita pour violon No 1 en si mineur BWV 1002 de Jean-Sébastien Bach, arrangée pour violoncelle baroque par Markku Luolajan-Mikkola

Donostia/HaïkuOiseaux#11

Pour quand ton envol –
calligraphe de l’éphémère
un de ces matins ?

Gigue de la 3ème suite pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach – Maitane Sebastián au violoncelle

Désarmé/HaïkuOiseaux#10

Soudain, en silence –
sans autre arme que la grâce
défier le couchant

Oiseaux du bord de mer (Mélodies du Japon) – André Navarra, violoncelle et Annie D’Arco, piano

Bon anniversaire, Monsieur l’Instituteur de la République !

Le 15 janvier de chaque année depuis que Papa n’est plus là, besoin de lui souhaiter un bon anniversaire et de réécouter sa voix. Le réentendre me raconter sa vie d’instituteur de la République, ce qui faillit ne jamais arriver…

Paul James Schulthess, mon Papa, aurait aujourd’hui 93 ans.

Papa, j’ai tellement honte

Tu n’es plus de ce monde de fous, Papa, mais alors que le ciel s’assombrit sur notre pays, il me faut te dire que la colère et la honte ne me quittent pas. Je pense fort à Pépé, ton père, immigré, étranger parmi les étrangers. Il choisit la France dans les années 20 du siècle dernier, y travailla dur et y mourut. Te dire aussi, Papa, que je pense aussi à l’instituteur de la République et fils d’immigré que tu fus, si fier des valeurs humanistes de notre pays, ces valeurs que tu t’approprias et transmis à tes élèves comme à tes enfants tout au long de ta vie. Te dire enfin que je suis fier d’être l’un des millions de petits-fils d’immigrés que compte notre pays mais que j’ai terriblement honte de notre France. Puisse cette honte submerger Emmanuel Macron, Élisabeth Borne et leurs sujets, pour avoir fait entrer les idées d’un parti fondé par des Waffen SS au cœur-même de notre République. L’Histoire finira bien par les juger mais combien de temps faudra-t-il pour effacer l’affreuse tache brune lâchée sur nous par toutes ces bordilles, tous ces ennemis de notre République ?

Esquisse/HaïkuOiseaux#9

Après la sieste
au soleil de décembre
l’esquisse d’un bal

Le cygne – Camille Saint-Saens, par Yo-Yo Ma au violoncelle et Kathryn Stott au piano

Fuite/HaïkuOiseaux#8

Sans boussole aucune –
les grues en fuite éparse
cap vers le grand sud

Concerto pour violoncelle en Do mineur – Allegro non molto, d’Antonio Vivaldi, par Il Giardino Armonico – Christophe Coin au violoncelle · Giovanni Antonini à la direction

Étranger/HaïkuOiseaux#6

Paisible et perché –
étranger aux bateaux-mouche
petit cormoran

Brilliant Corners – Thelonius Monk

À l’agachon/HaïkuOiseaux#5

Petit moineau perdu –
Pas tant que ça
À l’agachon vers les miettes

L’art de la fugue, Jean-Sébastien Bach, par Glenn Gould

Chacun son tour/HaïkuOiseaux#4

Les étourneaux couchés
seule la musique des vagues et
le bal des hirondelles

Toccata et Fugue en Ré mineur, BWV 565 de Jean-Sébastien Bach, par Claudio Constantini au bandonéon

Régalade au Balèti bédoulen

Il y a des partages comme ça qui font tellement plaisir ! Je vous raconte. Sur le coup de cinq heures de l’après-midi hier, mon ami Bernard Seignouret y va de son petit post joyeux sur X (ex Twitter) : « Vé ! Balèti à la Bédoule ! » , accompagné de cette photo de l’un des musiciens du groupe Bagalenti Chapacan, basé à Saint-Zacharie, dans le Var.

Balèti ! Ce mot entendu souvent à Bauduen dans mon enfance me donne envie de sentir l’ambiance, de découvrir avec du son à quoi il ressemble. Je le dis à Bernard. Ni une ni deux, il fait chauffer l’enregistreur et m’envoie deux extraits de cette musique. En les mesclant, j’ai esquissé quelques pas de danse !

Régalade, non, cette mescle d’accordéon diatonique, de vielle à roue , de fifres et de tambourins ? Elle est bien dansante, pas vrai ? Ce balèti, Bagalenti Chapacan est venu l’animer à l’invitation de La Respelido Bedoulenco, une association qui à Roquefort La Bédoule se consacre à la promotion de la langue et de la culture provençales, grâce entre autres à des concerts, des balètis, des ateliers de danse et des cours de lengo nostro. Gramaci à elle et à mon ami Ber !

Photos @Bernard Seignouret

Pris d’ivresse/HaïkuOiseaux#2

Vers le crépuscule
Par vagues sur la rosace
Leurs confettis noirs

Prélude en do majeur BWV 846 de Jean-Sébastien Bach, par Cécile Boulanger à la viole de gambe

Pris de vitesse/HaïkuOiseaux#1

Les oiseaux du soir
Sans cris sans peur peut-être
Danse éphémère

Tissue 7, Philip Glass, par Camille Thomas au violoncelle et Julien Brocal au piano

À Marseille, la révélation de Serge d’Endoume

Oui, je sais, je suis un peu fada de me baigner un 20 novembre dans une eau à 15 degrés. Mais que voulez-vous, chaque fois que je reviens au quartier, à Marseille, les rochers et la mer me tendent les bras et je ne peux résister. Je suis même sûr que je viendrais prendre le bain tous les jours si j’y vivais encore. En sortant de l’eau, il faisait encore bon et tout en me séchant, j’ai bavardé un court instant avec un homme qui patientait au bord de l’eau, le temps que son collègue lui trouve ses lunettes de nage perdues dans les flots. Figurez-vous que cet homme, m’a fait une drôle de révélation.

Papa fut instituteur de la République jusqu’en 1988, à l’école de La Roseraie, rue Pierre Mouren, dans le 7eme arrondissement de Marseille. S’il vivait encore, il se souviendrait à coup sûr de son élève Serge, souriant enfant d’Endoume devenu pâtissier.

De retour sur des feuilles volantes #2 L’orage est là

Maman écrivait, oui. Je vous le racontais ici l’autre jour. Aujourd’hui, envie de partager ce court poème que lui inspira un souvenir ancien.

L’orage

Nuage noir zébré de feu, colère des cieux 

Visage sombre, mains levées, poings fermés, tables renversées, vaisselle cassée,

Les larmes coulaient

C’était dans le temps mais encor j’entends, mais encore je vois, quand l’orage est là. Lucette

Cette image a été conçue par l’artefact génératif DALL-E. Aurait-elle plu à Maman ?

(à bientôt !)

De retour sur des feuilles volantes #1 Celui que j’ai vu

Maman écrivait, oui. Au crayon noir, au stylo bille, à la main la plupart du temps. Elle aimait lire mes histoires – je les lui envoyais régulièrement par mail pour savoir si elles les jugeait dignes d’intérêt – et elle appréciait d’inventer les siennes par écrit. Maman fréquenta même pendant des années des ateliers d’écriture – à Marseille et à Bauduen – à soixante-dix ans bien sonnés. Poèmes, haikus, textes courts, histoires cocasses, rêveries surréalistes, récits teintés de souffrance, pieds de nez à la mort, elle se lançait avec désir sur de multiples pistes. Elle prenait plaisir à créer des situations et des ambiances. Elle consignait aussi des citations. Maman n’écrivait pas dans des carnets, non. Rien que sur des feuilles volantes au format imprimante ou feuilles volées, arrachées à des cahiers d’écolier. En mettant un semblant d’ordre dans les rayons de ma bibliothèque cette semaine, j’ai retrouvé trois pochettes avec dedans des enveloppes plastifiées garnies des écrits de Maman. J’ai tout lu, le cœur battant, et je me suis souvenu que sa calligraphie aussi était jolie. Serait-elle heureuse de découvrir que je vais publier quelques-uns de ses écrits dans ce carnet-ci ? Je crois bien que oui. C’est ce qu’il m’a semblé qu’elle me glissait à l’oreille l’autre nuit, lorsque nous avons bavardé un petit moment en souriant et rêvant ensemble comme au bon vieux temps.

Celui que j’ai vu

Ce matin-là en ouvrant tout grand les doubles volets du séjour, grimpait prestement le long du sapin enneigé : je l’ai suivi des yeux sauter de branche en branche jusqu’à la cime ; des copeaux de neige tombaient lourdement à son passage et s’écrasaient sur le sol. Quand il a disparu j’ai regretté de l’avoir dérangé ; il devait avoir repéré quelque graine sous l’arbre, autour du tronc encore herbu ; il s’y était précipité peut-être pour les emporter dans un coin de son nid ; je ne savais pas à quelle période les écureuils ont des bébés et la tristesse s’est mêlée au plaisir du spectacle. C’était le jour de Noël et je n’avais encore jamais vu la neige. Des écureuils, j’avais l’habitude d’en voir ; ils avaient même l’audace de laisser tomber des coquilles de noisettes sur nos têtes ; c’était à la fin de l’été, quand ma mère et moi tricotions assises dans cette allée de noisetiers si ombragée. J’ai refermé la fenêtre, me suis cachée derrière les rideaux et attendu longtemps, espérant le voir redescendre accomplir son précieux travail. Ce matin-là il n’est pas revenu…

Lucette

Maman aurait sans doute souri devant cette image conçue par l’artefact génératif DALL-E. Jusqu’à la fin de ses jours, elle se plut à naviguer sur la toile depuis son ordi. Je suis sûr qu’elle se serait bien amusée elle aussi à bidouiller pour créer des images virtuelles.

(à bientôt !)

Dédée à Marseille : au pays d’un rêve de jeunesse

La semaine passée, nous étions à Marseille en compagnie de Dédée, l’une de nos amies très chères. Dédée et sa douceur, sa gentillesse, son sens de l’humour, sa gourmandise. Dédée et ses bientôt 93 printemps. Cet été, elle nous avait confié l’un de ses plus grands rêves : connaître Marseille et ses calanques. Avec Chantal, mon épouse, nous savons bien que les rêves, il faut toujours oser les réaliser. Alors, ni une ni deux, nous avons organisé un petit séjour dans ma ville natale. Les Goudes, Callelongue, la Bonne Mère, Cassis, et j’en passe. La Maison Empereur et le couscous de chez Saf Saf, un petit programme bien aïolisé ! Je ne vous surprendrai pas en vous révélant que Dédée a adoré.

Une autre Dédée – la sœur de Chantal – et Josette ont accompagné leur grande copine Dédée dans ce périple marseillais. Fabienne et Thierry, ses voisins, lui ont fait la surprise de l’accueillir à nos côtés à l’aéroport. Eux aussi ont pris plaisir à découvrir Marseille. Le prochain voyage que nous partagerons ? Mystère… Nous avons prévu de nous revoir sans tarder pour en parler.

Retour fugace au nid Maritima

Maritima. Je vous ai mis un oiseau pour l’illustrer parce que c’est depuis ce nid-là, dans les locaux d’une petite école transformée en radio, quai Lucien Toulmond à Martigues, que tout a démarré il y a près de quarante ans. Tout = mon parcours – j’abhorre le mot « carrière » – de journaliste. C’était au temps de la liberté des ondes et des premières fréquences sur la bande FM.

Maritima, une radio libre. Ma fréquence à moi : deux après-midis par semaine pour commencer. Je venais donner la main à la petite équipe. M’imprégner, copier, oser. M’essayer au reportage. Faire mon grand curieux micro en main et magnéto à bandes en bandoulière. Assouvir mon appétit d’écoute, de tchatche et d’interview. M’initier au montage. Apprendre à choisir. Mesurer la difficulté d’éliminer. Plus tard, parler au micro, présenter les flashes d’info puis les journaux. Une émission dédiée à la généalogie aussi. Confiance totale de celles et ceux dont j’allais devenir le collègue un an plus tard. Exigence avec un grand E de mon ami Gabriel Natta – il est comme un grand frère – qui m’écoutait patiemment depuis son studio à lui : Radio Monte-Carlo, s’il vous plaît, sur la Canebière à Marseille. Toujours à l’agachon, Gaby ne manquait pas une seconde de mon travail et me proposait un retour critique. J’ai tellement appris et progressé depuis ce nid avec lui et les autres. Je me suis tellement régalé.

De Maritima je me suis envolé un jour vers d’autres radios mais je n’oublie rien de rien. Trop beau, trop précieux. Irremplaçable. Alors, quand depuis ses studios marseillais *, Laurent Coureau m’a appelé l’autre jour et proposé de venir parler de mon dernier livre « Gens de Bauduen » dans son Grand Réveil, vous imaginez bien que je n’ai pas pu résister.

J’aime souvent lancer « Aïoli ! » à mes amies et amis de Marseille comme d’ailleurs, comme un clin d’œil pour témoigner mon affection. Je l’adresse aussi à toutes celles et tous ceux qui ont fait Maritima et qui la fabriquent aujourd’hui avec passion.

En ajoutant, bien sûr, « Vive la radio ! »

*Maritima à Marseille s’écoute sur 107.2 FM

Depuis 60 ans, Fañch Langoët radiophile good

60 ans au poste ! Vous vous rendez compte ? Cette passion ressemble presque à une addiction. Ses six décennies à écouter la radio l’ont tant et tant nourri que Fañch Langoët a désiré en fabriquer un carnet d’écoute. Son journal de bord bien éclectique, parfois touchant et poétique s’ouvre sur les genoux de Mamée, la grand-mère adorée, juste avant la sieste. Fañch a quatre ans. La magie opère illico, dès les premières minutes du feuilleton échappé d’une boite d’acajou au bouton de bakélite. Cette fascination ne l’abandonnera jamais. De Radio Luxembourg à Europe Numéro 1, de France Inter à Fip, de France Culture à Lorraine Cœur d’acier, les ondes circulent, les madeleines se dégustent, le jardin extraordinaire s’agrandit. Fañch l’arpente partout, au boulot, dans le métro, au dodo, à la sieste, en voiture. Pas un lieu qui soit épargné par l’écoute passionnée. De jour comme de nuit. Feuilletons, émissions quotidiennes, documentaires, créations sonores, les rendez-vous sont autant de trésors qui tissent son lien charnel avec la radio. Voici comment il raconte dans son journal d’auditeur l’une de ses plus belles pépites, intitulée « La gloire de mon père », tiens tiens…

L’été avec Pagnol, les portraits sensibles de Kriss la divine, le Pop Club de José Artur, les Nuits magnétiques d’Alain Veinstein, la Marche de l’histoire de Jean Lebrun, les documentaires sonores de Yann Paranthoën, les matinales de Philippe Caloni, Pollen de Jean-Louis Foulquier, tant de moments de grande et belle radio peuplent ce carnet d’écoute, rythmé par Dylan, les Who, Ferré ou Béranger. À le feuilleter et le savourer page après page, je me suis pris à imaginer que ce livre puisse se transformer un jour, qui sait, en véritable œuvre radiophonique.

60 ans au poste – Journal de bord d’un auditeur est publié aux Éditions L’Harmattan

Depuis juillet 2011 sur internet, Fañch Langoët a publié 2430 chroniques sur la radio : RadioFañch

Le français en danger ? Remettons le Vieux-Port au centre-ville !*

Les idées fausses, c’est comme les idées noires. Il convient de les chasser loin de soi. Et loin des autres aussi autant que faire se peut. Parce qu’elles sont nocives, ces idées. Parfois toxiques et dangereuses. En professeur de sociolinguiste à l’Université passionné, Médéric Gasquet-Cyrus n’est pas du genre à se laisser impressionner par le moulon d’idées fausses que trimbale la langue française. Elles l’emboucanent, elles lui hérissent le poil, elles le révoltent, mais en chercheur en Parole et Langage avisé, il résiste, il leur fait face et se fait un plaisir de les démonter dans un livre jubilatoire et savant, paru en avril dernier, « En finir avec les idées fausses sur la langue française ».

Il en a listé une quarantaine de ces idées fausses, véhiculées par ceux qui claironnent notamment que la langue française est en danger parce qu’elle « est menacée par l’anglais », « envahie par l’arabe », parce que « les jeunes parlent avec 500 mots », alors que « le français est une langue pure », « belle », que l’on doit parler comme il faut, en respectant les règles fixées par l’Académie française. Entre autres mythes qui entourent le français et que Médéric Gasquet-Cyrus déconstruit point par point, l’idée souvent repérée sur les réseaux sociaux selon laquelle « le » dictionnaire contiendrait la vérité sur la langue et sur le monde.

« Remettre le Vieux-Port au centre-ville » , c’est aussi rappeler dans ce livre que le français est présent sur les cinq continents, officiel dans 13 pays, co-officiel dans 16 autres, qu’il est une langue d’enseignement pour 93 millions d’élèves.  Et donc non, « le français n’est pas menacé par celles et ceux qui s’en servent pour communiquer ». N’en déplaise aux réactionnaires, aux sectaires, aux xénophobes, et aux nationalistes de tous bords qui en prennent pour leur grade. C’est réjouissant de voir mis en pièces les Rivarol, Julien Aubert, Alain Finkielkraut, Jean-Michel Blanquer, entre autres chantres du roman national et caricaturistes du déclin de notre français que nous aimons tel qu’il est. Divers, ouvert, vivant, riche en accents et en mouvements.

« En finir avec les idées fausses sur la langue française » est publié aux Éditions de l’Atelier.

* ça m’amuse de tenter ce pendant marseillais de « remettre l’église au centre du village » ou de « mettre les points sur les i et les barres sur les t »

Une vie avant MOTCHUS (8) des limaçons et un bada

 » A l’aïgo sau, leï limaçoun ! N’aven dei gros, e dei pichoun ! «  Le sel de MOTCHUS c’est aussi de voir ressurgir un souvenir d’enfance au détour d’une grille et d’un mot trouvé. Hier, après deux bonnes heures de prise de teston et de pêche infructueuse, cet aigo-sau est sorti de sa cachette et a de suite ressuscité la voix de la marchande de limaçons qui passait chaque semaine en bas de chez nous avec sa marmite sous le bras. Nous habitions rue du Docteur Frédéric Granier, dans le quartier d’Endoume. Après deux années passées dans un tout petit appartement au Panier – les deux premières de ma vie – nous avions déménagé pour venir vivre chez ma grand-mère maternelle Zoé..  » A l’aïgo sau, leï limaçoun ! N’aven dei gros, e dei pichoun !  » Je réentends Mémé Zoé le fredonner avec gourmandise ce refrain en provençal, sa langue maternelle, en descendant acheter ses limaçons.

MOTCHUS nous l’enseigne tous les jours depuis plus d’un an, le langage de Marseille ne saurait se résumer à quelques clichés pour quelques estrangers ou gens à accent pointu. En réalité, c’est bien plus sérieux que ça le parler marseillais. Pas vrai Pierre Échinard ?

Figurez-vous que mon Dictionnaire du marseillais fut victime – parmi tant d’autres livres – de l’inondation que nous avons subie chez moi en 2018. Je m’étais régalé de m’y promener. J’y avais découvert un moulon de mots, de définitions et de références. Il me servirait bien lorsque je rame fort le soir ou le matin en cherchant le MOTCHUS du jour. Il paraît qu’il est épuisé, mais mon petit doigt me dit qu’il y aurait encore moyen de se le procurer…

À la demande générale, comme c’est dimanche, voici un petit bada : le replay de ce feuilleton que j’ai pris plaisir de partager.

Bon, maintenant, je vous laisse, je m’en vais chercher le MOTCHUS du dimanche, très Mémé des Accates paraît-il ! Aïoli sur vous !

Une vie avant MOTCHUS (7)

Et si parmi les 1.800 mots que propose le Dictionnaire du marseillais, vous en choisissiez un, quel serait-il ? Vous me répondriez sans doute qu’ils vous plaisent et vous parlent tellement tous ces mots que ce serait péché d’en sortir un du lot. Pour Pierre Échinard, tout pareil. Lui, il en a choisi deux, bien jolis, que voici.

Pas encore remis de la pitoyable élimination de l’OM, j’en choisis deux moi aussi : pébrons et rointer

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS (6) et après l’OM…

Par souci d’économie d’énergie, je ne m’étendrai pas sur le caractère visionnaire du mot estramassé raconté hier ici. Je préfère rester poli. Après la cagade majuscule de notre OM, ce jeudi fut noir de honte et notre colère, Camelus Blah la décrit tellement bien dans sa Canebière Académie qu’il n’y a rien à rajouter. Aujourd’hui, c’est sur une autre institution marseillaise, l’un des mots emblématiques de notre parler que se penche Pierre Échinard.

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS (5)

Le temps de me rembrailler – et de marronner dans ma barbe parce qu’à une lettre finale près, je l’avais en deux ce Motchus #406 – me voilà prêt pour la méditation motchusienne du jour, sous la forme de l’affirmation que voici (vous me démentez si je me trompe) : dégun peut dire qu’il n’a jamais entendu les mots que voici, racontés, interprétés par Monsieur Pierre Échinard, Académicien de Marseille, et co-auteur – entre autres avec notre sociolinguiste préféré Médéric Gasquet-Cyrus – du Dictionnaire du marseillais. Les avons entendus et prononcés souvent ces mots, pas vrai ? Et pas seulement sur le Vieux-Port. Tellement nôtres !

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS (4)

Où il est question ce mercredi de Monsieur Brun et de Parisiens… Pas des affreux en bleu foncé avec la Tour Eiffel sur le maillot, non, je vous rassure. Non, un mot patrimonial, nourri par des siècles d’histoires, lui. Après peuchère, la pile, bader et plein de gros mots et d’expressions grassouillettes à souhait – vous avez adoré l’incontournable « –Va caguer à Endoume ! » , Pierre Échinard se délecte aujourd’hui d’un autre grand classique du parler marseillais, dégun.

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS (3)

Les gros mots, le parler gras, ça nous connaît bien sûr. Nous sommes n’en sommes pas avares. Pierre Échinard, vénérable Académicien de Marseille,  confirme que le Dictionnaire du marseillais accueille une ribambelle de mots grossiers. Il nous le dit avec un zeste de pudeur mais sans mâcher ses mots… 

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS (2)

Oh fan que ce fut dur hier de trouver le MOTCHUS #403 ! Ça m’a bien pris en tout trois heures ! J’ai même dû écourter mon pénéquet du dimanche pour ne pas me mettre à la bourre avant le match de l’OM (non, je ne regrette pas du tout de l’avoir regardé). Tout ça pour y passer encore une bonne demie-heure avant que la lumière jaillisse et m’évite une escapade imprévue aux Goudes. Pierre Échinard l’aurait-il trouvé plus vite, lui qui depuis hier, nous raconte ici quelques-uns des mots marseillais recensés dans son Dictionnaire du marseillais ?

(à demain !)

Une vie avant MOTCHUS

La belle fête que nous avons vécue ensemble jeudi dernier pour célébrer les 400 coups de MOTCHUS m’a donné envie de ressortir de mon cabas et de partager un merveilleux souvenir. En mars 2015, enregistreur en main, j’avais rencontré Pierre Échinard l’un des auteurs du remarqué Dictionnaire du Marseillais, publié il y a bientôt vingt ans. Historien, membre de l’Académie de Marseille, Pierre Échinard a co-signé l’ouvrage riche de plus de 300 pages consacrées au parler de Marseille du début du XXe siècle à nos jours. Je m’étais régalé à l’écouter me parler de quelques-uns des mots de notre langage marseillais/provençal et j’en avais fait un petit feuilleton. Rebelote à partir d’aujourd’hui, en commençant par les présentations et par peuchère, évidemment d’actualité en ce dimanche motchusien qui nous promet de bien nous escagasser le teston à la recherche du #Motchus 403.

(à demain !)

Les 400 coups de MOTCHUS

Quel est mon mot de Motchus préféré ? Cette question, je me la suis posée hier-soir à l’apéro, en réalisant que nous en sommes aujourd’hui mercredi 23 février 2023 à l’épisode 400 du jeu de mots marseillais / provençaux qui nous régale – nous sommes 10.000 aficionados – et nous rend quelquefois bien fadas. 400 mots proposés déjà ! 400 jours que nous actionnons nos pauvres neurones sur Twitter pour trouver LE mot, ZE mot !
Chaque jour à minuit, une grille de six lignes apparaît. Toute bleue. Une initiale sur la première mais parfois aucune. Six lignes, donc six tentatives pour trouver le motchus du jour, pas plus. Un strike, et c’est la gloire, certains diront la sègue. Six échecs et boudiou, c’est la honte !
Il a deux papas, ce Motchus lancé en janvier de l’année passée. Un manieur de mots, Médéric Gasquet-Cyrus – @MedericGC – alias Médé, socio-linguiste à l’Université d’Aix-Marseille et un as de l’informatique, DenisBeaubiat, – @ze_armavi – alias Ze bobs, professeur de mathématiques au lycée Diderot.
Louons bien fort leurs mérites s’il vous plaît ! Non seulement ils nous ont trouvé une occupation ludique, une régalade quotidienne, une sorte de rituel – à minuit tapantes pour certains, à pas d’heure pour d’autres, – mais en plus ils ont réussi à créer une bande, plus ou moins organisée, qui aime le partage, l’échange, et qui cultive un vrai sens de l’humour. Motchus est à l’image de Marseille. Dès que tu fréquentes la ville, tu deviens Marseillais. Dès que tu te prends au jeu, tu deviens Motchusien. Et quelle palette de caractères dans cette équipe, mâtin !
Tenez, chez mes petits camarades de jeu – toutes et tous se reconnaîtront – vous avez les vantards, qui s’en croient quand ils trouvent de suite et font les roulades; les râleurs, qui marronnent de longue et prétendent que le mot du jour n’est parlé que par la Mémé des Accates; les timides, qui postent leur grille presque dans l’anonymat, sans le petit commentaire ou le petit émoticon qui va bien; les compétiteurs, qui sont là pour la gagne rien que pour la gagne ou le podium; les perfectionnistes, limite pessimistes, qui prennent de suite le 19 pour aller se jeter aux Goudes lorsqu’ils trouvent le mot en plus de deux coups; les scientifiques, qui tiennent à jour la liste des mots déjà sortis et se penchent sur les couleurs des grilles des collègues avant de jouer eux-mêmes; les paisibles, qui accompagnent toujours leur tweet par « Bonne journée ! »; les olympiques, qui se soucient peu du nombre de coups qu’il leur faut pour trouver parce que l’essentiel c’est de participer, et puis l’artiste, qui utilise souvent des mots de Motchus dans ses hilarantes chroniques sur l’OM. J’en oublie sans doute des collègues, mais pas grave. Parce que Motchus, c’est devenu comme une petite famille, avec ses personnalités, ses humeurs, ses faiblesses et ses talents. Et c’est pour ça aussi que nous l’aimons, ce jeu.

Revenons à la question initiale. Des mots de Motchus que j’aime, il y en a tellement que j’ai vraiment du mal à dire si je préfère estrasse à radasse, peuchère à couilletti, vier à pachole, espanter à furer, cabestron à cagadou, néguer à rointer… c’est bon, j’arrête. En fait, je les adore tous, ces mots du parler marseillais, ce langage populaire de notre Marseille, la ville où je suis né et où j’ai passé plus de la moitié de ma vie. Donc, hier-soir, au moment de me servir un second jaune, la panne, incapable d’en ressortir un du lot. Alors, j’ai décidé de jouer l’esprit d’équipe et de faire mon curieux. J’ai mené ma petite enquête sur Twitter auprès des motchusiennes et motchusiens dont j’applaudis les exploits ou rigole des cagades chaque jour. Et qui me le rendent bien. Je leur ai posé la même question, tè ! Contrairement à moi, elles et ils ne se sont pas échappé(e)s. Bravo à toutes et tous !

Voici le podium : sur la plus haute marche: « pénéquet » cité trois fois. Médaille d’argent : « fadoli » et « rasbaille » mentionnés deux fois. Médaille de bronze pour une ribambelle de mots à une citation : estrasse, chichourle, jobastre, aïoli, barjaquer, aguinter emporquéger, estranssiner, regardelle, vier, alibofis, escagasser, accidenti, sègue, gobi, aouf, caganis, stoquefiche, empéguer, maufatan, embouligue, cagade, tant, boucan, jobastre, radaguer, spigaou, furer, sans oublier le désormais célébrissime ayaaaaaaaaa !

Allez, je vous aïolise toutes et tous et longo maï ! Et puisse Motchus continuer de nous régaler encore longtemps !
Il paraît que Médé a encore plus de 3000 mots dans son cabas…

Remerciements aux valables qui ont gentiment accepté de participer à ma petite enquête pour fêter les 400 coups de Motchus : @jmleforestier @jemabon @LeoPurguette @JF_Trucchi @jeanpaul_kopp @christelle_chat @CathRicoul @clauderenard777 @migarosi @c_simondebergen @MaxJeanselme @GariGreuOfficiel @MarseillaisG @PatouStVictor @ChristianBosq @intwittoveritas @DevictotBatrice @sylanalys @CelineCapponi @VitalMaladrech @annieday @CamelusBlaah @jomasque @13AJLP13 @Oli1973 @learn_to_swim @lmildonian @SJancy et @MicheleRubirola

Rappel utile (ou pas) Motchus se joue sur Twitter ou simplement en cliquant sur

http://www.motchus.fr

Bonus : les tee-shirts Motchus à la one again s’achètent à la boutchique
http://www.boutique.motchus.fr

Vé, le livre d’Ervé !

ecriturescarnassieres

Vé ! C’est ainsi qu’à Marseille, ma ville natale, on sollicite le regard d’un autre sur quelqu’un ou quelque chose. Là, c’est pain béni de jouer de la rime : Vé Ervé, qué livre il a écrit ! Parce que oui, ses Écritures carnassières sont un livre qui vous prend d’entrée et ne vous lâche plus et qui vous réclame d’y replonger encore et encore. Ce livre, je l’ai dévoré et savouré en même pas une journée. Ervé fut un enfant sans famille, sans amour, sans repères. Depuis tout petit, son monde est celui des foyers, des travailleurs sociaux maufatans, des humiliations, de l’extrème violence de la rue, son univers de vie à Paris, là où il fait la manche pour survivre. Un univers de regrets, de rencontres belles et douces aussi, éclairé par tout l’amour qu’il porte à ses deux filles, ses deux poumons. D’une plume tantôt acerbe et sèche, tantôt vibrante, souvent poétique, jamais misérabiliste, Ervé se livre et raconte ce que fut son premier demi-siècle de vie. Ses textes sont teintés d’une grande tristesse, d’humour parfois, de mélancolie beaucoup. Ervé n’est pas tendre avec lui-même. Il nomme les dépendances qui l’accompagnent, désigne les souffrances qui le minent, l’espoir qui scintille en lui aussi grâce à l’écriture. Ervé nous parle de son intimité sans détour. Il pleure, il hurle tout à la fois sa colère et son besoin d’amour. Quand je remonterai à Paris, j’aimerai lui dire en face, au fond de ses yeux si bleus, que ses mots et ses phrases m’ont bouleversé et que je me languis de son prochain livre. Tè, pourquoi pas, Ervé ?

En attendant, voici lu à voix haute l’une de ses écritures carnassières, Code de la rue sans déroute (ou presque)

Ervélelivre

Écritures carnassières est publié aux Éditions Maurice Nadeau, dans la collection À vif

Photo d’illustration @DeRenom https://twitter.com/DeRenom

Farid, troisième hiver dans la rue à Marseille

Chaque matin, Farid s’installe sur la Canebière au pied d’un grand platane et fait la manche en proposant aux passants des cours d’anglais ou de russe en échange d’un billet de 10 euros. Sans famille, Farid n’a pas envie de raconter comment son parcours de vie l’a conduit à se retrouver ici. Très lucide sur le monde tel qu’il va, il ne perd pas espoir de retrouver un toit. À 52 ans, c’est déjà le troisième hiver qu’il passe dans la rue.

Balin-balan rejoindre ma madone

Bien bruyant le vieux TER. Balin-balan, il mène sa vie de petit train fatigué. N’est pas du tout pressé. Longe la mer, de gare en gare. Se repose un court instant et repart en grinçant. Seul dans la rame, les paupières closes, je m’en vais rejoindre ma madone.

TER

La madòna dau TER – Moussu T e lei Jovents

À Cannes non plus on ne bat pas en retraite

Estelle, hôtesse de l'airDans le centre de Cannes hier, je me suis joint aux quelques cent-cinquante personnes venues manifester contre la retraite à 64 ans. Retraité depuis avril 2016, je suis évidemment solidaire de celles et ceux qui ressentent comme une menace majeure ce projet de réforme injuste porté par nos chapacans de gouvernants. Parmi les manifestants, Estelle et Dominique. Non engagée politiquement, elle est hôtesse de l’air. Communiste, il fut enseignant. Pour eux non-plus, pas question de battre en retraite.

Les derniers sons reçus de ce monde

merlérins

En promenant sur l’île Saint-Honorat jeudi, après la messe des fondateurs de Citeaux, j’ai écouté les gabians et la mer et j’ai pensé à ce moine du cinquième siècle dont on raconte qu’il acheva sa vie dans une cellule isolée, à l’un des bouts de l’île. Les oiseaux et les vagues furent sans doute les derniers sons qu’il reçut de ce monde. Il s’appelait Caprais et fut compagnon d’Honorat, le fondateur de l’abbaye. L’une des sept chapelles de l’île a été baptisée Saint-Caprais.

ChapelleStCaprais

Je sais que des saints, il y en a une ribambelle. Je réentends ma grand-mère maternelle Zoé, catholique fervente, m’expliquer que les saints et les saintes sont des hommes et des femmes comme vous et moi, ordinaires, simples, qui ont choisi de se donner à Dieu en recherchant l’amour avec un grand A. L’amour de Dieu et de son prochain. Je revois les yeux de Mémé s’embrumer lorsqu’elle évoquait Saint-Lambert, le saint-patron de Bauduen, son village natal. Natif de Bauduen lui aussi, à la fin du onzième siècle, il se fit moine à l’âge de seize ans, vécut sur l’île de Lérins et fut nommé évêque de Vence. Chaque année, le 13 septembre, le village fête l’anniversaire de l’arrivée des reliques de Saint-Lambert, que les Bauduennois sont allés chercher à Vence, en procession et à pied, en 1634. Comment croire que les saints sont vraiment des gens ordinaires ?

Frères Benoît et Vincent de Lérins : une vie d’ascèse, de travail et de solitude

 

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Ils sont vingt et un, les moines qui vivent au monastère de l’île de Lérins. Leur vie est rythmée par la prière – sept par jour, dont la première à 4h30 du matin – le travail de la vigne et l’olivier, l’étude des textes et l’accueil du public. Tous ont choisi de mener une existence communautaire empreinte d’ascèse, de partage et de solitude. Jeudi, avant et après la messe, j’ai pu échanger un peu avec deux d’entre eux, Frère Benoît et Frère Vincent.

 

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D’un peu plus de huit hectares, le vignoble du domaine de l’Abbaye de Lérins se trouve dans la partie centrale de l’île. Les moines y perpétuent la tradition cistercienne de vinification parcellaire. 

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Les moines de l’Abbaye de Lérins commercialisent leurs vins et liqueurs dans une boutique sise non loin de l’église, ainsi qu’en ligne. 

 

 

Des moines ? Ainsi soit île !

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Je n’avais jamais approché un moine d’aussi près. Et plusieurs en même temps encore moins. Ce jeudi, ils étaient une vingtaine à partager leur messe matinale, en l’église de l’Abbaye de Lérins, sise sur l’île Saint-Honorat, au large de Cannes. Depuis seize siècles, une communauté de moines cisterciens y prie et y travaille. Leurs maitres mots : silence, recueillement, ferveur, partage. Jeudi, les moines avaient invité un chœur américain à chanter avec eux : The Gustavus Choir, un ensemble luthérien venu du Minnesota.

Que l’on croie ou non en Dieu, cette messe chantée a capella fut magnifique.

En voici quelques moments choisis.

La mer boulègue, mais…

merboulègue1

La mer boulègue, je m’émerveille mais il y a des mais…
Puissante, grisante, affriolante, affolante.
Ivresse de jeunesse, joie de minot.
Y plongerais, y nagerais, mais mon courage est givré.

Mais comment donc font celles et ceux arrivés de loin là-bas et qui s’échouent près de nos côtes ?
Comment traversent-ils ce calvaire, cet absence d’horizon ?
Et nous, comment continuons-nous à manquer de courage au point de les refouler, de les abandonner loin de nos yeux ?

La mer boulègue, mais l’ivresse et la joie deviennent honte et tristesse.

Comptine fugace

cerf-volant

Envolée plongeon chute ascension abysses galaxie ivresse vertige apnée chamade nuages vagues vent liberté suspens chance risque voyage hasard azur fil écume doigts serrés peur lâcher transparence rubans échappée tournis perte presque frise sarabande embruns rafales méli-mélo rêve d’enfant.

Comptine fugace. Faire sonner les mots par groupe de trois ou de deux, comme on veut. Trouver son rythme. Ajouter deux trois notes. Répéter à volonté.

Sourire au cerf-volant.

Un vrai Umarell marseillais

Umarell. J’ai découvert ce mot l’autre jour sur Twitter. Ne l’avais jamais entendu, mais il me plaît car avec ses deux « l ». Il sonne comme un mot catalan, un terme de la grande famille de l’occitan. En fait, Umarell vient du dialecte populaire de Bologne et décrit les hommes retraités qui passent leur temps à observer les chantiers de travaux publics, les mains jointes dans le dos.

Mon Pépé Paul – décédé en 1990 à l’âge de 90 ans – fut un vrai Umarell marseillais Je me souviens de ses escapades quotidiennes en trolley dans les années 60-70. Avec sa carte de la RATVM* au tarif retraité, il sillonnait Marseille de ligne en ligne et de chantier en chantier. Tunnel du Vieux-Port, construction du métro, rien ne lui a échappé. Au repas du soir, il nous faisait un récit détaillé de ses découvertes. Parfois, au lieu de m’accompagner à la mer ou de m’emmener à la pêche, Pépé me conduisait sur l’un des chantiers qui lui faisaient tant briller les yeux. Nous restions deux trois heures à bader le ballet des ouvriers sur les marteaux piqueurs, les grues et les pelles mécaniques. Je me souviens que nous ne disions mot devant ce spectacle et qu’au bout d’un moment, sentant que je fatiguais et me lassais sans doute un peu, il me lançait en roulant les « r » – allez Érrric, c’est l’heurrre de rrrentrrrer  !

Les chapacans qui nous gouvernent ne sont pas à une vilenie près : ils viennent de décider que c’est désormais à 64 ans, pas avant, que les travailleurs pourront partir à la retraite et donc entamer, s’ils le désirent, une carrière d’Umarell. Je ne vois guère qu’une grève générale pour tenter d’empêcher ces nuisibles de continuer à bousiller la vie des gens.

*La RATVM, Régie autonome des Transports de la Ville de Marseille, est l’ancêtre de la Régie des Transports de Marseille, aujourd’hui Régie des Transports Métropolitains

Photo d’illustration @Wikipedia : le trolleybus de la ligne 63 qu’empruntait mon Pépé au départ de chacun de ses périples. Il montait au Terminus Église d’Endoume près duquel nous vivions.

Promené par les oiseaux

Une frise de feu strie la montagne
L’air doux chuchote la chute
Ombres voilées en danses libres
Cligner des yeux, incrédule
Esquisser un chemin d’ailes noires
Une fois encore promené par les oiseaux.

Un vrai fadoli

premierbain

C’est chaque année pareil lorsque je promène près de la mer. Il suffit que le soleil fasse soudain semblant de réchauffer ma peau comme en été pour que le désir de me baigner devienne irrésistible. J’ai beau savoir que ne nous sommes que début janvier, que l’hiver me gelait la tête et les os il y a deux jours à peine, que je traîne un sale rhume depuis dimanche et que la mer ne dépasse pas les treize à quatorze degrés, il me faut tomber la chemise, ôter pantalon, chaussettes et chaussures et me jeter à l’eau. Un vrai fadoli, je sais…

Ah, ça pique beaucoup au départ ! Ça picote les pieds, puis les jambes, puis le reste. Ensuite, trop tard pour renoncer, il faut y aller tout entier. Les premières crawlées tirent sur la bête, ça grince aux épaules, les gambettes battent sans rythme, la respiration s’accélère et je me sens tel un vieil oiseau de mer déplumé, effrayé par son soudain manque d’aisance et de légèreté. J’en rigole tout en avançant et je passe bien vite à la brasse, moins gourmande en souffle et en énergie. Soudain, tout semble plus facile. La carcasse et les muscles se sont un peu réchauffés. Le crâne se sent libéré des crocs glacés qui l’enserraient il y a quelques poignées de secondes. La joie affleure. La tête me tourne. La mer semble tiède. Je savoure cette ivresse. Mais le corps commence à grelotter, alors il est temps de retourner vers la rive. Le soleil m’accueille gentiment. Demain, il aura peut-être un tout petit peu réchauffé la mer et je reviendrai.

Fils de tirailleur sénégalais

PapaTirailleursénégalais

C’est aujourd’hui que sort Tirailleurs le film de Mathieu Vadepied dédié à l’une des pages de l’Histoire de France les plus méconnues du grand public, l’engagement de près de 200.000 tirailleurs africains et notamment sénégalais dans la Guerre de 14-18. Omar Sy y tient le rôle principal, ce qui a suffi ces derniers jours à faire une énième fois sortir de leur sale trou les racistes et les nostalgiques des colonies qui aimeraient tant que tous les non-Blancs ferment leur bouche.
Pas surprenant que ces salauds osent encore s’exprimer ainsi. Cela continuera tant que la France n’aura pas entrepris en profondeur un véritable travail de deuil de ses colonies. Ce qui suppose bien sûr aussi qu’il lui faudra officiellement demander pardon pour tous les méfaits et toutes les horreurs qu’engendra le colonialisme à la française.

La sortie de Tirailleurs m’a rappelé cette rencontre avec le fils d’un ancien combattant, il y a huit ans au Sénégal. C’était à Mbour, sur la Petite Côte, au sud de Dakar. J’étais allé chercher deux bagues en argent commandées quelques jours plus tôt chez Socé Dioukh, un artisan bijoutier. Il m’avait présenté son travail, je l’avais remercié et nous avions bavardé de choses et d’autres. Jusqu’au moment où mon regard s’était posé sur une photo, accrochée derrière lui. C’était celle de son papa, ancien combattant de 14-18, de 39-45 et de la Guerre d’Algérie.
Voici ce que Socé Dioukh m’avait raconté de son père, tirailleur sénégalais :

 

Pour prolonger ce témoignage, lire ce reportage de TV5Monde consacré aux héros du film.

Berger de l’avenir

J’ai franchi le cap entre l’année défunte et l’an neuf aux côtés du regretté Richard Brautigan. Embarqué dans son Tokyo-Montana Express, rien que de courtes histoires il nous offre. Poèmes en prose, récits teintés d’évanescence, croquis empreints d’absurde, de burlesque ou de merveilleux. Chacune des stations de ce trajet imaginé de chaque bord du Pacifique, Japon et States, me met en joie ou en sourires ou en pensées tristes ou en souvenirs vivaces. La mélancolie ne navigue jamais très loin. Ça tombe bien. Elle m’accompagne souvent lorsque se meurt une année pour laisser place à une nouvelle. C’est ainsi depuis longtemps. Alors je poursuis mes voyages dans les livres.

Pour entamer ensemble l’année qui commence, voici lu à voix haute l’un de mes textes préférés de ce Tokyo-Montana Express  : Le vendeur de lits.

Bonne écoute et tous mes vœux de paix, de joies et de plaisirs à chacune et chacun pour 2023 !

Tokyo-MontanaExpress

La vie en rouge

Devant les stupéfiantes photos de Boris Mikhaïlov*, j’ai applaudi le génie poétique de cet artiste frondeur et provocateur, à la fois photo-reporter, peintre et performeur. Depuis les années 60, il a documenté avec humour et gravité la lente et inexorable agonie de l’Union soviétique, depuis l’Ukraine, sa terre natale. J’ai ressenti une immense tendresse pour ses anti-héros photographiés dans des lieux ordinaires. J’ai frémi devant les photos de ces gens à la rue, les laissés-pour-compte, totalement abandonnés une fois écroulée l’URSS.

Je me suis souvenu avec tristesse du communiste que je fus et qui crut longtemps aux lendemains qui chantent teintés de rouge et décorés d’une faucille et d’un marteau… En sortant de l’expo, je me suis mis à fredonner « Le communisme sans les inconvénients », une chanson de Moussu T e lei Jovents.

« Le mot russe pour rouge (krasni) comporte la même racine que celle du mot beauté. Il signifie aussi la Révolution et évoque le sang et le drapeau rouge. Tout le monde associe le rouge au communisme. Mais peu de gens savent à quel point le rouge a traversé nos vie, à tous les niveaux. »

Boris Mikhaïlov

*Rétrospective à la Maison Européenne de la photographie, jusqu’au 15 janvier 2023

 

 

Un cri infini

MUNCHCRI

J’ignorais qu’Edvard Munch fut travaillé par l’angoisse et le doute existentiel à un point tel qu’il
déclina cinq fois le motif du Cri, son tableau le plus célèbre.
Je l’ai pris en pleine face, ce hurlement, au détour de l’exposition que lui dédie le Musée d’Orsay .*
Cette version imprimée, tellement épurée, m’a encore davantage horrifié que le célébrissime chef d’œuvre au coucher de soleil rouge sang.
Je l’ai entendue m’interpeler cette silhouette décharnée, depuis la passerelle qui s’allonge au-dessus du Fjord d’Oslo presque abandonné.
Comme si une momie surgie du fond des siècles surgissait pour jeter à ma face toute l’horreur que lui inspire notre temps présent.
Comme si elle se rapprochait de moi en lançant avec rage : – vous n’avez rien appris, rien de rien ! Ni des pogroms, ni des camps de la mort, ni des génocides et vous continuez à vous vautrer dans la saloperie du monde !
Dans son journal, en janvier 1892, Edvard Munch écrivit : « Je me promenais sur un sentier avec deux amis – le soleil se couchait – tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville. Mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété. Je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature. »

*jusqu’au 22 janvier, « Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort »

LeCriGrosPlan

De glace et en feu

C’est comme un pèlerinage. Chaque fois que je monte à Paris, il me faut aller saluer Van Gogh. Au cinquième étage du Musée d’Orsay – il me semble que la dernière fois il était accroché plus bas – deux tableaux m’aimantent, peints lors du séjour de Vincent à l’hôpital de Saint-Rémy-de-Provence en 1899, un an avant sa mort.

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D’abord l’autoportrait au fond turquoise et au camaïeu de bleus. Me revoilà aussitôt happé, empoigné, dérangé par ce regard où sourdent incompréhension, révolte, angoisse et tristesse. J’ai beau à chaque fois me rapprocher de la toile autant que possible et oser lui murmurer quelques mots doux et paisibles, Van Gogh reste de glace et en feu. En silence, il continue de me dévisager et il continue encore et encore.

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Alors, je prends congé et me rapproche de La Méridienne, dit aussi La Sieste, l’autre tableau qu’il me faut retrouver.

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Aussitôt, je retourne dans la Provence de l’enfance, aux abords de Bauduen, où naquit ma grand-mère. Ébloui par ces nuances de jaune, je me replonge dans des lieux alors encore épargnés par le Lac de Sainte-Croix. Me revoilà en plein été dans les champs – sous les eaux depuis bientôt un demi-siècle – transpirant auprès de mon grand-oncle Bertin, de son cheval et de sa charrette cafie* de foin. Il quittait le village à la fraîche, descendait sur ses terres et travaillait dur. Au mitan du jour, lorsque le soleil tapait sans pitié, il s’allongeait lui aussi dans le peu d’ombre des meules pour une petite sieste. Campé devant le chef d’œuvre de Van Gogh, c’est ainsi que je l’imagine, Bertin. Apaisé pour une poignée de minutes.

De cette Provence de jeunesse et de rêve, je m’éloigne toujours à regret. Surtout quand l’hiver s’obstine à peindre Paris de ce gris terne et glacé qui incite à retourner bien vite au musée.

VANGOGH4

*cafi : rempli, gorgé, en provençal

Zoé et Zoé

 

Devant les tombes de Frédéric Chopin, de Guillaume Apollinaire et d’Édith Piaf, penser à toi hier, ma chère Mémé Zoé, qui aurais eu 128 ans ce vendredi 2 décembre.
Ne plus savoir si tu montas un jour à Paris autrement que pour travailler comme bonne à tout faire dans une famille de richards, comme tu les nommais.

Me demander si les Nocturnes parvinrent un jour à tes oreilles, si tu savais réciter Le Pont Mirabeau, si tu écoutais les chansons de la Môme dans ta Haute-Provence natale.

Devant ces tombes et tant d’autres, m’interroger aussi aux côtés de Zoé, ton arrière-petite-fille, sur ce que nous laissons lorsque nous partons, et surtout pendant combien de temps.
Ensemble, nous avons parlé de l’inéluctable évanescence qui est notre sort commun.

Toi qui croyais à la vie éternelle, de passage ici bas tu fus et seulement ainsi nous serons. Tout comme le furent Chopin, Apollinaire, Piaf, et tous les autres qui reposent ici sous la terre de ce Père Lachaise habité de tant d’arbres, de fleurs, de corbeaux et de mémoire.
C’est ce qui nous prolonge, la mémoire. Elle nous rend immortels, mais à peine le temps d’une petite poignée de générations, avant de s’éteindre pour toujours..

Zoé ne t’a pas connu de ton vivant mais tu vis en elle, à travers ce qu’elle apprend de toi par mes mots en souvenir de toi.

C’est ton éternité, ma si chère Mémé.
Tu vis encore aussi à travers votre prénom commun.
Tout ceci survivra aussi longtemps que ne s’assèchera pas la mémoire de ce que nous fûmes.

Jusqu’à ce qu’un jour, sans prévenir, nous ayons toutes et tous à jamais disparu.

Retourner aux bouleaux

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Je me languissais de vous, mes chers bouleaux. Tous ces mois sans vous approcher, vous caresser, vous parler, vous embrasser. J’ai repris le chemin de la montagne et vous ai retrouvés. Jamais ne vous ai confié ce secret : vous êtes mes arbres préférés.

Votre écorce blanche est douce comme la peau des bébés. Vos crevasses ressemblent à des visages aux yeux et sourcils mystérieux et aux rides légères. Souvent, les regards que vous lancez au promeneur semblent perdus, comme figés dans le deuil car nulle réponse ne tombe dans la forêt. Parfois, bouleaux chéris, les tatouages et les hiéroglyphes que vous offrez évoquent des cœurs, des sexes féminins ou des continents à explorer.

Je reviendrai bientôt vous saluer.

Peut-être y aura-t-il de la neige…

 

On the Nature of Daylight (Transcription pour violoncelle et orchestre) – Olivia Gay et l’ Orchestre national de Cannes

Les entends-tu ?

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Si tôt de retour –
comme ivres de fatigue,
les grues sauvages.



Tissue N7, Philippe Glass, par Camille Thomas au violoncelle

Il reste tant d’un père

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Le regard bleu azur, le rire aux larmes parfois, la voix claire et grave, la sévérité portée en héritage, l’inévitable égoïsme d’un enfant unique, l’irrésistible appétence pour le chocolat, le fredonnement sans relâche, l’authentique vénération de Jean-Sébastien Bach, la constante aversion pour les possédants, la conscience incarnée de l’exploitation et de la lutte des classes, le constat douloureux de l’échec du communisme, l’addiction profonde à la lecture, la passion pour l’Histoire, le regret éternel de n’avoir pu l’enseigner au lycée comme il  en rêvait, car fils de pauvres, le dévouement de l’instituteur à ses élèves, le souci aigu de transmettre, l’amour sans bornes pour Marseille, la fierté intacte de son sang suisse, le penchant affirmé pour la mélancolie, l’attrait immodéré pour le mimosa, l’absence totale de peur de la mort, et tant et tant d’autres éclats de lumière et de mémoire qui me traversent et continuent de m’accompagner en silence, depuis deux ans jour pour jour maintenant que Papa est parti vers ce Grand Tout auquel il aspirait.

Bach – Abel – Prélude BWV 846/a – Arpeggio en Ré Mineur, par Lucile Boulanger à la viole de gambe

mimosapourpapa

L’âge de déraison

Papo

Papo, c’est mon éléphanteau. Tout nouveau, tout beau. Déniché parmi maintes peluches par mon épouse pour les décos de Noël. Dès que je l’ai vu, je me le suis accaparé. L’éléphant est mon animal préféré. En regardant Papo assis paisiblement sur son fauteuil, je jette vers le néant le souvenir douloureux du jour de mes 7 ans. Depuis tout petit, Dumbo, un éléphant en peluche et bourré de paille m’accompagnait dans la maison. Je lui parlais, le câlinais, lui confiais mes petites misères, le grondais aussi de temps en temps parce que j’aurais bien voulu parfois gronder mes parents mais je n’osais pas. Arrive le jour de mes 7 ans ! L’âge de raison, m’annoncent Papa et Maman. Tu es grand maintenant ! Plus besoin de doudou ! Débarrasse-t’en ! Enfant conciliant j’étais. Ni une ni deux, Dumbo finit dans le poêle à bois. Jeté par ma petite main. Je me souviens de mes pleurs en le regardant s’embraser à toute vitesse et se ratatiner en un petit monticule de cendres. Plus de soixante ans plus tard, Papo me fait entrer dans l’âge de déraison. Et c’est très doux quand un éléphanteau paisible sèche les larmes d’un Papet.

Son tout premier voyage

Nice

Hier, j’ai pris le train et traversé Nice, la ville natale de mon père.
Il y passa seulement six mois – ensuite, ce fut Marseille – mais il n’oublia jamais ses premières minutes vécues dans la ville de la Côte d’Azur.
En approchant de la gare de Nice-ville, tandis que le train battait comme un cœur empesé, je me suis souvenu du récit amusé que Papa me fit de son tout premier voyage dans ce monde.
Son cri initial fut si puissant, si douloureux et son corps si visqueux que mon père effraya l’accoucheur et échappa de ses doigts.
Une fraction de seconde à peine après l’amorce de sa chute vers le sol, la tête en bas, la main leste de la sage-femme le rattrapa par la cheville.
La peur rétrospective de perdre son fils ne quitta jamais ma grand-mère.
Enfant et jusqu’à tout jeune homme, Papa fut surprotégé, couvé tel un oisillon tombé du nid.
Il conserva cette fragilité jusqu’à son dernier souffle.
Bientôt deux ans déjà qu’il est parti pour son dernier voyage.
Hier, il aurait fêté ses 91 ans.

Emporté par la houle

J’aurais bien aimé jouer un peu avec lui. Approcher mon doigt de ses petites pattes claires. Doucement tracer un cercle autour de sa silhouette. Le regarder s’enfouir illico dans le doré du sable ou s’échapper en vitesse vers le bleu de la mer. Pas sûr qu’il aurait apprécié cette partie de cache-cache. Mais le jeu s’est arrêté avant-même de commencer. Il n’a pas eu peur. Lorsque j’ai tendu mon index vers son dos tacheté, il est resté immobile. Je l’ai abandonné parmi les débris de coquillages déposés sur le sable et je suis parti promener. À mon retour, le petit crabe mort avait disparu. Retourné à la mer. Emporté par la houle.

Le premier bain de mer de l’année

palmierscullera

Quand j’étais petit à Marseille, d’avril à octobre, j’allais chaque jour à la mer avec mes copains et nous nous baignions. Nous jouions sur les rochers, nous cherchions des crabes, nous pêchions des gobis ou des bavarelles, et lorsque les épaules nous brûlaient, nous sautions dans les vagues en riant et nous nagions longtemps. Du milieu de l’automne jusqu’aux derniers frimas du printemps, la mer, nous la laissions de côté. Nos jeux se déplaçaient vers les parcs voisins de nos maisons. Lorsque nous longions la Corniche, parfois nous nous arrêtions face au spectacle de quelques vieux qui s’offraient une baignade, qu’il fasse frais ou que le mistral se déchaîne sur la ville. Aujourd’hui, je vais à la mer en toute saison. Hélas pas tous les jours car je n’habite plus au bord de la grande bleue. Mais dès que je m’en approche, je ne résiste pas à ce plaisir. Hier, loin de Marseille, il faisait presque chaud près des palmiers et la mer était froide. Seize degrés, je crois bien. J’ai pris mon temps pour y entrer et j’ai nagé quelques minutes. Ce premier bain de l’année m’a replongé quelques décennies en arrière. Au temps de nos rires et de nos jeux d’enfants.

Malou du Panier, une histoire d’amour marseillaise

Il fut un temps, à chacun de mes retours à Marseille, où je déambulais à micro ouvert sur les lieux de ma jeunesse. Pas un jour sans saisir l’occasion de tchatcher avec tel ou telle inconnu.e croisé.e sur mon chemin. Marseille permet ce contact immédiat et cette proximité à savourer dans l’instant car bien souvent éphémère. Bavard et curieux de naissance, je ne me suis pas privé d’échanger, d’écouter les autres se raconter et parfois d’enregistrer cette parole, d’en conserver la trace avant de repartir à la pêche aux mots.

Le temps a filé.

Les traces se sont empilées dans le silence de mon disque dur externe.

Certaines voix captées se sont tues à jamais.

C’est l’une d’entre elles que je désire ressusciter et partager aujourd’hui.

La voix d’une femme extraordinaire.

Elle s’appelait Malou. Marchande de vêtements, elle était. Au Panier, le quartier de ma prime enfance.

Au début du printemps 2006, j’entre dans son magasin, attiré par l’enseigne : À touprix. Malou m’accueille avec gentillesse, nous bavardons un peu et elle accepte de se raconter. Longuement. Ses client.e.s ne sont pas en reste de paroles. En sortant du magasin ce jour-là, j’ignore que je ne reverrai plus jamais Malou. Près de quinze années plus tard, je réussis à retrouver son fils Gilbert. Il me reçoit chez lui. Je lui raconte ma rencontre impromptue avec sa maman. Il accepte lui aussi d’évoquer ses souvenirs à mon micro et de jouer quelques airs pour elle sur son orgue électronique.

Les voici tous deux réunis, huit ans jour pour jour après la disparition de Malou, le 15 août 2013.

Printemps #7 Dire adieu à Joseph

Pas facile de quitter Joseph Ponthus. Surtout lorsque au détour d’un article paru dans le dernier numéro de l’Humanité-Dimanche, je tombe sur ces mots d’un autre Joseph, Andras, auteur du livre Ainsi nous leur faisons la guerre : « On imagine mal comment travailler à une société plus digne, plus juste, en continuant de fermer les yeux sur le fait que, chaque jour, en France, trois millions d’individus animaux sont tués dans des abattoirs sans raison valable… » Ce livre, je viens tout juste de finir de le dévorer. À travers trois tableaux inspirés de faits réels, il dépeint la cruauté de nous autres humains envers les animaux. En voici un extrait. Lu à voix haute, bien sûr  :

 

Qu’aurait pensé Joseph Ponthus de ce texte ? Il s’y serait sans doute retrouvé. J’imagine les deux Joseph se rencontrant pour échanger à propos de leurs livres, si différents et proches à la fois. La rencontre n’aura hélas jamais lieu. Mais ils se parlent, j’en suis sûr, tout comme leurs deux livres me parlent et me questionnent. Au-delà de l’absence. Au-delà du deuil.

 

 

Le moment est donc venu de tourner la page Joseph. Bien sûr, d’autres textes à lire à voix haute et à partager m’accompagnent et m’accompagneront. Mais À la ligne Feuillets d’usine restera unique. Il m’a tant remué ce livre, jour après jour depuis début mars, que j’en reste rincé, vidé, tari. A sonné l’heure de me mettre en jachère et de m’éloigner du web. J’en ressens le désir et le besoin. Sur mon île numérique, j’ai emporté des livres et mon cello. Hier-soir, j’ai joué Mélancolie, un petit morceau de Chopin pour Joseph Ponthus. Je me suis appliqué. Juste avant de quitter la maison, je suis allé le saluer à la place qui est sienne dans ma bibliothèque. Tout près de Rimbaud et Jean-Claude Izzo.

 

avecJames

 

À présent, me voici tout près de la mer. Je vais prendre le temps d’approcher les coquillages, d’observer les oiseaux. De les nourrir. De parler aux arbres et de regarder les feuilles et les fleurs. Je ne négligerai pas la vie presque invisible des insectes. Chaque jour, je rendrai grâce au ciel et j’écrirai.

À la ligne – Feuillets d’usine – Lecture de Joseph Ponthus (66)

Voici le 66ème et dernier épisode du feuilleton audio Joseph Ponthus. Chaque jour depuis le 1er mars, j’ai désiré rendre hommage à son talent en lisant à voix haute et partageant ici chacun des chapitres de son formidable roman À la ligne – Feuillets d’usine, publié en 2019 aux Éditions La Table Ronde puis chez Folio. Joseph Ponthus nous a quittés fin février. Il continuera longtemps, très longtemps d’être dans nos cœurs et de nous nourrir de son courage et son humanité.

Pour accompagner la lecture du livre de Joseph Ponthus, nous avons écouté chaque jour une chanson de Charles Trenet, qu’il adorait, puis un titre de l’album Chansons d’usine, créé en 2019 à partir du roman par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz. Voici l’ultime chanson à partager ensemble.

Il y a – Michel Cloup Duo, Pascal Bouaziz

Retrouvez l’intégralité du livre lu à voix haute

sur la page La voix aux chapitres

et sur ma page Soundcloud

Portrait of Joseph Ponthus 03/10/2018 
©Philippe Matsas/Opale/Leemage

Portrait de Joseph Ponthus @PhilippeMatsas/Opale/Leemage

Photographie du haut : Abattoir @L214

À la ligne – Feuillets d’usine – Lecture de Joseph Ponthus (65)

Jour après jour, un chapitre lu à voix haute de À la ligne – Feuillets d’usine, le roman de Joseph Ponthus (Chapitre 65)

Pour accompagner jusqu’à lafin la lecture du roman de Joseph Ponthus, chaque jour un titre de l’album Chansons d’usine, créé en 2019 à partir du livre par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz.

À la ligne – Michel Cloup Duo, Pascal Bouaziz

(À demain, 7h30…)

livreJosephPonthus

À la ligne – Feuillets d’usine est publié aux Éditions La Table Ronde et chez Folio

Photographie du haut : Abattoir @L214

À la ligne – Feuillets d’usine – Lecture de Joseph Ponthus (64)

Jour après jour, un chapitre lu à voix haute de À la ligne – Feuillets d’usine, le roman de Joseph Ponthus (Chapitre 64)

Pour accompagner jusqu’au bout la lecture du roman de Joseph Ponthus, chaque jour un titre de l’album Chansons d’usine, créé en 2019 à partir du livre par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz.

Le tofu – Michel Cloup Duo, Pascal Bouaziz

(À demain, 7h30…)

livreJosephPonthus

À la ligne – Feuillets d’usine est publié aux Éditions La Table Ronde et chez Folio

Photographie du haut : Abattoir @L214