Retour au Japon – Sortir de Tokyo 日本 #17

Ça m’aurait bien plu de monter dans la cabine de pilotage du Shinkansen, しんかんせん qui m’emmenait vers le sud, en direction du Mont Fuji. Minot à Marseille, je me rêvais conducteur de locomotives. Lorsque nous prenions le train Gare Saint-Charles, je voulais toujours les approcher. Elles m’émerveillaient. Autre monde au départ de Tokyo, mais j’ai ressenti la même fascination devant ce TGV à la japonaise, tout blanc et au museau oblong comme celui d’un animal des grands océans. Seulement voilà, je n’ai pas osé demander au conducteur s’il m’acceptait à ses côtés. Tant, il m’aurait dit oui. Sans doute m’aurait-il poliment expliqué que non, une telle aventure est prohibée par le règlement de sa compagnie.

Comme un petit clin d’œil consolant, c’est la voiture 13 que ma réservation m’avait affecté. La sortie de Tokyo a duré au moins vingt bonne minutes, je crois bien. Quitter la mégalopole m’a rappelé le voyage au départ de Shanghai vers la montagne, vers Moganshan, il y a huit ans. L’impression que la ville ne s’arrête jamais, que les immeubles et les rues se succèdent interminablement. Et puis enfin, du vert tendre à travers la vitre. Des rizières au premier plan et un peu de montagne au fond.

Je ne sais plus exactement à quel point du trajet – Tokyo-Mishima, puis Mishima-Fujinomiya – j’ai pu apercevoir pour la première fois le Mont Fuji. Il a surgi au-delà d’un pont, tout au fond du cadre. Il a montré juste un petit bout de son sommet, tout gris, orné de quelques blancs nuages, avant de se cacher derrière une succession de pylônes et d’immeubles à l’approche de Mishima.

Hokusai n’aurait certainement pas dessiné une estampe depuis ces points de vue, mais je m’en suis contenté, tout heureux de savoir qu’on ne m’avait pas menti. Le mystérieux Fuji san, 富士山 m’attendait là-bas, lui que je n’avais fait que survoler il y a douze ans lors de ma première venue au Japon.

(… à suivre)

Retour au Japon – Dans la toile colorée 日本 #16

Tiens, la Grande Vague d’Hokusai, encore elle, à l’entrée de la Kinshichō Station, l’une des 822 gares – えき, eki – ferroviaires tokyoïtes, dont 282 sont des stations de métro. À première vue, devant ce plan, difficile de se repérer. Mais comme une couleur est attribuée à chacune des lignes de ce réseau tentaculaire, on peut trouver son chemin sans trop galérer.

Je l’avoue, il m’est arrivé de m’emmêler les pinceaux pour situer le bon quai et donc la bonne direction. Hop, hop, hop ! Attention magie ! La première fois, je me suis rapproché d’un employé et il m’a renseigné illico presto. Une autre fois, une gentille dame me voyant tanqué devant le panneau lumineux auquel je ne comprenais pas grand chose s’est approchée et m’a proposé de me dépatouiller. Précieux. Ce qui aide bien aussi, c’est qu’à l’intérieur des rames, les textes qui informent sur les différentes étapes d’un trajet sont écrits en trois systèmes d’écriture : kanji, hiragana et alphabet roman. Par exemple : 押上, おしあげ et Oshiage. Quant aux annonces vocales, elles sont effectuées en japonais puis en anglais et elles précisent souvent la porte de sortie ce qui favorise la fluidité de la circulation des passagers.

Tout comme en surface, sous terre aussi Tokyo est propre. On pourrait presque s’installer au sol et y manger si c’était autorisé. Ni mégot, ni chewing gum écrasé, ni crachat, ni papier gras, ni graffiti. C’est nickel. Pourtant les poubelles ont disparu depuis 30 ans, depuis l’attentat au gaz sarin perpétré en mars 1995 dans le métro de Tokyo par la secte Aum. Leurs déchets personnels, les Japonais se les gèrent avec des sachets plastique qu’ils trimballent jusqu’à leur logement. Les supérettes – kombinis, コンビニ, elles, ont des poubelles et on en trouve aussi parfois près des distributeurs de boissons.

Sinon, pas de blague, que ce soit dans le métro, le bus ou le train, la ponctualité est au rendez-vous. Le personnel ne plaisante pas avec le travail. Les maîtres-mots : Concentration, précision, efficacité. À plusieurs reprises, j’ai passé de longues minutes sur les quais à observer les employé.e.s en gants blancs et uniforme aux couleurs de leur compagnie. Elles et ils pointent méthodiquement leur index vers le quai lorsque les trains entrent et sortent de la station. Fascinant. J’y reviendrai.

(… à suivre)

Retour au Japon – Saluer Hokusai 日本 #15

Katsushika Hokusai, 葛飾 北斎, le peintre dont je bade les estampes depuis tant d’années, repose à Tokyo, sa ville natale, dans le quartier d’Asakusa. Pour aller me recueillir devant la sépulture de l’artiste dont les créations ont fait le tour du monde, il m’a fallu trouver l’enceinte du temple Seikyôji, en retrait dans une rue anonyme – les rues de la capitale japonaise ne portent pas de nom – y pénétrer et tomber d’abord sur un buste en bronze, entouré d’un camélia, de belles de nuit et d’un bambou doré.

J’ai déniché sa tombe dans un minuscule cimetière invisible depuis la rue, à l’écart d’un bâtiment qu’il m’a fallu contourner par un petit passage, dans l’enceinte du temple. C’est une des rares sépultures à être protégée par un abri en bois. Quelques cendres de bâtons d’encens, deux fleurs presque fanées et cette inscription, gravée sur la pierre : Gakyō rōjin Manji haka, 画狂老人卍墓, tombe de Manji, le vieil homme fou de peinture.

Le dénuement de cette sépulture, m’a paru en harmonie avec l’humilité dont faisait preuve Hokusai. Je me souviens de sa préface à la merveille de série Trente-six vues du Mont Fuji, dont j’ai pu découvrir en vrai quelques estampes exposées en 2014 au Grand Palais à Paris : « Tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans ne vaut pas la peine d’être compté. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et insectes. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai encore fait plus de progrès. À quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des choses. À cent ans je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j’aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens ma parole. Écrit à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Gakiō Rōjin, le vieillard fou de dessin. »

Katsushika Hokusai vécut quatre-vingt-huit ans, de 1760 à 1849. Auteur, entre autres chefs d’œuvre, de la célébrissime Joconde de l’art asiatique, La Grande Vague de Kanagawa, il utilisa pendant ses soixante-dix ans de carrière quelque cent-vingt noms d’artiste ou pseudonymes. Depuis 2016, un musée lui est dédié, dans le quartier de Ryogoku à Tokyo, près du fleuve Sumida où il passa la majeure partie de sa vie.

* (la musique en dessous de la photo du haut : Good-bye, hello, de la compositrice Yuki Murata)

(… à suivre)

Retour au Japon – Robot d’amour 日本 #14

Au pied de la Tokyo Skytree, dans le centre commercial Soramachi, そらまち, qui signifie ville du ciel, je tombe sur un petit robot mignon tout plein qui ressemble à un pingouin et vadrouille sur son présentoir. Yeux expressifs, peau en feutrine, il ne parle pas mais émet divers sons en déambulant sur ses trois roues motorisées. Le vendeur m’explique que ce robot est un Lovot et que sa mission sur cette terre est de générer de l’affection, voire de l’amour, d’où son nom. Ses circuits électroniques produisent de la chaleur sur son ventre, ce qui incite le ou la propriétaire à le prendre dans ses bras et à le câliner. Juchée sur sa tête, une excroissance oblongue intègre des capteurs et des caméras qui lui permettent d’identifier la personne qui se trouve en face de lui et d’analyser son environnement sonore. Je me suis hasardé à lui dire hajimashite, はじめまして, ravi de te rencontrer, il m’a à peine calculé. Il paraît que Lovot rigole quand on le chatouille et s’endort lorsqu’on le berce. Je n’ai essayé ni l’un ni l’autre, sans doute trop européen pour ce robot japonais héritier d’une tradition ancrée de longue date sur l’archipel.

(… à suivre)

Retour au Japon – Tokyo de là-haut 日本 #13

Un clic et c’est dans la boîte. Après une montée en ascenseur à la vitesse de 600 mètres par minute, un moulon de touristes viennent s’asseoir à la queue leu leu sur un sofa blanc écru et poser, sourires figés, devant la maquette de la géante Skytree. Derrière eux, une baie vitrée circulaire donne sur les toits de Tokyo. Depuis le Tembo Deck, le premier observatoire accessible, à 350 mètres au-dessus du sol, la vue offerte sur la ville est panoramique à 360°. La capitale du Japon se laisse découvrir dans toute son immensité, jusqu’à son port.

Il fait beau mais l’horizon est teinté d’un voile de brume et de pollution bleu orangé pâle. Au-delà du fleuve Sumida et des gratte-ciels, je devine à peine le Mont Fuji, là-bas, à une centaine de kilomètres de Tokyo à vol d’oiseau. Demain, je m’en rapprocherai enfin et tout bientôt je serai à ses pieds.

(… à suivre)

Retour au Japon – Dans le bus 日本 #12

Pour une fois, j’ai délaissé le métro et j’ai pris le bus, histoire de changer d’ambiance et de point de vue. Pas de mauvaise surprise. La ponctualité et la propreté sont au rendez-vous. Circulation assez fluide pour me rendre à la Skytree, la plus haute tour du Japon, dans le quartier du fleuve Sumida. Des vieilles dames assises devant moi bavardent. J’aimerais bien savoir ce qu’elles se racontent mais mon japonais est bien trop riquiqui pour les comprendre. Je ne parviens à saisir que l’expression desu ne ? , です ね, qui veut dire n’est-ce pas ? Les Japonais le disent souvent et j’ai appris à l’utiliser dans mes quelques brefs échanges avec les gens. Juste avant de descendre, j’ose leur lancer kyo ha atsui desu ne ! , きおうはあついですね , il fait chaud aujourd’hui, n’est-ce pas ! À peine le temps de les entendre me le confirmer en souriant, sou desu, そうでせ!, un bon trente-huit degrés me saisit sur le trottoir et je rejoins la foule des visiteurs qui avancent vers la Skytree et ses 644 mètres de haut.

(… à suivre)

Retour au Japon – Ça tourne ! 日本 #11

À peine sorti du cimetière, je tombe sur une équipe de télévision en plein tournage. Elles et ils sont une bonne quinzaine à s’activer autour d’une camionnette sur laquelle est juché le caméraman. La séquence, répétée plusieurs fois, est un travelling sur une vingtaine de mètres, pour filmer un jeune homme qui avance près d’une maison en bois bordant une rue. Une technicienne que j’interroge m’apprend que c’est la séquence d’un terebidorama, テレビドラマ, une série télévisée. Je n’en saurai pas plus parce que la dame me fait savoir illico que je n’ai pas le droit de photographier le tournage. Chaque année, les chaînes de télé japonaises diffusent plusieurs dizaines de séries. Les thématiques sont nombreuses et on y parle souvent d’amour.

(… à suivre)

Retour au Japon – Au cimetière Yanaka 日本 #10

À l’approche du crépuscule, je suis monté vers le Yanaka Reien, れいえん, le cimetière proche du Parc Ueno. Point de clôture ici, comme dans la plupart des cimetières japonais. On accède aux sépultures en passant directement du trottoir à l’allée de son choix. Au Japon, les lieux où reposent les morts sont bien davantage que chez nous accessibles aux vivants, ce qui rend, j’imagine, les premiers plus présents et plus proches aux seconds. Les tombes sont de toutes tailles, et les grillons stridulent pour tout le monde lorsque la nuit se fait proche. Deux jeunes gens en yukata, ゆかた, le kimono d’été, passent en silence. Je ne perçois pas le claquement des semelles de leurs geta, げた, les sandales de bois traditionnelles. Il fait encore chaud. Au loin, je devine le sommet de la Tokyo Skytree, haute de 634 mètres, qui commence à s’illuminer.

(… à suivre)

Retour au Japon – Tokyo sonore 日本 #9

De nuit comme de jour, Tokyo a aiguisé mon appétit pour les sons en tous genre. Près du temple Marishiten Tokudaiji, dans la rue commerçante Ameyoko, je me suis arrêté devant une supérette qui diffusait une musique ressemblant à une comptine. Un peu plus loin, une chanson de J-Pop tentait d’accrocher les clients d’un restaurant. Ensuite, un vacarme a recouvert le tout lorsqu’un train a surgi en hauteur, sur l’une des passerelles géantes qui irriguent le quartier de Ueno.

Sur l’une des larges avenues voisines, au pied de grands immeubles abritant cinémas, salles de karaoké et bars à hôtesses, de jeunes femmes attendent le client. Tokyo ne dormirait donc jamais ?

La pollution sonore de la capitale japonaise contraste avec son extrême propreté. Ni mégot par terre – il est interdit de fumer dans l’espace public – ni chewing gum écrasé, ni papier gras ou déchet quelconque qui traînent. Les Japonais sont visiblement attachés à la propreté de leur environnement. Prenons-en de la graine…

(… à suivre)

Retour au Japon – zuruzuru 日本 #8

Au restaurant de rāmen, らーめん, l’un des plats caractéristiques de la gastronomie japonaise, je souris en écoutant les slurp des clients qui me font face. Au Japon, comme en Chine d’ailleurs, il n’est pas impoli d’approcher son visage et sa bouche du bol ou de l’assiette et d’aspirer les pâtes et le bouillon dans lesquelles elles baignent. Ce son, les Japonais le décrivent avec le mot zuruzuru,ずるずる. Le z se prononçant comme un s et le r se prononçant quasiment comme un l, j’avoue que c’est assez ressemblant. Zu Zu-tsu, ずずっ, c’est pour quand on mange la soupe. MushaMusha, ムシャムシャ, c’est pour retranscrire le bruit d’une mastication rapide. En discutant avec une amie de Tokyo, j’apprends que les Japonais sont très inventifs et créatifs en matière d’onomatopées, les Giseigo, ぎせいご. Ainsi, la grenouille fait Kero Kero, けろけろ, le canard GaaGaa, がーがー, l’abeille BunBun, ブンブン. Dans un autre registre, je découvre que le bruit de la pluie qui tombe est PotsuPotsu,ぽつぽつ, celui du cœur qui palpite fort est DokiDoki, どきどき et que la sensation de douceur s’exprime avec ZaraZara, さらさら. Quant au son MoshiMoshi, もしもし, qui correspond à notre allô !au téléphone, j’apprends qu’il provient de Moosu, もうす. Ce mot signifiait parler dans l’ancien temps du shogunat, c’est à dire du gouvernement militaire qui dirigea le Japon, de la fin du 12e siècle à la révolution de l’ère Meiji, en 1868, qui marqua le début d’une politique de modernisation du Japon. C’est à partir de cette époque que les Japonais commencèrent à manger du rāmen, puisque le recette fut inspirée de la cuisine chinoise – le mot rāmen est emprunté au mot lāmiàn en mandarin, 拉面 – et importée de Chine à la fin du 19e siècle.

(… à suivre)